Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-2388-79
The Molson Companies Limited (Appelante)
c.
Carling O'Keefe Breweries of Canada Limited— Les Brasseries Carling O'Keefe du Canada Limi- tée (Intimée)
et
Le registraire des marques de commerce
Division de première instance, le juge Cattanach— Ottawa, 18 mars et 15 avril 1981.
Marques de commerce Appel contre la décision du président de la Commission d'opposition qui a rejeté l'opposi- tion faite par l'appelante à la demande d'enregistrement de marque de commerce de l'intimée Le président a conclu que la marque «TAVERN» de l'intimée était enregistrable comme marque de commerce pour des produits de brasserie Il échet d'examiner si le président a commis une erreur en concluant que la marque de commerce en cause ne constituait pas une description claire de la nature ou de la qualité des marchandises Appel rejeté Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, art. 2, 12.
Il s'agit d'un appel contre la décision du président de la Commission d'opposition qui a rejeté l'opposition faite par l'appelante à la demande de l'intimée, tendant à faire enregis- trer le mot «TAVERN» comme marque de commerce de boissons alcooliques fermentées. Le président a conclu que la marque de commerce en cause n'était ni une description claire ni une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises. Il échet d'examiner si ce mot constitue une description claire de la nature ou de la qualité des marchandi- ses, au sens de l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce.
Arrêt: l'appel est rejeté. La marque de commerce «TAVERN» envisagée à propos de produits de brasserie ne constitue pas une description claire de ces produits. Il s'ensuit, a contrario, que cette marque ne constitue pas une description fausse et trom- peuse de ces mêmes produits. Un mot ne constitue une descrip tion claire que s'il se rapporte à la composition du produit et en décrit la nature ou la qualité intrinsèques. Une taverne est un établissement la bière et d'autres produits de brasserie sont vendus. Étant le nom de cet établissement, le mot «TAVERN» employé comme marque de commerce de marchandises qui y sont vendues ne décrit pas une caractéristique essentielle de ces marchandises intrinsèque à leur composition. Il ne faut pas oublier l'épithète «claire». Une marque de commerce n'est descriptive que si elle constitue une description évidente et simple de la nature ou de la qualité du produit même, et non de quelques traits secondaires. L'allusion contenue dans le mot «TAVERN» n'a qu'un lien ténu avec la qualité de la bière.
Arrêts mentionnés: In the Matter of an Application by Joseph Crosfield & Sons Ld. to Register a Trade Mark (1909) 26 R.P.C. 561; Le registraire des marques de commerce c. C. A. Hardie & Co. Ltd. [1949] R.C.S. 483; Le registraire des marques de commerce c. Provenzano
(1979) 40 C.P.R. (2e) 288; Eastman Photographic Ma terials Co., Ltd. c. The Comptroller-General of Patents, Designs, and Trade-Marks [1898] A.C. 571; Fine Foods of Canada, Ltd. c. Metcalfe Foods, Ltd. [1942] R.C.E. 22; Great Lakes Hotels Ltd. c. The Noshery Ltd. [1968] 2 R.C.E. 622; Le sous-procureur général du Canada c. Jantzen of Canada Ltd. [1965] 1 R.C.E. 227; Kellogg Co. of Canada Ltd. c. Le registraire des marques de commerce [1940] R.C.E. 163; Standard Ideal Co. c. Standard Sani tary Manufacturing Co. [1911] A.C. 78; Bonus Foods Ltd. c. Essex Packers Ltd. [1965] 1 R.C.E. 735. Arrêts appliqués: E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd. [1976] 2 C.F. 3; Provenzano c. Le registraire des marques de commerce (1978) 37 C.P.R. (2e) 189; Thermogene Co. Ltd. c. La Compagnie Chimique de Produits de France Ltée [1926] R.C.E. 114.
APPEL. AVOCATS:
John S. Macera et Andrew K. Jarzyna pour
l'appelante.
Toni Polson Ashton pour l'intimée.
