A-701-80
Wayne Perry, Robin Mercer, Vernon Abram
Warkentin, Bruce Norman Nahorny, Normand
Rivest, Patrick Tuppert, Douglas Harold Church,
Brian Alexander Wilson, David E. English, Frede-
rick G. Brock, Robert William Randall et Gareth
Leland Gwilliam (Appelants)
c.
La Reine et le procureur général du Canada
(Intimés)
Cour d'appel, les juges Urie et Ryan et le juge
suppléant Kerr—Ottawa, 20 mai et 16 juillet
1981.
Brefs de prérogative — Injonction quia timet — Action
concernant une classe de personnes — Appel formé contre
l'ordonnance rendue par la Division de première instance et
portant injonction interlocutoire pour interdire, en attendant le
procès de l'action, aux appelants de faire grève — Le juge de
première instance a décidé que s'il existait le moindre risque
de voir les grèves se reproduire, l'injonction devait être accor-
dée — Il échet d'examiner si le juge de première instance a
commis une erreur en imposant aux demandeurs une charge de
la preuve trop légère — Il y a à déterminer si le juge de
première instance a commis une erreur pour avoir conclu qu'il
s'agissait proprement en l'espèce d'une action concernant une
classe de personnes — Il faut déterminer si le juge de première
instance a commis une erreur pour avoir décerné une injonc-
tion alors que l'employeur peut exercer les voies de recours
prévues par la loi — Appel rejeté — Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art.
101.
Il s'agit d'un appel formé contre l'ordonnance rendue par la
Division de première instance et portant injonction interlocu-
toire pour interdire, en attendant le procès de l'action, aux
appelants de faire grève. L'action a été intentée contre les
appelants tant à leur titre personnel qu'en leur qualité de
représentants pour leur interdire de participer à une grève
illégale, contrairement à la Loi sur les relations de travail dans
la Fonction publique. Le juge de première instance a décidé
que s'il existait le moindre risque de voir les grèves se repro-
duire, l'injonction devait être accordée. Selon les appelants, si
tant est qu'il y ait eu des actes illégaux, ils avaient déjà cessé
avant l'introduction de l'action, et dans le cadre d'une action
quia timet, il n'y avait lieu à injonction interlocutoire que s'il y
avait une forte probabilité de répétition des actes visés. Il échet
d'examiner si le juge de première instance a eu tort d'imposer
aux demandeurs une charge de la preuve trop légère; de
conclure qu'il s'agissait proprement en l'espèce d'une action
concernant une classe de personnes, étant donné que l'unité de
négociation comprenait tant les contrôleurs du service actif que
les contrôleurs du service sédentaire, et que les événements en
question étaient si différents les uns des autres qu'en toute
probabilité, les moyens de défense respectifs seraient aussi
différents; et de décerner une injonction au lieu de laisser à
l'employeur le soin d'exercer les voies de recours prévues par la
loi.
Arrêt: l'appel est rejeté. Il est discutable qu'il existe une règle
spéciale en matière de fardeau de la preuve applicable aux
affaires quia timet. Il est peut-être plus facile de prouver qu'un
acte, interrompu après un début d'exécution, reprendra s'il n'est
pas interdit, que de prouver qu'un acte non encore commis,
aura lieu, mais il s'agit d'un problème de la difficulté de la
preuve, et non du fardeau de la preuve. Le juge de première
instance a conclu qu'une grève illégale avait eu lieu avant
l'introduction de l'action. Vu les agissements en cause, il échet
d'examiner s'ils font raisonnablement ressortir que sauf inter
diction, les actes visés par la requête en injonction risquent de
se produire de nouveau. Il n'est pas établi que le juge de
première instance a commis une erreur pour ce qui est du
critère applicable. Il ressort de ses motifs qu'à son avis, ce qui
s'était produit laissait entrevoir le risque, et non pas une vague
possibilité, d'une reprise des activités de grève illégale sauf
interdiction. Quant à la question de savoir s'il s'agit proprement
en l'espèce d'une action concernant une classe de personnes, il
n'était pas nécessaire que le juge de première instance se
prononçât au fond sur cette question. Il incombait au juge de
première instance de décider si les contrôleurs des services actif
et sédentaire qui n'avaient ni ralenti ni arrêté le travail, ainsi
que les contrôleurs du service actif qui l'avaient fait, pourraient,
faute d'interdiction, le faire encore à l'avenir; s'il, répondait à
cette question par la négative, il ne devait pas les inclure dans
cette classe. Et il va de soi qu'il lui appartenait de décider par la
suite s'il existait un intérêt commun dans la procédure tel qu'à
l'introduction de la requête en injonction interlocutoire, il justi-
fiait l'inclusion dans la même classe de tous les membres de
l'unité de négociation. Il est indéniable que le juge de première
instance a considéré la possibilité d'actes de grève de la part des
membres de la classe qui n'avaient ni arrêté ni ralenti illégale-
ment le travail. Il a aussi pris en considération l'argument
voulant que les membres de la classe pourraient invoquer
différents moyens de défense. Il n'a pas été établi qu'il s'était
trompé dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Quant au
dernier point soulevé, il est indéniable que l'existence des
recours prévus par la loi contre les grèves illégales ne constitue
pas en soi l'exclusion du recours en injonction interlocutoire. Le
juge de première instance a tenu compte de cet argument, et il
n'y a aucune raison de remettre en question sa décision à ce
sujet.
