A-47-79
Miida Electronics, Inc. (Appelante)
c.
Mitsui O.S.K. Lines Ltd. et ITO—International
Terminal Operators Ltd. (Intimées)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge
suppléant Lalande—Montréal, 2 et 5 décembre
1980; Ottawa, 22 mai 1981.
Droit maritime — Responsabilité délictuelle — Contrats —
Connaissement — Appel du rejet de l'action intentée pour vol
de cargaison commis au hangar de transit après déchargement
— En vertu du contrat de manutention, le transitaire devait
fournir les services de surveillance et de garde sous réserve des
limitations de responsabilité prévues au connaissement — Le
transitaire n'a pas effectué une des vérifications de sécurité
prescrites par les règlements — Il échet d'examiner si la Cour
a compétence — Il échet d'examiner si le transitaire a été
négligent dans l'exécution de ses obligations — Il échet d'exa-
miner si le connaissement décharge le transitaire de sa respon-
sabilité pour négligence — Appel accueilli en partie — Code
civil du Québec, art. 1053, 2388 — Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2» Supp.), c. 10, art. 2.
Appel du rejet de l'action intentée par l'appelante contre le
transporteur et le transitaire pour vol de cargaison après
déchargement. Les marchandises emmagasinées dans un
hangar de transit exploité par l'ITO furent volées. Les règle-
ments du Conseil des ports nationaux exigent que chaque
hangar soit visité au moins une fois à toutes les deux heures.
L'ITO n'a pas fait effectuer de ronde de sécurité par un gardien
pendant une période de cinq heures. D'après le contrat conclu
avec le transporteur, l'ITO devait fournir «des ... services de
transit nécessaires» notamment les «services de surveillance et
de garde». L'ITO s'est engagée à fournir ces services sous
bénéfice des «droits, exonérations et limitations de responsabi-
lité» que prévoyait le connaissement. Les clauses 4 et 7 du
connaissement confèrent à l'ITO le bénéfice des droits et
exonérations, des exemptions et limitations de responsabilité
prévus par les Règles de La Haye. L'action de l'appelante était
fondée sur l'inexécution du contrat et sur la responsabilité
délictuelle. Le juge de première instance a décidé que puisque
la totalité de la perte était survenue après le déchargement des
marchandises, le connaissement exonérait le transporteur de sa
responsabilité, que la demanderesse n'avait pas prouvé faute an
sens du droit commun, et que le connaissement déchargeait
l'ITO de la responsabilité pour négligence après le déchargè-
ment. Il échet d'examiner si le connaissement exonérait le
transporteur de sa responsabilité pour une perte découlant du
défaut de prendre les mesures propres à assurer la sécurité des
marchandises; si la Cour a compétence pour connaître de
l'action; s'il y a eu négligence de la part de l'ITO dans
l'exécution de ses obligations; et si le connaissement exonère
celle-ci de la responsabilité pour négligence.
Arrêt: l'appel est accueilli à l'égard de l'ITO (le juge Pratte
étant dissident) et rejeté à l'égard de la Mitsui O.S.K. Lines
Ltd. (le juge Le Dain étant dissident).
Le juge Pratte dissident à l'égard de l'ITO: L'appelante n'a
pas rapporté la preuve que l'ITO, société de manutention, avait
l'obligation de prendre soin des marchandises. En l'absence
d'une telle obligation, le défaut par l'ITO de faire plus qu'elle a
fait pour protéger les marchandises de l'appelante ne constitue
pas une faute au sens de l'article 1053 du Code civil. J'estime
quand même qu'il n'y a pas lieu d'accueillir l'action de l'appe-
lante, puisque l'ITO est protégée par la clause Himalaya
figurant dans le connaissement. Mais la raison déterminante
pour laquelle l'action de l'appelante ne saurait être accueillie,
c'est qu'une telle action ne relève pas de la compétence de la
Cour fédérale. C'est à bon droit que le juge de première
instance a rejeté l'action intentée contre le transporteur, parce
que le connaissement l'exonérait de l'obligation de prendre soin
des marchandises après leur déchargement.
Le juge Le Dain dissident à l'égard de la Mitsui O.S.K.
Lines Ltd.: L'action intentée par le propriétaire de la cargaison
contre le transitaire est une question maritime, et la Cour est
compétente pour connaître de l'action. Le transitaire recevait
de l'armateur le paiement des services exécutés. Le transitaire
était donc un sous-dépositaire rémunéré. En tant que tel, il
avait envers le propriétaire de la cargaison l'obligation de
prendre les mesures raisonnables propres à assurer la sécurité
des marchandises. Le degré de soin exigé d'un dépositaire
dépend des circonstances dans lesquelles, et des buts pour
lesquels, les marchandises lui ont été confiées. Le transitaire
avait une obligation de soin qui comprenait le maintien d'un
système adéquat de sécurité. Ceci découle de la nature des
fonctions et responsabilités assumées par le transitaire, ainsi
qu'il ressort du contrat de manutention et de transit et des
règlements du Conseil des ports nationaux. Le défaut de faire
l'inspection constitue une négligence dans la garde de la cargai-
son. La clause Himalaya prévoit que les diverses catégories des
personnes mentionnées bénéficient «exactement des mêmes»
exemptions, exonérations et limitations de responsabilité que
celles accordées au transporteur. Les clauses 8 et 18 n'écartent
pas la responsabilité pour négligence. Il n'y est pas fait expres-
sément mention de la négligence. L'expression «à quelque titre
que ce soit» ne constitue pas une telle mention. Pour ce qui est
de l'action intentée contre le transporteur, l'appel devrait être
accueilli. Puisque les clauses 8 et 18 du connaissement ne
déchargent pas le transporteur de ses obligations contractuelles
de livrer la cargaison et d'en prendre soin jusqu'à sa livraison,
le transporteur ne pouvait se soustraire à ces obligations en en
confiant l'exécution à un tiers. Du reste, le transitaire agissait
comme mandataire du transporteur dans la prestation des
services de transit. Dans une hypothèse comme dans l'autre, la
négligence qui a causé la perte de la cargaison engage la
responsabilité du transporteur.
Le juge suppléant Lalande: C'est à bon droit que l'action a
été rejetée à l'égard du transporteur, en application de la clause
8 du connaissement. Il y a eu négligence de la part de l'ITO
dans l'exécution des services de «surveillance et de garde», et la
faute commise par cette dernière donne matière à procès. En
vertu de la clause Himalaya, l'appelante a accepté que le
transporteur engage un transitaire pour l'exécution de son
contrat de livraison des marchandises. L'ITO s'engageait à
exécuter ces services sous bénéfice des «droits, exonérations et
limitations de responsabilité» que prévoyait le connaissement.
L'ITO était dépositaire des marchandises. L'action intentée par
le propriétaire de la cargaison peut être considérée comme
contractuelle. La clause Himalaya et la clause 7 n'ont rien à
voir avec la négligence survenue après le déchargement. Ces
clauses confèrent au transitaire le bénéfice des droits et exoné-
rations, des exemptions et limitations de responsabilité prévus
par les Règles de La Haye. Aucune disposition de ces Règles
n'exonère le transporteur de la responsabilité pour la perte de
marchandises par vol du fait de la négligence dans la garde des
marchandises après leur déchargement. La Cour fédérale est en
l'espèce compétente pour connaître de l'action intentée par la
demanderesse contre le transitaire, parce qu'il s'agit d'une
question se rattachant à «la navigation et à la marine» et
relevant de la Cour de l'Échiquier du Canada.
Arrêt critiqué: R. c. Domestic Converters Corporation
A-247-77, jugement rendu le 29 octobre 1980. Arrêts
mentionnés: Gilchrist Watt & Sanderson Pty. Ltd. c. York
Products Pty. Ltd. [1970] 1 W.L.R. 1262; [1970] 3 All
E.R. 825; National Gypsum Company Inc. c. Northern
Sales Limited [1964] R.C.S. 144; Associated Metals &
Minerals Corp. c. L'..Evie W» [1978] 2 C.F. 710; Inver-
ness Railway and Coal Co. c. Jones (1908) 40 R.C.S. 45;
Building and Civil Engineering Holidays Scheme Mana
gement Ltd. c. Post Office [1966] 1 Q.B. 247; Moyer
Stainless & Alloy Co. Ltd. c. Canadian Overseas Shipping
Ltd. [1973] 2 Lloyd's Rep. 420; Executive Jet Aviation,
Inc. c. City of Cleveland, Ohio 1973 A.M.C. 1; Morris c.
C. W. Martin & Sons, Ltd. [1965] 2 All E.R. 725; [1966]
1 Q.B. 716; British Road Services, Ltd. c. Arthur V.
Crutchley & Co., Ltd. [1968] 1 All E.R. 811; Canada
Steamship Lines Ld. c. Le Roi [1950] R.C.S. 532; [1952]
A.C. 192; Smith c. South Wales Switchgear Ltd. [1978] 1
All E.R. 18; Tropwood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Co.
