T-3324-75
Warwick Shipping Limited (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, 6 juin; Ottawa, 13 juin 1980.
Pratique — Frais et dépens — Requête, introduite par les
représentants légaux du défunt défendeur dans cette action et
dans deux autres, tendant à la fixation d'une somme forfai-
taire tenant lieu de dépens taxés — Les procureurs du défunt
ont consacré de nombreuses heures à la préparation du procès,
qui portait sur de grosses sommes — Les procédures engagées
contre le défunt ont fait l'objet de désistements après sa mort,
mais ses procureurs savaient dès avant sa mort qu'on entendait
se désister de toutes les réclamations contre lui; ils ont conti-
nué à occuper pour lui après sa mort jusqu'au moment du
désistement — Requête rejetée au motif qu'après le décès de
M. Fearon, rien n'a été fait pour que ses exécuteurs testamen-
taires reprennent la procédure à leur compte, conformément
aux Règles 1724 et 1725 — Règles 2(2), 5, 344(1),(7)b),
406(1),(3), 1724, 1725(1) de la Cour fédérale.
Requête, introduite par les représentants légaux d'un défen-
deur décédé, Joseph Fearon, tendant à la fixation d'une somme
forfaitaire tenant lieu de dépens taxés dans cette action en
dommages-intérêts et dans deux autres. M. Fearon est décédé
avant que toutes les procédures engagées contre lui n'aient fait
l'objet d'un désistement. Mais lorsque le désistement est inter-
venu, ses procureurs savaient depuis quelque temps déjà qu'on
entendait se désister de toutes les réclamations contre lui. Les
procureurs ont assisté à beaucoup de réunions et d'interrogatoi-
res préalables dans les provinces maritimes, en Ontario et au
Québec, et consacré de nombreuses heures à l'étude de la
responsabilité de Fearon et de la limitation de celle-ci sous le
régime de la législation fédérale et provinciale. Ils ont continué
à occuper pour lui après sa mort, jusqu'au moment du désiste-
ment. Il a été allégué que les frais èt dépens prévus au tarif sont
insuffisants. Il y avait à déterminer si les procureurs de Fearon
étaient en droit de demander la fixation d'une somme forfai-
taire tenant lieu de dépens taxés.
Arrêt: la requête est rejetée. Un obstacle majeur s'oppose, sur
le plan de la procédure, à l'accueil des requêtes en instance.
Après le décès de M. Fearon, rien n'a été fait pour que ses
exécuteurs testamentaires reprennent la procédure à leur
compte, conformément aux Règles 1724 et 1725. A la diffé-
rence de l'article 479 du Code de procédure civile du Québec,
les Règles de la Cour fédérale ne prévoient pas la distraction
des dépens en faveur des avocats de la partie qui y a droit. Les
requérants soutiennent que la Règle 2(2) ou la Règle 5 (la règle
des lacunes) pourraient s'appliquer de façon à mettre en oeuvre
les pratiques du Québec dans ce domaine, mais cet argument
doit être rejeté. Les Règles de la Cour fédérale prévoient les
dépens et il n'y a lieu de suppléer à aucune omission du fait de
l'absence d'une disposition sur la distraction des dépens en
faveur des avocats d'une partie. Les avocats de M. Fearon, qui
ont présenté ces requêtes, ne sont donc pas parties ayant droit
au recouvrement des dépens. Ils prétendent représenter en fait
l'Administration de pilotage de l'Atlantique. Ils font valoir que
celle-ci leur a confié la défense de M. Fearon et que, conformé-
ment à l'accord conclu avec l'Administration, ils ont droit aux
dépens entre les parties, tels que ces dépens sont taxés par un
tribunal. Cet accord n'est pas opposable à la Reine.
Arrêts mentionnés: Smerchanski c. Le ministre du Revenu
national [1979] 1 C.F. 801; Manitoba Fisheries Ltd. c. La
Reine [1980] 1 C.F. 36; Aladdin Industries Inc. c.