Arrêts approuvés: The Law Society of Upper Canada c.
MacNaughton [1942] O.W.N. 551; John c. Rees [1970]
Ch. 345. Distinction faite avec l'arrêt: Heath Steele Mines
Ltd. c. Kelly (1978) 7 C.P.C. 63. Arrêt mentionné: Duke
of Bedford c. Ellis [1901] A.C. 1.
APPEL.
AVOCATS:
C. H. MacLean pour les appelants.
W. L. Nisbet, c.r., pour les intimés.
PROCUREURS:
Nelligan/Power, Ottawa, pour les appelants.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: La Cour a été saisie de l'appel
formé contre l'ordonnance rendue le 9 octobre
1980 par la Division de première instance [[1981]
2 C.F. 12] et portant injonction interlocutoire pour
interdire, en attendant le procès de l'action, aux
appelants (défendeurs en première instance) ainsi
qu'à tous les contrôleurs de la circulation aérienne
au service du gouvernement du Canada et mem-
bres de l'unité de négociation du groupe des con-
trôleurs de la circulation aérienne, de faire grève
de concert avec les autres membres de cette unité.
L'action principale fut introduite par déclara-
tion déposée le 7 octobre 1980, contre les appelants
«tant à titre personnel qu'en qualité de représen-
tants de tous les employés du gouvernement du
Canada compris dans l'unité de négociation du
groupe des contrôleurs de la circulation aérienne».
Il ressort de la déclaration que dans l'intervalle
entre le 1 °r septembre 1980 et la date de l'introduc-
tion de l'action, un certain nombre de contrôleurs
aériens postés en diverses localités du Canada,
dont Vancouver, Edmonton, Winnipeg, Thunder
Bay, Toronto, Montréal, Moncton et Gander, ne se
sont pas présentés au travail aux heures où ils
étaient censés le faire ou encore se sont absentés
pendant leurs heures de travail. Il s'ensuit, tou-
jours selon la déclaration, que [TRADUCTION] «.. .
le contrôle de la circulation aérienne a été désorga-
nisé pendant divers intervalles jusqu'à cette date,
ce qui met en danger les passagers, lesquels ont
souffert et continueront à souffrir de difficultés,
d'inconvénients et de pertes pécuniaires si cette
interruption des services persiste.»
Les demandeurs citaient l'article 101 de la Loi
sur les relations de travail dans la Fonction publi-
que, S.R.C. 1970, c. P-35, qui interdit notamment
aux employés de participer à une grève lorsque
leur convention collective est en vigueur'. Une
convention collective était effectivement en
vigueur au moment où cette action fut intentée.
' L'article 101 de la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique prévoit ce qui suit:
101. (1) Ne doit participer à une grève aucun employé
a) qui ne fait pas partie d'une unité de négociation pour
La déclaration conclut à une injonction portant
interdiction aux défendeurs de participer à une
grève illégale des contrôleurs de la circulation
aérienne, en violation de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique.
