T-5088-80
Elaine Joyçe Publicover (Requérante)
c.
La Reine, le ministre de la Défense nationale et
Earl Hubert Publicover, membre des Forces
armées canadiennes en service à l'étranger
(Intimés)
Division de première instance, le juge suppléant
Smith—Winnipeg, 23 octobre 1980 et 12 février
1981.
Brefs de prérogative — Brefs d'habeas corpus et de manda-
mus — La requérante demande que son fils soit placé sous sa
garde — Le père, membre des Forces canadiennes, est en poste
en Allemagne — Le remède poursuivi par la requérante con-
siste en un bref d'habeas corpus et un bref de mandamus
enjoignant au Ministre d'exécuter les ordonnances demandées
— La requérante n'a pas réussi à signifier les ordonnances
déjà rendues par la Cour du Banc de la Reine — L'intimé ne
voulait pas accepter la signification — Il échet d'examiner si
la Cour a compétence pour accorder le remède sollicité — Il
échet d'examiner si elle a compétence sur les membres des
Forces canadiennes en service en Allemagne — Dans l'affir-
mative, il échet d'examiner si cette compétence s'étend à la
signification et à l'exécution des ordonnances rendues par la
Cour dans un procès civil au Canada — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 17(5), 55(1),(4),(5)
— Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, c. N-4, art. 134.
La requérante demande que son fils soit placé sous sa garde.
Celui-ci vit actuellement en Allemagne avec son père. Le père
(l'intimé Publicover) appartient aux Forces canadiennes et est
en poste à Lahr, en Allemagne. Le remède poursuivi par la
requérante consiste en un bref d'habeas corpus identique à
celui qui a été décerné par la Cour du Banc de la Reine du
Manitoba, en une ordonnance lui confiant la garde de son fils et
en un bref de mandamus enjoignant à l'intimé E. H. Publicover
d'obtempérer aux ordonnances sollicitées et au ministre de la
Défense nationale de les exécuter. La requérante n'a pas réussi
à signifier le bref d'habeas corpus et les ordonnances connexes,
décernés par la Cour du Banc de la Reine, parce que l'intimé
Publicover ne voulait pas en accepter la signification. La requé-
rante soutient que cette Cour a compétence in personam sur le
personnel militaire canadien de la Base, vu les articles 17(5) et
55 de la Loi sur la Cour fédérale. Il échet d'examiner si la
Cour a compétence pour accorder le remède poursuivi, autre-
ment dit, si elle a compétence sur les membres des Forces
canadiennes en service à Lahr et, dans l'affirmative, si cette
compétence s'étend à la signification et à l'exécution des ordon-
nances rendues par elle dans un procès civil au Canada.
Arrêt: la demande est rejetée. La Cour a, dans certains
domaines, compétence in personam sur le personnel militaire
canadien de la Base. En règle générale toutefois, un membre
des Forces canadiennes a, en dehors du service militaire, le
même statut qu'un simple citoyen. Il y a beaucoup de choses
qu'il ne peut être forcé de faire. L'article 134 de la Loi sur la
défense nationale n'investit la police militaire que du pouvoir
d'appliquer le Code de discipline militaire et non du pouvoir
d'intervenir dans une affaire de famille comme un divorce. Pour
ce qui est de l'article 55(1), aucune loi du Parlement du
Canada n'a été rendue applicable à la Base des Forces cana-
diennes stationnée à Lahr, en Allemagne. L'article 55(4) et (5)
ne s'applique pas à l'exécution des brefs dans un pays étranger.
Le bref de mandamus n'est pas destiné à forcer un simple
particulier à faire quelque chose. Il y a lieu de le distinguer de
l'injonction de faire: il vise à contraindre un tribunal inférieur
ou tout autre organisme investi de fonctions judiciaires ou quasi
judiciaires à s'acquitter de ses attributions. De plus, le Ministre
n'est tenu à aucune obligation publique ou légale envers la
requérante.
Arrêts appliqués: Rossi c. La Reine [1974] 1 C.F. 531; La
compagnie Rothmans de Pall Mall Canada Ltée c. Le
ministre du Revenu national [1976] 1 C.F. 314.
DEMANDE.
AVOCATS:
K. Zaifman et M. Gutkin pour la requérante.
J. M. Remis pour l'intimé E. H. Publicover.
B. Meronek pour les intimés la Reine et le
ministre de la Défense nationale.