[1979] 2 R.C.S. 157. Arrêts analysés: Scrutions Ltd. c.
Midland Silicones Ltd. [1962] A.C. 446; New Zealand
Shipping Co. Ltd. c. A. M. Satterthwaite & Co. Ltd.
(L'..Eurymedon») [1975] A.C. 154; Port Jackson Steve-
doring Pty. Ltd. c. Salmond & Spraggon (Australia) Pty.
Ltd. (Le ..New York Star„) [1980] 3 All E.R. 257. Arrêts
examinés: Canadian General Electric Co. Ltd. c. Pickford
& Black Ltd. (Le ..Lake Bosomtwe») [1971] R.C.S. 41;
Greenwood Shopping Plaza Ltd. c. Beattie [ 1980] 2
R.C.S. 228. Arrêt appliqué: La Compagnie Robert Simp-
son Montréal Liée c. Hamburg-Amerika Linie Nord-
deutscher [1973] C.F. 1356.
APPEL.
AVOCATS:
Marc Nadon pour l'appelante.
R. Cypihot pour l'intimée Mitsui O.S.K.
Lines Ltd.
D. F. H. Marler pour l'intimée ITO—Inter-
national Terminal Operators Ltd.
PROCUREURS:
Martineau, Walker, Allison, Beaulieu, Mac-
Kell & Clermont, Montréal, pour l'appelante.
Brisset, Bishop, Davidson & Davis, Montréal,
pour l'intimée Mitsui O.S.K. Lines Ltd.
Chauvin, Marier & Baudry, Montréal, pour
l'intimée ITO—International Terminal Oper
ators Ltd.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident): Le 14 septembre
1973, un vol fut commis dans le port de Montréal.
Tôt dans la soirée, un grand nombre de calculatri-
ces de bureau emmagasinées au hangar 50 furent
volées. Les marchandises volées appartenaient à
l'appelante, Miida Electronics, Inc.; elles venaient
d'arriver du Japon à bord du Buenos Aires Maru,
un navire de l'intimée Mitsui O.S.K. Lines Ltd. (la
Mitsui), et avaient été déchargées et placées au
hangar 50 par l'autre intimée, International Ter
minal Operators Ltd. (l'ITO). La plupart de ces
marchandises ne furent jamais retrouvées.
A la suite de cette perte, l'appelante poursuivit à
la fois la Mitsui, le transporteur qui avait trans
porté les marchandises volées du Japon à Mont-
réal, et l'ITO, le transitaire à qui la Mitsui avait
confié la garde des marchandises après leur
déchargement. L'action contre la Mitsui était
fondée sur le contrat de transport. La demande-
resse faisait valoir que le défaut par la Mitsui de
livrer les marchandises à Montréal constituait une
inexécution du contrat dont faisait foi le connaisse-
ment délivré par la Mitsui relativement aux mar-
chandises volées. L'action contre l'ITO était
fondée sur la prétendue négligence dont celle-ci
avait fait preuve en ne prenant pas les mesures
propres à prévenir le vol des marchandises dont la
garde lui avait été confiée. La Division de première
instance a rejeté l'action contre les deux défende-
resses [[1979] 2 C.F. 283]. C'est de ce jugement
que l'appelante interjette appel.
1. L'action contre la Mitsui
Ayant conclu que la totalité de la perte était
survenue après le déchargement des marchandises
et leur emmagasinage au hangar 50, le juge de
première instance rejeta l'action à l'égard de la
Mitsui au motif que la clause 8 du connaissement
délivré à l'égard des marchandises de l'appelante
exonérait la Mitsui de sa responsabilité. Cette
clause est ainsi rédigée:
[TRADUCTION] 8. Le transporteur ne saurait être tenu res-
ponsable, à quelque titre que ce soit, du retard de livraison, du
défaut de livraison, de la livraison défectueuse, ou de la perte
ou de l'avarie causée aux marchandises ou les concernant, qui
se produit avant le chargement ou après le déchargement, ou
les deux, que ces marchandises soient en attente d'expédition,
placées à terre ou emmagasinées, chargées à bord d'embarca-
tions, chalands, allèges ou autres appartenant ou non au trans-
porteur, ou qu'elles soient en voie de transbordement au cours
du voyage. Le «chargement» visé au présent connaissement
commence dès l'accrochage au palan du navire ou, si celui-ci
n'est pas utilisé, dès la réception des marchandises sur le pont
ou dans les cales ou, en cas de liquide en vrac, dans les citernes
du navire. Le «déchargement» visé aux présentes prend fin
lorsque les marchandises ont été libérées du palan du navire ou
déchargées du pont ou de la cale, ou des citernes du navire.
Lors de l'instruction de l'appel, l'avocat de l'ap-
pelante n'a pas contesté le fait que la perte subie
par sa cliente découlait entièrement du vol commis
lorsque les marchandises étaient emmagasinées au
hangar 50. Il a toutefois fait valoir que la clause 8
du connaissement ne déchargeait pas le transpor-
teur de sa responsabilité, puisqu'en l'espèce, la
perte provenait du défaut de prendre les mesures
propres à assurer la sécurité des marchandises. Les
clauses de non-responsabilité, dit l'avocat, doivent
être strictement interprétées et ne mettent ceux au
profit desquels elles ont été stipulées à l'abri de la
responsabilité pour dommage causé par négligence
que si les parties ont exprimé clairement leur
intention d'écarter ce type de responsabilité; à
l'appui de cette thèse, il invoque la décision du
Conseil privé dans l'affaire Canada Steamship
Lines Ld. c. Le Roi'.
•
A mon avis, la clause 8, surtout lorsqu'on la
combine à la clause 18 2 , a pour effet d'écarter la
responsabilité du transporteur dans un cas où,
comme en l'occurrence, la perte est survenue après
le déchargement sans qu'il y ait faute ou négli-
gence de la part du transporteur. On ne saurait
reprocher à la Mitsui de n'avoir pas pris les mesu-
res propres à assurer la sécurité des marchandises
' [1952] A.C. 192.
2 Cette clause prévoyait entre autres ce qui suit:
[TRADUCTION] En toute hypothèse, la responsabilité du
transporteur prend fin dès le moment où les marchandises
sont déchargées du navire, et, nonobstant tout usage con-
traire du port, l'expéditeur ou le consignataire, ou les deux,
assument tous les risques et frais (notamment les frais de
déchargement, de chalandage, d'emmagasinage, de camion-
nage, les droits portuaires, etc.) encourus pour livraison autre
qu'au navire.
puisque, selon moi, les clauses 8 et 18 la déchar-
geaient de l'obligation de prendre soin des mar-
chandises après leur déchargement. Le fait que la
perte ait pu, comme l'a prétendu l'appelante, être
causée par la négligence ou la faute de l'ITO n'est
pas pertinent, puisque celle-ci était une entreprise
indépendante et n'a jamais agi à titre de préposée
de la Mitsui. La décision du Conseil privé dans
l'affaire Canada Steamship Lines Ld. c. Le Roi
(précitée) ne s'applique pas à l'espèce; il a simple-
ment été jugé dans cette affaire que la clause de
non-responsabilité n'exonère pas normalement la_
partie au profit de laquelle elle a été stipulée de la
responsabilité découlant de sa négligence et de
celle de ses préposés.
J'estime donc que c'est à bon droit que le juge
de première instance a rejeté l'action intentée par
l'appelante contre la Mitsui.
2. L'action contre l'ITO
L'ITO est une entreprise de manutention qui
s'occupe aussi pour ses clients des opérations de
transit. En 1973, elle occupait, dans le port de
Montréal, divers hangars que le Conseil des ports
nationaux lui avait loués, dont le hangar 50. En
avril 1973, l'ITO a conclu avec la Mitsui un
contrat aux termes duquel elle s'engageait à char
ger et décharger tous les navires de cette dernière,
et s'occuper, au port de Montréal et à d'autres
ports canadiens déterminés, des opérations de tran
sit. En exécution de ce contrat, l'ITO a déchargé
les marchandises de l'appelante et les a emmagasi-
nées dans le hangar 50 en attendant que leur
propriétaire vienne les enlever.
Selon l'avocat de l'appelante, l'action contre
l'ITO est purement délictuelle. Il prétend que l'ap-
pelante n'a jamais contracté avec l'ITO et, n'étant
pas partie au contrat intervenu entre celle-ci et la
Mitsui, ne saurait s'en prévaloir. Par conséquent, il
n'a pas contesté la conclusion du juge de première
instance selon laquelle l'action intentée contre
l'ITO ne pouvait être accueillie sur une base
contractuelle.