Canadian Thermos Products Ltd. [1973] C.F. 942; Hills-
dale Golf & Country Club Inc. c. La Reine [1979] 1 C.F.
809; Crabbe e. Le ministre des Transports [1973] C.F.
1091; McCain Foods Ltd. c. C. M. McLean Ltd. [1980] 2
C.F. 580. Arrêts appliqués: Commission de la Capitale
nationale c. Bourque [N° 2] [1971] C.F. 133; Osborn
Refrigeration Sales and Service Inc. c. L'«Atlantean 1»
[1979] 2 C.F. 661.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Personne n'a comparu pour la demanderesse.
Michel Bourgeois pour Joseph Fearon.
James Mabbutt pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Ogilvy Renault, Montréal, pour la demande-
resse.
Major & Associates, Montréal, pour Joseph
Fearon.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Les représentants légaux de
feu Joseph Fearon a introduit une requête tendant
à la fixation d'une somme forfaitaire tenant lieu de
dépens taxés dans cette action et dans deux autres,
savoir Golden Eagle Canada Ltd. et la Commis
sion d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick
c. Sa Majesté la Reine, The Foundation Company
of Canada Ltd., mise-en-cause de première part,
et J. P. Porter Company Ltd., Henry J. Kaiser
Company (Canada) Ltd. et Standard Construc
tion Company Ltd., mises-en-cause de seconde
part, enregistrée au greffe sous le n° T-3325-75, et
Sa Majesté la Reine c. Le navire «Golden Robin»,
Warwick Shipping Limited, James T. Reid et
Golden Eagle Canada Limited, enregistrée au
greffe sous le n° T-553-76. Sans entrer dans les
détails, il est nécessaire de résumer brièvement les
faits. Feu Joseph Fearon pilotait le N.M. Golden
Robin lorsque survint, à Port Dalhousie (Nouveau-
Brunswick), un accident caractérisé par de multi
ples complications tant dans les faits que sur le
plan juridique. Par suite de cet accident, Warwick
Shipping Limited, d'une part, et Golden Eagle
Canada Ltd. et New Brunswick Electric Power
Commission, d'autre part, ont poursuivi la défen-
deresse en alléguant que l'accident était dû au fait
que le navire avait heurté un obstacle submergé.
La défenderesse a mis en cause des tiers, dont
Joseph Fearon, et fait valoir que, si elle était jugée
responsable envers les demanderesses, elle aurait le
droit de recouvrer des contributions auprès de
Fearon, conformément aux lois applicables du
Nouveau-Brunswick. Les mises-en-cause de
seconde part ont été citées en temps utile. Le
même accident a donné lieu à une troisième action,
intentée par Sa Majesté pour pollution au mazout.
Fearon était poursuivi dans cette dernière action,
et mis en cause dans les deux autres. D'après les
requérants, plus de 50 requêtes et autres actes de
procédure ont été présentés par les différentes
parties. Fearon a été interrogé pendant deux jours
par la défenderesse à l'action n° T-3325-75, au
cours d'un interrogatoire préalable auquel partici-
paient six parties représentées par neuf avocats.
Les dépositions, dont la transcription occupe 220
pages de papier, auraient porté sur des questions
techniques telles que les abords du port, les che-
naux à suivre, les aides à la navigation disponibles,
le degré de dragage accompli par les mises-en-
cause de seconde part, les marées, des courants,
etc. Son avocat soutient que pour le représenter
proprement, il a dû le rencontrer plusieurs fois en
présence d'experts afin de se faire une idée exacte
des environs de Port Dalhousie. Il fallait aussi
étudier les questions juridiques relatives à l'appli-
cation de la Loi sur la négligence contributive,
L.N.-B. 1973, c. C-19, et de la Loi sur les auteurs
de délits civils, L.N.-B. 1973, c. T-8 du Nouveau-
Brunswick, ainsi que les questions relatives à la
limitation de responsabilité prévue par la Loi, sur
le pilotage, S.C. 1970-71-72, c. 52, et à l'applica-
tion de la Partie XX de la Loi sur la marine
marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9.
