T-2732-79
Le procureur général du Canada, en son nom et au
nom du ministre de l'Industrie et du Commerce
(Requérant)
c.
Fallbridge Holdings Limited et Central Cartage
Company (Intimées)
Division de première instance, le juge en chef
adjoint Jerome—Ottawa, 2 et 9 avril 1981.
Examen de l'investissement étranger — Requête en modifi
cation d'une ordonnance rendue antérieurement en application
de l'art. 19 de la Loi sur l'examen de l'investissement étranger
— L'ordonnance antérieure interdisait le commerce des actions
de la compagnie canadienne qui partageait la propriété d'un
pont international avec une compagnie américaine — La com-
pagnie américaine détenait toutes les actions de la compagnie
canadienne au moment de la requête — Une modification
antérieure autorisait l'intimée à faire aliéner par la compagnie
américaine toute sa participation dans la compagnie cana-
dienne — L'intimée, Central Cartage Company, sollicite une
nouvelle modification qui autoriserait l'aliénation de toute la
participation dans la compagnie canadienne conformément à
certaines ententes déterminées — Rejet de la requête qui tend
à l'interprétation d'ententes non signées et à une décision sur
les conséquences juridiques d'événements futurs — Loi sur
l'examen de l'investissement étranger, S.C. 1973-74, c. 46,
art. 19.
REQUÊTE.
AVOCATS:
John Scollin, c.r. et Duff Friesen pour le
requérant.
Personne n'a comparu pour le compte de l'in-
timée Fallbridge Holdings Limited.
Gordon Henderson, c.r. et E. Binavince pour
l'intimée Central Cartage Company.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
le requérant.
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour l'inti-
mée Fallbridge Holdings Limited.
Goodman & Goodman, Toronto, pour l'inti-
mée Central Cartage Company.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: La Cour
est saisie d'une requête, faite pour le compte de
l'intimée Central Cartage Company et tendant à
une ordonnance portant modification et clarifica-
tion de l'ordonnance rendue le 19 juin 1979 par le
juge Gibson, prorogée par les ordonnances en date
des 18 juillet, 15 août, 2 octobre 1979 et 11 janvier
1980 de la Cour de céans, et modifiée par l'ordon-
nance rendue le 31 mars 1980 par le juge
Mahoney.
Je n'examinerai pas en détail les circonstances
compliquées de cette affaire. Il suffit de dire
qu'elle porte sur le droit de propriété du pont
Ambassador entre Detroit (Michigan) et Windsor
(Ontario), lequel pont a toujours été une propriété
privée. Si l'on réduit à sa plus simple expression
l'histoire plutôt compliquée de son appartenance
aux diverses compagnies, il en ressort que la moitié
canadienne du pont appartient à The Canadian
Transit Company, société constituée en 1921 par
une loi du Parlement du Canada, et la moitié
américaine à Detroit International Bridge Com
pany, société constituée dans l'État du Michigan.
A la date de la requête introductive d'action, cette
dernière société détenait toutes les actions de la
compagnie canadienne. La Cour a été saisie de
l'affaire lorsque la manière dont la compagnie
américaine entendait disposer des actions de la
compagnie canadienne attira l'attention de
l'Agence d'examen de l'investissement étranger, ce
qui a amené le procureur général du Canada à
demander à la Cour de rendre une ordonnance
interdisant toute opération relative à ces actions
jusqu'à ce que le Ministre eût achevé l'examen
prévu par la Loi sur l'examen de l'investissement
étranger'. Donnant suite à cette demande, le juge
Gibson a rendu, le 19 juin 1979, l'ordonnance
portant interdiction du commerce des actions en
question. Cette ordonnance a été prorogée plu-
sieurs fois, et, le 31 mars 1980, le juge Mahoney
l'a prorogée en même temps qu'il l'a modifiée par
l'adjonction des conditions suivantes:
[TRADUCTION] ... étant entendu, pour plus de précision, que
l'intimée Central Cartage Company ne sera pas considérée
comme ayant enfreint cette ordonnance en faisant aliéner par
Detroit International Bridge Company (ci-devant Ambri, Inc.)
conformément à cette Loi, toute sa participation dans The
Canadian Transit Company, à toute autre personne (y compris
Fallbridge Holdings Limited), et étant entendu que les intimées
auront la faculté de demander à la Cour de révoquer la
présente ordonnance au moment où elles l'estimeront
oppressive.
