A-56-81
David C. Nauss et Peter H. Roberts (Appelants)
c.
La Section 269 de l'Association internationale des
débardeurs (Intimée)
Cour d'appel, les juges Pratte, Heald et Le Dain—
Halifax, 27 mars 1981.
Compétence — Relations du travail — Appel contre la
décision de la Division de première instance qui a suspendu
l'exécution d'une ordonnance rendue par le Conseil canadien
des relations du travail et déposée â la Cour fédérale —
L'intimée prétend que l'ordonnance, une fois déposée, est deve-
nue à toutes fins utiles un jugement de la Cour fédérale — II
échet d'examiner si la Division de première instance a le
pouvoir de suspendre l'ordonnance — Appel accueilli — Code
canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, modifié, art. 119,
122, 123 — Règles 1904 et 1909 de la Cour fédérale — Loi
sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art.
28(1)a).
APPEL.
AVOCATS:
D. Merlin Nunn, c.r. et Terry Roane pour
l'appelant David C. Nauss.
G. J. McConnell et John MacPherson pour
l'intimée.
Yves Raic pour l'employeur.
W. Wylie Spicer et David Graves pour le
Conseil canadien des relations du travail.
PROCUREURS:
Cox, Downie, Nunn & Goodfellow, Halifax,
pour l'appelant David C. Nauss.
Kitz, Matheson, Green & MacIsaac, Halifax,
pour l'intimée.
Ogilvy, Renault, Montréal, pour l'employeur.
McInnes, Cooper & Robertson, Halifax, pour
le Conseil canadien des relations du travail.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE PRATTE: Il est fait appel du jugement
par lequel la Division de première instance a sus-
pendu l'exécution de l'ordonnance rendue par le
Conseil canadien des relations du travail.
L'appelant s'étant plaint d'une prétendue viola
tion du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c.
L-1, modifié, le Conseil a rendu, le 14 novembre
1980, une décision ordonnant que le syndicat
intimé admette l'appelant comme membre. Le
Conseil a terminé la décision par l'observation
suivante:
Le Conseil s'attend à ce que le syndicat se conforme à la
présente décision. Par conséquent, il ne rendra pas d'ordon-
nance officielle mais se réserve compétence pour le faire au
besoin.
Le 27 novembre 1980, l'intimée a, sur le fonde-
ment de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, présenté une
demande tendant à l'examen et à l'annulation de
cette décision [[1981] 2 C.F. 827].
Comme, à la fin de janvier 1981, l'intimée ne
s'était toujours pas conformée à la décision, le
Conseil a rendu, le 26 janvier 1981, une ordon-
nance officielle exigeant qu'elle s'y conforme le 4
février 1981 au plus tard. Le 29 janvier 1981, une
copie de l'ordonnance a été déposée à la Cour
fédérale en application des dispositions de l'article
123 du Code canadien du travail. Le 3 février
1981, l'intimée a sollicité de la Division de pre-
mière instance, en vertu des Règles 1904(1) et
1909', la suspension de l'exécution de l'ordonnance
rendue par le Conseil et la modification du délai à
elle imparti pour montrer au Conseil qu'elle s'était
conformée à l'ordonnance de celui-ci. C'est de la
décision de la Division de première instance de
faire droit à cette demande qu'il est fait appel.
La première question est de savoir si la Division
de première instance avait le pouvoir de suspendre
l'exécution de l'ordonnance du Conseil.
L'intimée prétend que la Division de première
instance détenait ce pouvoir du fait que l'ordon-
nance du Conseil avait été déposée à la Cour
fédérale conformément à l'article 123 du Code,
' Ces Règles sont ainsi rédigées:
Règle 1904. (1) Même si un jugement ou une ordonnance
exigeant qu'une personne accomplisse un acte spécifiant dans
quel délai l'acte doit être accompli, la Cour peut rendre une
ordonnance exigeant que l'acte soit accompli dans tel autre
délai, calculé à partir de la signification de cette ordonnance ou
'autrement, que spécifie cette dernière ordonnance.
Règle 1909. Une partie contre laquelle a été rendu un jugement
ou une ordonnance peut demander à la Cour la suspension de
l'exécution du jugement ou de l'ordonnance ou quelque autre
redressement à l'encontre de ce jugement ou de cette ordon-
nance, et la Cour peut, par ordonnance, accorder le redresse-
ment qu'elle estime juste, aux conditions qu'elle estime justes.
devenant ainsi, en vertu du paragraphe 123(2), à
toutes fins relatives à son exécution, un jugement
de la Cour fédérale. L'avocat de l'intimée invoque
à l'appui de cette prétention les décisions Central
Broadcasting Company Ltd. c. Le Conseil cana-
dien des relations du travail 2 et Les Travailleurs
en communication du Canada c. Bell Canada 3 ,
deux affaires où la Division de première instance
de la présente Cour a suspendu l'exécution d'or-
donnances rendues par le Conseil canadien des
relations du travail. Il fait en outre valoir qu'il
serait à la fois injuste et anormal qu'une ordon-
nance du Conseil soit assimilée à un jugement de
la Cour pour son exécution, mais ne le soit pas
pour sa suspension.