PROCUREURS:
Kopstein & Company, Winnipeg, pour la
requérante.
Simkin, Cantor, Goltsman & Rosenberg,
Winnipeg, pour l'intimé E. H. Publicover.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés la Reine et le ministre de la
Défense nationale.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: La présente
demande, introduite par une épouse séparée de son
conjoint, tend à l'octroi de plusieurs redressements
par lesquels elle se verrait remettre à sa garde son
dernier fils, Thomas Edward Publicover, âgé main-
tenant de 13 ans. En vertu d'un accord de sépara-
tion intervenu en 1976 entre la requérante et son
époux, l'intimé Earl Hubert Publicover, il était
entendu que la requérante aurait la garde exclu
sive des quatre enfants nés du mariage, dont
Thomas Edward Publicover. Le 8 janvier 1980, à
la suite de l'action en divorce intentée contre son
époux, elle a obtenu, par ordonnance du juge
Nitikman de la Cour du Banc de la Reine, la garde
exclusive et provisoire de ses enfants mineurs.
L'époux de la requérante appartient aux Forces
armées canadiennes et est actuellement en poste à
Lahr, en Allemagne. A l'été de 1980, Thomas
Edward Publicover alla en Allemagne pour voir
son père. Il devait revenir à Winnipeg par avion le
29 août 1980. Toutefois, vers le 8 août, la requé-
rante fut informée par Earl Hubert Publicover que
Tommy ne regagnerait pas Winnipeg, mais allait
rester pour de bon avec lui en Allemagne.
La requérante saisit la Cour du Banc de la
Reine. Le 28 août 1980, le juge Hunt rendit une
ordonnance qui prévoyait la délivrance d'un bref
d'habeas corpus enjoignant à l'intimé Earl Hubert
Publicover de faire comparaître Tommy devant un
juge de la Cour du Banc de la Reine, et qui
ordonnait également à tous les shérifs, shérifs
adjoints, agents de police et à la police militaire de
prendre toutes mesures propres à assurer l'exécu-
tion de ladite ordonnance du 28 août 1980 et de
l'ordonnance de garde provisoire du 8 janvier
1980. Le bref d'habeas corpus fut émis le 12
septembre 1980.
Le 4 septembre 1980, le juge Hunt ordonna
l'ajournement de l'affaire au 18 septembre 1980,
date à laquelle l'intimé devait exposer les raisons
pour lesquelles il ne devrait pas être trouvé coupa-
ble d'outrage au tribunal pour non-observation de
l'ordonnance du 28 août 1980 et de l'ordonnance
de garde provisoire du 8 janvier 1980.
La requérante n'a pas réussi à faire signifier à
l'intimé Earl Hubert Publicover, en Allemagne,
par l'entremise des autorités militaires, le bref et
les ordonnances susmentionnés. Le 18 septembre
1980, le juge Hunt ordonna que la signification à
personne des copies conformes des ordonnances et
du bref au commandant de la Base des Forces
canadiennes de Winnipeg ou à son adjudant vau-
drait signification à l'intimé. Le 24 septembre
1980, le procureur de la requérante fut avisé
qu'une telle signification avait été faite.
Le 2 octobre 1980, le juge Hunt ordonna la
délivrance d'un mandat d'arrêt pour faire amener
l'intimé devant lui ou tout autre juge de la Cour du
Banc de la Reine afin qu'il expose les raisons pour
lesquelles il ne devrait pas être trouvé coupable
d'outrage au tribunal pour non-observation de l'or-
donnance de garde provisoire du 8 janvier 1980, de
l'ordonnance du 28 août 1980 et du bref d'habeas
corpus daté du 12 septembre 1980. Le mandat
d'arrêt fut lancé le 9 octobre 1980. Toutefois,
comme l'intimé se trouve en Allemagne et qu'il
refuse d'accepter toute signification, ce mandat ne
lui a pas été signifié.
Ayant épuisé tous les recours possibles devant la
Cour du Banc de la Reine, la requérante introdui-
sit la présente requête devant la Division de pre-
mière instance de la Cour fédérale.
L'ordonnance de garde provisoire du 8 janvier
1980 a été déposée devant la présente Cour et, en
application de la Règle 1087 de la Cour fédérale,
est devenue ordonnance de la Cour.
