T-2388-79
The Molson Companies Limited (Appelante)
c.
Carling O'Keefe Breweries of Canada Limited—
Les Brasseries Carling O'Keefe du Canada Limi-
tée (Intimée)
et
Le registraire des marques de commerce
Division de première instance, le juge Cattanach—
Ottawa, 18 mars et 15 avril 1981.
Marques de commerce — Appel contre la décision du
président de la Commission d'opposition qui a rejeté l'opposi-
tion faite par l'appelante à la demande d'enregistrement de
marque de commerce de l'intimée — Le président a conclu que
la marque «TAVERN» de l'intimée était enregistrable comme
marque de commerce pour des produits de brasserie — Il
échet d'examiner si le président a commis une erreur en
concluant que la marque de commerce en cause ne constituait
pas une description claire de la nature ou de la qualité des
marchandises — Appel rejeté — Loi sur les marques de
commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, art. 2, 12.
Il s'agit d'un appel contre la décision du président de la
Commission d'opposition qui a rejeté l'opposition faite par
l'appelante à la demande de l'intimée, tendant à faire enregis-
trer le mot «TAVERN» comme marque de commerce de boissons
alcooliques fermentées. Le président a conclu que la marque de
commerce en cause n'était ni une description claire ni une
description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des
marchandises. Il échet d'examiner si ce mot constitue une
description claire de la nature ou de la qualité des marchandi-
ses, au sens de l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de
commerce.
Arrêt: l'appel est rejeté. La marque de commerce «TAVERN»
envisagée à propos de produits de brasserie ne constitue pas une
description claire de ces produits. Il s'ensuit, a contrario, que
cette marque ne constitue pas une description fausse et trom-
peuse de ces mêmes produits. Un mot ne constitue une descrip
tion claire que s'il se rapporte à la composition du produit et en
décrit la nature ou la qualité intrinsèques. Une taverne est un
établissement où la bière et d'autres produits de brasserie sont
vendus. Étant le nom de cet établissement, le mot «TAVERN»
employé comme marque de commerce de marchandises qui y
sont vendues ne décrit pas une caractéristique essentielle de ces
marchandises intrinsèque à leur composition. Il ne faut pas
oublier l'épithète «claire». Une marque de commerce n'est
descriptive que si elle constitue une description évidente et
simple de la nature ou de la qualité du produit même, et non de
quelques traits secondaires. L'allusion contenue dans le mot
«TAVERN» n'a qu'un lien ténu avec la qualité de la bière.
Arrêts mentionnés: In the Matter of an Application by
Joseph Crosfield & Sons Ld. to Register a Trade Mark
(1909) 26 R.P.C. 561; Le registraire des marques de
commerce c. C. A. Hardie & Co. Ltd. [1949] R.C.S. 483;
Le registraire des marques de commerce c. Provenzano
(1979) 40 C.P.R. (2e) 288; Eastman Photographic Ma
terials Co., Ltd. c. The Comptroller-General of Patents,
Designs, and Trade-Marks [1898] A.C. 571; Fine Foods
of Canada, Ltd. c. Metcalfe Foods, Ltd. [1942] R.C.E. 22;
Great Lakes Hotels Ltd. c. The Noshery Ltd. [1968] 2
R.C.E. 622; Le sous-procureur général du Canada c.
Jantzen of Canada Ltd. [1965] 1 R.C.E. 227; Kellogg Co.
of Canada Ltd. c. Le registraire des marques de commerce
[1940] R.C.E. 163; Standard Ideal Co. c. Standard Sani
tary Manufacturing Co. [1911] A.C. 78; Bonus Foods
Ltd. c. Essex Packers Ltd. [1965] 1 R.C.E. 735. Arrêts
appliqués: E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd.
[1976] 2 C.F. 3; Provenzano c. Le registraire des marques
de commerce (1978) 37 C.P.R. (2e) 189; Thermogene Co.