PROCUREURS:
Macera & Jarzyna, Ottawa, pour l'appelante. Donald F. Sim, c.r., Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: C'est un appel contre la décision rendue le 19 mars 1979 par le président de la Commission d'opposition pour le compte du registraire des marques de commerce, en applica tion du paragraphe 37(9) de la Loi sur les mar- ques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, modifié, et portant rejet de l'opposition faite par l'appelante à la demande de l'intimée tendant à faire enregis- trer l'expression «TAVERN» comme marque de commerce pour des produits de brasserie, savoir de l'ale, de la bière blonde, etc.
L'appelante s'opposait à l'enregistrement envi- sagé de la marque de commerce par le registraire, par les motifs suivants:
[TRADUCTION] (1) cette marque de commerce n'est pas enre- gistrable parce qu'elle constitue «soit une description claire, soit une description fausse et trompeuse ... de la nature ou de la qualité des marchandises ... à l'égard desquelles on projette de l'émployer ...» aux termes de l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce [sauf les termes qui ont été omis], et
(2) la marque de commerce envisagée n'est pas distinctive en ce que le mot «TAVERN», tel qu'il se rapporte aux boissons alcooli-
ques fermentées, doit pouvoir être employé par tous ceux qui en font le commerce, à l'égard de leurs propres marchandises, et que ce mot est, en vérité, commun à toute la profession.
Le président de la Commission d'opposition a rejeté ces arguments de l'appelante et a statué en faveur de la requérante, intimée en l'espèce.
Dans cet appel dont je suis saisi, l'appelante fait valoir:
[TRADUCTION] (1) que le président a commis une erreur en concluant que la marque de commerce en cause ne constituait pas «une description claire de la nature ou de la qualité des marchandises» et n'était donc pas enregistrable, contrairement à l'alinéa 12(1)b) de la Loi, et
(2) que le président a commis une erreur pour avoir omis de se prononcer sur la question soulevée par l'appelante, à titre d'opposante, à savoir que la marque de commerce proposée n'était pas distinctive, et qu'elle s'appliquait à toute la profession.
A mon avis, si le président n'a pas mis l'accent dans ses conclusions sur la question du «caractère distinctif» de la marque de commerce envisagée, il n'a pas ignoré non plus l'argument avancé par l'appelante.
Selon l'article 2 de la Loi sur les marques de commerce, marque de commerce «distinctive» s'en- tend de toute marque de commerce
2....
qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi;
Les conditions de cette définition sont satisfaites si la marque de commerce employée distingue véritablement les marchandises d'un commerçant de celles d'un autre. Il s'agit d'une question de fait, et, une fois le fait établi, une marque de commerce, qui n'est pas enregistrable au premier abord, comme un nom personnel, une description de la nature, de la qualité ou de l'origine géogra- phique des marchandises, devient enregistrable à moins que l'enregistrement n'en soit interdit par la Loi, comme par exemple, en son article 9. En ce qui concerne l'enregistrabilité des marques de commerce, on n'applique plus, en droit canadien, la doctrine notamment exposée dans In the Matter of an Application by Joseph Crosfield & Sons Ld. to Register a Trade Mark (1909) 26 R.P.C. 561, ou arrêt «Perfection» et dans Le registraire des
marques de commerce c. G. A. Hardie & Co. Ltd. [1949] R.C.S. 483, ou arrêt «Super- Weave», doc trine qui avait été appliquée en common law en Angleterre et reprise au Canada par l'alinéa 2m) de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932, S.C. 1932, c. 38 (remplacée par la Loi sur les marques de commerce, S.C. 1952-53, c. 49).
En cas de demande d'enregistrement d'une marque de commerce, telle la marque «TAVERN» en l'espèce, différentes considérations entrent en ligne de compte. Une marque qui n'a pas été employée n'est pas distinctive, c'est-à-dire propre à distinguer véritablement les marchandises de l'inti- mée. Il s'ensuit qu'en cas d'opposition, la marque contestée doit être «adaptée à les distinguer».
En conséquence, en cas de demande d'enregis- trement d'une marque de commerce, l'alinéa 12(1)b) exclut de l'enregistrement toute expression descriptive de la nature ou de la qualité des marchandises.
Dans E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Limited [1976] 2 C.F. 3, le juge Thurlow (c'était alors son titre) a décidé que si une marque de commerce était bien connue dans une région du Canada, ce fait même suffisait pour interdire à un concurrent de la région de se l'approprier, parce que cette marque ne pouvait être «adaptée à distin- guer» ses marchandises. La considération première était dans ce cas la confusion.
