T-6270-79
Burrard-Yarrows Corporation (Demanderesse)
c.
Le Hoegh Merchant, Leif Hoegh & Co. A/S
(Défendeurs)
Division de première instance, le juge Collier—
Vancouver, 2 et 24 mars 1981.
Pratique — Requête en suspension de l'action de la deman-
deresse pour dommages à la cargaison — Clause du connais-
sement stipulant compétence juridictionnelle des tribunaux du
pays de la principale place d'affaires du transporteur —
Transporteur immatriculé en Norvège — Acceptation par les
défendeurs d'une prorogation du délai d'inscription de l'action
en Norvège et acceptation de l'application d'une garantie à la
procédure ouverte en Norvège — Requête accueillie — Loi sur
la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 50(1)b).
REQUÊTE.
AVOCATS:
D. F. McEwen pour la demanderesse.
W. Perrett pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Ray, Wolfe, Connell, Lightbody & Reynolds,
Vancouver, pour la demanderesse.
Macrae, Montgomery & Cunningham, Van-
couver, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE COLLIER: Cette espèce consiste en une
requête au nom des défendeurs en suspension de
l'action de la demanderesse.
La demanderesse est propriétaire et consigna-
taire, en vertu d'un connaissement, de deux
moteurs diesel de marine et de 27 caisses de pièces
de rechange pour ceux-ci. Les moteurs ont été
fabriqués en République fédérale d'Allemagne. Le
connaissement a été délivré à Hambourg le 18
novembre 1979; il y est constaté que les marchan-
dises ont été embarquées à Bremen. Les moteurs
étaient destinés au consignataire, la demanderesse,
à Vancouver. Au cours du voyage, les deux
moteurs diesel, par gros temps, ont rompu leurs
amarres. Ils ont été fort endommagés. Les repré-
sentants des diverses parties intéressées ont exa-
miné les dommages à San Francisco et à Vancou-
ver. Les moteurs furent ultimement vendus
[TRADUCTION] «en l'état où ils sont, là où ils sont».
La demande de dommages-intérêts est substan-
tielle.
Voici la clause 26 du connaissement:
[TRADUCTION] 26. Droit applicable et juridiction saisie: Les
tribunaux du pays de la principale place d'affaires du
transporteur connaîtront de toute demande ou différend
relié au connaissement conformément aux lois dudit pays,
sauf dispositions contraires dans les présentes.
Le bâtiment transporteur est immatriculé à
Oslo, en Norvège. Il appartenait, à tous les
moments qui nous importent, à la compagnie
défenderesse. Cette compagnie a été constituée
selon le droit norvégien et a sa principale place
d'affaires à Oslo.
La demanderesse a engagé la présente action
devant notre juridiction le 21 décembre 1979. Le
bâtiment était menacé de saisie. Le Protection and
Indemnity Club des défendeurs [ci-après appelé le
Club ou le P & I Club] a remis une lettre de
garantie à la demanderesse. Le Club s'est engagé à
payer tout jugement, jusqu'à un maximum de
$3,500,000, et à fournir une sûreté pour ce mon-
tant sur demande.
Les défendeurs font valoir la clause juridiction-
nelle précitée. Ils disent qu'ils se proposent de citer
plusieurs témoins de Norvège et d'Allemagne fédé-
rale afin d'établir les divers moyens qu'ils allè-
guent dans leur défense et afin aussi de contester
l'étendue des dommages. Pour ce motif, on devrait
exiger de la demanderesse qu'elle respecte ses
engagements relatifs à la juridiction compétente et
l'action devrait être suspendue. La demanderesse
devait intenter son action devant les juridictions
norvégiennes.
Les défendeurs ont accepté, advenant que l'ac-
tion soit suspendue et que la demanderesse intente
une action en Norvège, que l'engagement de leur P
& I Club s'applique à la procédure ouverte en
Norvège. Ils se sont aussi engagés à accepter une
prorogation de délai pour permettre à la demande-
resse d'inscrire sa demande en Norvège.
La demanderesse a présenté une preuve par
déposition sous serment, par affidavit, indiquant
les témoins habitant notre juridiction et la Califor-
nie qu'elle se proposait de citer.
Il s'en est suivi un long débat et des différences
de vues sur la charge de la preuve, au Canada, au
sujet d'une requête de ce genre. On a passé beau-
coup de temps à essayer d'établir le nombre proba
ble de témoins nécessaires tant à charge qu'à
décharge.