Il faut, pour apprécier le bien-fondé de la pré-
tention de l'intimée, se rappeler certaines disposi
tions du Code canadien du travail.
Le Conseil est habilité par l'article 119 «revi-
ser, annuler ou modifier toute décision ou ordon-
nance rendue par lui». Sous cette seule réserve, ses
décisions et ordonnances sont, aux termes de l'arti-
cle 122, définitives. L'article 122 est ainsi rédigé:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente
Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et
ne peut être remise en question devant un tribunal ni revisée
par un tribunal, si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a) de
la Loi sur la Cour fédérale.
(2) Sauf dans la mesure où le paragraphe (1) le permet,
aucune ordonnance, décision ou procédure du Conseil faite ou
prise en vertu de l'autorité réelle ou présumée des dispositions
de la présente Partie
a) ne peuvent être mises en question, revisées, interdites ou
restreintes, ou
b) ne peuvent faire l'objet de procédures devant un tribunal
soit sous la forme d'injonction, certiorari, prohibition ou quo
warranto, soit autrement,
pour quelque motif y compris celui qu'elles outrepassent la
juridiction du Conseil ou qu'au cours des procédures le Conseil
a outrepassé ou perdu sa juridiction.
L'article 123, sur lequel s'appuie l'intimée, est
ainsi conçu:
123. (1) Le Conseil doit, sur demande écrite de toute per-
sonne ou organisme concerné par une décision ou une ordon-
nance du Conseil, déposer à la Cour fédérale du Canada une
2 [1975] C.F. 310.
3 [1976] 1 C.F. 282.
copie du dispositif de la décision ou de l'ordonnance en ques
tion, à moins qu'à son avis,
a) rien ne permette de croire à l'inobservation actuelle ou
prévisible de l'ordonnance ou de la décision, ou
b) il existe d'autres bonnes raisons pour lesquelles le dépôt de
l'ordonnance ou de la décision à la Cour fédérale ne servirait
aucune fin utile.
(2) Lorsque le Conseil dépose à la Cour fédérale du Canada
copie d'une ordonnance ou d'une décision conformément au
paragraphe (1), il doit préciser par écrit à la Cour que le dépôt
se fait conformément audit paragraphe; cette précision étant
donnée, la Cour doit recevoir, aux fins de dépôt, la copie de
l'ordonnance ou de la décision et l'enregistrer, sans qu'aucune
autre demande ni procédure ne soit requise. Cet enregistrement
confère à la décision ou à l'ordonnance la même force et le
même effet que s'il s'agissait d'un jugement émanant de cette
Cour et, sous réserve du présent article et de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale, toutes les procédures lui faisant suite
peuvent dès lors être engagées en conséquence par toute per-
sonne ou tout organisme concerné par l'ordonnance ou la
décision.
A mon avis, il ressort clairement des articles 119
et 122 qu'une décision du Conseil est définitive et
ne peut être modifiée, revisée, remise en question
ou restreinte, sauf par le Conseil lui-même en
vertu de l'article 119 et par la Cour d'appel fédé-
rale conformément à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur
la Cour fédérale.
Compte tenu des termes non équivoques des
articles 119 et 122, j'estime que seules des disposi
tions tout aussi claires pourraient conférer à la
Division de première instance le pouvoir de suspen-
dre l'exécution d'une ordonnance du Conseil, d'au-
tant plus qu'en l'espèce, la suspension de l'exécu-
tion de l'ordonnance du Conseil en implique la
modification. Or, l'article 123 ne contient pas de
telles dispositions. Cet article ne fait que prévoir
un moyen d'exécution des ordonnances du Conseil.
Son dépôt à la Cour fédérale et son enregistrement
conformément à l'article 123 ne font pas de l'or-
donnance du Conseil un jugement de la Cour
fédérale susceptible de modification en vertu de la
Règle 1904(1); elle garde son caractère de décision
du Conseil assujettie aux dispositions des articles
119 et 122 et, de ce fait, ne peut être modifiée ou
restreinte par la Division de première instance.
Certes, le paragraphe 123(2) dispose que lorsque
la copie de l'ordonnance a été déposée et enregis-
trée, «Cet enregistrement confère à la décision ou à
l'ordonnance la même force et le même effet que
s'il s'agissait d'un jugement émanant de cette Cour
et ... toutes les procédures lui faisant suite peu-
vent dès lors être engagées en conséquence». Tou-
tefois, il ne fait pour moi aucun doute qu'une
demande de modification d'une ordonnance et de
suspension de l'exécution de celle-ci n'est nulle-
ment une procédure faisant suite à ladite
ordonnance.
J'en conclus donc que la Division de première
instance n'avait pas le pouvoir de rendre la déci-
sion attaquée. Par ce motif, j'estime qu'il y a lieu
d'accueillir l'appel, d'annuler la décision rendue
par la Division de première instance et de rejeter la
demande de suspension de l'exécution de l'ordon-
nance présentée par l'intimée. L'appelant aura
droit à ses dépens tant en appel qu'en première
instance.
* * *
LE JUGE HEALD y a souscrit.
* * *
LE JUGE LE DAIN y a souscrit.
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