De même, j'estime qu'un mot, qui est une des cription claire des marchandises à propos desquel- les il est employé, ne peut être enregistré sous le régime de l'alinéa 12(1)b) et ne peut faire l'objet d'une demande par application du paragraphe 12(2), avant qu'il n'ait été employé par le requé- rant de manière à devenir distinctif au moment de la demande d'enregistrement. Dans ce dernier cas, la marque satisfait à la première des deux normes de distinction visées à la définition de «distinctive» de l'article 2, à savoir qu'elle distingue véritable- ment les marchandises. Si elle ne satisfait pas à cette première norme, une marque qui est la des cription des marchandises ne répond pas à la seconde norme, en ce qu'elle n'a pas de caractère distinctif inhérent et ne peut donc être «adaptée à distinguer» les marchandises. C'est le cas du mot courant qui décrit la nature ou la qualité de certai- nes marchandises et qui ne peut être une marque
de commerce propre à distinguer les marchandises d'un commerçant de celles d'un autre.
Il échet donc d'examiner si la marque de com merce «TAVERN» dont s'agit constitue, en anglais, une description claire de la nature ou de la qualité des boissons alcooliques fermentées.
Le président de la Commission était du même avis dans les motifs de sa décision portant rejet de l'opposition:
[TRADUCTION] Il échet d'examiner si la marque de com merce de la requérante enfreint les dispositions de l'art. 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce et, en conséquence, si cette marque n'a pas un caractère distinctif et si l'on peut dire qu'il s'agit d'un mot commun à toute la profession.
Le président se considère comme lié par la décision rendue par mon collègue le juge Addy dans Provenzano c. Le registraire des marques de commerce (1978) 37 C.P.R, (2 e ) 189. Il l'est cer- tainement si cette décision est applicable en l'espèce.
De même, il serait lié par la décision rendue par le président Maclean dans The Thermogene Co. Ltd. c. La Compagnie Chimique de Produits de France Ltée [1926] R.C.É. 114 et citée par le juge Addy dans les motifs de sa décision. Le président Maclean s'est prononcé en ces termes à la page 118:
[TRADUCTION] Un mot n'est véritablement descriptif que lors- qu'il décrit une caractéristique essentielle de la marchandise
Le président de la Commission indique qu'il n'avait aucune raison de contredire les conclusions tirées par le juge Addy, reconnaissant par que les circonstances de l'espèce Provenzano étaient identiques aux faits de la cause.
Le président poursuit son analyse de cette déci- sion comme suit:
[TRADUCTION] Il a refusé de conclure que la marque de commerce KOLD ONE était soit une description claire, soit une description fausse et trompeuse de la bière, au sens de l'art. 12(1)b), et il me semble que cette vue s'applique avec plus de force encore au mot TAVERN.
Il a, par conséquent, rejeté l'opposition d'où le présent appel.
Au début de ses motifs, le président de la Com mission a exprimé les réserves suivantes quant au rejet de l'opposition:
[TRADUCTION] J'admets que j'aurais du mal à expliquer par la raison ou la logique une décision à l'effet de rendre le mot TAVERN enregistrable comme marque de commerce d'une mar- chandise comme la bière, mais le juge Addy était pleinement convaincu que le mot «cold» («froid») appliqué à la bière n'est nullement descriptif du caractère intrinsèque ou de la qualité du produit, et vu cette conclusion, je ne saurais décider que le mot TAVERN, employé pour la bière, enfreint les dispositions de l'art. 12(1)b) de la Loi.
Le juge Addy était saisi de l'appel formé contre la décision du registraire des marques de com merce qui avait rejeté une demande d'enregistre- ment de la marque de commerce KOOL ONE (il s'agissait en réalité de la marque KOLD ONE) au motif que c'était soit une description claire, soit une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité du produit.
Il s'est prononcé en ces termes à la page 189:
... et pour qu'un mot constitue une description claire, il doit se
rapporter à la composition des biens ou du produit ....