Ltd. c. La Compagnie Chimique de Produits de France
Ltée [1926] R.C.E. 114.
APPEL.
AVOCATS:
John S. Macera et Andrew K. Jarzyna pour
l'appelante.
Toni Polson Ashton pour l'intimée.
PROCUREURS:
Macera & Jarzyna, Ottawa, pour l'appelante.
Donald F. Sim, c.r., Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: C'est un appel contre la
décision rendue le 19 mars 1979 par le président
de la Commission d'opposition pour le compte du
registraire des marques de commerce, en applica
tion du paragraphe 37(9) de la Loi sur les mar-
ques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, modifié,
et portant rejet de l'opposition faite par l'appelante
à la demande de l'intimée tendant à faire enregis-
trer l'expression «TAVERN» comme marque de
commerce pour des produits de brasserie, savoir de
l'ale, de la bière blonde, etc.
L'appelante s'opposait à l'enregistrement envi-
sagé de la marque de commerce par le registraire,
par les motifs suivants:
[TRADUCTION] (1) cette marque de commerce n'est pas enre-
gistrable parce qu'elle constitue «soit une description claire, soit
une description fausse et trompeuse ... de la nature ou de la
qualité des marchandises ... à l'égard desquelles on projette de
l'émployer ...» aux termes de l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur les
marques de commerce [sauf les termes qui ont été omis], et
(2) la marque de commerce envisagée n'est pas distinctive en ce
que le mot «TAVERN», tel qu'il se rapporte aux boissons alcooli-
ques fermentées, doit pouvoir être employé par tous ceux qui en
font le commerce, à l'égard de leurs propres marchandises, et
que ce mot est, en vérité, commun à toute la profession.
Le président de la Commission d'opposition a
rejeté ces arguments de l'appelante et a statué en
faveur de la requérante, intimée en l'espèce.
Dans cet appel dont je suis saisi, l'appelante fait
valoir:
[TRADUCTION] (1) que le président a commis une erreur en
concluant que la marque de commerce en cause ne constituait
pas «une description claire de la nature ou de la qualité des
marchandises» et n'était donc pas enregistrable, contrairement
à l'alinéa 12(1)b) de la Loi, et
(2) que le président a commis une erreur pour avoir omis de se
prononcer sur la question soulevée par l'appelante, à titre
d'opposante, à savoir que la marque de commerce proposée
n'était pas distinctive, et qu'elle s'appliquait à toute la
profession.
A mon avis, si le président n'a pas mis l'accent
dans ses conclusions sur la question du «caractère
distinctif» de la marque de commerce envisagée, il
n'a pas ignoré non plus l'argument avancé par
l'appelante.
Selon l'article 2 de la Loi sur les marques de
commerce, marque de commerce «distinctive» s'en-
tend de toute marque de commerce
2....
qui distingue véritablement les marchandises ou services en
liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire,
des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui
est adaptée à les distinguer ainsi;
Les conditions de cette définition sont satisfaites
si la marque de commerce employée distingue
véritablement les marchandises d'un commerçant
de celles d'un autre. Il s'agit là d'une question de
fait, et, une fois le fait établi, une marque de
commerce, qui n'est pas enregistrable au premier
abord, comme un nom personnel, une description
de la nature, de la qualité ou de l'origine géogra-
phique des marchandises, devient enregistrable à
moins que l'enregistrement n'en soit interdit par la
Loi, comme par exemple, en son article 9. En ce
qui concerne l'enregistrabilité des marques de
commerce, on n'applique plus, en droit canadien,
la doctrine notamment exposée dans In the Matter
of an Application by Joseph Crosfield & Sons Ld.
to Register a Trade Mark (1909) 26 R.P.C. 561,
ou arrêt «Perfection» et dans Le registraire des
marques de commerce c. G. A. Hardie & Co. Ltd.