Le redressement sollicité dans la présente
requête peut être résumé comme suit:
1. Un bref d'habeas corpus en termes identiques à
celui ordonné par le juge Hunt le 28 août 1980
devant la Cour du Banc de la Reine.
2. Une ordonnance exigeant que Tommy soit remis
à la garde de la requérante.
3. Un bref de mandamus:
a) enjoignant à l'intimé Earl Hubert Publicover
d'obtempérer
(i) au bref d'habeas corpus,
(ii) à l'ordonnance exigeant que Tommy soit
remis à la garde de la requérante, et
(iii) à l'ordonnance rendue par le juge Nitikman
le 8 janvier 1980;
b) ordonnant au ministre de la Défense nationale
de faire exécuter le bref d'habeas corpus, l'ordon-
nance sur la garde provisoire et l'ordonnance de
remise de Tommy à la garde de la requérante;
c) enjoignant aux shérifs, aux shérifs adjoints, aux
agents de police, à la police militaire et aux autres
agents de la paix de prendre toutes mesures pro-
pres à assurer l'exécution dudit bref et desdites
ordonnances;
d) ordonnant au ministre de la Défense nationale
de forcer l'intimé Earl Hubert Publicover à se
conformer audit bref et auxdites ordonnances;
e) prescrivant au ministre de la Défense nationale
d'ordonner à tous les shérifs, shérifs adjoints, aux
agents de police, à la police militaire, à tous les
autres agents de la paix et à toute personne sous
son contrôle de faire exécuter ledit bref et lesdites
ordonnances.
Le redressement sollicité devant la Cour fédé-
rale est le même que celui pour lequel la Cour du
Banc de la Reine a émis des ordonnances et un
bref. La seule différence réside dans le fait que la
présente Cour est maintenant priée de forcer le
Ministre à faire exécuter les ordonnances. La Cour
du Banc de la Reine a émis le bref d'habeas
corpus et les deux ordonnances en vertu de son
pouvoir d'exécution de ses ordonnances en matière
de divorce, en l'occurrence, l'ordonnance de garde
provisoire. La compétence de cette Cour en
matière de divorce est certaine, et la validité du
bref et des ordonnances par elle pris n'a nullement
été contestée en l'espèce. Naturellement, la pre-
mière question qui vient à l'esprit est celle de
savoir pourquoi le même redressement est sollicité
devant la présente Cour.
Il ressort de l'affidavit de Marla Gutkin que les
autorités militaires canadiennes en Allemagne et
au Canada étaient disposées à assister la Cour
dans l'exécution de ses brefs. Toutefois, en vertu
des règlements militaires, elles ne pouvaient le
faire que si l'intimé Earl Hubert Publicover voulait
bien accepter la signification des documents, ce qui
n'était pas le cas. Finalement, la signification lui a
été faite par signification au commandant de la
Base des Forces canadiennes de Winnipeg. Ni
cette signification ni la délivrance subséquente
d'un mandat d'arrêt n'ont ramené au Canada Earl
Hubert Publicover ou son fils Tommy.
La requérante croit que la présente Cour a une
compétence plus étendue que celle de la Cour du
Banc de la Reine, ce qui pourrait forcer le retour
au Canada de Tommy et de l'intimé. Elle s'appuie
tout d'abord sur l'article 17(5) de la Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, qui
est ainsi rédigé:
17....
(5) La Division de première instance a compétence exclusive
pour entendre et juger en première instance toute demande de
bref d'habeas corpus ad subjiciendum, de certiorari, de prohi
bition ou de mandamus, à l'égard d'un membre des Forces
canadiennes en service à l'étranger.
Ce paragraphe confère expressément à la pré-
sente Cour compétence exclusive pour instruire et
juger les demandes de redressement du genre de la
présente dirigées contre un membre des Forces
canadiennes en service à l'étranger. Pour ce qui est
de l'espèce présente, il n'est pas, à mon avis,
nécessaire de déterminer si le législateur a voulu,
dans les circonstances visées, soustraire à la Cour
du Banc de la Reine sa compétence pour instruire
et juger de semblables demandes en matière de
divorce, ou si, à supposer que telle ait été l'inten-
tion du législateur, ce paragraphe est conforme à
la Constitution.