Le seul argument de l'avocat sur cet aspect de la
cause est que l'action intentée par l'appelante
contre l'ITO, vue sous un angle purement délic-
tuel, devrait, que ce soit sous l'empire du droit
québécois ou du droit anglais, être accueillie, puis-
que la perte de l'appelante a été causée par le
défaut par l'ITO de prendre les mesures propres à
assurer la sécurité des marchandises.
Pour saisir cet argument, il est nécessaire de se
rappeler les circonstances du vol des marchandises
de l'appelante au hangar 50. Ces circonstances,
ainsi que quelques-unes des déductions que l'appe-
lante en tire, sont résumées avec précision dans le
passage suivant extrait du jugement de la Division
de première instance [aux pages 293 et 294]:
Le vol a eu lieu dans la soirée du 14 septembre. Un employé de
la firme utilisée par la défenderesse pour satisfaire aux mesures
nécessaires de sécurité, surprit les voleurs sur le fait en faisant
sa tournée. En fait, à cause de la noirceur et de la distance il ne
put voir que des ombres qui fuyaient vers l'eau et disparurent
en descendant à l'extrémité de la plate-forme du quai. Les
voleurs s'étaient évidemment servis d'une embarcation qu'ils
avaient amarrée le long du quai, face au hangar où les mar-
chandises avaient été entreposées. En prenant la fuite, ils
laissèrent même à mi-chemin entre la porte du hangar et le
bord du quai une palette chargée de cartons. La police du port
alertée se rendit aussitôt sur les lieux. On constata vite qu'un
trou de 6 ou 8 pouces de diamètre avait été pratiqué dans la
paroi de l'entrepôt, le long d'une de ses larges portes de façade,
à travers lequel il avait été possible de rejoindre avec le bras la
chaîne sans fin qui, à l'intérieur, sert à actionner un levier et à
lever la porte.
Ce scénario cependant laisse en plan un certain nombre de
questions et c'est dans les réponses à ces questions que la
demanderesse entend tirer la preuve des fautes qu'elle reproche
à la défenderesse. Les voici. Premièrement, combien de temps
les voleurs ont-ils pu opérer sans être dérangés? Normalement,
à compter de 17.30 heures, les rondes des gardes de sécurité se
succèdent au moins à toutes les deux heures, ce que suggèrent
d'ailleurs les règlements du Conseil des Ports nationaux de qui
la défenderesse était locataire. Ce soir-là, cependant, comme
l'un des deux gardes en devoir avait été retenu dans un autre
hangar où le travail s'était poursuivi après les heures normales
et que l'autre avait dû rester à la guérite, il n'y avait pas eu de
ronde à 19.30 heures. La première ronde fut celle au cours de
laquelle les voleurs furent surpris. Deuxièmement, suffisait-il
aux voleurs de rejoindre la chaîne pour actionner la porte; n'y
avait-il pas un verrou de sécurité sur cette porte? Effective-
ment, ces portes se verrouillent normalement à l'aide d'un
cadenas qui immobilise les deux cordons de la chaîne à un
anneau de métal fixé au mur, mais le cadenas ce soir-là ne
faisait que lier ensemble les deux cordons, ce qui laissait une
possibilité de jeu de deux à trois pieds permettant de lever la
porte suffisamment pour y pénétrer. Troisièmement, les voleurs
pouvaient-ils opérer en manipulant les caisses sans l'aide d'ou-
til? On constata qu'un souleveur de charge motorisé (lifter)
avait été laissé à l'intérieur du hangar ce soir-là, ce qui était
exceptionnel, et son moteur était encore chaud peu après le vol.
Quatrièmement, ne maintient-on donc pas sur les lieux un
certain éclairage qui soit susceptible de gêner des opérations du
genre, la nuit? Quelques lumières, en fait, sont laissées allu-
mées, mais elles sont peu nombreuses et ce soir-là, dans le
hangar, il y en avait encore moins, des ampoules brûlées
n'ayant pas encore été remplacées.
Le vol, plaide la demanderesse, a incontestablement, on le
voit, été facilité par des failles dans les mesures de sécurité
adoptées en vue de la garde des effets: rondes des gardes
insuffisamment nombreuses; verrouillage non pleinement effi-
cace, présence d'un souleveur de charge dans le hangar, illumi
nation faible. Il n'en faut pas plus, prétend-elle, pour conclure à
une faute de la part de la défenderesse, donc à sa responsabilité.
L'avocat de l'appelante fait valoir en premier
lieu que l'action devrait être accueillie sous l'em-
pire du droit québécois. D'après lui, le défaut par
l'ITO de prendre les mesures propres à assurer la
sécurité des marchandises constitue une faute qui
la rend responsable sous le régime de l'article 1053
du Code civil du Québec. Pour déterminer la
validité de cet argument, il faut se rappeler que
l'appelante ne saurait se prévaloir des dispositions
du contrat de transit intervenu entre l'ITO et la
Mitsui. En ce qui concerne l'appelante, ces disposi
tions sont «res inter alios acta». Il s'ensuit que le
fait que l'ITO ait peut-être manqué à son obliga
tion contractuelle de diligence envers la Mitsui
n'est d'aucun secours à l'appelante. Pour que l'ac-
tion soit accueillie, il aurait fallu établir que même
si le contrat de transit n'imposait à l'ITO aucune
obligation quant à la sécurité des marchandises
après leur déchargement, cette société avait quand
même l'obligation de prendre soin des marchandi-
ses de la manière que prétend l'appelante. Or,
l'appelante n'a pas rapporté une telle preuve. Si le
contrat de transit n'avait imposé aucune obligation
quant à la sécurité des marchandises après leur
déchargement, l'ITO, dans les circonstances de
l'espèce, n'aurait eu aucune obligation juridique ou
morale de prendre des mesures particulières pour
assurer la sécurité de ces marchandises. En l'ab-
sence d'une telle obligation, le défaut par l'ITO de
faire plus qu'elle a fait pour protéger les marchan-
dises de l'appelante ne constitue pas une faute au
sens de l'article 1053 du Code civil.
L'avocat de l'appelante fait valoir aussi que
l'action • n'est pas régie par le droit du Québec,
mais bien par la common law de l'Angleterre, qui
s'appliquerait en tant que partie du «droit mari
time canadien» et en vertu de l'article 2388 du
Code civil du Québec. Sous le régime du droit
anglais, la Mitsui était dépositaire des marchandi-
ses de l'appelante, alors que l'ITO en était sous-
dépositaire. La décision de la Cour d'appel
anglaise dans l'affaire Morris c. C. W. Martin &
Sons, Ltd. ([1966] 1 Q.B. 716) et celle du Conseil
privé dans l'affaire Gilchrist Watt and Sanderson
Pty. Ltd. c. York Products Pty. Ltd. ([ 1970] 1
W.L.R. 1262) autorisent à soutenir qu'un sous-
dépositaire de biens, quoiqu'il n'existe aucune rela
tion contractuelle entre lui-même et le proprié-
taire, est tenu envers le propriétaire de prendre
convenablement soin de ses biens. Il s'ensuit, selon
l'avocat, que l'ITO, à titre de sous-dépositaire des
marchandises de l'appelante, avait une obligation
de diligence envers cette dernière. Toujours selon
l'avocat, il s'ensuit aussi que l'ITO doit être tenue
responsable de la perte, puisque celle-ci ne serait
pas survenue si l'ITO avait fait preuve d'un soin
raisonnable.
A supposer que le droit anglais s'applique en la
matière (ce dont je doute fort), j'estime quand
même qu'il n'y a pas lieu d'accueillir l'action de
l'appelante, puisque l'ITO est alors protégée par la
clause Himalaya figurant dans la clause 4 du
connaissement délivré par la Mitsui relativement
aux marchandises de l'appelante. Cette clause est
ainsi conçue:
[TRADUCTION] 4. Il est expressément convenu entre les
parties au présent connaissement que le capitaine, les officiers,
les membres de l'équipage, entrepreneurs, manutentionnaires,
débardeurs, mandataires, représentants, employés ou autres,
utilisés, engagés ou employés par le transporteur pour l'exécu-
tion du présent contrat, bénéficient exactement des mêmes
exemptions, exonérations et limitations de responsabilité que
celles accordées au transporteur par le présent connaissement,
que ce soit sous forme de clause imprimée, écrite à la main,
apposée par cachet ou incorporée par renvoi. Le capitaine, les
officiers, les membres d'équipage et autres personnes susmen-
tionnées sont à cet égard réputés être parties au contrat dont
fait foi le présent connaissement, le transporteur étant réputé
être leur mandataire ou fiduciaire.