Autant de questions qui auraient nécessité 100
heures de travail de recherche. Le capitaine du
Golden Robin a, lui aussi, été interrogé pendant
trois jours, et son témoignage occupe 387 pages de
transcription. Les avocats de Fearon, établis à
Montréal, ont dû assister aux interrogatoires préa-
lables comme aux réunions à Dalhousie (Nouveau-
Brunswick), à Halifax (Nouvelle-Écosse), à
Ottawa, à Toronto et à Montréal. Ils concluent à
l'insuffisance des frais et dépens prévus au tarif, à
la suite de l'application des Règles 344 et 345 de la
Cour fédérale, comme l'application par analogie
de la Règle 14 du Tarif du Barreau du Québec, et
compte tenu du fait que Joseph Fearon fut mis en
cause dans l'action n° T-3324-75 qui portait sur la
somme de $2,284,104.08, et qu'il était poursuivi
par Sa Majesté, pour la somme de $195,000 dans
l'action n° T-553-76. Malheureusement, Joseph
Fearon est décédé le 12 octobre 1977; le 4 ou 5
janvier 1978, la défenderesse s'est désistée de
toutes les procédures engagées contre lui, et le 18
juillet 1978, les intitulés de cause ont été modifiés
en conséquence. Les avocats de Fearon soutiennent
que ces désistements (en anglais: discontinuances
dans les Règles de la Cour) ne tenaient pas à la
mort de celui-ci, mais qu'ils en avaient été infor
més auparavant, Sa Majesté s'étant manifestement
rendue à l'affirmation faite par M. Fearon que sa
responsabilité était limitée de par la Loi sur le
pilotage, et certains règlements étant intervenus
entre-temps, dont le règlement de la poursuite en
pollution.
Tout en admettant que le gros du travail fait
pour le compte de feu M. Fearon est commun aux
trois actions, ses avocats ont essayé d'établir un
décompte des frais réclamés par action, en fonc-
tion des sommes en cause. Dans l'action au n°
T-3324-75, le montant réclamé, qui est de loin le
plus élevé, s'élève à $16,897 alors que les honorai-
res prévus au tarif se montent seulement à $1,575.
Dans l'action n° T-3325-75, la somme réclamée est
de $4,852.45 et les honoraires prévus au tarif,
seulement de $1,500, et dans l'action n° T-553-76,
les honoraires prévus au tarif se montent à $1,425
alors que la somme réclamée est de $5,691. Ils
admettent qu'en cas d'application des limitations
de responsabilité prévues par la Loi sur le pilotage,
la responsabilité de feu M. Fearon eût été seule-
ment de $500, mais soutiennent que des difficultés
juridiques se sont fait jour quant à la question de
savoir si le pilotage accompli était nécessaire ou
non, et qu'en tout cas, il encourait, du moins en
théorie, l'intégralité des dommages-intérêts récla-
més avant que la question de la limitation de
responsabilité ne se fût posée dans les plaidoiries.
Ils reconnaissent aussi qu'ils étaient au courant au
préalable de l'intention de Sa Majesté de se désis-
ter de toutes ses réclamations contre M. Fearon
mais que, même après sa mort, ils ont continué à
occuper pour lui jusqu'au moment du désistement.
La défenderesse ne conteste pas que les deux avo-
cats de l'étude représentant M. Fearon ont pu
passer le temps indiqué dans leurs affidavits à faire
des recherches, à assister aux interrogatoires préa-
lables, etc. Elle souligne cependant, qu'il est éton-
nant que des experts reconnus en affaires de pilo-
tage aient nécessité tant de temps pour faire des
recherches sur les différentes questions de droit en
jeu, en particulier dans une matière de limitation
de responsabilité. Dans l'arrêt Smerchanski c.