[1949] R.C.S. 483, ou arrêt «Super- Weave», doc
trine qui avait été appliquée en common law en
Angleterre et reprise au Canada par l'alinéa 2m)
de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932, S.C.
1932, c. 38 (remplacée par la Loi sur les marques
de commerce, S.C. 1952-53, c. 49).
En cas de demande d'enregistrement d'une
marque de commerce, telle la marque «TAVERN»
en l'espèce, différentes considérations entrent en
ligne de compte. Une marque qui n'a pas été
employée n'est pas distinctive, c'est-à-dire propre à
distinguer véritablement les marchandises de l'inti-
mée. Il s'ensuit qu'en cas d'opposition, la marque
contestée doit être «adaptée à les distinguer».
En conséquence, en cas de demande d'enregis-
trement d'une marque de commerce, l'alinéa
12(1)b) exclut de l'enregistrement toute expression
descriptive de la nature ou de la qualité des
marchandises.
Dans E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines
Limited [1976] 2 C.F. 3, le juge Thurlow (c'était
alors son titre) a décidé que si une marque de
commerce était bien connue dans une région du
Canada, ce fait même suffisait pour interdire à un
concurrent de la région de se l'approprier, parce
que cette marque ne pouvait être «adaptée à distin-
guer» ses marchandises. La considération première
était dans ce cas la confusion.
De même, j'estime qu'un mot, qui est une des
cription claire des marchandises à propos desquel-
les il est employé, ne peut être enregistré sous le
régime de l'alinéa 12(1)b) et ne peut faire l'objet
d'une demande par application du paragraphe
12(2), avant qu'il n'ait été employé par le requé-
rant de manière à devenir distinctif au moment de
la demande d'enregistrement. Dans ce dernier cas,
la marque satisfait à la première des deux normes
de distinction visées à la définition de «distinctive»
de l'article 2, à savoir qu'elle distingue véritable-
ment les marchandises. Si elle ne satisfait pas à
cette première norme, une marque qui est la des
cription des marchandises ne répond pas à la
seconde norme, en ce qu'elle n'a pas de caractère
distinctif inhérent et ne peut donc être «adaptée à
distinguer» les marchandises. C'est le cas du mot
courant qui décrit la nature ou la qualité de certai-
nes marchandises et qui ne peut être une marque
de commerce propre à distinguer les marchandises
d'un commerçant de celles d'un autre.
Il échet donc d'examiner si la marque de com
merce «TAVERN» dont s'agit constitue, en anglais,
une description claire de la nature ou de la qualité
des boissons alcooliques fermentées.
Le président de la Commission était du même
avis dans les motifs de sa décision portant rejet de
l'opposition:
[TRADUCTION] Il échet d'examiner si la marque de com
merce de la requérante enfreint les dispositions de l'art. 12(1)b)
de la Loi sur les marques de commerce et, en conséquence, si
cette marque n'a pas un caractère distinctif et si l'on peut dire
qu'il s'agit d'un mot commun à toute la profession.
Le président se considère comme lié par la
décision rendue par mon collègue le juge Addy
dans Provenzano c. Le registraire des marques de
commerce (1978) 37 C.P.R, (2 e ) 189. Il l'est cer-
tainement si cette décision est applicable en
l'espèce.
De même, il serait lié par la décision rendue par
le président Maclean dans The Thermogene Co.
Ltd. c. La Compagnie Chimique de Produits de
France Ltée [1926] R.C.É. 114 et citée par le juge
Addy dans les motifs de sa décision. Le président
Maclean s'est prononcé en ces termes à la page
118:
[TRADUCTION] Un mot n'est véritablement descriptif que lors-
qu'il décrit une caractéristique essentielle de la marchandise
Le président de la Commission indique qu'il
n'avait aucune raison de contredire les conclusions
tirées par le juge Addy, reconnaissant par là que
les circonstances de l'espèce Provenzano étaient
identiques aux faits de la cause.