La requête en injonction interlocutoire a été
introduite immédiatement après l'introduction de
l'action. L'ordonnance portant injonction, rendue
le 9 octobre 1980, porte notamment:
[TRADUCTION] LA COUR REND une injonction interlocutoire
interdisant, en attendant le procès de l'action, aux défendeurs et
à tous les contrôleurs de la circulation aérienne au service du
gouvernement du Canada, qui sont membres de l'unité de
négociation du groupe des contrôleurs de la circulation aérienne
et qui sont des employés au sens de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique, de faire la grève de concert
avec d'autres membres de cette unité en arrêtant le travail, en
refusant de travailler ou de continuer à travailler, en diminuant
ou en limitant leur rendement, en violation de l'alinéa 101(2)a)
de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique,
S.R.C. 1970, c. P-35....
Cette action n'est pas encore passée en
jugement.
L'avocate des appelants soutient que le savant
juge de première instance a commis plusieurs
erreurs corme suit:
laquelle un agent négociateur a été accrédité par la
Commission,
b) qui appartient à une unité de négociation à l'égard de
laquelle la méthode de règlement d'un différend est le
renvoi du différend à l'arbitrage, ou
c) qui est un employé désigné.
(2) Aucun employé qui n'est pas un employé décrit au
paragraphe (1) ne peut participer à une grève
a) lorsqu'une convention collective s'appliquant à l'unité de
négociation dont il fait partie est en vigueur, ou
b) lorsque aucune convention collective s'appliquant à
l'unité de négociation dont il fait partie n'est en vigueur, à
moins que
(i) un bureau de conciliation chargé de l'enquête et de la
conciliation du différend relativement à cette unité de
négociation ait été établi et que sept jours se soient
écoulés depuis la réception par le Président du rapport
du bureau de conciliation, ou que
(ii) une demande en vue de l'établissement d'un bureau
de conciliation chargé de l'enquête et de la conciliation
d'un différend relativement à cette unité de négociation
ait été faite en conformité de la présente loi et que le
Président ait notifié aux parties, conformément à l'arti-
cle 78, son intention de ne pas établir un tel bureau.
1. Il a commis une erreur en imposant une charge
de la preuve trop légère aux demandeurs qui
recherchaient une injonction dans une procédure
quia timet, comme en témoigne cette conclusion
dans les motifs du jugement [à la page 14]: «Bref,
le problème est si lourd de conséquences pour les
tiers, les passagers, que ces grèves ou débrayages
illégaux ne doivent jamais être tolérés et que s'il
existe le moindre risque de voir cet état de choses
se reproduire, l'injonction doit être accordée.»
2. Il a commis une erreur pour avoir conclu qu'il
s'agissait proprement en l'espèce d'une action con-
cernant une classe de personnes, savoir les person-
nes faisant partie de la classe représentée par les
défendeurs nommés. Étant donné que l'unité de
négociation comprenait tant les contrôleurs du ser
vice actif que les contrôleurs du service sédentaire,
ces deux groupes pourraient faire valoir des
moyens de défense complètement différents, et
qu'en tout cas, les événements qui s'étaient pro-
duits en différentes localités étaient si différents les
uns des autres qu'en toute probabilité, les moyens
de défense respectifs seraient aussi différents.
3. La Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique prévoyant des recours contre les
grèves illégales, il a commis une erreur pour avoir
décerné une injonction au lieu de laisser à l'em-
ployeur le soin d'exercer les voies de recours pré-
vues par la loi.
Tels sont les points litigieux soulevés en appel.
I
Les événements donnant lieu à cette action se
sont produits à Dorval, à Toronto, et par la suite,
dans les aéroports des localités mentionnées dans
la déclaration.
Les affidavits versés au dossier font ressortir
quelques divergences quant aux détails, mais il est
possible de récapituler avec exactitude ces
événements.
Ce qui s'est produit à Dorval
Le 1" septembre 1980, la plupart, sinon la tota-
lité, des contrôleurs desservant la tour de contrôle
ne se présentèrent pas au travail, comme prévu
pour les postes de jour et de nuit, ce qui a entraîné
des retards et une désorganisation du trafic.
Le 2 octobre 1980, le second poste de contrô-
leurs fut fermé pour permettre le remplacement du
matériel provisoire par du matériel permanent.
L'installation de ce poste de contrôleurs avait été
recommandée par la Commission sur les services
bilingues de contrôle de la circulation aérienne.