Si la validité d'une telle clause est encore discutée
en droit canadien, elle ne fait plus, à mon avis,
aucun doute en droit anglais lorsque cette clause a
été stipulée par le transporteur avec l'autorisation
de ceux qu'elle est destinée à protéger. (Voir les
décisions du Conseil privé dans les affaires New
Zealand Shipping Co. Ltd. c. A. M. Satterthwaite
& Co. Ltd. (L'«Eurymedon») [1975] A.C. 154 et
Port Jackson Stevedoring Pty. Ltd. c. Salmond &
Spraggon (Australia) Pty. Ltd. (Le New York
Star) [1980] 3 All E.R. 257.) En l'espèce, il
ressort du libellé du second paragraphe de la
clause 7 du contrat de transit que l'ITO avait
conféré à la Mitsui le pouvoir de stipuler une
clause Himalaya dans le connaissement:
[TRADUCTION] 7. Responsabilité en cas d'avarie ou de perte.
Il est expressément convenu que la responsabilité de l'entrepre-
neur en cas d'avarie ou de perte se limite strictement à l'avarie
au navire et à son équipement, ainsi qu'à l'avarie à la cargaison
ou la perte de la cargaison, imputables à la négligence de
l'entrepreneur ou de ses employés. Lorsque survient une telle
avarie ou perte, les officiers du navire ou autres représentants
doivent en informer l'entrepreneur au moment de l'accident. La
Compagnie s'engage à indemniser l'entrepreneur au cas où
celui-ci serait tenu de réparer une avarie ou perte non prévue
ci-dessus.
Il est en outre expressément convenu que la Compagnie
désignera expressément l'entrepreneur comme bénéficiaire,
dans la prestation des services prévus aux présentes, de toutes
les dispositions prévoyant des droits, exonérations et limitations
de responsabilité, contenues dans les contrats d'affrètement
dont font foi les connaissements types et les billets de transport
émis par la Compagnie durant la durée de validité de cet
accord. Dans tous les cas où la Compagnie renonce aux droits,
aux exonérations et limitations de responsabilité d'usage, ou
omet de s'en prévaloir, comme en cas de cargaison soumise au
fret ad valorem, la Compagnie s'engage à faire de l'entrepre-
neur un coassuré dans ses contrats d'assurance et à veiller à ce
que ce dernier soit protégé contre tout accroissement de respon-
sabilité tenant à ce fait.
Mais la raison déterminante pour laquelle l'ac-
tion intentée par l'appelante contre l'ITO, qu'elle
soit régie par le droit québécois ou par le droit
anglais, ne saurait être accueillie, c'est qu'une telle
action, comme l'a statué la Cour de céans dans
l'affaire La Reine c. Domestic Converters Corpo
ration 3 , ne relève pas de la compétence de la Cotir ,
fédérale.
Pour ces motifs, j'estime qu'il y a lieu de rejeter
l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Les faits et les points liti-
gieux dans le présent appel sont exposés dans les
motifs de mes collègues Pratte et Lalande, motifs
dont j'ai pris connaissance.
Étant donné que ma décision sur l'appel inter-
jeté du jugement rejetant, à l'égard du transpor-
teur Mitsui O.S.K. Lines Ltd., l'action intentée
par l'appelante propriétaire de la cargaison diffère
de celle de mes collègues, il convient que je statue
en premier lieu sur l'appel du jugement rejetant
l'action à l'égard du transitaire ITO. Je suis d'ac-
3 N° du greffe A-245-77; cet arrêt a été rendu le 29 octobre
1980, après le jugement de la Division de première instance
dans la présente affaire.
cord avec la déduction, tirée des éléments de
preuve par le juge de première instance, selon
laquelle la perte est survenue après le décharge-
ment, alors que la cargaison était sous la garde du
transitaire. L'appel relatif à l'action intentée
contre le transitaire soulève trois questions: a) la
Cour a-t-elle compétence pour connaître de l'ac-
tion? b) la perte de la cargaison est-elle imputable
à la négligence de l'ITO? et c) l'ITO est-elle
déchargée de sa responsabilité pour négligence en
vertu de la clause Himalaya prévue au connaisse-
ment?
Pour ce qui est de la question de la compétence,
j'estime maintenant que j'ai eu tort dans la déci-
sion que j'ai rendue dans l'affaire Domestic Con
verters (précitée) 4 . Toutefois, j'estime toujours,
pour les motifs invoqués dans cette affaire, que
l'action intentée par le propriétaire de la cargaison
contre le transitaire ne repose sur aucun fonde-
ment contractuel. Je ne vois pas comment pn peut
prétendre que le contrat de manutention et de
transit intervenu entre l'armateur et la Logistec
Corporation (qui, de l'accord des parties, doit être
assimilée à l'ITO aux fins de la cause) a été conclu
par le premier pour le compte de l'expéditeur ou
propriétaire de la cargaison considérée, ou qu'il
contient une stipulation pour autrui au profit de ce
dernier. Il s'agissait d'un contrat de transit général
conclu par l'armateur en sa qualité de commettant
et pour son propre compte, et ne visant aucun
contrat de transport en particulier. Il n'a créé
aucun lien contractuel entre le transitaire et un
expéditeur ou propriétaire de cargaison donné.
C'est en vertu de ce contrat général, et non d'un
accord avec le propriétaire de la cargaison, que le
transitaire a pris possession de la cargaison. Après
analyse d'autres arguments et plis ample
réflexion, j'en suis venu à la conclusion que la
question de la compétence doit être appréciée en
tenant pour acquis que si l'action intentée par le
propriétaire de la cargaison contre le transitaire
était régie par le droit maritime canadien, elle
serait fondée sur la responsabilité extra-contrac-
tuelle de common law d'un sous-dépositaire,
comme dans l'affaire Gilchrist Watt & Sanderson
Pty. Ltd. c. York Products Pty. Ltd. [1970] 3 All
E.R. 825, et qu'étant donné la nature particulière
de la responsabilité en matière de dépôt, il n'y a
pas lieu d'appliquer à celle-ci le critère du lieu qui
4 Domestic Converters Corporation c. Arctic Steamship Line,
n° du greffe A-247-77, jugement rendu le 29 octobre 1980.
s'applique traditionnellement à la compétence
d'amirauté en matière de responsabilité délictuelle.
Si la responsabilité du transitaire vis-à-vis du pro-
priétaire de la cargaison devait être regardée
comme une question maritime, au sens de la défi-
nition que donne l'article 2 de la Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, du «droit
maritime canadien», en raison du rapport étroit
existant en pratique entre le transit et l'exécution
du contrat de transport, le droit applicable devrait
être uniforme partout au Canada. Voir National
Gypsum Company Inc. c. Northern Sales Limited
[1964] R.C.S. 144, aux pages 153 et 163; Asso
ciated Metals & Minerals Corporation c. L'«Evie
W» [1978] 2 C.F. 710, à la page 717. Mon opinion
se trouve confirmée par le fait que les règles de la
common law en matière de dépôt constituent, pour
déterminer les obligations et la responsabilité du
transitaire, un fondement plus cohérent et plus
solide que les principes de la responsabilité délic-
tuelle du droit civil. Cela est dans l'intérêt du
commerce maritime et ne va certainement pas à
l'encontre de l'esprit du droit civil québécois,
comme le montre l'article 2388 du Code civil, qui
semble avoir été considéré comme ayant une
portée générale dans l'arrêt rendu par le juge
Girouard dans l'affaire Inverness Railway and
Coal Company c. Jones (1908) 40 R.C.S. 45, la
page 55. En présumant, donc, que la responsabilité
du transitaire vis-à-vis du propriétaire de la cargai-
son, à supposer qu'elle soit régie par le droit
maritime canadien, est la responsabilité extra-con-
tractuelle de common law d'un sous-dépositaire, je
ne pense pas qu'elle tombe sous le coup de la
distinction ou dichotomie classique, aux fins de la
compétence, entre les contrats et les délits mariti-
mes, vu le grand nombre de ceux qui ont qualifié
la responsabilité en matière de dépôt de sui generis
ou d'indépendante de tout contrat ou délit. Voir
Winfield, The Province of the Law of Tort, 1931,
chapitre V; Building and Civil Engineering Holi
days Scheme Management Ltd. c. Post Office
[1966] 1 Q.B. 247, lord Denning, M.R., à la page
261; Palmer, «The Application of the Torts (Inter-
ference with Goods) Act 1977 to Actions in Bail-
ment» (1978) 41 M.L.R. 629, la page 630. De
plus, dans la mesure où la responsabilité extra-con-
tractuelle en matière de dépôt doit être considérée,
selon quelques autorités (voir Winfield and Jolo-
wicz on Tort, 11e éd., 1979, aux pages 9 et 10)
comme essentiellement délictuelle, je ne pense pas
que le critère du lieu détermine la compétence, du
fait du rapport étroit entre le transit et le com
merce maritime. . On doit se rappeler que, en plus
des services qu'il fournit après déchargement, le
transitaire reçoit les marchandises à expédier et
délivre, pour le compte du transporteur, un reçu
provisoire, qui est soumis aux conditions du con-
naissement type du transporteur et qui est échangé
contre le connaissement lors de l'expédition. Cet
aspect des services du transitaire est rendu néces-
saire par l'article 657 de la Loi sur la marine
marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9,
comme l'a souligné Madame le juge Rejane Colas
dans l'affaire Moyer Stainless & Alloy Co. Ltd. c.