La demanderesse a cherché à démontrer, qu'à ce
compte-là, le forum le plus logique devait être dans
notre juridiction. Je ne crois pas qu'un calcul
mathématique soit concluant. Ce n'est là qu'un des
nombreux facteurs à considérer par la Cour pour
savoir si, dans sa discrétion, elle doit ordonner une
suspension de l'instance ou, au contraire, lui per-
mettre de suivre son cours.
A mon avis, les principes applicables à une
requête de cette espèce ont été énoncés par le juge
Brandon dans l'affaire L'aEleftheria» [ 1969] 1
Lloyd's Rep. 237, la page 242:
[TRADUCTION] Les principes établis par la jurisprudence
peuvent, à mon avis, être résumés de la manière suivante: (I)
Lorsque les demandeurs intentent des poursuites en Angleterre,
en rupture d'une entente selon laquelle les différends sont
renvoyés à un tribunal étranger, et lorsque les défendeurs
demandent une suspension des procédures, le tribunal anglais, à
supposer que la réclamation relève autrement de sa compé-
tence, n'est pas tenu d'accorder une suspension des procédures,
mais a le pouvoir discrétionnaire de le faire. (2) Le pouvoir
discrétionnaire d'accorder une suspension des procédures
devrait être exercé à moins qu'on ne démontre qu'il existe des
motifs sérieux pour ne pas le faire. (3) La charge de la preuve
en ce qui concerne ces motifs sérieux incombe aux demandeurs.
(4) En exerçant son pouvoir discrétionnaire, le tribunal devrait
prendre en considération toutes les circonstances de l'affaire en
cause. (5) Notamment, mais sans préjudice du (4), les ques
tions suivantes, s'il y a lieu, devraient être examinées: a) Dans
quel pays peut-on trouver, ou se procurer facilement la preuve
relative aux questions de fait, et quelles conséquences peut-on
en tirer sur les avantages et les coûts comparés du procès
devant les tribunaux anglais et les tribunaux étrangers? b) Le
droit du tribunal étranger est-il applicable et, si c'est le cas,
diffère-t-il du droit anglais sur des points importants? c) Avec
quel pays chaque partie a-t-elle des liens, et de quelle nature
sont-ils? d) Les défendeurs souhaitent-ils vraiment porter le
litige devant un tribunal étranger ou prennent-ils seulement
avantage des procédures? e) Les demandeurs subiraient-ils un
préjudice s'ils devaient intenter une action devant un tribunal
étranger (i) parce qu'ils seraient privés de garantie à l'égard de
leur réclamation; (ii) parce qu'ils seraient incapables de faire
appliquer tout jugement obtenu; (iii) parce qu'il y aurait une
prescription non applicable en Angleterre; ou (iv) parce que,
pour des raisons politiques, raciales, religieuses ou autres, ils ne
seraient pas en mesure d'obtenir un jugement équitable.
Après examen de l'affidavit produit en preuve
au nom des parties, de la jurisprudence citée et des
arguments présentés, j'ai conclu qu'il est dans
l'intérêt de la justice', et exigé par la prépondé-
rance de la preuve, que l'action soit suspendue.
Il y aura donc ordonnance de suspension d'ins-
tance. Il y sera stipulé que les défendeurs souscri-
vent l'engagement relatif à la sûreté à donner en
Norvège et accepte la prorogation des délais.
SUR REQUÊTE, en date du 17 septembre 1980,
au nom des défendeurs, demandant suspension de
l'action de la demanderesse,
ORDONNANCE
vu
a) l'engagement des défendeurs, ou de leur Pro
tection and Indemnity Club, que la lettre de
garantie datée du 17 janvier 1980 d'Assurance-
foreningen Skuld (Gjensidig) s'étende à et
couvre les obligations des défendeurs découlant
de tout jugement des tribunaux de Norvège dont
la demanderesse serait créancière et les défen-
deurs débiteurs;
b) l'acceptation des défendeurs de proroger le
délai d'action pendant lequel la demanderesse
peut agir contre eux devant les tribunaux
norvégiens;
l'instance est suspendue.
2. Les dépens de la requête suivront l'issue de la
cause.
' Voir l'alinéa 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2° Supp.), c. 10.
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