Les contrôleurs en poste à la tour de contrôle
faisaient valoir qu'ils ne pouvaient diriger en toute
sécurité le trafic dans les . deux langues officielles
que si le volume était réduit. Leurs supérieurs
n'étaient pas de cet avis. Après discussions, le
syndicat et la direction sont convenus qu'il y avait
lieu de réduire le volume du trafic, mais non
autant que l'avaient initialement réclamé les con-
trôleurs aériens. Du 3 au 6 octobre 1980, tous les
contrôleurs en poste à la tour de contrôle se pré-
sentèrent au travail comme prévu. Priés par leurs
supérieurs hiérarchiques de dire s'ils étaient dispo-
sés à diriger le trafic dans les deux langues, ils ont
répondu qu'ils ne l'étaient pas à moins d'une
réduction officielle du trafic, réduction qu'ils
disaient nécessaire. Ils ont été informés que,
n'étant pas disposés à s'acquitter de leurs attribu
tions, ils devaient quitter leur lieu de travail. Les
consultations en cours prirent fin le 6 octobre, vers
23 h. Les contrôleurs aériens se présentèrent au
travail conformément à leurs postes respectifs et
acceptèrent de diriger le trafic dans les . deux lan-
gues, étant entendu que le volume du trafic serait
réduit conformément à la proposition faite par la
direction pendant les discussions.
L'avocate des appelants soutient que, selon le
Manuel des opérations, tous les contrôleurs du
service actif de la circulation aérienne ont le droit,
aux fins de sécurité, de limiter le volume du trafic
qu'ils dirigent dans une localité. Elle soutient éga-
lement que de l'avis des contrôleurs aériens en
service à Dorval, ils ne seraient pas en mesure de
diriger en toute sécurité le volume total du trafic
dans les deux langues, à moins que le second poste
de contrôleurs ne fût en place. Si je la comprends
bien, elle y voit un moyen de défense à l'égard de
l'accusation de grève illégale formée contre les
contrôleurs aériens de Dorval.
Les deux parties se contredisent quelque peu sur
la question de savoir si, à la suite du règlement du
6 octobre, les contrôleurs aériens de Dorval ont
cessé pour de bon leurs manoeuvres de ralentisse-
ment. L'avocate des appelants soutient qu'ils l'ont
fait. Il se trouve cependant que dans son affidavit,
M. Morell, à l'époque directeur intérimaire du
contrôle de la circulation aérienne de Dorval,
affirme avoir été informé que pendant le poste de
la nuit du 7 octobre 1980 à la tour de contrôle de
cet aérodrome, le service fut désorganisé parce que
les contrôleurs de service ont limité le volume du
trafic bien plus rigoureusement que ne l'avaient
prévu les limitations convenues aux cours des dis
cussions qui prirent fin le 6 octobre.
Ce qui s'est produit à Toronto
Le service de contrôle de la circulation aérienne,
qui dirige les vols en partance ou à destination de
l'aéroport international de Toronto, compte quel-
que 130 contrôleurs.
Un conflit couvait depuis quelque temps déjà sur
la question de savoir s'il y avait lieu de relever la
classification des postes de contrôleurs en place. Il
appert que le 4 septembre 1980, les contrôleurs ont
été informés qu'un relèvement du niveau de classi
fication requerrait une modification des normes de
classification, ce qui prendrait à peu près douze
mois. Il s'ensuit que le 5 septembre vers 7 h, seize
des vingt-sept contrôleurs de service ont aban-
donné le travail et se sont réunis dans la cantine,
soi-disant pour tenir une séance d'études. Par la
suite, les vols régis par les Règles de vol aux
instruments ont été réduits, ce qui a bouleversé les
prévisions.
Le 5 septembre vers 17 h 30, les contrôleurs de
service refusèrent de guider un seul aéronef de
plus. Ils ont tenu une séance d'études de 18 h à
19 h 30, heure à laquelle ils sont retournés à leur
poste. Par la suite, tous les vols régis par les Règles
de vol aux instruments ont été supprimés, ce qui a
bouleversé les prévisions pour cet intervalle.
Ce qui s'est produit dans les autres localités
Le 28 septembre, un grand nombre de contrô-
leurs aériens ne se présentèrent pas au travail
comme prévu dans les différentes unités de con-
trôle à travers le pays. Il s'ensuit que la plupart des
vols commerciaux et réguliers régis par les Règles
de vol aux instruments furent annulés au Canada
et dans l'espace aérien limitrophe.