Canadian Overseas Shipping Ltd. [1973] 2
Lloyd's Rep. 420, la page 426. Je suis certain
que la réglementation du transit relève de la com-
pétence législative fédérale en matière de naviga
tion et de transport maritime. Pour ce qui est du
lieu comme critère servant à déterminer ce qui
devrait être considéré comme un délit maritime,
l'avocat du propriétaire de la cargaison a souligné
dans le présent appel que ce critère a fait l'objet
d'importantes réserves de la part de la Cour
suprême des États-Unis dans l'affaire Executive
Jet Aviation, Inc. c. City of Cleveland, Ohio 1973
A.M.C. 1. Bien que le litige dans cette affaire
portât sur le point assez particulier de savoir si les
tribunaux fédéraux avaient compétence maritime
pour juger une action délictuelle découlant de la
chute d'un avion dans le lac Érié peu de temps
après son décollage d'un aéroport de Cleveland, et
eût essentiellement trait à la constatation que le
vol était étranger à l'activité maritime classique, la
remarque générale suivante du juge Stewart [à la
page 10], qui prononçait la décision, est impor-
tante pour l'application du critère du lieu pour
déterminer la compétence maritime: [TRADUC-
TION] «Bref, les tribunaux, le législateur et la
doctrine ont, au cours des années, reconnu que
pour déterminer s'il y a compétence maritime sur
un délit ou une catégorie de délits donné, le
recours au rapport du fait dommageable avec l'ac-
tivité maritime classique est souvent plus sensé et
s'accorde mieux avec les objectifs du droit mari
time qu'une application automatique du critère du
lieu.» Pour ces motifs, j'estime que l'action intentée
par le propriétaire de la cargaison contre le transi-
taire est une question maritime au sens de la
définition que donne du droit maritime canadien
l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, et que,
par conséquent, la Cour est compétente pour con-
naître de l'action.
En vertu du contrat de manutention et de tran
sit, le transitaire recevait de l'armateur le paie-
ment des services exécutés. Le transitaire était
donc un sous-dépositaire rémunéré. En tant que
tel, il avait envers le propriétaire de la cargaison
l'obligation de prendre les mesures raisonnables
propres à assurer la sécurité des marchandises; en
cas de perte, il lui incombait de rapporter la preuve
que la perte n'était pas due à sa négligence, à sa
faute ou à son inconduite, ou à celles de ceux qu'il
s'était substitués dans l'exécution de, son obliga
tion: Morris c. C. W. Martin & Sons, Ltd. [1965]
2 All E.R. 725, la page 731; Gilchrist Watt &
Sanderson Pty. Ltd. c. York Products Pty. Ltd.
précitée, à la page 829. Le degré de soin exigé d'un
dépositaire dépend des circonstances dans lesquel-
les, et des buts pour lesquels, les marchandises lui
ont été confiées: Morris c. C. W. Martin & Sons,
Ltd., précitée, à la page 734.
En l'espèce, le transitaire avait une obligation de
soin qui comprenait le maintien d'un système adé-
quat de sécurité. Ceci découle de la nature des
fonctions et responsabilités assumées par le transi-
taire, ainsi qu'il ressort des termes du contrat de
manutention et de transit, qui impose des [TRA-
DUCTION] «Services de surveillance et de garde»,
et en application de l'article 54A des [TRADUC-
TION] «Règlements régissant l'occupation et l'utili-
sation des hangars de transit pour la manutention
des marchandises» du Conseil des ports nationaux,
qui prévoit notamment: [TRADUCTION] «Il doit y
avoir un garde de faction à l'intérieur de tout
hangar ouvert. Lorsqu'un hangar est fermé, à
moins que, selon le maître de port, la nature de la
marchandise exige qu'il y ait toujours un garde de
faction, une surveillance continue n'est pas requise;
chaque hangar sera visité fréquemment (au moins
à toutes les deux heures) afin de s'assurer que la
marchandise est en sécurité et qu'il n'existe aucun
danger de feu.» Le fondement de l'obligation et de
la responsabilité d'un dépositaire réside dans l'ac-
ceptation volontaire de la possession ou de la garde
des biens d'autrui dans certaines circonstances et
pour certaines fins. C'est ce fondement qui, à mon
avis, permet d'apprécier à partir de la condition de
sécurité prévue dans le contrat de manutention et
de transit et les «règlements» du Conseil l'étendue
de l'obligation de diligence incombant au transi-
taire. Toutefois, même si la question doit être
envisagée du point de vue de la relativité des
contrats, j'estime qu'il existe une distinction
importante à faire pour ce qui est des «règlements»
du Conseil. Bien que ces «règlements» ne soient pas
à proprement parler des règlements ou des disposi
tions législatives, mais plutôt des conditions du
permis d'occupation, ils sont imposés aux occu
pants des hangars de transit par le Conseil, qui
agit à titre d'autorité publique dans l'exercice de
ce qui constitue essentiellement un pouvoir de
réglementation. En tant que tels, j'estime qu'ils
doivent être considérés comme touchant l'étendue
de` l'obligation de diligence et de garde dont le
transitaire était tenu envers le propriétaire de la
cargaison.
Compte tenu de l'exigence selon laquelle chaque
hangar doit être visité au moins toutes les deux
heures, le défaut de faire une inspection du hangar
50 le 14 septembre 1973, entre 19 h 30 et 22 h 30,
constitue une négligence dans la garde de la car-
gaison confiée au transitaire. Je suis d'accord avec
le juge Lalande lorsqu'il affirme que si l'inspection
nécessaire avait été faite, la perte ne serait proba-
blement pas survenue. Le transitaire ne peut être
dégagé de cette responsabilité du seul fait qu'il
avait chargé un entrepreneur indépendant d'assu-
rer le service de surveillance: British Road Servi
ces, Ltd. c. Arthur V. Crutchley & Co., Ltd.
[1968] 1 All E.R. 811.
Ce qui nous amène à la question de savoir si le
transitaire est déchargé de sa responsabilité pour
négligence par l'effet de la clause 4 (la clause
Himalaya) du connaissement, laquelle est ainsi
rédigée:
4. Il est expressément convenu entre les parties au présent
connaissement que le capitaine, les officiers, les membres de
l'équipage, entrepreneurs, manutentionnaires, débardeurs, man-
dataires, représentants, employés ou autres, utilisés, engagés ou
employés par le transporteur pour l'exécution du présent con-
trat, bénéficient exactement des mêmes exemptions, exonéra-
tions et limitations de responsabilité que celles accordées au
transporteur par le présent connaissement, que ce soit sous
forme de clause imprimée, écrite à la main, apposée par cachet
ou incorporée par renvoi. Le capitaine, les officiers, les mem-
bres d'équipage et autres personnes susmentionnées sont à cet
égard réputés être parties au contrat dont fait foi le présent
connaissement, le transporteur étant réputé être leur manda-
taire ou fiduciaire.
S'appuyant sur cette clause, le transitaire invo-
que la limitation ou exonération de responsabilité
prévue à la clause 8 du connaissement, laquelle
prévoit notamment que «Le transporteur ne saurait
être tenu responsable, à quelque titre que ce soit,
du retard de livraison, du défaut de livraison, de la
livraison défectueuse, ou de la perte ou de l'avarie
causée aux marchandises ou les concernant, qui se
produit avant le chargement ou après le décharge-
ment, ou les deux, que ces marchandises soient en
attente d'expédition, placées à terre ou emmagasi-
nées, chargées à bord d'embarcations, chalands,
allèges ou autres appartenant ou non au transpor-
teur, ou qu'elles soient en voie de transbordement
au cours du voyage», et à la clause 18 qui prévoit
notamment qu'«En toute hypothèse, la responsabi-
lité du transporteur prend fin dès le moment où les
marchandises sont déchargées du navire, et,
nonobstant tout usage contraire du port, l'expédi-
teur ou le consignataire, ou les deux, assument
tous les risques et frais (notamment les frais de
déchargement, de chalandage, d'emmagasinage,
de camionnage, les droits portuaires, etc.) encou-
rus pour livraison autre qu'au navire».
Dans deux décisions, le Conseil privé a, sur la
base des conditions suggérées par lord Reid dans
l'affaire Scruttons Ltd. c. Midland Silicones Ltd.