Il dit plus loin, aux pages 189 et 190:
De la même façon, pour qu'un mot constitue une «description fausse», il doit se rapporter d'une manière ou d'une autre, à la composition des biens et décrire faussement ou erronément un élément matériel ou viser à qualifier quelque chose qui entre dans la composition des biens contrairement à la réalité.
Il a fait cette conclusion à propos du qualificatif «cold» la page 190]:
L'adjectif «cold», lorsqu'il qualifie le mot «beer», ne constitue d'aucune façon une description de la nature ou de la qualité intrinsèques du produit.
Il ajoute qu'à la différence des aliments congelés et des appareils électroménagers tels que les réfri- gérateurs ou les cuisinières, et sous réserve de ces exceptions et d'autres de même nature:
... la température à laquelle la bière peut ou non être livrée, vendue ou utilisée n'a rien à voir avec la nature ou la qualité du produit lui-même ....
Il a ajouté:
En pareil cas, le mot «cold» ne peut se rapporter qu'à l'état dans lequel le produit, c'est-à-dire la bière, peut ou ne peut pas être vendu ou consommé, et non pas à la qualité ou à la nature intrinsèques du produit. Il ne constitue donc pas une description de la bière elle-même.
Se penchant sur la question de la marque cons- tituant une description fausse et trompeuse, il s'est prononcé en ces termes:
Si la marque constitue une description fausse et trompeuse, elle doit se rapporter à la composition matérielle de la bière, ce qui n'est pas le cas, et même si la description est fausse, elle doit en plus être trompeuse; je ne vois pas comment une
personne qui achèterait de la bière connue sous le nom de «Kool One» pourrait se considérer trompée, en recevant le produit, parce que la bière ne serait pas froide à ce moment-là. Il faudrait être dépourvu d'une intelligence ordinaire pour ne pas savoir que la température de la bière au moment on la reçoit dépend nécessairement de la température à laquelle elle était entreposée juste avant sa livraison et non pas des caractéristi- ques de la bière elle-même. Personne ne peut croire qu'en raison de sa composition ou d'une caractéristique particulière quelconque, la bière puisse rester froide à tout moment, sans égard à son mode d'entreposage.
Dans sa récapitulation à la page 191, le juge Addy a conclu en ces termes:
Je ne vois pas comment la marque projetée puisse être considérée comme une description claire puisque les mots qui la constituent ne représentent pas des éléments de composition du produit, ni comment l'un ou l'autre des deux mots puisse être considéré comme une description fausse et trompeuse puisqu'il ne se peut pas qu'une personne raisonnable soit trompée par leur emploi en rapport avec le produit qu'ils désignent.
Adoptant sans difficulté le raisonnement et la logique du juge Addy, la Cour d'appel a, dans une décision unanime, rejeté l'appel du registraire et a confirmé la conclusion du juge Addy, selon laquelle le mot «cold» employé à propos de bière, ne constitue pas une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité intrinsèques de la bière. Et, tout comme le juge Addy lui-même, la Cour a ajouté que la température à laquelle la bière est consommée n'a aucun rapport avec la nature ou la qualité de cette boisson. (Voir Le registraire des marques de com merce c. Provenzano (1979) 40 C.P.R. (2») 288.)
Il échet donc d'examiner si les principes énoncés par le juge Addy sont applicables au mot «TAVERN» envisagé comme marque de commerce de produits de brasserie.
Je conviens que la décision concluant au carac- tère de description claire d'une marque de com merce est une décision fondée sur la première impression, ce qui ne constitue pas une méthode propre à permettre l'analyse critique des mots composant la marque, mais plutôt à faire ressortir l'impression immédiate produite par cette marque à propos du produit. Il ne faut pas considérer la marque isolément, mais à la lumière du produit dont s'agit.
Je conviens aussi qu'une marque doit constituer une description avant que l'on ne puisse conclure que celle-ci est fausse et trompeuse.
Je conviens également que la décision doit être fondée sur la première impression et non sur une recherche du sens des mots.
A mon avis, cette recherche du sens de mots doit se limiter au domaine philologique et étymologi- que.
Cette limitation n'exclut pas le recours aux dic- tionnaires qui donnent l'acception courante d'un mot donné, à considérer à la lumière du sujet ou du contexte dans lequel il est employé.