Le président poursuit son analyse de cette déci-
sion comme suit:
[TRADUCTION] Il a refusé de conclure que la marque de
commerce KOLD ONE était soit une description claire, soit une
description fausse et trompeuse de la bière, au sens de l'art.
12(1)b), et il me semble que cette vue s'applique avec plus de
force encore au mot TAVERN.
Il a, par conséquent, rejeté l'opposition d'où le
présent appel.
Au début de ses motifs, le président de la Com
mission a exprimé les réserves suivantes quant au
rejet de l'opposition:
[TRADUCTION] J'admets que j'aurais du mal à expliquer par
la raison ou la logique une décision à l'effet de rendre le mot
TAVERN enregistrable comme marque de commerce d'une mar-
chandise comme la bière, mais le juge Addy était pleinement
convaincu que le mot «cold» («froid») appliqué à la bière n'est
nullement descriptif du caractère intrinsèque ou de la qualité
du produit, et vu cette conclusion, je ne saurais décider que le
mot TAVERN, employé pour la bière, enfreint les dispositions de
l'art. 12(1)b) de la Loi.
Le juge Addy était saisi de l'appel formé contre
la décision du registraire des marques de com
merce qui avait rejeté une demande d'enregistre-
ment de la marque de commerce KOOL ONE (il
s'agissait en réalité de la marque KOLD ONE) au
motif que c'était soit une description claire, soit
une description fausse et trompeuse de la nature
ou de la qualité du produit.
Il s'est prononcé en ces termes à la page 189:
... et pour qu'un mot constitue une description claire, il doit se
rapporter à la composition des biens ou du produit ....
Il dit plus loin, aux pages 189 et 190:
De la même façon, pour qu'un mot constitue une «description
fausse», il doit se rapporter d'une manière ou d'une autre, à la
composition des biens et décrire faussement ou erronément un
élément matériel ou viser à qualifier quelque chose qui entre
dans la composition des biens contrairement à la réalité.
Il a fait cette conclusion à propos du qualificatif
«cold» [à la page 190]:
L'adjectif «cold», lorsqu'il qualifie le mot «beer», ne constitue
d'aucune façon une description de la nature ou de la qualité
intrinsèques du produit.
Il ajoute qu'à la différence des aliments congelés
et des appareils électroménagers tels que les réfri-
gérateurs ou les cuisinières, et sous réserve de ces
exceptions et d'autres de même nature:
... la température à laquelle la bière peut ou non être livrée,
vendue ou utilisée n'a rien à voir avec la nature ou la qualité du
produit lui-même ....
Il a ajouté:
En pareil cas, le mot «cold» ne peut se rapporter qu'à l'état dans
lequel le produit, c'est-à-dire la bière, peut ou ne peut pas être
vendu ou consommé, et non pas à la qualité ou à la nature
intrinsèques du produit. Il ne constitue donc pas une description
de la bière elle-même.
Se penchant sur la question de la marque cons-
tituant une description fausse et trompeuse, il s'est
prononcé en ces termes:
Si la marque constitue une description fausse et trompeuse,
elle doit se rapporter à la composition matérielle de la bière, ce
qui n'est pas le cas, et même si la description est fausse, elle
doit en plus être trompeuse; je ne vois pas comment une
personne qui achèterait de la bière connue sous le nom de «Kool
One» pourrait se considérer trompée, en recevant le produit,
parce que la bière ne serait pas froide à ce moment-là. Il
faudrait être dépourvu d'une intelligence ordinaire pour ne pas
savoir que la température de la bière au moment où on la reçoit
dépend nécessairement de la température à laquelle elle était
entreposée juste avant sa livraison et non pas des caractéristi-
ques de la bière elle-même. Personne ne peut croire qu'en
raison de sa composition ou d'une caractéristique particulière
quelconque, la bière puisse rester froide à tout moment, sans
égard à son mode d'entreposage.