[1962] A.C. 446, la page 474, décidé qu'une
forme de clause Himalaya pouvait être invoquée
par les manutentionnaires. Dans la première de ces
causes, New Zealand Shipping Co. Ltd. c. A. M.
Satterthwaite & Co. Ltd. (L'«Eurymedon») (préci-
tée), la perte était survenue au cours du décharge-
ment et l'exonération retenue fut la prescription
annale de l'article III, paragraphe 6, des Règles de
La Haye. Dans la deuxième cai'se, Port Jackson
Stevedoring Pty. Ltd. c. Salmond & Spraggon
(Australia) Pty. Ltd. (Le New York Star) (préci-
tée), la perte était survenue après le déchargement
alors que les marchandises étaient sous la garde
des manutentionnaires en attendant d'être livrées à
leurs propriétaires, et, de nouveau, l'exonération
appliquée fut la prescription annale.
La Cour suprême du Canada n'a pas eu l'occa-
sion de statuer, à la lumière de ces décisions, sur
l'effet d'une clause Himalaya. Dans l'affaire
Canadian General Electric Company Limited c.
Pickford & Black Limited (Le «Lake Bosomtwe»)
[1971] R.C.S. 41, la page 43, le juge Ritchie, qui
rendait le jugement de la Cour suprême du
Canada, a cité et approuvé la décision de la Cham-
bre des lords dans l'affaire Midland Silicones,
précitée, et dit que «l'arrimeur n'étant aucunement
partie au contrat de transport, n'est touché par
aucune disposition tendant à limiter la responsabi-
lité ou autrement contenue dans les connaisse-
ments», quoique la nature de la disposition invo-
quée ne soit pas claire. Dans l'affaire Greenwood
Shopping Plaza Limited c. Beattie [1980] 2
R.C.S. 228, aux pages 237 et 238, le juge McIn-
tyre, qui rendait le jugement de la Cour suprême
du Canada, a souligné l'adoption dans l'affaire Le
Lake Bosomtwe de la règle de l'effet relatif des
contrats, telle qu'elle a été confirmée et appliquée
dans l'affaire Midland Silicones, et renvoyé, sans
faire de commentaires, à la décision rendue par le
Conseil privé dans l'affaire L'Eurymedon à titre
d'exemple de l'«exception du mandat».
Devant cet état du droit, j'estime que les déci-
sions du Conseil privé dans les affaires L'Euryme-
don et Le New York Star devraient être considé-
rées comme ayant fait une juste application des
conditions de la théorie du mandat indiquées par
lord Reid dans l'affaire Midland Silicones et, par
conséquent, comme ayant à raison permis aux
manutentionnaires d'invoquer les clauses Hima-
laya. J'estime du reste que cette conclusion ne va
pas à l'encontre de ce qui a été dit par la Cour
suprême du Canada sur cette question.
En l'espèce, les conditions de la théorie du
mandat semblent nettement réunies, en particulier
par l'entente figurant dans la clause 7 du contrat
de manutention et de transit conclu entre l'arma-
teur et le manutentionnaire et transitaire; selon
cette entente, l'armateur «désignera expressément
l'entrepreneur comme bénéficiaire, dans la presta-
tion des services prévus aux présentes, de toutes les
dispositions prévoyant des droits, exonérations et
limitations de responsabilité, contenues dans les
contrats d'affrètement dont font foi les connaisse-
ments types .... »
La question, selon moi, est de savoir si la clause
4 du connaissement—la clause Himalaya—vise
l'exonération de responsabilité en cas de perte
après déchargement prévue aux clauses 8 et 18 du
connaissement et, dans l'affirmative, si ces derniè-
res écartent la responsabilité pour négligence.
Il est vrai qu'aucune des décisions reconnaissant
que la clause Himalaya peut être invoquée par le
manutentionnaire ou le transitaire n'a considéré
comme une des exemptions par elle visées la clause
exonératoire de responsabilité après le décharge-
ment. Mais j'estime toutefois que les termes «béné-
ficient exactement des mêmes exemptions, exoné-
rations et limitations de responsabilité que celles
accordées au transporteur par le présent connaisse-
ment» sont assez larges pour comprendre en l'es-
pèce l'exonération de responsabilité en cas de perte
après le déchargement prévue dans les clauses 8 et
18 du connaissement. Selon moi, ces termes s'ap-
pliquent à toutes exemptions, exonérations et limi
tations de responsabilité prévues par le connaisse-
ment, et non seulement à celles prévues aux Règles
de La Haye et rendues applicables par la clause
paramount. La clause exonératoire de responsabi-
lité en cas de perte après le déchargement tombe
dans la catégorie des dispositions expressément
permises par l'article VII des Règles de La Haye,
lequel est ainsi conçu: «Aucune disposition de la
présente convention ne défend à un transporteur
ou à un chargeur d'insérer dans un contrat des
stipulations, conditions, réserves ou exonérations
relatives aux obligations et responsabilités du
transporteur ou du navire pour la perte ou les
dommages survenant aux marchandises, ou con-
cernant leur garde, soin et manutention, antérieu-
rement au chargement et postérieurement au
déchargement du navire sur lequel les marchandi-
ses sont transportées par eau.»
Dans l'affaire Le New York Star, il fallait déter-
miner si l'exonération qui faisait l'objet du litige—
la prescription d'un an—s'appliquait à un cas de
perte après le déchargement. Le Conseil privé, en
se fondant surtout sur la clause 5 du connaisse-
ment, qui définissait la nature de la responsabilité
du transporteur après le déchargement, si respon-
sabilité il y avait, a décidé que l'exonération du
transporteur couvrait la période de responsabilité à
l'égard de la marchandise après le déchargement,
et que, par conséquent, l'exonération du manuten-
tionnaire couvrait la même période. En l'espèce, il
n'existe pas dans le connaissement de clause com
parable à la clause 5 du connaissement dans l'af-
faire Le New York Star, qui prévoie expressément
que le transporteur, à titre de dépositaire, peut
avoir une responsabilité déterminée lorsque la
livraison ne s'effectue pas au temps et au lieu du
déchargement. La clause 4 (la clause Himalaya)
du connaissement s'applique aux personnes enga
gées ou employées par le transporteur «pour l'exé-
cution du présent contrat»—c'est-à-dire pour l'exé-
cution du contrat de transport dont fait foi le
connaissement. Le connaissement prévoit que les
marchandises doivent être transportées au port de
débarquement et [TRADUCTION] «y être livrées
ou transbordées», et que [TRADUCTION] «Sur
demande, un connaissement signé et dûment
endossé doit être remis en échange des marchandi-
ses ou d'un ordre de livraison.» A mon avis, la
clause 8 du connaissement ne prétend pas détermi-
ner les obligations du transporteur aux termes du
contrat de transport, obligations qui comportent
celle de livrer les marchandises au consignataire ou
autre détenteur du connaissement et celle de pren-
dre soin des marchandises tant que celles-ci n'ont
pas été livrées. Voir Carver, Carriage by Sea, 12°
éd., 1971, vol. 2, par. 1018, la page 865 et par.
1022 et 1023, la page 869. La clause 8 a pour
objet de décharger le transporteur de sa responsa-
bilité pour inexécution de ces obligations. Cela
résulte clairement du passage «ne saurait être tenu
responsable, à quelque titre que ce soit, du retard
de livraison, du défaut de livraison, de la livraison
défectueuse, ou de la perte ou de l'avarie causée
aux marchandises ou les concernant, qui se produit
avant le chargement ou après le déchargement, ou
les deux .... » Il ressort de cette clause que le
transporteur devrait normalement répondre de
l'inexécution des obligations de livraison et de
garde. A la lumière de la clause 8, les termes «En
toute hypothèse, la responsabilité du transporteur
prend fin dès le moment où les marchandises sont
déchargées» de la clause 18 ne visent pas, à mon
avis, à déterminer la portée ou la durée du contrat
de transport, mais plutôt à limiter ou à exclure la
responsabilité. La clause 18 précise le droit du
transporteur de décharger les marchandises, mais
déchargement n'est pas synonyme de livraison. Le
lieu de déchargement des marchandises est norma-
lement celui où le consignataire ou autre détenteur
du connaissement doit prendre livraison (Carver,
op. cit., par. 1004, la page 855; par. 1008, aux
pp. 857 et 858); toutefois, il est prévu dans la
clause 18 du connaissement que les marchandises
peuvent être déchargées dans un entrepôt choisi
par le transporteur, et qu'il peut y avoir «livraison
autre qu'au navire», et il découle du contrat de
manutention et de transit, de l'occupation et de
l'utilisation du hangar de transit et des témoigna-
ges en l'espèce que, règle générale, il était pris
livraison auprès du transitaire. Ce cas révèle donc
un mode d'opération ou un processus essentielle-
ment identique à celui décrit par le juge en chef
Barwick de la Haute Cour d'Australie dans l'af-
faire Le New York Star [ 1979] 1 Lloyd's Rep.