En termes concrets, il échet d'examiner quel est le sens des mots «Tavern beer», si sens il y a.
Les définitions du mot «TAVERN», extraites de différents dictionnaires, ont été portées à ma connaissance.
Voici ce qu'on peut lire au volume XI de The Oxford English Dictionary:
1. In early use, A public house or tap-room where wine was retailed; a dram-shop; in current use = PUBLIC HOUSE.
Ce mot est aussi donné comme synonyme de «Inn». Voici comment «tavern» est défini au Cen tury Dictionary:
A public house where wines and other liquors are sold, and where food is provided for travellers and other guests; a public house where both food and drink are supplied.
Et voici la définition donnée par le Webster's New International Dictionary:
1 b: an establishment where alcoholic liquors are sold to be drunk on the premises 2: a house where travelers or other transient guests are accommodated with rooms and meals: INN
En Angleterre, le terme «tavern» a été en grande partie remplacé par l'expression «public house» définie comme «tavern» ou «inn» et abrégée «pub».
Un «pub» s'appelle également «local» lorsque les habitants du lieu s'y réunissent pour se divertir, jouer, bavarder et consommer sur place surtout des boissons alcooliques fermentées, quoiqu'ils puissent y prendre du vin et d'autres boissons alcooliques.
A mon avis, le plus proche synonyme de tavern ou pub est tap room, car on y vend surtout de la bière pression tirée d'un robinet, quoiqu'il y ait aussi des boissons en bouteilles.
Il ressort d'un affidavit fondé sur des pages jaunes des annuaires téléphoniques des grandes villes du Canada, que le terme «tavern» désignant un établissement l'on sert des aliments et des boissons, a été remplacé par des désignations moins poétiques comme «restaurants», «licensed restaurants or premises», «lounges» ou «cocktail lounges». Dans certaines provinces, «beer parlours» est l'appellation employée.
N'empêche qu'il y a des établissements inscrits sous la rubrique «tavern» à Halifax et Dartmouth (N.-E.), à Québec (Qué.), à Montréal (Qué.), à Hull (Qué.), à Ottawa (Ont.) et à Toronto (Ont.).
L'appellation de «tavern» est loin d'être démo- dée, encore qu'on ait tendance à la réserver aux vieilles auberges historiques situées dans un cadre rustique, et propres à attirer une clientèle plus calme et plus réservée.
Elle est encore généralement employée dans les poèmes et les chansons, et continue à jouir de la faveur des étudiants dans les villes ou les localités universitaires.
Dans son Supplément, l'Oxford Dictionary défi- nit les «pub-crawls» (tournées des bistrots) comme un passe-temps permanent qui se poursuit de nos jours, quoique réservé à ceux qui en sont encore physiquement capables.
On peut donc admettre que, tout comme le «pub», la «tavern» est un établissement l'on vend des produits de brasserie à consommer sur place, habituellement sous forme de bière pression, mais aussi de bière en bouteilles.
L'intimée produit en preuve un affidavit l'auteur, qui est versé dans ce domaine, déclare qu'il n'est pas d'usage pour les brasseurs canadiens de mettre en vente une marque de bière réservée exclusivement aux débits de boissons comme les pubs, les hôtels ou les taverns, une telle pratique n'étant nullement rentable.
Il ressort de cet affidavit que la bière pression est surtout vendue aux débits de boissons, mais la marque est la même que celle de la bière vendue au consommateur en bouteilles ou en cannettes.
La combinaison formée des deux mots «tavern» et «beer» laisserait entendre qu'il s'agit d'une bière spécialement brassée pour satisfaire le goût parti-
culier de la clientèle des débits de boissons qui la vendent. Il n'en est rien, selon le témoignage par affidavit, ce qui pose la question de savoir si la marque de commerce envisagée constitue une des cription fausse et trompeuse.
L'impression la plus forte que puisse produire l'emploi du mot «tavern» à propos de produits de brasserie est que ceux-ci ont été brassés pour être vendus et consommés sur place dans les tavernes.
Il est indiscutable que «tavern» est un mot cou- rant en anglais, comme «taverne» l'est en français, ce qui n'a rien de surprenant puisqu'ils ont la même étymologie. Nul doute, non plus, que dans la langue anglaise courante, ce mot a le sens que lui attribuent les passages précités des dictionnai- res.