Ce qui s'est produit le 28 septembre faisait
manifestement suite à une directive communiquée
le 25 septembre par la direction aux contrôleurs
aériens de Toronto. Selon cette directive, tout con-
trôleur aérien, soupçonné d'avoir produit moins
que son rendement normal, serait automatique-
ment suspendu durant cinq jours et serait congédié
s'il contestait cette pénalité. Selon leur avocate,
tous les contrôleurs aériens de l'unité de négocia-
tion étaient convaincus que le surcroît de tension
causé par la menace contenue dans cette directive
aurait un effet adverse sur la sécurité de la circula
tion aérienne. Cette directive fut rapportée avant
l'audition de la requête en injonction.
—o—
Le juge de première instance a tiré certaines
conclusions qu'il convient de rappeler. A son avis
[à la page 15], tout «indique ... qu'il ne s'agissait
pas là de décisions individuelles, mais de décisions
prises de concert et après discussion avec les autres
membres du syndicat.»
Et il dit un peu plus loin [à la page 17]: «Il est
de notoriété publique que le fait pour quelques
membres agissant de concert de ne pas se présenter
au travail ou de ralentir le travail peut perturber
complètement les services aériens.»
Il a aussi conclu [à la page 15]: «En l'espèce, les
grévistes ont agi contrairement aux recommanda-
tions des représentants syndicaux.»
Je tiens également à rappeler cette conclusion
qu'il a tirée [à la page 16]: «... on ne saurait
affirmer que tous les points ayant donné lieu au
conflit, notamment à Montréal et à Toronto, ont
été définitivement réglés.»
II
L'injonction interlocutoire décernée en l'espèce
vise à prévenir une grève interdite par un texte de
loi, cité dans l'injonction. L'ordonnance vise donc
des actes de grève illégale expressément définis. La
grève interdite par l'ordonnance ne pourrait en
aucun cas être une grève légale. Par contre, cette
ordonnance n'interdit pas aux défendeurs d'exercer
les droits légaux qu'ils pourraient avoir.
Il faut cependant noter qu'il n'y a pas lieu à
injonction pour interdire à une personne de com-
mettre un acte illégal, sans qu'il y ait au moins la
probabilité qu'elle commettrait cet acte si on ne le
lui interdisait pas. Nous sommes tous tenus de
nous conformer à la loi. Il n'y a cependant aucune
raison d'exposer, sauf motif légitime, des individus
à la possibilité de poursuites pour outrage à la
justice, en sus des sanctions prévues par la loi
elle-même.
En l'espèce, l'avocate des appelants soutient que
le juge de première instance a commis une erreur
en décidant qu'il y avait lieu à injonction contre les
appelants s'il existait le moindre risque de répéti-
tion des actes illégaux qu'ils avaient déjà commis.
Voici l'argument soutenu par cette avocate: si tant
est qu'il y ait eu des actes illégaux, ils avaient déjà
cessé avant l'introduction de l'action; et dans le
cadre d'une action quia timet, il n'y avait lieu à
injonction interlocutoire que s'il y avait une forte
probabilité de répétition des actes visés. Il existe
une certaine jurisprudence dans ce sens, encore
qu'elle diverge quelque peu sur la question du
degré de probabilité de perpétration ou de récidive.
Dans The Law Society of Upper Canada c. Mac-
Naughton 2 , le juge en chef Rose a établi le critère
comme suit, à la page 551:
[TRADUCTION] ... avant de rendre une injonction. la Cour doit
être raisonnablement convaincue que le défendeur a l'intention
de commettre les actes visés ou, tout au moins, qu'il y a lieu de
croire que, faute d'injonction, ces actes risquent d'être commis;
dans le cas où cette intention n'existe pas, il ne suffit pas, pour
rendre une injonction, de dire que celle-ci ne fera pas de mal au
défendeur.