' S.C. 1973-74, c. 46.
Les prorogations et modifications ci-dessus sont
prévues à l'article 19 de la Loi sur l'examen de
l'investissement étranger, qui porte:
19. (I) Quand, à la suite d'une demande faite au nom du
Ministre, une cour supérieure est convaincue qu'une personne
non admissible ou un groupe de personnes dont un membre est
une personne non admissible est sur le point de faire ou a fait
un investissement proposé ou effectif
a) alors que le gouverneur en conseil n'a pas, par décret,
autorisé cet investissement et n'est pas réputé l'avoir autorisé,
ou
b) alors que le gouverneur en conseil a autorisé par décret cet
investissement, ou est réputé l'avoir autorisé, mais que les
conditions auxquelles l'investissement est sur le point de se
réaliser ou a été réalisé, selon le cas, s'écartent sensiblement,
de celles que révèlent tout avis écrit donné en vertu des
paragraphes 8(1), (2) ou (3) et tous autres renseignements
ou preuve fournis à ce sujet en vertu de la présente loi,
la cour peut, par ordonnance, si l'investissement proposé n'a pas
encore été réalisé à ce moment, enjoindre à cette personne ou à
ce groupe de personnes de ne pas réaliser l'investissement
proposé et, si l'investissement a déjà été réalisé à ce moment,
enjoindre à cette personne ou à ce groupe de personnes de ne
prendre à cet égard aucune des mesures, précisées, en ce qui
concerne l'investissement effectif, dans l'ordonnance, qui, de
l'avis de la cour, préjudicieraient ou seraient susceptibles de
préjudicier à la capacité que pourrait avoir une cour supérieure,
saisie en vertu de l'article 20 d'une demande ultérieure, d'at-
teindre effectivement le but que peut viser toute ordonnance
prévue par cet article.
(2) Sous réserve du paragraphe (3), le Ministre doit, avant
de présenter une demande d'ordonnance prévue par le paragra-
phe (1), donner un préavis d'au moins quarante-huit heures à la
personne ou à chaque membre du groupe de personnes contre
laquelle ou lequel il demande cette ordonnance.
(3) Lorsqu'une cour supérieure saisie d'une demande prévue
au paragraphe (1) est convaincue
a) qu'on ne peut raisonnablement se conformer au paragra-
phe (2), ou
b) que l'urgence de la situation est telle que la signification
d'un avis conformément au paragraphe (2) serait contraire à
l'intérêt général,
elle peut donner suite à la demande ex parte, mais l'ordonnance
que rend la cour en vertu du paragraphe (1) sur demande ex
parte ne doit avoir d'effets que pour la période, d'au plus dix
jours, que précise l'ordonnance.
(4) Une ordonnance rendue en vertu du paragraphe (1) doit
a) être libellée de la manière que la cour estime nécessaire et
suffisante pour répondre aux besoins en l'occurrence; et
b) sous réserve du paragraphe (3), avoir effet pendant la
période qui est précisée.
(5) Sur demande, présentée au nom du Ministre ou par toute
personne que vise une ordonnance, et notifiée, selon le cas, aux
personnes que vise l'ordonnance ou au Ministre et à toutes ces
autres personnes, une cour supérieure qui rend une ordonnance
prévue au paragraphe (1) peut à n'importe quel moment et à
l'occasion, par une nouvelle ordonnance,
a) nonobstant les paragraphes (3) et (4), proroger l'ordon-
nance avec ou sans modifications, soit pendant le délai ferme
qui est indiqué dans la nouvelle ordonnance, soit lorsque le
gouverneur en conseil refuse par décret d'autoriser l'investis-
sement que vise l'ordonnance, sans limitation de durée; ou
b) révoquer l'ordonnance.