Dans sa récapitulation à la page 191, le juge
Addy a conclu en ces termes:
Je ne vois pas comment la marque projetée puisse être
considérée comme une description claire puisque les mots qui la
constituent ne représentent pas des éléments de composition du
produit, ni comment l'un ou l'autre des deux mots puisse être
considéré comme une description fausse et trompeuse puisqu'il
ne se peut pas qu'une personne raisonnable soit trompée par
leur emploi en rapport avec le produit qu'ils désignent.
Adoptant sans difficulté le raisonnement et la
logique du juge Addy, la Cour d'appel a, dans une
décision unanime, rejeté l'appel du registraire et a
confirmé la conclusion du juge Addy, selon
laquelle le mot «cold» employé à propos de bière,
ne constitue pas une description claire ou une
description fausse et trompeuse de la nature ou de
la qualité intrinsèques de la bière. Et, tout comme
le juge Addy lui-même, la Cour a ajouté que la
température à laquelle la bière est consommée n'a
aucun rapport avec la nature ou la qualité de cette
boisson. (Voir Le registraire des marques de com
merce c. Provenzano (1979) 40 C.P.R. (2») 288.)
Il échet donc d'examiner si les principes énoncés
par le juge Addy sont applicables au mot
«TAVERN» envisagé comme marque de commerce
de produits de brasserie.
Je conviens que la décision concluant au carac-
tère de description claire d'une marque de com
merce est une décision fondée sur la première
impression, ce qui ne constitue pas une méthode
propre à permettre l'analyse critique des mots
composant la marque, mais plutôt à faire ressortir
l'impression immédiate produite par cette marque
à propos du produit. Il ne faut pas considérer la
marque isolément, mais à la lumière du produit
dont s'agit.
Je conviens aussi qu'une marque doit constituer
une description avant que l'on ne puisse conclure
que celle-ci est fausse et trompeuse.
Je conviens également que la décision doit être
fondée sur la première impression et non sur une
recherche du sens des mots.
A mon avis, cette recherche du sens de mots doit
se limiter au domaine philologique et étymologi-
que.
Cette limitation n'exclut pas le recours aux dic-
tionnaires qui donnent l'acception courante d'un
mot donné, à considérer à la lumière du sujet ou
du contexte dans lequel il est employé.
En termes concrets, il échet d'examiner quel est
le sens des mots «Tavern beer», si sens il y a.
Les définitions du mot «TAVERN», extraites de
différents dictionnaires, ont été portées à ma
connaissance.
Voici ce qu'on peut lire au volume XI de The
Oxford English Dictionary:
1. In early use, A public house or tap-room where wine was
retailed; a dram-shop; in current use = PUBLIC HOUSE.
Ce mot est aussi donné comme synonyme de
«Inn». Voici comment «tavern» est défini au Cen
tury Dictionary:
A public house where wines and other liquors are sold, and
where food is provided for travellers and other guests; a public
house where both food and drink are supplied.
Et voici la définition donnée par le Webster's
New International Dictionary:
1 b: an establishment where alcoholic liquors are sold to be
drunk on the premises 2: a house where travelers or other
transient guests are accommodated with rooms and meals: INN
En Angleterre, le terme «tavern» a été en grande
partie remplacé par l'expression «public house»
définie comme «tavern» ou «inn» et abrégée «pub».
Un «pub» s'appelle également «local» lorsque les
habitants du lieu s'y réunissent pour se divertir,
jouer, bavarder et consommer sur place surtout des
boissons alcooliques fermentées, quoiqu'ils puissent
y prendre du vin et d'autres boissons alcooliques.
A mon avis, le plus proche synonyme de tavern
ou pub est tap room, car on y vend surtout de la
bière pression tirée d'un robinet, quoiqu'il y ait
aussi des boissons en bouteilles.
