A-534-80
La Reine (Requérante)
c.
Pierre Marleau (Intimé)
et
Le Syndicat des postiers du Canada et la Commis
sion des relations de travail dans la Fonction
publique (Mis-en-cause)
Cour d'appel, le juge en chef Thurlow, le juge Urie
et le juge suppléant Kerr-Ottawa, 19 et 23 jan-
vier 1981.
Examen judiciaire — Fonction publique — Demande d'exa-
men et d'annulation de la décision d'un arbitre qui a accueilli
en partie le grief déposé par l'intimé contre une sanction
disciplinaire prise à la suite d'un incident qui s'est produit le
18 décembre 1979, lorsque l'intimé a fait preuve de grossièreté
envers ses surveillants — L'intimé avait été puni pour avoir
utilisé, en juillet 1979, un langage grossier avec un surveillant,
et pour avoir, en novembre 1978, menacé un surveillant —
L'arbitre n'a pas tenu compte dans sa décision de l'incident qui
s'était produit en novembre 1978 — La convention collective
prévoit que tout rapport concernant une infraction doit être
supprimé du dossier d'un employé après 12 mois sauf si,
durant ce délai, est versé au dossier un rapport qui concerne
une infraction semblable — Il échet de déterminer si l'arbitre a
commis une erreur de droit lorsqu'il n'a pas tranché la ques
tion de savoir si les incidents de novembre 1978 et de juillet
1979 étaient «semblables.. au sens de la convention collective,
avant d'écarter de son examen l'incident de novembre 1978
Requête accueillie et affaire renvoyée à l'arbitre pour qu'il
l'étudie à nouveau — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), c. 10, art. 28.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
M. M. Galipeau pour la requérante.
T. A. McDougall, c.r., et J. West pour
l'intimé.
Personne n'a comparu pour la mise-en-cause
la Commission des relations de travail dans la
Fonction publique.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
requérante.
Perley-Robertson, Panet, Hill & McDougall,
Ottawa, pour l'intimé et pour le mis-en-cause
le Syndicat des postiers du Canada.
La Commission des relations de travail dans
la Fonction publique, Ottawa, pour elle-
même.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: La Cour statue
sur la demande d'examen et d'annulation formée
sur le fondement de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10,
contre la décision rendue par un arbitre sous l'em-
pire de la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, qui a
accueilli en partie le grief déposé par l'intimé,
Marleau, contre une sanction disciplinaire prise
par l'employeur, et qui a remplacé son renvoi du
Service des postes par une suspension temporaire.
La sanction disciplinaire a été prise à la suite d'un
incident qui s'est produit le 18 décembre 1979.
Marleau, ainsi qu'il a été constaté par l'arbitre,
[TRADUCTION] «a fait preuve de `grossièreté
envers les surveillants et d'insubordination' comme
le rapporte l'avis disciplinaire» et n'a pas effectué
le travail exigé.
Pour conclure que, dans les circonstances, le
renvoi de Marleau n'était pas justifié, l'arbitre a
tenu compte d'un incident antérieur consigné dans
le dossier personnel de Marleau. Ce dernier avait
en effet été puni pour avoir utilisé, le 28 juillet
1979, un [TRADUCTION] «langage grossier envers
un surveillant». Toutefois, l'arbitre a estimé que le
paragraphe 10.02 de la convention collective l'em-
pêchait de tenir compte d'un incident qui s'était
produit le 10 novembre 1978 et pour lequel Mar-
leau avait été puni pour avoir menacé un surveil-
lant. Ce paragraphe est ainsi conçu:
[TRADUCTION] 10.02 Dossier personnel
a) L'employeur convient qu'il n'y aura qu'un seul dossier
personnel par employé et qu'aucun rapport relatif à la con-
duite ou au travail d'un employé ne pourra être utilisé contre
lui dans la procédure de règlement d'un grief ou en arbitrage
à moins que ce rapport ne fasse partie dudit dossier.
b) Aucun rapport ne peut être déposé au dossier ou en
constituer une partie à moins qu'une copie dudit rapport n'ait
été envoyée à l'employé dans les dix (10) jours de la date de
l'infraction qu'on lui reproche, ou de la date où cette infrac
tion est découverte par l'employeur, ou que survient un sujet
de mécontentement de l'employeur.
c) Tout rapport concernant une infraction devra être sup-
primé du dossier de l'employé après douze (12) mois sauf si,
durant ce délai, est versé au dossier un rapport qui concerne
une infraction semblable; en pareil cas, le premier rapport
devra quand même être enlevé du dossier douze (12) mois
après que le deuxième rapport y aura été versé. Toutefois,
tout rapport défavorable sur un employé et tout rapport
relatif à la commission d'une infraction doit être supprimé du
dossier après vingt-quatre (24) mois de la date de l'infraction
imputée à l'employé.
On notera qu'en vertu de ces dispositions, l'inci-
dent du 10 novembre 1978 s'étant produit plus
d'un an avant le 18 décembre 1979, on ne pouvait
en tenir compte que si l'infraction considérée était
«semblable» à une autre infraction commise dans le
délai d'un an après le 10 novembre 1978. Si,
toutefois, il y avait eu une infraction semblable au
cours de cette période d'une année, les deux infrac
tions pouvaient être prises en compte pour déter-
miner la sanction à prendre relativement à une
nouvelle infraction intervenue dans les douze mois
suivant l'infraction du 28 juillet 1979.
