T-3221-81
Flexi-Coil Ltd. (Demanderesse)
c.
Smith -Roles Ltd. faisant aussi affaires sous les
noms et raisons sociales de Milro-Lyn Company
et Blanchard, et Clemence Roles (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Toronto, 9 novembre; Ottawa, 13 novembre 1981.
Brevets — Contrefaçon — L'action de la demanderesse est
fondée sur l'art. 7e) de la Loi sur les marques de commerce —
La demanderesse prétend que les défendeurs ont copié son
invention avant la délivrance du brevet, sachant que la
demande en avait été déposée — Par leurs requêtes, les
défendeurs tentent d'obtenir la prorogation du délai fixé pour
le dépôt de la défense, la radiation, pour le motif que l'art. 7e)
est ultra vires, de certains paragraphes de la déclaration, la
radiation, en vertu de la Règle 419, de la déclaration ou de
toute partie de la déclaration, ou une ordonnance obligeant la
demânderesse à fournir des détails, la Règle 415 n'ayant pas
été respectée — Les requêtes sont rejetées sauf quant à la
prorogation — Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970,
c. T-10, art. 7e) — Règles 332, 415, 419 de la Cour fédérale.
Arrêts mentionnés: MacDonald c. Vapor Canada Ltd.
[1977] 2 R.C.S. 134; R. c. A. & A. Jewellers Ltd. [1978] 1
C.F. 479. Distinction faite avec l'arrêt: Weider c. Indus
tries Beco Liée [1976] 2 C.F. 739. Arrêt appliqué: Balinte
c. DeCloet Bros. Ltd. (1979) 40 C.P.R. (2') 157, confirmé
à [1980] 2 C.F. 384.
REQUÊTES.
AVOCATS:
G. Clarke et B. Edmonds pour la demande-
resse.
J. G. Potvin pour les défendeurs.
PROCUREURS:
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour la
demanderesse.
Scott & Aylen, Ottawa, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MAHONEY: Il s'agit en l'espèce d'une
action en contrefaçon de brevet. Aux paragraphes
10à 15 inclusivement de sa déclaration, la deman-
deresse revendique un droit d'action contre la com-
pagnie défenderesse, Smith -Roles Ltd., et Cle-
mence Roles, la prétendue tête dirigeante de cette
dernière, en se fondant sur l'alinéa 7e) de la Loi
sur les marques de commerce'. La demanderesse
prétend en substance que les défendeurs, sachant
qu'une demande de brevet avait été déposée, ont
délibérément copié l'invention avant que le brevet
soit délivré, et qu'ils ont procédé de la même façon
relativement à d'autres inventions.
L'action a été intentée le 15 juin 1981. Le 15
juillet, une comparution était déposée au nom des
défendeurs. Le 14 octobre, la demanderesse a
demandé que la Cour rende jugement par défaut,
et le 19 du même mois, le juge Cattanach, avec
l'accord des parties, a ordonné aux défendeurs de
déposer et signifier leur défense au plus tard le 4
novembre. Plutôt que de se conformer à l'ordon-
nance à la date prévue, les défendeurs ont
demandé par téléphone les détails mentionnés
ci-dessous, faisant par là un effort apparent pour
suivre la Règle 415(5), expédié d'Ottawa, par
courrier, au procureur de la demanderesse à
Toronto, un projet de défense qui ne traitait que de
la présumée contrefaçon de brevet, et déposé l'avis
de présentation des requêtes dont la Cour est
actuellement saisie. Ces requêtes visent à faire: (1)
proroger le délai pour le dépôt de la défense; (2)
radier les paragraphes 10 15 de la déclaration,
pour le motif que la Cour suprême a déclaré
l'alinéa 7e) de la Loi sur les marques de commerce
ultra vires de la compétence législative du Parle-
ment; (3) radier ces mêmes paragraphes en vertu
de la Règle 419(1)b),c) et d) ou à défaut, ordonner
la production de détails précis à leur sujet, et
finalement, (4) radier entièrement la déclaration
conformément à la Règle 419(1)a) ou à défaut,
ordonner la production des mêmes détails.
En ce qui concerne l'alinéa 7e) de la Loi sur les
marques de commerce, la Cour suprême a jugée:
Ni l'art. 7 dans son ensemble, ni l'al. e) considéré seul ou en
relation avec l'art. 53, n'est une loi fédérale valide relative à la
réglementation des échanges et du commerce ou une autre
rubrique de compétence fédérale. Il y a empiètement sur la
' S.R.C. 1970, c. T-10.