M.R.N. 1 , qui fait jurisprudence, le juge en chef
Jackett a rejeté une demande fondée sur la Règle
344(7) et tendant aux directives spéciales sur les
dépens prévus au tarif B, par ces motifs que le
délai imparti était expiré et que rien ne justifiait
une prorogation du délai de dépôt de cette
demande qui, conformément à la Règle 337(5) eût
dû être formulée dans les 10 jours du jugement.
Dans un passage qui est en fait un obiter dictum,
le savant juge en chef, qui instruisait seul cette
demande, s'est prononcé en ces termes à la page
805:
Finalement, j'estime que les documents à l'appui de la pré-
sente requête n'apportent rien qui puisse donner raisonnable-
ment ouverture à l'exercice par le juge du pouvoir discrétion-
naire d'augmenter les honoraires au titre des services de
solicitors et de conseils dans le cadre du présent appel. De telles
instructions doivent s'appuyer sur des motifs pertinents et ne
pas être arbitraires. On a seulement démontré en l'espèce que
l'intimé avait reçu un compte de frais extrajudiciaires très élevé
dans le cadre du présent appel. Ce fait aurait été pertinent si les
frais avaient été adjugés sur la base procureur-client; il ne l'est
généralement pas quand il s'agit de fixer les frais entre parties.
Rien n'indique que le déroulement de l'appel justifiait une
augmentation du tarif des frais entre parties.
Après avoir fait ressortir qu'il n'y a aucun principe
régissant la fixation des frais ordinaires entre par
ties, lesquels ne visent pas à indemniser intégrale-
ment la partie qui a gain de cause de ses frais
calculés sur la base procureur-client, il a ajouté à
la page 806:
J'hésite à admettre que le travail de préparation à lui seul, ou
doublé d'autres facteurs comme la difficulté ou l'importance
d'une affaire, justifie l'exercice du pouvoir discrétionnaire du
juge d'augmenter le montant des frais prévus au tarif B.
et plus loin [à la page 8061:
' [1979] 1 C.F. 801.
Si, ainsi que je le pense, les dépens entre parties en Cour
fédérale ne sont pas destinés à indemniser intégralement la
partie à laquelle ils seront versés, ils sont censés se limiter aux
sommes tout à fait arbitraires prévues par les règles, sous
réserve des modifications autorisées se fondant sur des facteurs
relatifs au déroulement de la procédure dont il s'agit.
Dans une décision plus récente, Manitoba Fish
eries Limited c. La Reine 2 , le juge suppléant
Smith a examiné en détail la jurisprudence anté-
rieure, y compris l'arrêt Aladdin Industries Incor
porated c. Canadian Thermos Products Limited
[1973] C.F. 942 (auquel s'opposait l'arrêt Smer-
chanski), l'arrêt Smerchanski lui-même et l'arrêt
Hillsdale Golf & Country Club Inc. c. La Reine
où j'ai interprété les conséquences de Smerchanski
et de l'arrêt Crabbe c. Le ministre des Transports 4
de la Cour d'appel fédérale. Le juge suppléant
Smith a conclu que, comme il s'agissait d'une
cause-type, il fallait allouer des honoraires raison-
nables et équitables.
Dans McCain Foods Limited c. C. M. McLean
Limited [1980] 2 C.F. 580, jugement en date du
13 décembre 1979 (j'ai appris qu'il a été porté en
appel*) où j'ai eu encore une fois l'occasion d'exa-
miner la jurisprudence Smerchanski, j'ai conclu [à
la page 583] des observations du savant juge en
chef selon lesquelles «Rien n'indique que le
déroulement de l'appel justifiait une augmentation
du tarif des frais entre parties» et «sous réserve des
modifications autorisées se fondant sur des fac-
teurs relatifs au déroulement de la procédure dont
il s'agit» que la Cour peut accorder une somme
plus élevée sur la foi des preuves soumises en la
matière, lors même qu'en principe, les frais entre
les parties ne visent pas à indemniser intégrale-
ment le temps et l'effort dépensés. Ce jugement a
été rendu à la suite d'un désistement tardivement
effectué après que la défenderesse eut engagé des
dépenses importantes pour s'opposer à l'action en
violation de marque de commerce. Dans ce juge-
ment, j'ai distingué la Règle 344(1) qui porte:
Règle 344. (1) Les dépens et autres frais de toutes les procé-
dures devant la Cour sont laissés à la discrétion de la Cour et
suivent le sort de l'affaire sauf ordonnance contraire. Sans
2 [1980] 1 C.F. 36.