(6) Lorsqu'une ordonnance est rendue en vertu du paragra-
phe (1) et que l'Agence a reçu ou reçoit par la suite, en vertu
des paragraphes 8(1), (2) ou (3), avis écrit de l'investissement
proposé ou effectif que vise l'ordonnance, le Ministre doit, avec
toute la diligence possible, apprécier si, à son avis, l'investisse-
ment compte tenu des facteurs énumérés au paragraphe 2(2),
apporte ou est susceptible d'apporter des avantages apprécia-
bles au Canada; et lorsque le gouverneur en conseil autorise par
la suite l'investissement ou est réputé l'avoir autorisé, l'ordon-
nance rendue en vertu du paragraphe (1) est révoquée.
Soulignant que le paragraphe 19(1) mentionne
les investissements qu'une personne est sur le point
de faire, ou les investissements proposés, et que le
paragraphe (5) mentionne les modifications qui
peuvent être faites à n'importe quel moment et à
l'occasion, l'avocat du requérant soutient que le
champ d'application de cet article est suffisam-
ment étendu pour assurer l'accueil de la présente
requête, qui tend à une nouvelle modification de
l'ordonnance par l'adjonction du paragraphe
suivant:
Central Cartage Co. ne sera pas considérée
comme ayant enfreint la présente ordonnance en
faisant aliéner par Detroit International Bridge
Company (ci-devant Ambri, Inc.), sans autre
autorisation requise par la Loi sur l'examen de
l'investissement étranger, toute sa participation
dans The Canadian Transit Company, par les
opérations suivantes:
(i) Detroit International Bridge Company
vendra à McKinlay Transport Limited toutes les
actions qu'elle détient dans The Canadian
Transit Company conformément aux modalités
prévues dans l'entente d'achat d'actions ci-jointe
à titre de pièce «A».
(ii) McKinlay Transport Limited transférera à
Canbridge Holdings Limited, compagnie consti-
tuée sous le régime des lois de l'Ontario, toutes
ses actions ordinaires dans The Canadian Trans
it Company, en échange de toutes les actions
ordinaires et privilégiées de Canbridge Holdings
Limited, conformément aux modalités prévues à
l'entente d'échange d'actions ci-jointe à titre de
pièce «B».
(iii) McKinlay Transport Limited vendra à
Tufick J. Moroun, immigrant reçu qui n'est pas
une personne non admissible au sens de la Loi
sur l'examen de l'investissement étranger,
toutes les actions ordinaires de Canbridge Hold
ings Limited, c'est-à-dire toutes les actions ordi-
naires émises par Canbridge Holdings Limited
avec le droit de vote, conformément aux modali-
tés prévues à l'entente d'achat d'actions ci-jointe
à titre de pièce «C», à la suite de quoi Canbridge
Holdings Limited ne sera plus une personne non
admissible au sens de la Loi sur l'examen de
l'investissement étranger.
(iv) La présente ordonnance entre immédiate-
ment en vigueur, mais expirera de plein droit
dans les cent huit (108) jours de la date qui y
figure si Canbridge Holdings Limited n'acquiert
pas la propriété de toutes les actions de The
Canadian Transit Company telles qu'elles figu-
rent sur l'attestation par avocat versée au dos
sier de la Cour, ce délai pouvant être prorogé sur
production de la preuve en bonne et due forme
que les parties intéressées ont requis et attendent
du ministère du Revenu national du Canada et
de l'Internat Revenue Service des États-Unis,
une décision favorable pour ce qui est du régime
fiscal.
Tout bien considéré, je dois conclure que cette
requête vise bien plus qu'une simple modification
de l'ordonnance de la Cour. Elle tend manifeste-
ment à l'interprétation d'ententes non signées et à
une décision sur les conséquences juridiques d'évé-
nements futurs. Certaines cours d'appel sont com-
pétentes pour rendre un jugement de ce genre dans
les cas exceptionnels mais, à ma connaissance,
aucun précédent ne justifie l'accueil d'une telle
requête devant cette Cour.
ORDONNANCE
La requête est rejetée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.