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A-76-80
La Reine et le Conseil des ports nationaux (Appe- lants) (Défendeurs)
c.
Thorne's Hardware Limited, Kent Lines Limited, Canaport Limited et Irving Oil Limited (Inti- mées) (Demanderesses)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge suppléant Hyde—Montréal, 23 octobre; Ottawa, 13 novembre 1980.
Droit maritime Conseil des ports nationaux Limites du port agrandies de façon à englober les installations des intimées Appel contre la décision de la Division de première instance qui a refusé d'annuler le décret tout en déclarant que le Règlement concernant le tarif des droits de port ne s'appli- quait pas aux pétroliers des intimées Il échet d'examiner si le juge de première instance a commis une erreur Loi sur le Conseil des ports nationaux, S.R.C. 1970, c. N-8, art. 7, 8, 14(1)e) Limites du port de Saint-Jean déterminées, DORS/77-621 Tarif des droits de port, DORS/69-111.
Les intimées sont propriétaires d'installations portuaires près 1 de Saint-Jean. Par arrêté en conseil C.P. 1977-2115, les limites du port de Saint-Jean ont été étendues de façon à englober les installations des intimées, et le Conseil a commencé à percevoir les droits de port. Les appelants attaquent la décision de la Division de première instance qui a refusé d'annuler le décret, mais a déclaré que le Règlement concernant le tarif des droits de port ne s'appliquait pas aux pétroliers des intimées qui pénétraient dans le port.
Arrêt: l'appel est accueilli. Il est indiscutable que le gouver- neur en conseil tenait du paragraphe 7(2) de la Loi sur le Conseil des ports nationaux le pouvoir de modifier les limites du port de Saint-Jean. Les motifs qui ont pu présider à cette mesure ne pourraient affecter la validité du décret. De plus le fait que les intimées avaient des installations portuaires situées dans le territoire qui a été annexé au port ne signifie pas que le décret est discriminatoire ou invalide. En ce qui concerne l'effet du Règlement, le Conseil n'a exercé aucune juridiction ou contrôle sur les biens des intimées; il a tout simplement régle- menté le droit de circuler dans le port de Saint-Jean. Ce droit n'est ni un droit ni un bien privé des intimées. L'article 8 de la Loi n'a pas application en l'espèce. Enfin, les droits sont exigibles sans avoir égard au fait que des services aient ou n'aient pas été rendus au navire. De plus, l'imposition de ces droits est autorisée par le début de l'alinéa 14(1)e) de la Loi.
APPEL. AVOCATS:
C. Ruelland, c.r. et P. Plourde pour les appe- lants (défendeurs).
M. St-Pierre et L. Langlois, c.r. pour les intimées (demanderesses).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
les appelants (défendeurs).
Langlois, Drouin & Associés, Québec, pour
les intimées (demanderesses).
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE: Les demanderesses-intimées sont propriétaires d'installations portuaires à Mispec Point, près de Saint-Jean, Nouveau-Bruns- wick. Ces installations se trouvaient autrefois à quelque distance du port de Saint-Jean. Il en est autrement depuis le 21 juillet 1977. Ce jour-là, le gouverneur en conseil a décrété par l'arrêté en conseil C.P. 1977-2115 [DORS/77-621] que le port de Saint-Jean serait agrandi de sorte que, depuis ce temps, les installations portuaires des' intimées se trouvent à l'intérieur des limites du port. C'est ce décret qui est à l'origine du litige. Depuis qu'il a été pris, les intimées ne peuvent utiliser leurs installations sans que leurs navires pénètrent dans le port et sans devoir payer, en conséquence, les droits de port qui sont exigibles en vertu du Règlement B-1 du Conseil des ports nationaux [DORS/69-111] de tout navire qui pénètre dans un port. Les droits que les intimées ont ainsi payer du 21 novembre 1977 au 9 novembre 1979 s'élèvent à la somme de $128,- 033.21.
Les intimées ont poursuivi Sa Majesté et le Conseil des ports nationaux et demandé l'annula- tion du décret C.P. 1977-2115 et le rembourse- ment de la somme de $128,033,21. La Division de première instance a fait droit partiellement à cette demande [[1980] 2 C.F. 3]. Elle a refusé d'annuler le décret du gouverneur en conseil mais elle a déclaré que le Règlement B-1 concernant le tarif des droits de port ne s'appliquait pas aux pétroliers des intimées qui pénétraient dans le port pour utiliser leurs installations portuaires et elle a ordonné au Conseil des ports nationaux de rem- bourser la somme de $128,033.21.