Il ressort d'un affidavit fondé sur des pages
jaunes des annuaires téléphoniques des grandes
villes du Canada, que le terme «tavern» désignant
un établissement où l'on sert des aliments et des
boissons, a été remplacé par des désignations
moins poétiques comme «restaurants», «licensed
restaurants or premises», «lounges» ou «cocktail
lounges». Dans certaines provinces, «beer parlours»
est l'appellation employée.
N'empêche qu'il y a des établissements inscrits
sous la rubrique «tavern» à Halifax et Dartmouth
(N.-E.), à Québec (Qué.), à Montréal (Qué.), à
Hull (Qué.), à Ottawa (Ont.) et à Toronto (Ont.).
L'appellation de «tavern» est loin d'être démo-
dée, encore qu'on ait tendance à la réserver aux
vieilles auberges historiques situées dans un cadre
rustique, et propres à attirer une clientèle plus
calme et plus réservée.
Elle est encore généralement employée dans les
poèmes et les chansons, et continue à jouir de la
faveur des étudiants dans les villes ou les localités
universitaires.
Dans son Supplément, l'Oxford Dictionary défi-
nit les «pub-crawls» (tournées des bistrots) comme
un passe-temps permanent qui se poursuit de nos
jours, quoique réservé à ceux qui en sont encore
physiquement capables.
On peut donc admettre que, tout comme le
«pub», la «tavern» est un établissement où l'on vend
des produits de brasserie à consommer sur place,
habituellement sous forme de bière pression, mais
aussi de bière en bouteilles.
L'intimée produit en preuve un affidavit où
l'auteur, qui est versé dans ce domaine, déclare
qu'il n'est pas d'usage pour les brasseurs canadiens
de mettre en vente une marque de bière réservée
exclusivement aux débits de boissons comme les
pubs, les hôtels ou les taverns, une telle pratique
n'étant nullement rentable.
Il ressort de cet affidavit que la bière pression
est surtout vendue aux débits de boissons, mais la
marque est la même que celle de la bière vendue
au consommateur en bouteilles ou en cannettes.
La combinaison formée des deux mots «tavern»
et «beer» laisserait entendre qu'il s'agit d'une bière
spécialement brassée pour satisfaire le goût parti-
culier de la clientèle des débits de boissons qui la
vendent. Il n'en est rien, selon le témoignage par
affidavit, ce qui pose la question de savoir si la
marque de commerce envisagée constitue une des
cription fausse et trompeuse.
L'impression la plus forte que puisse produire
l'emploi du mot «tavern» à propos de produits de
brasserie est que ceux-ci ont été brassés pour être
vendus et consommés sur place dans les tavernes.
Il est indiscutable que «tavern» est un mot cou-
rant en anglais, comme «taverne» l'est en français,
ce qui n'a rien de surprenant puisqu'ils ont la
même étymologie. Nul doute, non plus, que dans
la langue anglaise courante, ce mot a le sens que
lui attribuent les passages précités des dictionnai-
res.
Dans l'arrêt The Eastman Photographic Mate
rials Company, Limited c. The Comptroller-
General of Patents, Designs, and Trade-Marks
[1898] A.C. 571 à la page 580, lord Herschell a
parfaitement illustré les limitations prévues en
common law pour l'emploi d'un mot comme
marque de commerce:
[TRADUCTION] ... n'importe quel mot de la langue anglaise
peut servir de marque de commerce—même le mot le plus
commun. Dès lors, il ne peut être question de permettre à une
personne de monopoliser l'emploi d'un mot décrivant la nature
ou la qualité d'une catégorie de marchandises, en faisant
enregistrer ce mot comme marque de commerce pour ces
marchandises. Le vocabulaire anglais est un bien commun: il
appartient à tout le monde; personne ne doit empêcher les
autres membres de la collectivité d'utiliser, à des fins descripti-
ves, un mot se rapportant à la nature ou à la qualité des
marchandises.