7. Nul ne doit
e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode
d'affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou
commerciaux ayant cours au Canada.
2 MacDonald c. Vapor Canada Limited [1977] 2 R.C.S. 134
A la p. 172.
compétence législative provinciale dans la situation comme elle
se présente. Toutefois l'art. 7 comprend des dispositions visant
les fins de la loi fédérale dans la mesure où l'on peut les
considérer comme un complément des systèmes de réglementa-
tion établis par le Parlement dans l'exercice de sa compétence à
l'égard des brevets, du droit d'auteur, des marques de com
merce et des noms commerciaux. Si les alinéas de l'art. 7 se
limitaient à cela, ils seraient valides et, si l'al. e) qui est le seul
dont la constitutionnalité soit contestée en l'espèce, pouvait être
ainsi restreint, je serais certainement prêt, à maintenir dans
cette mesure sa validité.
Dans une affaire de contrefaçon de brevet, Weider
c. Industries Beco Ltée 3 , où les demandeurs fon-
daient leur droit d'action contre le prétendu con-
trefacteur et ses directeurs sur l'alinéa 7e), j'ai
radié certaines parties de la déclaration. Les faits à
l'origine de cette action étaient tous survenus après
la délivrance du brevet. Cette ordonnance n'a pas
été portée en appel. Dans l'arrêt Balinte c. DeCloet
Bros. Ltd. 4 , le juge Dubé a refusé de radier certai-
nes parties de la déclaration dans laquelle les
demandeurs faisaient valoir le droit d'action que
leur reconnaissait l'alinéa 7e), en raison d'actes
posés par les défendeurs avant que le brevet soit
accordé. Ce refus a été maintenu par la Cour
d'appel fédérales. Le cas qui nous occupe est com
parable à cette dernière cause. La demande de
radiation fondée sur le motif d'inconstitutionnalité
de l'alinéa 7e) est rejetée. On ne peut, de façon
précipitée, empêcher la demanderesse de plaider
qu'en l'espèce, l'alinéa 7e) est infra vires puisqu'il
peut être considéré comme un complément du
système établi à l'égard de la Loi sur les brevets.
Les requêtes visant à faire radier, en application
de la Règle 419, la totalité de la déclaration ou
l'un quelconque de ses paragraphes, ne sont pas
fondées. Quant aux autres conclusions, demandant
à la Cour d'ordonner que la demanderesse four-
nisse de plus amples détails concernant les alléga-
tions contenues aux paragraphes 10 à 15 de sa
déclaration, dont la rédaction actuelle ne satisfe-
rait pas aux exigences de la Règle 415, je dois dire
qu'à première vue, ces paragraphes me semblent
conformes à ladite Règle. C'est David A. Aylen,
un avocat associé du procureur des défendeurs, J.
Guy Potvin, qui a signé l'affidavit joint à la pré-
sente requête, lequel affirme aux paragraphes 10
et 11 que les détails demandés sont légitimement
nécessaires.
3 [1976] 2 C.F. 739.
4 (1979) 40 C.P.R. (2e) 157.
5 [1980] 2 C.F. 384.
[TRADUCTION] 10. Aux paragraphes 10 15 de sa déclaration,
la demanderesse mentionne la présumée conduite délibérée,
téméraire et intentionnelle des défendeurs et ajoute que certains
de ces derniers auraient eu une conduite prétendument illégale
sachant qu'elle était en effet illégale. J'apprends de J. Guy
Potvin, et je crois sans réserve, que Clemence Roles, un des
défendeurs en l'instance, l'a informé, lors d'une conversation
téléphonique qu'il aurait eue avec lui, de l'ignorance totale des
défendeurs quant aux détails demandés au sujet des allégations
contenues aux paragraphes 10 15.
11. J'apprends de J. Guy Potvin, et je crois sans réserve que
celui-ci a fait savoir à Clemence Roles, un des défendeurs en
l'instance, lors d'une conversation téléphonique qu'il aurait eue
avec lui, que si nous n'obtenions pas la radiation des paragra-
phes 10 15 de la déclaration pour le motif de l'inconstitution-
nalité de l'article.7e) de la Loi sur les marques de commerce,
alors tous les détails mentionnés plus haut seraient essentiels à
la préparation de la défense à l'encontre des allégations conte-
nues aux paragraphes 10 15 de la déclaration.
Ces paragraphes exigent une lecture minutieuse.