A vrai dire, je me demande s'il existe une règle
spéciale en matière de fardeau de la preuve appli
cable aux affaires quia timet. Il me semble qu'il ne
saurait y avoir lieu en aucun cas à injonction
interlocutoire, s'il n'était pas vraiment probable
que sauf interdiction, les actes visés risquent d'être
commis ou répétés. Dans le cas où l'acte visé est
déjà en cours à l'introduction de l'action, il n'est
nécessaire d'établir rien de plus pour conclure que
sauf interdiction, cet acte se poursuivrait. Si l'acte
visé n'a pas encore commencé, il est peut-être plus
difficile de prouver qu'il sera commis sauf interdic
tion. Cette preuve dépendra peut-être de ce qu'il y
2 [1942] O.W.N. 551.
a eu ou non menaces ou avertissements. Il est
peut-être plus facile de prouver qu'un acte, inter-
rompu après un début d'exécution, reprendra s'il
n'est pas interdit, que de prouver qu'un acte non
encore commis, aura lieu. S'il y a donc un problè-
me, c'est à vrai dire celui de la difficulté de la
preuve, et non du fardeau de la preuve. Quoi qu'il
en soit, il ne s'agit pas en l'espèce d'une affaire
quia timet proprement dite. Sur la foi des éléments
de preuve portés à sa connaissance, le juge de
première instance a conclu qu'une grève illégale
avait eu lieu avant l'introduction de l'action. Vu les
agissements en cause, il échet d'examiner s'ils font
raisonnablement ressortir que sauf interdiction, les
actes visés par la requête en injonction risquent de
se produire de nouveau.
Vu ces considérations, peut-on dire que dans
l'exercice de son pouvoir d'appréciation, le juge de
première instance a commis une erreur dans l'at-
tribution du fardeau de la preuve? Si les mots
contestés avaient été employés seuls, ils pourraient
peut-être dénoter une erreur; ils ne sont cependant
pas isolés. Au contraire, ils suivent immédiatement
les mots qui décrivent les conséquences fâcheuses
des perturbations du trafic aérien pour cause de
grèves illégales. Il se peut que cette juxtaposition
ait donné lieu à l'emploi d'une expression quelque
peu exagérée.
Il ne faut pas oublier que le juge de première
instance devait se prononcer sur une requête en
injonction interlocutoire, laquelle requérait une
décision immédiate dans un sens ou dans l'autre. Il
y a donc lieu de considérer ses motifs de jugement
sous cette optique et en présumant, sauf preuve
contraire, qu'il a fondé sa décision sur une base
juridique correcte.
Ses motifs de jugement indiquent d'autre part
qu'il a considéré avec circonspection le risque de
nouveaux actes de grève. Dans le passage cité par
le mémoire des appelants, il a souligné [à la page
15] que les agissements antérieurs des défendeurs
n'étaient pas en cause «... sauf pour indiquer la
possibilité d'une reprise des activités illégales de la
part des défendeurs dénommés ou d'autres mem-
bres de l'unité de négociation ...». L'emploi du
mot «possibilité» est significatif.
Le juge de première instance a fait mention et a
tenu compte du fait que l'arrêt de travail déclen-
ché en septembre a eu lieu à l'encontre des recom-
mandations du syndicat. Il a également noté [à la
page 16] qu'«... on ne saurait affirmer que tous
les points ayant donné lieu au conflit, notamment à
Montréal et à Toronto, ont été définitivement
réglés.» Il s'est aussi référé à l'affidavit de M.
Morell qui faisait état d'événements survenus tard
dans la soirée du 7 octobre, agissements manifeste-
ment visant à réduire le volume du trafic.
Il ressort de ses motifs, pris dans leur ensemble,
que le juge de première instance n'a pas commis
une erreur pour ce qui est du critère applicable; et
qu'à son avis, ce qui s'était produit laissait entre-
voir le risque, et non pas une vague possibilité,
d'une reprise des activités de grève illégale sauf
interdiction. Je ne saurais dire qu'il n'avait aucun
motif sérieux de conclure à ce risque.
III
L'avocate des appelants soutient aussi que l'ac-
tion dont s'agit ne saurait être intentée contre les
défendeurs nommés à titre de représentants de
tous les membres de l'unité de négociation. Cette
action, en tant qu'elle était dirigée contre une
classe de personnes, a été intentée sous le régime
de la Règle 1711, dont les alinéas (1) et (2)
portent:
Règle 1711. (1) Lorsque plusieurs personnes ont le même
intérêt dans une procédure, la procédure peut être engagée et,
sauf ordre contraire de la Cour, être poursuivie par ou contre
l'une ou plusieurs d'entre elles en tant que représentant toutes
ces personnes ou en tant que les représentant toutes à l'excep-
tion d'une d'entre elles ou plus.