Dans l'arrêt The Eastman Photographic Mate rials Company, Limited c. The Comptroller- General of Patents, Designs, and Trade-Marks [1898] A.C. 571 à la page 580, lord Herschell a parfaitement illustré les limitations prévues en common law pour l'emploi d'un mot comme marque de commerce:
[TRADUCTION] ... n'importe quel mot de la langue anglaise peut servir de marque de commerce—même le mot le plus commun. Dès lors, il ne peut être question de permettre à une personne de monopoliser l'emploi d'un mot décrivant la nature ou la qualité d'une catégorie de marchandises, en faisant enregistrer ce mot comme marque de commerce pour ces marchandises. Le vocabulaire anglais est un bien commun: il appartient à tout le monde; personne ne doit empêcher les autres membres de la collectivité d'utiliser, à des fins descripti- ves, un mot se rapportant à la nature ou à la qualité des marchandises.
Si l'on permet donc l'emploi de n'importe quel mot comme marque de commerce, il faut absolument interdire un tel emploi si celui-ci prive le reste de la collectivité du droit d'employer ce mot pour décrire la nature ou la qualité des marchandises.
Comme indiqué plus haut, l'alinéa 12(1)b) n'au- torise l'enregistrement d'un nom commun, tel «tavern», que si ce mot ne constitue pas une des cription claire de la nature ou de la qualité des marchandises; et pour les raisons déjà mention- nées, il échet d'examiner si la marque de com merce envisagée, c'est-à-dire «tavern», constitue une «description claire» de la nature ou de la
qualité des marchandises, en l'occurrence des pro- duits de brasserie. N'étant qu'une marque proje- tée, celle-ci n'a pas encore acquis le caractère distinctif consacré par l'usage, qui eût donné au propriétaire le droit de la faire enregistrer; et quand bien même elle serait clairement descrip tive, elle n'est pas adaptée à distinguer, et ne peut donc être enregistrée.
Comme indiqué plus haut, mon collègue le juge Addy a conclu, dans l'affaire Provenzano, qu'un mot ne constitue une description claire que s'il se rapporte à la composition du produit et en décrit la nature ou la qualité intrinsèques.
Une taverne est un établissement la bière et d'autres produits de brasserie sont servis aux clients. Étant le nom de cet établissement, le mot «tavern» employé comme marque de commerce de marchandises qui y sont vendues et consommées, ne décrit pas, à mon avis, une caractéristique essentielle de ces marchandises, intrinsèque à leur composition.
Bien que les avocats ne l'aient pas fait valoir, le mot «tavern» peut suggérer le lieu de vente et de consommation et, de ce fait, ne saurait être enre- gistrable, étant une marque de commerce qui cons- titue une description claire du lieu d'origine des marchandises.
Dans Fine Foods of Canada, Ltd. c. Metcalfe Foods, Ltd. [1942] R.C.É. 22, le président Maclean a prononcé cet obiter à la page 25, à propos de marques de commerce de fruits et de légumes en conserve:
[TRADUCTION] Je doute fort qu'il soit possible d'enregistrer des marques comme «Garden Patch», «Summer Pride» ou «Garden Pride» qui suggèrent le lieu ou la saison de culture.
Il ressortirait de ce passage que pour le prési- dent Maclean, il suffit qu'une marque «suggère» pour qu'elle constitue une «description».
Dans l'affaire Great Lakes Hotels Ltd. c. The Noshery Ltd. [1968] 2 R.C.É. 622, j'ai eu à me prononcer sur l'argument selon lequel le mot «Penthouse», étant la désignation du lieu des services étaient fournis, constituait une description claire d'un lieu d'origine.
J'ai conclu à la page 629:
[TRADUCTION] Le nom d'un établissement commercial ou d'une usine ne constitue pas nécessairement la description d'un lieu d'origine des marchandises ou des services à moins que ce nom ne soit indissociable de ces marchandises ou services.
Une bière ou autre produit de brasserie n'est pas indissociable de la taverne elle est vendue, quand bien même cette taverne vendrait exclusive- ment les produits de la brasserie en question.
Il faut donc revenir à la question de savoir si le mot «tavern» à propos de bière constitue une des cription claire de ce produit.