298, à la page 308, et par lord Wilberforce du
Conseil privé, qui dit à la page 264: [TRADUC-
TION] «Ces dispositions doivent être interprétées à
la lumière de la pratique selon laquelle les consi-
gnataires prennent rarement livraison de la mar-
chandise au navire; ils en prennent normalement
livraison après quelque temps d'emmagasinage sur
le quai ou près de celui-ci. Les parties doivent, par
conséquent, avoir prévu que le transporteur, s'il ne
s'occupait pas lui-même de l'emmagasinage des
marchandises, engagerait quelqu'un d'autre pour
le faire.» J'estime donc qu'en l'espèce, le connaisse-
ment prévoyait nécessairement que les obligations
contractuelles du transporteur s'étendaient au-delà
du déchargement, et que la limitation ou exonéra-
tion de responsabilité du transporteur devait cou-
vrir la période entre le déchargement et la livrai-
son, ce qui fait que ce qui a été dit par le Conseil
privé dans l'affaire Le New York Star relativement
à la question appelée la question de [TRADUC-
TION] «capacité» s'applique en l'espèce.
Il importe donc de déterminer si la clause 8 et la
partie précitée de la clause 18 écartent la responsa-
bilité pour négligence. Il doit être noté que la
clause 4 (la clause Himalaya) prévoit que les
diverses catégories des personnes mentionnées
bénéficient «exactement des mêmes» exemptions,
exonérations et limitations de responsabilité que
celles accordées au transporteur par le connaisse-
ment. Il convient donc de déterminer l'effet de ces
exemptions, exonérations et limitations sur la res-
ponsabilité du transporteur. A la lumière des prin-
cipes confirmés par le Conseil privé dans l'affaire
Canada Steamship Lines Ld. c. Le Roi (précitée),
à la page 208, j'estime que la clause 8 et la partie
précitée de la clause 18 n'écartent pas la responsa-
bilité pour négligence. Il n'y est pas fait expressé-
ment mention de la négligence. L'expression «à
quelque titre que ce soit» ne constitue pas une telle
mention: Smith c. South Wales Switchgear Ltd.
[1978] 1 All E.R. 18, aux pages 22 et 26. Dans la
mesure où cette expression peut être considérée
comme assez large pour englober la négligence,
elle ne vise pas la responsabilité qui ne serait
fondée que sur la négligence; elle pourrait toutefois
être destinée à exclure la responsabilité du trans-
porteur à titre de garant de la sécurité des mar-
chandises, en dehors de toute négligence. Dans
l'affaire Canada Steamship Lines [ 1950] R.C.S.
532 aux pages 560 et seq., le juge Locke a, dans sa
dissidence, examiné les précédents autorisant cette
distinction à l'égard des transporteurs. J'estime
donc que, dans la présente cause, la clause Hima-
laya n'a pas pour effet de décharger le transitaire
de sa responsabilité pour la perte de la cargaison.
Comme je l'ai indiqué au début de mes motifs,
je ne saurais me rallier à l'opinion de mes collègues
sur la décision à rendre sur l'appel formé contre le
jugement rejetant l'action intentée contre le trans-
porteur Mitsui O.S.K. Lines Ltd. A mon avis, cet
appel devrait être accueilli. Puisqu'à mon avis, les
clauses 8 et 18 du connaissement ne déchargeaient
pas le transporteur de ses obligations contractuel-
les de livrer la cargaison et d'en prendre soin
jusqu'à sa livraison, le transporteur ne pouvait pas
se soustraire à ces obligations en en confiant l'exé-
cution à un tiers, même si ce tiers était un entre
preneur indépendant. Du reste, j'estime qu'en tout
état de cause, le transitaire agissait comme man-
dataire du transporteur dans la prestation des ser
vices de transit. Cela ressort de la clause 2 des
conditions types annexées au contrat de manuten-
tion et de transit passé entre l'armateur (qui y est
désigné comme la «Compagnie») et la Logistec
Corporation (qui y est désignée comme l'«Entre-
preneur»), aux termes de laquelle [TRADUCTION]
«Au cas où des services de réception, de livraison,
de vérification ou de surveillance seraient requis, il
est expressément convenu que l'Entrepreneur veil-
lera à faire assurer ces services à titre de simple
mandataire de la Compagnie .... » Dans une
hypothèse comme dans l'autre, la négligence qui a
causé la perte de la cargaison engage la responsa-
bilité du transporteur.
Pour ces motifs, j'estime qu'il y a lieu d'accueil-
lir l'appel, d'infirmer le jugement de la Division de
première instance, de déclarer les intimées solidai-
rement tenues de verser à l'appelante la somme de
$26,656.37 avec intérêts au taux de 8% à compter
du 14 septembre 1973, et de mettre les dépens tant
devant la présente Cour qu'en première instance à
leur charge.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: La Cour statue
sur l'appel interjeté du jugement de la Division de
première instance [précité] rejetant l'action inten-
tée par la demanderesse (maintenant l'appelante),
pour perte de cargaison, à la suite d'un vol commis
après le déchargement dans le port de Montréal.
Les marchandises avaient été transportées sous
connaissement à bord du navire Buenos Aires
Maru de Kobe, au Japon, à Montréal [TRADUC-
TION] «où leur livraison devait être faite» au consi-
gnataire. Le 14 septembre 1973, des voleurs ont
forcé un hangar pour les marchandises en transit
exploité par l'intimée ITO. Celle-ci avait déchargé
une cargaison de 250 caisses contenant 500 calcu-
latrices électroniques de bureau, dont 169 furent
volées et ne furent pas livrées.
L'action, fondée sur l'inexécution du contrat et
sur la responsabilité délictuelle, a été intentée à la
fois contre le transporteur et le transitaire (para-
graphe 12 de la déclaration).
L'action intentée contre le transporteur a été
rejetée en application de la clause [TRADUCTION]
«palan à palan» (clause 8) du connaissement. Je
souscris à ce jugement.
Pour ce qui est du transitaire, un entrepreneur
indépendant, le juge de première instance a cons-
taté qu'il y avait des «failles» dans ses mesures de
sécurité la nuit de l'effraction, mais a conclu que si
l'affaire devait être tranchée sur «le plan stricte-
ment délictuel», la demanderesse, à son avis, «n'a
pas prouvé faute, au sens du droit commun» (loc.
cit. page 295), c'est-à-dire sous le régime de l'arti-
cle 1053 du Code civil du Québec.
La surveillance de la cargaison a été surtout
jugée défectueuse en ce qu'aucun gardien n'avait
visité le hangar pendant une période de quelque
cinq heures, alors qu'une ronde aurait dû être
effectuée au moins toutes les deux heures 5 .
Par conséquent, et contrairement à ce qui se
serait produit si une ronde avait été effectuée plus
tôt, on ne s'aperçut pas qu'une porte du hangar
n'était pas bien fermée à clef et verrouillée. En
5 Le transitaire occupait et exploitait le hangar en vertu de
règlements exigeant que ce dernier soit «visité» au moins à
toutes les deux heures (article 54A des Règlements du Conseil
des ports nationaux régissant l'occupation et l'utilisation des
hangars de transit pour la manutention des marchandises).
faisant un petit trou dans le mur du hangar près de
la porte, les voleurs ont pu atteindre et tirer une
chaîne, soulever la porte de quelques pieds, péné-
trer dans le hangar et transporter les marchandises
sur le quai pour les charger dans deux petites
embarcations. Ils ont été interrompus par la pre-
mière ronde, qui a eu lieu à 23 h 30 environ. Si la
ronde de 19 h 30 n'avait pas été annulée, le cade-
nas sur la porte se trouvant du côté du quai et à
l'intérieur du hangar 50 aurait été vérifié, et la
porte verrouillée tôt dans la soirée, ce qui aurait
vraisemblablement empêché les voleurs de dépla-
cer la porte comme ils l'ont fait, de pénétrer dans
le hangar, et de s'enfuir avec les marchandises.
En vertu du contrat passé avec le transporteur,
la défenderesse ITO s'engageait à fournir [TRA-
DUCTION] «les ... services de transit nécessaires»
notamment les «services de surveillance et de
garde». A mon avis, il y a eu négligence de la part
de l'ITO dans l'exécution de ces services, et la
faute commise par cette dernière autorise une
personne lésée telle que la demanderesse, à agir
contre elle sur la base de l'article 1053.