Ce paragraphe ne traite toutefois pas de l'exécu-
tion des brefs mentionnés. Comment peut-on
forcer un membre des Forces canadiennes en ser
vice à l'étranger à rentrer en personne au Canada
ou à amener devant la présente Cour quelqu'un qui
se trouve également à l'extérieur du Canada?
Puisque l'ordonnance octroyant la garde provi-
soire a été enregistrée à titre d'ordonnance de la
présente Cour, je pourrais ordonner à l'intimé d'y
déférer et de remettre Tommy à la garde de la
requérante. Toutefois, rien dans la preuve ne
permet de croire qu'une telle ordonnance serait
plus efficace que les ordonnances rendues par la
Cour du Banc de la Reine. J'estime donc qu'il n'y
a pas lieu de rendre une ordonnance qui ne ferait
que reprendre l'ordonnance du juge Hunt. Le bref
d'habeas corpus, l'ordonnance du 28 août 1980 et
les ordonnances ultérieures de la Cour du Banc de
la Reine n'ont pas été enregistrés à la présente
Cour. Indépendamment de la question de savoir
s'ils pouvaient ou non être ainsi enregistrés, ni ce
bref ni ces ordonnances ne sont devenus ceux de la
présente Cour. A mon avis, il serait hors de propos
d'essayer, sur simple requête d'un plaideur, de
faire exécuter les ordonnances rendues par une
autre cour.
En fait, ce que veut la requérante c'est ravoir
son fils Tommy. Par conséquent, en plus d'un bref
d'habeas corpus, d'une ordonnance prescrivant la
remise de Tommy à sa garde et d'ordonnances
enjoignant à l'intimé Earl Hubert Publicover de se
conformer à ce bref et aux ordonnances émis par
la Cour du Banc de la Reine, qui n'auraient proba-
blement aucun effet, elle prie la présente Cour
d'émettre un bref de mandamus ordonnant au
ministre de la Défense nationale de faire exécuter
le bref d'habeas corpus et les autres ordonnances,
de forcer l'intimé Earl Hubert Publicover à s'y
conformer et de contraindre les shérifs, shérifs
adjoints, agents de police, la police militaire, tous
les autres agents de la paix et toute personne sous
son contrôle à les exécuter.
La seule raison qui, à mon avis, justifie la
demande à la présente Cour d'un nouveau bref
d'habeas corpus et d'une ordonnance prescrivant
la remise de Tommy à la garde de la requérante,
est que la compétence de la présente Cour s'éten-
dant à tout le Canada, l'existence de ce bref et de
cette ordonnance permettrait, selon la requérante,
à la Cour d'enjoindre au Ministre, qui réside à
Ottawa, d'exécuter les ordonnances qu'elle sollicite
contre ce dernier.
Il ressort de la plaidoirie de l'avocat à l'audience
que la requérante a peu d'espoir d'atteindre son
but si elle ne parvient pas à persuader la Cour de
rendre à l'encontre du Ministre les ordonnances
sollicitées. Il ne fait pas de doute que les autorités
militaires et leur chef civil, le ministre de la
Défense nationale, ont pouvoir, ne serait-ce que
pour des raisons de service, d'ordonner à l'intimé
Earl Hubert Publicover de rentrer au Canada et de
veiller à ce que ce dernier obéisse à cet ordre. A
supposer, pour le moment, que la présente Cour ait
compétence pour enjoindre au Ministre d'ordonner
le retour de Tommy, accompagné ou non de l'in-
timé, reste encore la question de savoir si la Cour
doit exercer cette compétence.
L'avocat de la requérante fait valoir que la Cour
a compétence pour accorder tous les redressements
sollicités, notamment les ordonnances enjoignant
au Ministre de faire tout ce qui pourra y être
précisé. Il invoque avant tout le paragraphe 17(5)
de la Loi sur la Cour fédérale (précité). Ce para-
graphe confère à la Division de première instance
de la Cour compétence exclusive pour entendre et
juger, entre autres, les demandes de bref d'habeas
corpus ou de mandamus. Rien n'y est dit quant à
l'exécution des brefs émis. En résulte-t-il que ce
paragraphe prévoit implicitement qu'une ordon-
nance obtenue au Canada dans une procédure
civile peut être exécutée contre un membre des
Forces canadiennes en service à l'étranger par des
moyens autres que ceux applicables aux personnes
n'appartenant pas à ces dernières?