Ce mot décrit le lieu la bière est vendue, et pour les raisons exposées plus haut, ne constitue pas une description claire de la nature ou de la qualité de la bière qui y est vendue.
Il ne faut pas oublier l'épithète «claire» quali- fiant le substantif «description» à l'alinéa 12(1)b). Elle n'est pas synonyme de «exacte», mais signifie «facile à comprendre, évidente, simple».
Ainsi donc, le principe consacré à l'alinéa 12(1)b) est le suivant: l'enregistrement ne doit pas être refusé si la marque de commerce envisagée ne fait que suggérer la nature ou la qualité du pro- duit. Elle n'est descriptive que si elle constitue une description évidente et simple de la nature ou de la qualité du produit même, et non de quelques traits secondaires.
L'allusion contenue dans le mot «tavern» employé à propos de bière se rapporte à la bière vendue dans les tavernes. Cette allusion n'a qu'un lien ténu avec la qualité de la bière qui y est vendue. Elle suggère plutôt à l'esprit le lieu elle est vendue.
Quiconque voit cette marque se demandera ce qu'elle signifie. A supposer qu'elle désigne une bière vendue dans une taverne, il faudrait beau- coup d'imagination pour conclure qu'elle constitue une description de la nature ou de la qualité de la bière qu'elle désigne. Elle pourrait faire penser qu'il s'agit d'un excellent produit brassé pour les connaisseurs qui forment la clientèle des tavernes, ou encore le contraire.
Comme exemples classiques de marques de com merce enregistrées, même si elles étaient une des-
cription claire du produit, on peut citer «Water - wool» employée pour les maillots de bain (voir Le sous-procureur général du Canada c. Jantzen of Canada Ltd. [1965] 1 R.C.É. 227) et «Gro-Pup» employée pour les pâtées pour chiens (voir Kellogg Co. of Canada Ltd. c. Le registraire des marques de commerce [1940] R.C.É. 163).
Dans la première affaire, le président Jackett [tel était alors son titre] a jugé que la page 233] [TRADUCTION] «[la marque de commerce Water - wool'] n'indique pas qu'il s'agit d'un article vesti- mentaire confectionné avec la laine provenant d'un quelconque animal.» Un acheteur aurait du mal à imaginer un animal aquatique couvert de laine.
Dans la deuxième affaire, le juge Angers con- cluait que le nom «Gro-Pup» ne constituait pas une description claire d'aliments pour chiens. A son avis [aux pages 170 et 171], [TRADUCTION] «tout au plus ce nom suggérerait-il le résultat que pour- rait donner ce produit.»
Il y a lieu de noter la réserve faite dans l'arrêt Standard Ideal Co. c. Standard Sanitary Manu facturing Co. [1911] A.C. 78 par lord Macnagh- ten qui commentait l'arrêt In the Matter of an Application by Joseph Crosfield & Sons Ld. to Register a Trade Mark (précité) ou l'arrêt «Per- fection» comme suit la page 85]:
[TRADUCTION] Sans qu'elles aient essayé de définir «les élé-
ments constitutifs essentiels d'une marque de commerce propre- ment dite», il paraît évident à leurs Seigneuries qu'un nom commun de la langue anglaise se rapportant à la nature et à la qualité du produit en liaison avec lequel il est employé, et n'ayant aucun autre rapport avec quoi que ce soit d'autre, ne peut constituer un moyen adéquat ou convenable pour distin- guer les marchandises d'un commerçant de celles d'un autre.
La réserve se dégage du membre de phrase «et n'ayant aucun autre rapport avec quoi que ce soit d'autre». Si ce rapport existe, la marque ne consti- tue pas une description claire.
Par ces motifs, je dois conclure que la marque de commerce «TAVERN» envisagée à propos de produits de brasserie ne constitue pas une descrip tion claire de ces produits.
Il s'ensuit, a contrario, que cette marque ne constitue pas une description fausse et trompeuse de ces produits. (Voir Bonus Foods Ltd. c. Essex Packers Ltd. [1965] 1 R.C.É. 735 la page 749.)
En conséquence, l'appel est rejeté, l'intimée ayant droit à ses dépens.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.