(2) A tout stade d'une procédure engagée en vertu de la
présente Règle, la Cour peut, à la demande du demandeur, et,
le cas échéant, aux conditions qu'elle estime à propos, désigner
un ou plusieurs des défendeurs ou des autres personnes que
représentent les défendeurs poursuivis, pour représenter dans la
procédure toutes ces personnes ou toutes à l'exception d'une
d'entre elles ou plus; lorsque, dans l'exercice du pouvoir que lui
attribue le présent alinéa, la Cour désigne une personne dont le
nom ne figure pas sur la liste des défendeurs, elle doit rendre
une ordonnance mettant cette personne en cause à titre de
codéfendeur.
L'intérêt commun des membres de ce groupe
tient, par suite de l'accréditation de leur syndicat,
à ce qu'ils sont représentés par le même agent de
négociation et qu'ils sont tous tenus à l'obligation,
imposée par l'article 101 de la Loi sur les relations
de travail dans la Fonction publique, de ne pas
faire la grève pendant la durée de leur convention
collective. Il y a aussi la question, qui intéresse
tous les membres du groupe, de savoir si, faute
d'interdiction, ils pourraient recourir aux actes de
grève.
Selon l'avocate des appelants, il existe des diffé-
rences notables entre les moyens de défense
ouverts tant aux contrôleurs du service sédentaire
et du service actif qui n'ont pas fait la grève d'une
part, qu'aux contrôleurs du service actif qui ont
effectivement fait la grève, d'autre part. Il y a
aussi des différences entre ceux qui ont interrompu
le travail à Dorval, à Toronto, et ailleurs. Elle
soutient que ces différences suffisent pour prévenir
l'inclusion dans une même classe de tous les mem-
bres de l'unité de négociation en cause.
L'avocat des intimés invoque de son côté l'histo-
rique des événements qui se sont produits à Dorval
puis à Toronto, et enfin en d'autres localités du
Canada. Ces événements font ressortir une ten-
dance dont on pouvait conclure qu'il était probable
que tous les membres de l'unité de négociation, ou
n'importe lesquels d'entre eux, pourraient, sauf
interdiction, se livrer à d'autres interruptions ou
ralentissements de travail. A son avis, il n'existe, à
toutes fins pratiques, aucune différence notable
entre les membres du service actif et les membres
du service sédentaire au sein de l'unité de négocia-
tion, étant donné qu'aux termes de la convention
collective, les contrôleurs sédentaires pouvaient
être transférés en tant que de besoin au service
actif, comme cela a été effectivement le cas par le
passé.
Ce qui est en cause, c'est une requête en injonc-
tion interlocutoire introduite presque sans préavis;
l'opposition à l'action concernant une classe de
personnes a été formulée par les défendeurs en cet
état préliminaire de la cause et non par voie de
requête, sous le régime de l'alinéa (1) de la Règle
1711. Il n'était ni nécessaire ni, à mon avis, possi
ble en cet état de la cause, que le juge de première
instance se prononçât au fond sur cette question
particulière. Il incombait au juge de première ins
tance, saisi d'une requête en injonction interlocu-
toire, de décider, sur la foi des éléments de preuve
produits, si, tout bien considéré, les contrôleurs des
services actif et sédentaire qui n'avaient ni ralenti
ni arrêté le travail, ainsi que les contrôleurs du
service actif qui l'avaient fait, pourraient, faute
d'interdiction, le faire encore à l'avenir; s'il répon-
dait à cette question par la négative, il ne devait
pas les inclure dans cette classe. Et il va de soi
qu'il lui appartenait de décider par la suite, à la
lumière de ce qui ressortait des témoignages faits
par affidavit en cet état de la cause, s'il existait un
intérêt commun dans la procédure tel qu'à l'intro-
duction de la requête en injonction interlocutoire,
il justifiait l'inclusion dans la même classe de tous
les membres de l'unité de négociation.