Sa Majesté et le Conseil des ports nationaux en appellent de ce jugement qui est également atta- qué par les intimées qui n'acceptent pas que le premier juge ait refusé d'annuler l'arrêté en conseil C.P. 1977-2115.
Cette affaire soulève donc deux problèmes principaux:
(1) Le premier juge a-t-il eu raison de juger que le décret C.P. 1977-2115 modifiant les limites du port était valide?
(2) A-t-il eu raison de décider que le Règlement B-1, qui impose des droits aux navires pénétrant dans un port, n'était pas applicable aux navires des intimées?
1l est indiscutable que le gouverneur en conseil avait le pouvoir de modifier les limites du port de Saint-Jean. Ce pouvoir lui était conféré par le paragraphe 7(2) de la Loi sur le Conseil des ports nationaux, S.R.C. 1970, c. N-8:
7....
(2) Les limites des ports d'Halifax, Saint-Jean, Chicoutimi, Québec, Trois-Rivières, Montréal et Vancouver sont celles que décrit l'annexe, ou celles que détermine, à l'occasion, un décret du gouverneur en conseil, lequel décret doit être publié dans la Gazette du Canada.
Si les intimées contestent la validité du décret C.P. 1977-2115, c'est parce qu'elles prétendent que ce décret a été pris pour des motifs irréguliers et qu'il est discriminatoire à l'endroit des intimées. Elles soutiennent en effet que le motif principal qui a poussé les autorités à agrandir le port de Saint- Jean était de forcer les intimées, qui avaient, sem- ble-t-il, déjà bénéficié de l'assistance financière du gouvernement, à payer des droits au Conseil des ports nationaux. Ce motif, disent les intimées, est étranger au but que doit poursuivre le Conseil des ports nationaux et il en résulte, suivant elles, que le décret devrait être annulé.
C'est avec raison, me semble-t-il, que le premier juge a rejeté cette prétention. Le décret C.P. 1977- 2115 a vraiment modifié les limites du port de Saint-Jean et c'est évidemment dans ce but qu'il a été pris. Le gouverneur en conseil a donc, en prenant ce décret, exercé véritablement le pouvoir que le paragraphe 7(2) de la Loi lui conférait. Les motifs qui ont pu inciter le gouverneur en conseil à exercer ce pouvoir, outre qu'ils nous sont inconnus, importent peu, car je ne vois pas comment ils pourraient affecter la validité du décret. J'ajoute que le désir d'augmenter les revenus d'un port me paraît être un motif qui justifie la décision d'en étendre les limites.
Quant au caractère discriminatoire de l'arrêté en conseil C.P. 1977-2115, il vient tout simplement
du fait que les intimées avaient des installations portuaires situées dans le territoire qui a été annexé au port. L'arrêté en conseil n'en est pas pour autant invalide.
Reste maintenant à préciser l'effet du Règle- ment B-1 concernant le tarif des droits de port. Ce Règlement du Conseil des ports nationaux impose des droits à «tout navire qui entre dans un port ou qui est utilisé dans les limites d'un port.» Le pre mier juge a-t-il eu raison de décider que ce Règle- ment ne s'appliquait pas aux navires des intimées qui pénétraient dans le port pour utiliser leurs installations portuaires? Il faut, pour le savoir, étudier les motifs sur lesquels le juge a appuyé cette décision.
Le premier juge a d'abord fondé cette conclu sion sur l'article 8 de la Loi sur le Conseil des ports nationaux qu'il faut lire en même temps que celui qui le précède:
7. (1) Aux fins de la présente loi et selon qu'il y est prévu, le Conseil a juridiction sur les ports suivants: Halifax, Saint-Jean, Chicoutimi, Québec, Trois-Rivières, Montréal et Vancouver; et il administre, gère et régit de la même manière
a) tous les ouvrages et biens qui, le 1" octobre 1936, étaient administrés, gérés et régis par l'une des corporations;
b) tous autres ports, ouvrages et biens du Canada que le gouverneur en conseil peut transférer au Conseil pour qu'il les administre, gère et régisse.