A l'appui de sa prétention, l'avocat a également
invoqué l'article 55(1),(4) et (5). L'article 55(1)
est ainsi rédigé:
55. (1) Les brefs de la Cour sont exécutoires dans tout le
Canada, y compris ses eaux territoriales, et en tout autre lieu
où la législation adoptée par le Parlement du Canada a été
rendue applicable.
Il n'a été ni établi ni même soutenu qu'une
législation du Parlement canadien ait été rendue
applicable à la Base des Forces canadiennes sta-
tionnée à Lahr, en Allemagne. Et je n'ai, quant à
moi, jamais entendu parler d'une telle législation.
Le paragraphe (4) dispose notamment:
55....
(4) Un shérif ou prévôt doit exécuter le bref de la Cour qui
lui est adressé que cela l'oblige ou non à agir en dehors de son
ressort....
A mon avis, ce paragraphe n'est pas destiné à
s'appliquer à l'extérieur du Canada. Il ne veut pas
dire, par exemple, qu'un shérif à qui a été remis un
mandat d'arrêt contre une personne, est, par là,
autorisé à se rendre en un pays étranger pour
trouver celle-ci, l'arrêter et la ramener au Canada.
Pour les mêmes raisons, le paragraphe (5) ne
s'applique pas, à mon avis, à l'exécution des brefs
dans un pays étranger.
La requérante ne prétend pas que la Base des
Forces canadiennes de Lahr, en Allemagne, fait
partie du Canada. Une telle prétention ne pourrait
non plus être admise. Rien n'indique que tel soit le
cas, et c'est du reste le contraire qui serait éton-
nant. La requérante soutient que la présente Cour
a compétence légale quant à la Base, et non pas
compétence territoriale, ce qui je suppose signifie
qu'elle a compétence in personam sur le personnel
militaire canadien de la Base. Même si l'on con-
vient d'une telle compétence pour certaines fins, la
portée d'application de celle-ci reste incertaine.
L'avocat de l'intimé Earl Hubert Publicover
s'oppose à la demande pour plusieurs motifs. Il fait
tout d'abord valoir que des ordonnances portant
tous les redressements possibles ont été rendues
par la Cour du Banc de la Reine et que le fait que
la Cour ne puisse, semble-t-il, les faire exécuter ne
justifie pas la présente Cour d'accorder des redres-
sements semblables. Il insiste sur ce que la déli-
vrance par la Cour fédérale, en application de
l'article 17(5) de la Loi sur la Cour fédérale, d'un
nouveau bref d'habeas corpus ferait double emploi
avec l'ordonnance rendue par la Cour du Banc de
la Reine. La demande ne devrait donc pas, selon
lui, être accueillie.
Cet argument ne me convainc pas. La requé-
rante n'a pas pu faire exécuter le bref d'habeas
corpus et les autres ordonnances de la Cour du
Banc de la Reine parce que, en vertu d'un règle-
ment militaire exigeant l'assentiment du militaire
concerné à la signification des brefs judiciaires
avant que la coopération des autorités militaires
n'intervienne, assentiment qui a été refusé en l'es-
pèce, elle a été dans l'impossibilité d'obtenir la
coopération des autorités militaires de Lahr pour
la signification des brefs de la Cour à l'intimé.
C'est pour cette raison qu'elle n'a pas pu faire
exécuter ce bref et les autres ordonnances. Si
l'exécution d'ordonnances identiques rendues par
la présente Cour est possible par la coopération
forcée du Ministre, je ne pense pas que le fait qu'il
y ait double emploi dans les procédures soit de
nature à empêcher la requérante d'obtenir le
redressement demandé.
En second lieu, l'avocat fait état de la situation
de la Base des Forces canadiennes de Lahr. Je ne
considère pas cette question comme essentielle au
jugement de la présente affaire. La véritable ques
tion n'est pas de savoir si cette Base fait partie du
Canada, ce que rien ne tend à prouver et ce dont je
doute fort, mais de savoir si la présente Cour a
compétence sur les membres des Forces canadien-
nes en service à Lahr et si cette compétence, si
compétence il y a, s'étend à la signification et à
l'exécution des ordonnances rendues par la Cour
dans un procès civil au Canada, plus particulière-
ment lors de procédures de divorce.