Si l'on permet donc l'emploi de n'importe quel mot comme
marque de commerce, il faut absolument interdire un tel emploi
si celui-ci prive le reste de la collectivité du droit d'employer ce
mot pour décrire la nature ou la qualité des marchandises.
Comme indiqué plus haut, l'alinéa 12(1)b) n'au-
torise l'enregistrement d'un nom commun, tel
«tavern», que si ce mot ne constitue pas une des
cription claire de la nature ou de la qualité des
marchandises; et pour les raisons déjà mention-
nées, il échet d'examiner si la marque de com
merce envisagée, c'est-à-dire «tavern», constitue
une «description claire» de la nature ou de la
qualité des marchandises, en l'occurrence des pro-
duits de brasserie. N'étant qu'une marque proje-
tée, celle-ci n'a pas encore acquis le caractère
distinctif consacré par l'usage, qui eût donné au
propriétaire le droit de la faire enregistrer; et
quand bien même elle serait clairement descrip
tive, elle n'est pas adaptée à distinguer, et ne peut
donc être enregistrée.
Comme indiqué plus haut, mon collègue le juge
Addy a conclu, dans l'affaire Provenzano, qu'un
mot ne constitue une description claire que s'il se
rapporte à la composition du produit et en décrit la
nature ou la qualité intrinsèques.
Une taverne est un établissement où la bière et
d'autres produits de brasserie sont servis aux
clients. Étant le nom de cet établissement, le mot
«tavern» employé comme marque de commerce de
marchandises qui y sont vendues et consommées,
ne décrit pas, à mon avis, une caractéristique
essentielle de ces marchandises, intrinsèque à leur
composition.
Bien que les avocats ne l'aient pas fait valoir, le
mot «tavern» peut suggérer le lieu de vente et de
consommation et, de ce fait, ne saurait être enre-
gistrable, étant une marque de commerce qui cons-
titue une description claire du lieu d'origine des
marchandises.
Dans Fine Foods of Canada, Ltd. c. Metcalfe
Foods, Ltd. [1942] R.C.É. 22, le président
Maclean a prononcé cet obiter à la page 25, à
propos de marques de commerce de fruits et de
légumes en conserve:
[TRADUCTION] Je doute fort qu'il soit possible d'enregistrer des
marques comme «Garden Patch», «Summer Pride» ou «Garden
Pride» qui suggèrent le lieu ou la saison de culture.
Il ressortirait de ce passage que pour le prési-
dent Maclean, il suffit qu'une marque «suggère»
pour qu'elle constitue une «description».
Dans l'affaire Great Lakes Hotels Ltd. c. The
Noshery Ltd. [1968] 2 R.C.É. 622, j'ai eu à me
prononcer sur l'argument selon lequel le mot
«Penthouse», étant la désignation du lieu où des
services étaient fournis, constituait une description
claire d'un lieu d'origine.
J'ai conclu à la page 629:
[TRADUCTION] Le nom d'un établissement commercial ou
d'une usine ne constitue pas nécessairement la description d'un
lieu d'origine des marchandises ou des services à moins que ce
nom ne soit indissociable de ces marchandises ou services.
Une bière ou autre produit de brasserie n'est pas
indissociable de la taverne où elle est vendue,
quand bien même cette taverne vendrait exclusive-
ment les produits de la brasserie en question.
Il faut donc revenir à la question de savoir si le
mot «tavern» à propos de bière constitue une des
cription claire de ce produit.
Ce mot décrit le lieu où la bière est vendue, et
pour les raisons exposées plus haut, ne constitue
pas une description claire de la nature ou de la
qualité de la bière qui y est vendue.
Il ne faut pas oublier l'épithète «claire» quali-
fiant le substantif «description» à l'alinéa 12(1)b).
Elle n'est pas synonyme de «exacte», mais signifie
«facile à comprendre, évidente, simple».