(2) Les limites des ports d'Halifax, Saint-Jean, Chicoutimi, Québec, Trois-Rivières, Montréal et Vancouver sont celles que décrit l'annexe, ou celles que détermine, à l'occasion, un décret du gouverneur en conseil, lequel décret doit être publié dans la Gazette du Canada.
8. Sauf disposition expresse de la présente loi, rien à l'article 7 n'est censé conférer au Conseil la juridiction ou la régie sur des droits ou biens privés dans les limites de l'un quelconque des ports relevant du Conseil.
Ce premier motif ne me convainc pas. Suivant l'article 8, le Conseil ne peut exercer aucune juri- diction ou régie «sur des droits ou biens privés dans les limites» d'un port. En l'espèce, les «biens privés» dont il s'agit, ce sont les installations portuaires des intimées. Or, le Conseil ne me semble avoir exercé aucune juridiction ou régie sur ces installa tions en exigeant que les navires qui s'y dirigent paient les mêmes droits que tous les autres navires pénétrant dans le port de Saint-Jean. Il en serait autrement, bien sûr, si le Conseil avait prétendu réglementer la façon dont les intimées devaient utiliser leurs installations portuaires ou, encore, si
le Conseil avait réglementé directement l'accès à ces installations, par exemple, en imposant des droits à ceux qui les utilisent. Mais telle n'est pas la situation ici. Le Conseil des ports nationaux n'a exercé aucune juridiction ou contrôle sur les biens des intimées, il a tout simplement réglementé le droit de circuler dans le port de Saint-Jean: ce droit n'est ni un droit ni un bien privé des intimées'.
Le second motif pour lequel le premier juge a déclaré le Règlement B-1 inapplicable aux navires des intimées, c'est que le Conseil des ports natio- naux ne fournirait aucun service à ces navires. Il en résulterait, suivant le jugement de première instance, que le Conseil ne pourrait leur imposer de droits. Je regrette ne pouvoir partager cette opinion. Il est clair à la lecture du Règlement dont il s'agit que les droits qu'il impose sont «exigibles à l'égard de tout navire qui entre dans un port ou qui y est utilisé», sans éga rd au fait que des services aient ou n'aient pas été rendus à ce navire. Il me semble, de plus, que l'imposition de pareils droits est autorisée par le début de l'alinéa 14(1)e) de la Loi:
14. (1) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements, non incompatibles avec les dispositions de la présente loi, pour la direction, la conduite et la gouverne du Conseil et de ses employés, ainsi que pour l'administration, la gestion et la régie des divers ports, ouvrages et biens sous sa juridiction, y compris
e) l'imposition et la perception de droits sur les navires ou aéronefs qui entrent dans les ports, en font usage ou en sortent; sur les passagers; sur les cargaisons; sur les marchan- dises ou cargaisons de toute nature qui ont été introduites dans l'un des ports ou l'une des propriétés relevant de l'administration du Conseil ou qui en ont été prises, ou qui ont été débarquées, expédiées, transbordées ou emmagasinées dans l'un des ports ou sur l'une des propriétés ressortissant au Conseil, ou qui ont été déplacées à travers des propriétés dont l'administration relève du Conseil; pour l'usage de tout bien ressortissant au Conseil ou pour tout service rendu par le Conseil; et la stipulation des termes et conditions (y compris toute modalité visant la responsabilité civile du Conseil en cas de négligence de la part d'un fonctionnaire ou employé du Conseil) auxquels un tel usage peut être fait ou un tel service rendu;
' Voir: Le procureur général c. Conservators of the Thames (1862) 1 l - 1. & M. 1; Lyon c. The Wardens, &c., of the Fishmongers' Company (1876) 1 App. Cas. 662; Bell c. The Corporation of Quebec (1879) 5 App. Cas. 84; W. H. Chaplin & Co., Limited c. Mayor of the City of Westminster [1901] 2 Ch. 329.
Pour ces motifs, je ferais droit à l'appel, j'infir- merais le jugement attaqué et je rejetterais l'action des intimées avec dépens tant en première instance qu'en appel.
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LE JUGE LE DAIN: Je suis d'accord.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Je suis d'accord avec le juge Pratte.
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