Il est indéniable que le juge de première instance
a considéré la possibilité d'actes de grève de la part
des membres de la classe qui n'avaient ni arrêté ni
ralenti illégalement le travail. Il a aussi pris en
considération l'argument voulant que les membres
de la classe pourraient invoquer différents moyens
de défense, facteur dont il faut tenir compte dans
une action concernant une classe de personnes. Il
est vrai qu'on voit mal pourquoi il a cité la cause
Heath Steele Mines Ltd. c. Kelly'. Je ne suis
cependant pas convaincu qu'il se soit trompé dans
l'exercice de son pouvoir discrétionnaire pour avoir
rendu une injonction interlocutoire à l'égard de la
classe tout entière ou que les éléments de preuve
produits ne justifiaient pas l'exercice de son pou-
voir discrétionnaire à cet égard. La question sou-
levée par l'avocate des appelants est une question
difficile eu égard aux faits de la cause. Mais, faute
d'erreur de droit, cette question relevait propre-
ment de l'appréciation du juge de première
instance.
Il ne serait pas hors de propos de rappeler ce que
le juge Megarry a dit des actions concernant une
classe de personnes, dans sa décision John c.
Rees 4 . Après avoir cité ce qu'il appelait la règle
classique rappelée par lord Macnaghten dans The
Duke of Bedford c. Ellis', il s'est prononcé en ces
termes à la page 370:
[TRADUCTION] Il m'appert, pour parler sans détours, qu'il ne
faut pas voir dans cette règle un principe rigide, mais plutôt un
instrument souple et commode au service de l'administration de
la justice.
Et il dit un peu plus loin:
3 (1978) 7 C.P.C. 63. Il s'agit d'un appel interjeté devant la
Cour d'appel du Nouveau-Brunswick d'une ordonnance rendue
par un juge de première instance et portant annulation d'une
ordonnance de représentation, mais non d'un appel formé
contre une injonction interlocutoire.
4 [1970] Ch. 345.
5 [1901] A.C. 1.
[TRADUCTION] Cette conception me paraît conforme au libellé
de R.S.C., Ord. 15, r. 12 (1), qui porte:
Lorsque plusieurs personnes ont le même intérêt dans une
procédure, ... la procédure peut être engagée et; sauf ordre
contraire de la cour, être poursuivie par ou contre l'une ou
plusieurs d'entre elles en tant que représentant toutes ces
personnes ou en tant que représentant toutes à l'exception
d'une d'entre elles ou plus.
La r. 12 (3)-(6) prévoit parfaitement la protection de ceux qui,
liés par un jugement rendu contre une personne poursuivie en
leur nom, tiennent néanmoins à contester leur responsabilité
personnelle. La règle est donc générale dans son libellé et
facultative dans son champ d'application; n'empêche qu'elle
prévoit des garanties adéquates quant au fond. J'hésiterais donc
à l'appliquer dans un sens strict ou rigoureux; et je ne vois rien
qui puisse me faire changer d'avis dans les divers passages cités
de Daniell's Chancery Practice, 8 0 éd. (1914).
Les alinéas (3) à (6) de la Règle 1711 de la
Cour fédérale sont identiques aux alinéas (3) à (6)
de la r. 12, Ord. 15, d'Angleterre.
Il est vrai que la décision John c. Rees portait
sur une action intentée par une classe de deman-
deurs et que les faits de la cause étaient considéra-
blement différents. J'estime cependant que les pas
sages cités nous sont utiles en tant qu'ils indiquent
qu'il ne faut pas appliquer la Règle «dans un sens
strict et rigoureux».
IV
Je me penche maintenant sur le dernier point
soulevé, à savoir si, eu égard aux recours prévus
par la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique contre les grèves illégales, le
juge de première instance a commis une erreur
pour ne pas avoir rejeté la requête en injonction
interlocutoire. Il est indéniable que l'existence de
ces recours ne constitue pas en soi l'exclusion du
recours en injonction interlocutoire. L'avocate des
appelants ne conteste pas ce point. Si je le com-
prends bien, son argument porte sur le fait que le
juge de première instance n'a pas accordé suffi-
samment d'importance à l'existence de ces recours.
J'estime que celui-ci a tenu compte de cet argu
ment et je ne vois aucune raison de remettre en
question sa décision à ce sujet.
V
Je me prononce pour le rejet de l'appel avec
dépens.
* * *
LE JUGE URIE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
* *
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Je souscris aux
motifs ci-dessus.
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