Toutefois, le juge de première instance a vu la
possibilité pour la demanderesse de se placer sur
un «terrain autre que purement délictuel» puisque,
comme il l'a dit à la page 301:
... elle peut se prévaloir de ce contrat de services que le
transporteur a conclu avec ITO, en partie à son bénéfice à elle
propriétaire [des marchandises] et avec son autorisation
expresse.
J'en déduis que la demanderesse, en tant que
détentrice du connaissement, doit être considérée
comme ayant accepté, par la clause 4 de ce con-
naissement, que le transporteur engage un transi-
taire pour l'exécution de son contrat de livraison
des marchandises au consignataire à Montréal. En
vertu du second paragraphe de la clause 7 du
contrat conclu avec le transporteur, l'ITO s'enga-
geait à exécuter ces services sous bénéfice des
«droits, exonérations et limitations de responsabi-
lité» que prévoyait le connaissement.
Je déduis de ces arrangements que l'ITO était
dépositaire des marchandises et qu'elle est poursui-
vie pour inexécution de son obligation de garde de
celles-ci. Je conviens avec le premier juge que
l'action intentée par le propriétaire de la cargaison
peut être considérée comme contractuelle, dans la
mesure où elle résulte, quoiqu'il n'existe aucun lien
contractuel direct ou immédiat entre la demande-
resse et la défenderesse ITO, d'une faute dans
l'exécution d'un contrat.
Le juge de première instance a par la suite
considéré la question de savoir si l'ITO pouvait
bénéficier de la clause 4 du connaissement et être
exonérée, en vertu de cette clause, de la responsa-
bilité pour négligence après le déchargement. A la
lumière de la jurisprudence, il en est arrivé à la
conclusion que l'ITO était fondée à demander le
rejet de l'action en invoquant cette clause, et, pour
ce motif, il a rejeté l'action dans la mesure où elle
reposait sur des bases autres que délictuelles.
Je ne saurais malheureusement me rallier à
l'opinion du juge de première instance sur l'appli-
cabilité â l'espèce de la clause 4 du connaissement
et du second paragraphe de la clause 7 du contrat
de manutention. J'estime que ces clauses ne sont
pas pertinentes, parce qu'elles n'ont rien à voir
avec la négligence survenue après le déchargement
dont il s'agit en l'espèce.
La clause 4 du connaissement est ainsi conçue:
Il est expressément convenu entre les parties au présent
connaissement que le capitaine, les officiers, les membres de
l'équipage, entrepreneurs, manutentionnaires, débardeurs, man-
dataires, représentants, employés ou autres, utilisés, engagés ou
employés par le transporteur pour l'exécution du présent con-
trat, bénéficient exactement des mêmes exemptions, exonéra-
tions et limitations de responsabilité que celles accordées au
transporteur par le présent connaissement, que ce soit sous
forme de clause imprimée, écrite à la main, apposée par cachet
ou incorporée par renvoi. Le capitaine, les officiers, les mem-
bres d'équipage et autres personnes susmentionnées sont à cet
égard réputés être parties au contrat dont fait foi le présent
connaissement, le transporteur étant réputé être leur manda-
taire ou fiduciaire.
Le second paragraphe de la clause 7 figurant
dans les clauses imprimées du contrat de manuten-
tion intervenu entre la Mitsui et l'ITO est ainsi
rédigé 6 :
Il est en outre expressément convenu que la Compagnie
désignera expressément l'entrepreneur comme bénéficiaire,
dans la prestation des services prévus aux présentes, de toutes
les dispositions prévoyant des droits, exonérations et limitations
de responsabilité, contenues dans les contrats d'affrètement.
dont font foi les connaissements types et les billets de transport
émis par la Compagnie durant la durée de validité de cet
accord. Dans tous les cas où la Compagnie renonce aux droits,
aux exonérations et limitations de responsabilité d'usage, ou
6 Je ne cite pas le premier paragraphe parce qu'il porte sur la
négligence survenue au cours dés opérations de déchargement
et non sur la garde de la cargaison après le déchargement.
omet de s'en prévaloir, comme en cas de cargaison soumise au
fret ad valorem, la Compagnie s'engage à faire de l'entrepre-
neur un coassuré dans ses contrats d'assurance et à veiller à ce
que ce dernier soit protégé contre tout accroissement de respon-
sabilité tenant à ce fait.
Ces clauses confèrent au transitaire le bénéfice
des droits et exonérations et des exemptions et
limitations de responsabilité prévus par les Règles
de La Haye, auxquelles est assujetti le connaisse-
ment en vertu de la clause 1 (clause Paramount).
Aucune disposition de ces Règles n'exonère le
transporteur de la responsabilité pour la perte de
marchandises par vol du fait de la négligence dans
la garde des marchandises après leur décharge-
ment.
En l'espèce, nous ne nous intéressons ni à la
limitation de responsabilité sous le régime de l'arti-
cle IV, paragraphe 5 des Règles de La Haye
(limitation par colis), ni à l'exemption ou exonéra-
tion de responsabilité prévue au paragraphe 6 si
l'action n'est pas intentée dans le délai d'un an, ni
à la perte résultant de l'une quelconque des causes
énumérées à l'article IV, paragraphe 2.
Estimant que la défenderesse ITO a été négli-
gente et qu'elle n'est exonérée de sa responsabilité
pour cette négligence par aucune disposition du
contrat qu'elle a passé avec le transporteur et du
connaissement, j'en arrive à la conclusion que l'ap-
pel interjeté contre l'International Terminal Oper
ators Ltd. devrait être accueilli avec dépens et
cette dernière être condamnée à verser à la deman-
deresse, comme il a été convenu dans une telle
éventualité, la somme de $26,656.37 avec intérêts
au taux de 8% à compter du 14 septembre 1973,
les dépens en première instance étant à sa charge.
L'appel devrait être rejeté avec dépens en ce qui
concerne la Mitsui O.S.K. Lines Ltd.
La question de la compétence de la présente
Cour n'a pas été soulevée en première instance',
mais elle a été débattue devant nous du fait de la
décision rendue par la présente Cour le 29 octobre
1980 dans l'affaire La Reine c. Domestic Convert
ers Corporation (précitée).
A mon avis, la Cour fédérale est en l'espèce
compétente pour connaître de l'action intentée par
la demanderesse contre le transitaire, parce qu'il
7 Voir le renvoi n° 2 en bas de page 292 (loc. cit.).
s'agit d'une question «[se] rattachant» à la naviga
tion et à la marine aux termes de la loi canadienne
intitulée Acte de l'Amirauté, 1891 du Canada,
S.C. 1891, c. 29, et relevant, par conséquent, de la
compétence de la Cour de l'Echiquier du Canada
en vertu de cet Acte 8 .
De plus, je me range à l'opinion exprimée par le
juge Thurlow (tel était alors son titre) dans l'af-
faire La Compagnie. Robert Simpson Montréal
Limitée c. Hamburg-Amerika Linie Nord-
deutscher [1973] C.F. 1356. Il y renvoie à la
définition que donne du «droit maritime canadien»
l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, et dit ceci
à la page 1369:
... si la Cour de l'Échiquier avait eu, en sa juridiction d'ami-
rauté, compétence illimitée en matière de droit maritime, elle
aurait manifestement eu compétence pour mettre en applica
tion le droit régissant les rapports entre les transporteurs mari-
times et les entreprises de manutention, notamment l'exécution
par l'entreprise de manutention pour le compte des transpor-
teurs maritimes des obligations de ces derniers de décharger la
cargaison, d'en prendre soin et de la livrer aux personnes ayant
qualité pour la recevoir. Cette situation me semble tout autant
relever du domaine maritime qu'un contrat portant sur le
transport de marchandises par mer. Les accords conclus entre
ces parties portent sur l'exécution d'une partie de ce contrat et
les activités de l'entreprise de manutention aux termes de ces
accords forment [TRADUCTION] «partie intégrante des activités
nécessaires au transport des marchandises par voie maritime».
(Re la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes
visant les différends du travail [1955] R.C.S. 529, le juge
Locke à la page 578.)
Dans l'affaire Robert Simpson, le litige était
entre un transporteur et un transitaire, alors qu'en
l'espèce, le litige oppose un propriétaire de cargai-
son à un transitaire, les accords sur la garde après
le déchargement et la livraison de la cargaison
étant toutefois les mêmes dans les deux cas. A mon
avis, il n'y a pas lieu de faire la distinction entre les
deux affaires.
Si le fondement de l'action de la demanderesse
était purement délictuel, je me trouverais con
fronté à l'opinion que j'ai exprimée sur la compé-
tence dans l'affaire Domestic Converters, opinion
qui n'était qu'incidente et qu'il y aurait lieu de
réexaminer.
8 Le juge en chef Laskin rendant le jugement de la Cour dans
l'affaire Tropwood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Company
[1979] 2 R.C.S. 157, aux pages 162, 163.
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