David A. Aylen ne jure pas qu'il croit la déclara-
tion de Roles, ni même que Potvin la croit; il croit
simplement que c'est ce que Roles a dit à Potvin. Il
ne jure pas penser que les détails sont nécessaires à
la préparation de la défense, mais bien que c'est ce
que Potvin a dit à Roles. Je ne sais pas si la
rédaction de cet affidavit est trop habile ou tout
simplement mauvaise. De par la nature des alléga-
tions contenues_ aux paragraphes 10 15 de la
déclaration, si les défendeurs ne sont pas au cou-
rant des détails, alors les faits décrits à ces para-
graphes n'auraient pratiquement pas pu se pro-
duire. Quoi qu'il en soit, les défendeurs n'ont pas
besoin des détails pour plaider.
L'affidavit d'une personne qui connaît les faits
ou qui les croit est recevable en preuve.
Règle 332. (1) Les affidavits doivent se restreindre aux faits
que le témoin est en mesure de prouver par la connaissance
qu'il en a, sauf en ce qui concerne les requêtes interlocutoires
pour lesquelles peuvent être admises des déclarations fondées
sur ce qu'il croit et indiquant pourquoi il le croit.
Le juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son
titre) a dit de cette Règle 6 :
Dans la préparation du matériel à l'appui des requêtes
interlocutoires, il semble devenu pratique courante d'écarter
l'application de la première clause de cette Règle et d'utiliser la
seconde comme moyen d'éviter la prestation du serment dans
6 La Reine c. A. & A. Jewellers Limited [1978] 1 C.F. 479 à
la p. 480.
une déclaration par une personne au courant des faits et pour
lui faire dire, devant la Cour, . ce qu'elle sait, sous forme de
ouï-dire auquel prête serment quelqu'un qui n'en a pas lui-
même connaissance. Tel n'est pas le but de la Règle. La Cour a
droit à la déclaration sous serment d'une personne qui a une
connaissance personnelle des faits, lorsque ladite personne peut
la fournir. La deuxième partie de la Règle est purement
facultative, et doit être utilisée seulement lorsque la meilleure
des preuves, à savoir la déposition sous serment de la personne
qui sait, ne peut pas être obtenue immédiatement, pour des
raisons admissibles ou évidentes.
Il s'agissait d'une affaire d'impôt sur le revenu;
cela peut expliquer le fait qu'elle n'ait pas attiré
l'attention de ceux qui se spécialisent dans la
pratique du droit des brevets. Il semble qu'à moins
que la meilleure des preuves ne puisse, pour une
raison évidente, être obtenue immédiatement, il
faille donner à la Cour une raison acceptable pour
qu'elle consente à recevoir une preuve par ouï-dire.
Il va de soi qu'une telle raison ne peut pas non plus
être prouvée par ouï-dire.
Au surplus, même si les défendeurs avaient
réussi à établir que des détails auraient . dû être
fournis en vertu d'une exigence quelconque de la
Règle 415, je suis d'avis que rien ne justifiait de ne
pas l'avoir fait entre le 15 juin et le 4 novembre, et
au moyen d'une requête écrite comme le prévoit la
Règle 415(5). Je maintiens cette opinion malgré le
fait qu'il y ait eu interruption du service postal, et
que les défendeurs aient leur résidence à Saska-
toon tandis que leur procureur a son bureau à
Ottawa.
La requête des défendeurs sera donc rejetée,
mais le délai pour déposer la défense sera prorogé
jusqu'au 20 novembre 1981. La demanderesse
recouvrera les frais de la présente demande, à être
taxés entre le procureur et son client, quel que soit
le sort de la cause.
L'affaire étant réglée, je devrais m'arrêter ici.
Cependant, je ne peux m'empêcher d'exprimer
l'inquiétude que je ressens à voir, comme dans le
cas que nous venons de traiter, des avocats accep-
ter de plus en plus, à l'occasion de procédures
engagées devant cette Cour, de mettre leur propre
crédibilité en jeu, soit en témoignant eux-mêmes,
soit en faisant témoigner des employés ou des
associés à leur place sur des faits qu'ils connaissent
ou qu'ils croient. N'est-il pas reconnu que l'affida-
vit constitue un témoignage tout autant que s'il
avait été donné de vive voix, et que de par la
nature d'un système accusatoire, la crédibilité de
quiconque dépose comme témoin est toujours en
cause? N'est-il pas bien compris que le meilleur
service que peut se rendre un avocat, et le meilleur
service qu'il peut rendre à ses clients et à la cour
devant laquelle il plaide, c'est de ne jamais permet-
tre que soient faites des réserves ou émis des
doutes en ce qui concerne sa crédibilité?
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