En troisième lieu, l'avocat invoque le statut de
l'intimé Earl Hubert Publicover en sa qualité de
membre des Forces canadiennes. Il fait valoir que
ce statut n'expose pas l'intéressé à beaucoup plus
de redressements qu'un simple particulier. Il sou-
tient que les autorités militaires n'ont compétence
sur l'intimé qu'en matière militaire. A ce sujet, il
s'appuie sur l'article 134 de la Loi sur la défense
nationale, S.R.C. 1970, c. N-4, qui ne confère à la
police militaire que le pouvoir d'appliquer le Code
de discipline militaire, et non celui d'agir dans une
affaire personnelle comme des procédures de
divorce.
Ces arguments ne sont pas sans valeur. D'une
manière générale, un membre des Forces cana-
diennes est, pour les questions non reliées au ser
vice militaire, dans la même situation qu'un simple
citoyen. Il y a beaucoup de choses qu'il peut faire
ou ne pas faire, selon ce qu'il décide, mais qu'il ne
peut être forcé de faire. Le dernier point du para-
graphe précédent soulève la question de la portée
de l'article 55(5) de la Loi sur la Cour fédérale.
L'article 55 traite des brefs de la Cour et de leur
exécution. Le paragraphe (4) prévoit qu'un shérif
ou un prévôt doit exécuter les brefs de la Cour. Le
paragraphe (5) prévoit cependant que lorsqu'il n'y
a pas de shérif ou de prévôt ou que le shérif ou le
prévôt est incapable d'exercer ses fonctions ou ne
veut pas les exercer:
... le bref est adressé à un shérif adjoint ou prévôt adjoint, ou à
toute autre personne que peuvent prévoir les Règles ou une
ordonnance spéciale de la Cour visant un cas particulier ....
Il y a lieu de déterminer si une ordonnance de la
Cour enjoignant à la police militaire de prendre
toutes mesures propres à assurer l'exécution d'une
ordonnance donnée de la Cour entre dans le champ
d'application de l'expression «toute autre personne
que [peut] prévoir . .. une ordonnance spéciale de
la Cour visant un cas particulier.» Dans l'affirma-
tive, et je pense que telle était l'intention du légis-
lateur lors même que cela revient à donner à
l'expression «toute autre personne» une interpréta-
tion large, cela voudrait dire qu'une telle ordon-
nance pourrait être valablement adressée par la
Cour à la police militaire.
En dernier lieu, l'avocat soutient que le bref de
mandamus n'est pas destiné à forcer un simple
particulier à faire quelque chose. Je suis de cet
avis. Il y a lieu de distinguer le bref de mandamus
de l'injonction de faire. Il vise à contraindre un
tribunal inférieur, ou tout autre organisme ou
personne investi de fonctions judiciaires ou quasi
judiciaires à exercer ses attributions. Il n'est pas
destiné à forcer un particulier à faire quelque
chose. J'estime, par conséquent, que la requérante
à l'instance ne peut, en droit, obtenir de bref de
mandamus (l'un des anciens brefs de prérogative).
L'avocat du Ministre intimé fait valoir un autre
argument quant à la délivrance d'un bref de man-
damus enjoignant au Ministre de faire ce qui est
demandé dans la présente demande. Il soutient en
effet que rien ne permet le recours à ce bref pour
forcer le Ministre à intervenir dans les affaires
privées de l'intimé Earl Hubert Publicover. A l'ap-
pui de cette prétention, il cite deux décisions. La
première est Rossi c. La Reine [1974] 1 C.F. 531.
Dans cette affaire, le demandeur, détenu dans
un pénitencier canadien, demandait à l'encontre
du Solliciteur général et des fonctionnaires du
Service canadien des pénitenciers en leur qualité
de représentants de la Couronne, un bref de man-
damus leur enjoignant d'exposer pourquoi la Cour
ne devrait pas leur ordonner de fournir au deman-
deur toutes les pièces et renseignements relatifs
aux mandats lancés contre lui par les autorités des
États américains de la Floride et du Connecticut.