[1979] 1 C.F. 809.
4 [1973] C.F. 1091.
* [[1981] 1 C.F. 534.]
limiter la portée générale, la Cour pourra prescrire le paiement
d'une somme fixe ou globale au lieu de frais taxés.
de la Règle 344(7)b) qui porte:
Règle 344...
(7) Une partie peut
b) après que la Cour aura décidé du jugement à prononcer,
au moment où la requête pour l'obtention d'un jugement est
présentée,
que le jugement ait ou non réglé la question des dépens,
requérir la Cour de donner, au sujet des dépens, des directives
spéciales aux termes de la présente Règle, y compris une
directive visée au tarif B, et de statuer sur tout point relatif à
l'application de tout ou partie des dispositions de la Règle 346.
parce que j'avais des doutes quant à l'applicabilité
de cette dernière Règle alors que j'étais convaincu
du caractère général de la Règle 344(1) qui exclut
toute taxation.
En l'espèce, la défenderesse conteste la nécessité
de nombreuses dépenses réelles faites par les avo-
cats représentant feu M. Fearon, et, en tout cas,
comme je l'ai souligné dans McCain (supra), il ne
faut pas, par l'application de la Règle 344(1) et
par la fixation d'une somme forfaitaire au lieu de
frais taxés, demander à un officier taxateur de
déterminer et de taxer les débours pour y ajouter
une somme forfaitaire afin d'en faire des honorai-
res. Je suis convaincu qu'il faut laisser de côté la
question des débours séparés et allouer un seul
ensemble de frais car le travail fait pour le compte
de M. Fearon est essentiellement le même dans les
trois actions. L'avocat de Sa Majesté émet égale-
ment des doutes sur la possibilité d'indemniser les
frais de voyage subis par les avocats de Fearon
pour assister aux interrogatoires préalables à Fre-
dericton et ailleurs, parce que si Fearon s'était fait
représenter par des avocats établis dans la ville
même de sa résidence, il ne leur aurait pas été
nécessaire d'engager ces dépenses. Il allègue aussi
que le gros de leur travail n'était pas nécessaire
pour protéger Fearon dans les différentes actions.
Ils ont certainement occupé avec diligence pour
lui. Un calcul précis serait très difficile, mais je
pense qu'il serait juste et équitable d'allouer une
somme forfaitaire de $10,000 pour couvrir à la fois
les honoraires et les débours relatifs aux trois
actions, et j'ordonnerais le versement de ce mon-
tant si je pouvais conclure au bien-fondé de cette
demande.
Il se pose à cet égard quelques points de droit
fort intéressants que je vais examiner. La Règle
406(1), qui traite du désistement, porte:
Règle 406. (1) Le demandeur peut, en tout temps antérieur à
la signification de la défense du défendeur, ou après cette
signification mais avant d''engager toute autre procédure dans
l'action (sauf une demande de décision interlocutoire), en dépo-
sant et signifiant un avis écrit approprié, se désister complète-
ment de son action ou retirer une des réclamations qu'il a
faites, et il doit dès lors payer les frais engagés par le défendeur
dans l'action, ou s'il ne s'est pas entièrement désisté de l'action,
les frais occasionnés au défendeur par la question ainsi retirée.
Ces frais, à défaut d'accord, peuvent être taxés.
et la Règle 406(3):
Règle 406... .
(3) Sauf dispositions contraires de la présente Règle, un
demandeur ne peut se désister d'une action sans permission de
la Cour; mais la Cour pourra, avant ou après une audition, aux
conditions qui semblent justes quant aux frais, à l'introduction
d'une action subséquente ou à d'autres questions, par ordon-
nance, donner suite à la demande de désistement de l'action ou
de radiation de toute partie des moyens invoqués à l'appui de la
plainte.