La requérante reproche à l'arbitre de n'avoir pas
déterminé si les incidents ou les infractions du 10
novembre 1978 et du 28 juillet 1979 étaient «sem-
blables» au sens de la convention collective, et
d'avoir fait une erreur de droit en ne tranchant pas
cette question et en écartant de son examen l'inci-
dent du 10 novembre 1978 sans avoir répondu à
cette question.
L'arbitre s'exprime ainsi dans sa décision:
[TRADUCTION] Tel que mentionné plus haut, la pièce E-3 se
rapporte à une infraction commise le 10 novembre 1978.
Il ne fait pas de doute, selon moi, que dans le paragraphe
10.02 c) ci-dessus, le délai de 12 mois court de la date de
l'infraction et non de la date du rapport. Si on s'en tient à la
première phrase du paragraphe 10.02 c), il est possible de
soutenir que le délai de 12 mois court de la date du rapport.
Toutefois, si on lit le reste du paragraphe, et en particulier la
dernière phrase, il devient évident que le délai de 12 mois dont
il est question dans la première phrase ne peut s'entendre que
d'un délai de 12 mois à partir de la date de l'infraction. Puisque
la date de l'infraction dans la présente cause est le 10 novembre
1978, soit plus de 12 mois avant l'incident dont je m'occupe,
j'estime que tous les rapports qui constituent la pièce E-3
auraient dû être enlevés, avant l'audience, du dossier de l'em-
ployé qui s'estime lésé, et que je ne peux pas en tenir compte.
Pour ces motifs, j'accueille l'objection de l'avocat de l'employé
qui s'estime lésé, quant à la pièce E-3.
Il est regrettable, dois-je dire, qu'en ma qualité d'arbitre, je
ne puisse connaître toutes les circonstances qui entourent la
conduite de l'employé qui s'estime lésé. Il se peut que, pour
cette raison, ma décision semble injuste pour une des parties
sinon pour les deux. Le paragraphe 10.02 c) m'empêche de
remonter au-delà des 12 mois précédant le 18 décembre 1979.
Cela implique dans la présente cause que je ne peux pas
appliquer le principe de l'incident culminant, et que je ne peux
pas fouiller à fond le dossier de travail afin d'atténuer la
sévérité de la peine prononcée.
En tenant compte de la potion admissible du dossier ou du
dossier personnel de l'employé qui s'estime lésé, qui consiste
seulement en une réprimande pour avoir utilisé un langage
grossier envers un surveillant, j'estime que la pénalité qui a été
imposée est trop sévère. Dans des circonstances habituelles, un
employé sera probablement renvoyé s'il commet impunément
des infractions répétées et s'il a déjà été condamné à une
période de suspension de longue durée (voir Brown et Beatty,
Canadian Labour Arbitration, No 7:4310, aux pages 371 sqq.).
Le présent dossier est cependant assez unique et je ne serais pas
justifié d'appliquer la doctrine de l'incident culminant.
A mon avis, en tenant compte de l'insubordina-
tion qu'implique le fait pour un employé de mena-
cer un surveillant ou d'utiliser avec lui un langage
grossier, l'arbitre aurait pu conclure de la preuve
que les infractions commises par Marleau le 10
novembre 1978 et le 28 juillet 1979 étaient des
infractions «semblables» au sens du paragraphe
10.02 c) de la convention collective. Si l'arbitre
s'était posé la question de leur similitude et avait
décidé que les infractions étaient semblables, il
aurait alors pu tenir compte de l'infraction du 10
novembre 1978. Mais, à moins de conclure que les
infractions n'étaient pas semblables au sens de la
convention collective, celle-ci ne l'empêchait pas de
tenir compte de l'infraction précédente pour rendre
sa décision.
A mon avis, l'arbitre a commis une erreur de
droit en décidant qu'il ne pouvait pas tenir compte
de l'infraction du 10 novembre 1978 cause de la
convention collective, alors qu'il ne s'était pas
penché sur la question de la similitude des infrac
tions au sens de la convention collective et qu'il
n'avait pas décidé qu'elles n'étaient pas sembla-
bles. Il ne pouvait, sans avoir examiné et jugé cette
question, statuer sur la question de savoir si la
convention l'empêchait de tenir compte de l'infrac-
tion considérée.
Il a été allégué au nom de Marleau que l'arbitre
s'est implicitement penché sur la question et qu'il a
décidé que les infractions n'étaient pas semblables.
Mais je ne vois rien dans les motifs sur quoi on
puisse fonder une telle prétention. De plus, il me
semble que, puisque la signification du paragraphe
quant aux dates est discutée dans les extraits de la
décision que j'ai cités, mais qu'aucune conclusion
n'est tirée dans la décision sur la question de la
similitude des infractions, qui est toute aussi
importante pour l'application du paragraphe, la
conclusion qui s'impose est que cette question n'a
été ni examinée, ni tranchée.
J'estime donc qu'il y a lieu d'annuler la décision
et de renvoyer l'affaire à l'arbitre pour qu'il l'ap-
précie et la juge à nouveau, après avoir déterminé
si les infractions commises par Marleau le 10
novembre 1978 et le 28 juillet 1979 sont des
infractions semblables au sens de la convention
collective.
* * *
LE JUGE URIE: Je souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Je souscris.
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