Aux pages 535 et 536, après avoir statué qu'on
ne peut recourir au mandamus contre la Cou-
ronne, le juge Walsh dit ce qui suit du droit
applicable aux fonctionnaires pénitentiaires
nommés dans l'action:
Il convient cependant de rejeter également la requête sur le
fond. Le but d'un bref de mandamus est d'obtenir l'accomplis-
sement d'un devoir public, dans l'exécution duquel le deman-
deur a un intérêt suffisant en droit. Cette procédure ne peut pas
servir à obtenir l'exécution d'un simple devoir moral ou à
commander l'accomplissement d'un acte contraire à la loi.
Il cite alors S. A. de Smith, dans son ouvrage
Judicial Review of Administration, 2e édition, aux
pages 561 563:
[TRADUCTION] Et .. . on ne peut pas non plus le délivrer
relativement à un simple devoir privé ... ou à l'encontre d'un
intimé qui n'est pas soumis aux ordres de la Cour ou à qui ledit
devoir n'incombe pas.
Selon l'avocat, il n'est, en l'espèce, nullement
question de devoir public du Ministre envers la
requérante ou quiconque. Je souscris à cet
argument.
La seconde décision invoquée est La compagnie
Rothmans de Pall Mall Canada Limitée c.
M.R.N. [1976] 1 C.F. 314.
Il s'agissait dans cette affaire d'une demande
tendant à l'octroi de plusieurs des redressements
extraordinaires, notamment un bref de mandamus
enjoignant au Ministre intimé et à son sous-minis-
tre d'inclure dans la longueur des cigarettes, telle
que définie à l'article 2 de la Loi sur l'accise,
S.R.C. 1970, c. E-12, modifiée, la longueur du
filtre (où il n'y a pas de tabac) aux fins de calculer
le nombre de cigarettes sur lesquelles seront impo-
sés et perçus des droits en vertu de la Loi sur
l'accise.
L'article 6 de la Loi sur l'accise définit le mot
«cigarette». Dans cette définition se trouve la dis
position suivante:
... lorsqu'une cigarette dépasse quatre pouces de longueur,
chaque tranche de trois pouces ainsi que la fraction supplémen-
taire, le cas échéant, compte pour une cigarette;
Cette disposition a pour conséquence qu'une
cigarette dont la longueur est supérieure à quatre
pouces doit être considérée comme deux cigarettes
aux fins de l'accise.
Avant 1975, aucune cigarette en vente au
Canada n'avait une longueur totale supérieure à
quatre pouces, filtre inclus. En 1975, deux sociétés
ont mis en vente au Canada des cigarettes ayant
une longueur totale supérieure à quatre pouces si
on tient compte du filtre, mais inférieure à quatre
pouces si on en fait abstraction. Le ministère du
Revenu national, après avoir consulté des avocats,
conclut que la Loi sur l'accise devait être appli-
quée et les droits qu'elle imposait être calculés sur
la base qu'une cigarette dont la partie contenant
du tabac mesure moins de quatre pouces doit être
considérée comme une seule unité, même si la
longueur totale, filtre compris, dépasse quatre
pouces.
Les sociétés requérantes, qui ne fabriquaient
aucune cigarette ayant une longueur totale supé-
rieure à quatre pouces et qui prétendaient que la
décision du Ministère favorisait indûment les deux
sociétés intimées, intentèrent l'action considérée
afin d'amener le Ministère à prendre en compte le
filtre dans le calcul de la longueur d'une cigarette
aux fins de l'accise.
Le juge Heald a rejeté la demande au motif que
la Cour n'avait pas compétence pour intervenir.
Aux pages 320 et 321, il s'exprime en ces termes:
Selon la jurisprudence, il semble que lorsqu'un ministre agit à
titre de préposé ou mandataire de la Couronne et que le
Parlement ne lui a pas imposé une obligation particulière envers
un citoyen, il ne peut être poursuivi pour manquement à
l'exécution d'une obligation. Les tribunaux n'interviendront que
lorsque la loi impose au ministre une obligation absolue de
poser un acte particulier qui comporte une obligation juridique
envers un individu. Dans un tel cas, le ministre est responsable
vis-à-vis de l'individu faisant l'objet de l'obligation et non
vis-à-vis de la Couronne.
Rien dans les circonstances de l'espèce n'auto-
rise à conclure que le Ministre a une obligation
juridique envers la requérante.
Vu les faits de l'espèce et le droit applicable,
j'estime que la Cour n'a nullement compétence
pour intervenir et ordonner le redressement solli-
cité. La demande sera dès lors rejetée.
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