Ainsi donc, le principe consacré à l'alinéa
12(1)b) est le suivant: l'enregistrement ne doit pas
être refusé si la marque de commerce envisagée ne
fait que suggérer la nature ou la qualité du pro-
duit. Elle n'est descriptive que si elle constitue une
description évidente et simple de la nature ou de la
qualité du produit même, et non de quelques traits
secondaires.
L'allusion contenue dans le mot «tavern»
employé à propos de bière se rapporte à la bière
vendue dans les tavernes. Cette allusion n'a qu'un
lien ténu avec la qualité de la bière qui y est
vendue. Elle suggère plutôt à l'esprit le lieu où elle
est vendue.
Quiconque voit cette marque se demandera ce
qu'elle signifie. A supposer qu'elle désigne une
bière vendue dans une taverne, il faudrait beau-
coup d'imagination pour conclure qu'elle constitue
une description de la nature ou de la qualité de la
bière qu'elle désigne. Elle pourrait faire penser
qu'il s'agit d'un excellent produit brassé pour les
connaisseurs qui forment la clientèle des tavernes,
ou encore le contraire.
Comme exemples classiques de marques de com
merce enregistrées, même si elles étaient une des-
cription claire du produit, on peut citer «Water -
wool» employée pour les maillots de bain (voir Le
sous-procureur général du Canada c. Jantzen of
Canada Ltd. [1965] 1 R.C.É. 227) et «Gro-Pup»
employée pour les pâtées pour chiens (voir Kellogg
Co. of Canada Ltd. c. Le registraire des marques
de commerce [1940] R.C.É. 163).
Dans la première affaire, le président Jackett
[tel était alors son titre] a jugé que [à la page 233]
[TRADUCTION] «[la marque de commerce Water -
wool'] n'indique pas qu'il s'agit d'un article vesti-
mentaire confectionné avec la laine provenant d'un
quelconque animal.» Un acheteur aurait du mal à
imaginer un animal aquatique couvert de laine.
Dans la deuxième affaire, le juge Angers con-
cluait que le nom «Gro-Pup» ne constituait pas une
description claire d'aliments pour chiens. A son
avis [aux pages 170 et 171], [TRADUCTION] «tout
au plus ce nom suggérerait-il le résultat que pour-
rait donner ce produit.»
Il y a lieu de noter la réserve faite dans l'arrêt
Standard Ideal Co. c. Standard Sanitary Manu
facturing Co. [1911] A.C. 78 par lord Macnagh-
ten qui commentait l'arrêt In the Matter of an
Application by Joseph Crosfield & Sons Ld. to
Register a Trade Mark (précité) ou l'arrêt «Per-
fection» comme suit [à la page 85]:
[TRADUCTION] Sans qu'elles aient essayé de définir «les élé-
ments constitutifs essentiels d'une marque de commerce propre-
ment dite», il paraît évident à leurs Seigneuries qu'un nom
commun de la langue anglaise se rapportant à la nature et à la
qualité du produit en liaison avec lequel il est employé, et
n'ayant aucun autre rapport avec quoi que ce soit d'autre, ne
peut constituer un moyen adéquat ou convenable pour distin-
guer les marchandises d'un commerçant de celles d'un autre.
La réserve se dégage du membre de phrase «et
n'ayant aucun autre rapport avec quoi que ce soit
d'autre». Si ce rapport existe, la marque ne consti-
tue pas une description claire.
Par ces motifs, je dois conclure que la marque
de commerce «TAVERN» envisagée à propos de
produits de brasserie ne constitue pas une descrip
tion claire de ces produits.
Il s'ensuit, a contrario, que cette marque ne
constitue pas une description fausse et trompeuse
de ces produits. (Voir Bonus Foods Ltd. c. Essex
Packers Ltd. [1965] 1 R.C.É. 735 la page 749.)
En conséquence, l'appel est rejeté, l'intimée
ayant droit à ses dépens.
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