Lorsque Sa Majesté s'est désistée des trois actions,
il est manifeste qu'elle a déposé les avis de désiste-
ment, le 4 ou 5 janvier 1978, en application de la
Règle 406(1). M. Fearon étant décédé, elle n'a pas
demandé la permission de la Cour pour se désister.
Mais des mémoires de défense avaient été déposés
et Fearon avait comparu par la suite à l'interroga-
toire préalable. L'avocat de Sa Majesté soutient
que cet interrogatoire préalable ne constitue pas
[TRADUCTION] ((un incident de procédure dans
cette action». Si cet argument était fondé, les
avocats de Fearon ne pourraient pas réclamer une
majoration des dépens, lesquels seraient taxés en
cas de désaccord entre les parties, mais par contre,
si c'est le paragraphe (3) de la Règle 406 qui
s'applique et que la permission de la Cour soit
nécessaire en cas de désistement, la Cour peut
fixer des conditions spéciales pour les dépens. A
mon avis, ce serait une interprétation excessive-
ment restrictive du paragraphe (1) que de permet-
tre le désistement sans que les représentants de
Fearon soient consultés et sans qu'ils aient la
possibilité d'exprimer leurs vues au sujet des
dépens, alors qu'ils peuvent le faire lorsqu'une
ordonnance de la Cour est requise. L'action était
alors déjà très avancée et, en fait à part le procès
proprement dit, les avocats de Fearon avaient déjà
fait presque tout ce qu'il y avait à faire pour son
compte; ils y ont consacré des heures de travail et
des dépenses dépassant de loin les dépens qui
eussent été taxés en l'absence de toute directive
spéciale. A cet égard, il y a lieu de noter que les
représentants légaux de Fearon ne s'opposent nul-
lement au désistement, mais si celui-ci est réputé
avoir lieu le 5 janvier 1978, il leur serait mainte-
nant trop tard pour requérir une ordonnance spé-
ciale en matière de frais. Il est vrai que, dans les
trois actions, la Cour a ordonné la modification des
intitulés de cause pour en exclure le nom de
Fearon par suite des désistements. Le juge Maho-
ney a autorisé cette modification le 15 décembre
1978 dans l'action enregistrée sous le n°
T-3324-75, le juge Gibson l'a fait le 18 juillet 1978
dans l'action enregistrée sous le n° T-3325-75 et le
17 juillet 1978 dans l'action enregistrée au n°
T-553-76. Les ordonnances ont toutes été rendues
sur demande des avocats de feu M. Fearon, con-
formément à la Règle 324 et, bien qu'elles opèrent
acquiescement tacite aux désistements, elles ne
constituent pas des permissions de désistement
telles que les prévoit la Règle 406(3). La Cour n'a
même pas été saisie d'une demande formelle de
permission de désistement, qui eût été certaine-
ment accueillie, parce que de l'avis de toutes les
parties, il y avait lieu à désistement, lequel a été
opéré, par la modification des intitulés de cause.
On serait cependant fondé à conclure qu'il ne faut
pas considérer les présentes requêtes comme tardi-
ves, la Cour n'ayant pas été requise auparavant de
se prononcer sur les effets du désistement sur les
frais à allouer à feu M. Fearon, et ses avocats
n'ayant pas eu l'occasion de soulever ce point.
Cependant, un obstacle majeur s'oppose, sur le
plan de la procédure, à l'accueil des requêtes en
instance. Après le décès de M. Fearon, rien n'a été
fait pour que ses exécuteurs testamentaires repren-
nent la procédure à leur compte, conformément
aux Règles 1724 et 1725. A la différence de
l'article 479 du Code de procédure civile du
Québec, les Règles de la Cour fédérale ne pré-
voient pas la distraction des dépens en faveur des
avocats de la partie qui y a droit. Ce point a été
souligné par le juge en chef adjoint Noël dans
Commission de la Capitale nationale c. Bourque
[No 2] 5 et réitéré dans Osborn Refrigeration Sales
5 [1971] C.F. 133.
and Service Inc. c. L'<.Atlantean I» 6 . Les requé-
rants soutiennent que la Règle 2(2) et la Règle 5
(la règle des lacunes) des Règles de la Cour pour-
raient s'appliquer de façon à mettre en oeuvre les
pratiques du Québec dans ce domaine, mais cet
argument doit être rejeté. Les Règles de la Cour
fédérale prévoient les dépens et il n'y a lieu de
suppléer à aucune omission du fait de l'absence
d'une disposition sur la distraction des dépens en
faveur des avocats d'une partie. En conséquence,
les avocats de feu M. Fearon, qui ont introduit ces
requêtes, ne sont pas parties ayant droit au recou-
vrement des dépens. Ils prétendent représenter en
fait l'Administration de pilotage de l'Atlantique et
produisent, à l'appui de l'affidavit de M. Major,
un message télex en date du 23 janvier 1976 de cet
organisme leur confiant la défense de Joseph
Fearon, son employé, et leur confirmant que, con-
formément à un accord conclu entre l'Administra-
tion et M. Major, ils ont droit aux dépens entre les
parties, tels que ces dépens sont taxés et judiciaire-
ment établis par un tribunal. Cet accord conclu
entre les avocats de M. Fearon et l'Administration
de pilotage de l'Atlantique n'est cependant pas
opposable à Sa Majesté la Reine, contre qui ils
réclament des dépens sous forme de somme forfai-
taire, pas plus qu'il n'impose à la Cour fédérale
l'obligation de leur allouer des dépens. D'après
l'affidavit de Michael R. McGrath, trésorier de
l'Administration de pilotage de l'Atlantique, cel-
le-ci assumait toutes les dépenses engagées pour le
compte de Joseph Fearon dans les actions en jus
tice faisant suite à l'échouage du navire Golden
Robin, dont les honoraires d'avocats et les frais du
pilote Fearon dont l'affidavit énonce les détails.
S'il est vrai que c'est l'Administration de pilotage
de l'Atlantique qui recouvrera, en fin de compte,
les débours sous forme de dépens alloués par suite
du désistement dans les procédures intentées
contre M. Fearon, les avocats de ce dernier n'en
sont pas pour autant fondés à en réclamer le
recouvrement. Bien que la procédure la plus cor-
recte eût consisté dans l'introduction de ces requê-
tes par les exécuteurs testamentaires du défunt
eux-mêmes, la Cour pourrait permettre, à cette fin
à l'Administration de pilotage de l'Atlantique de
se constituer partie conformément à la Règle
1725(1) qui porte ainsi:
6 [1979] 2 C.F. 661, la page 691.
Règle 1725. (1) Lorsque, à quelque stade d'une procédure, le
droit ou l'obligation d'une partie quelconque est cédé ou trans-
mis à quelque autre personne ou lui est dévolu, la Cour pourra,
si elle l'estime nécessaire pour assurer qu'elle pourra, valable-
ment et complètement, juger toutes les questions en litige dans
la procédure et statuer sur elles, ordonner que cette autre
personne soit constituée partie à la procédure et, lorsque cela
s'applique, pourra aussi ordonner que les procédures se poursui-
vent comme si elle avait été substituée à la partie mentionnée
en premier lieu.
Cependant, je ne statue pas sur ce point qui n'a
pas été soumis à ma décision. En conséquence, il
faut rejeter les requêtes introduites par les avocats
de feu M. Fearon, sous réserve de leur droit de les
introduire de nouveau au nom de la ou des parties
ayant légitimement droit aux dépens par suite des
désistements, lorsque ces parties sont représentées
dans la procédure à la place de feu Joseph Fearon.
MM. Major et associés sont condamnés aux
dépens des requêtes en instance, qu'ils ont intro-
duites, ces dépens étant calculés pour les trois
requêtes considérées comme un tout.
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