A-718-80
Evie Arghiri (Requérante)
c.
J. L. Manion, président de la Commission de
l'emploi et de l'immigration du Canada, et le
sous-procureur général du Canada (Intimés)
Cour d'appel, le juge en chef Thurlow, le juge Urie
et le juge suppléant Kerr—Ottawa, 19 janvier et 5
février 1981.
Pratique — Requête en radiation des plaidoiries — Requête
en annulation de la demande d'examen judiciaire — La requé-
rante a été renvoyée sommairement de son poste à l'ambassade
canadienne à Athènes — Il échet d'examiner si la requérante a
été nommée à titre amovible — Il échet d'examiner si la
décision de l'intimé est légalement soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire _ Requête rejetée — Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 28 — Loi
d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, art. 22(1), 23(1).
L'intimé oppose une exception d'incompétence à la demande
d'examen judiciaire. La requérante demande l'examen judi-
ciaire de son renvoi sommaire du poste qu'elle occupait à
l'ambassade canadienne à Athènes, en soutenant que l'intimé
n'a pas observé les principes de justice naturelle et qu'il n'avait
compétence ni pour renvoyer la requérante ni pour lui refuser
une pension. Le dossier de la demande n'a pas été produit. Il
échet en premier lieu d'examiner si la requérante a été nommée
à titre amovible et si, de ce fait, elle peut être renvoyée sans
être entendue. Il échet en second lieu d'examiner si le droit de
l'intimé de renvoyer la requérante est légalement soumis à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire. Pour cela, il faut
examiner les critères posés par l'arrêt Le ministre du Revenu
national c. Coopers and Lybrand [1979] 1 R.C.S. 495. Ces
critères sont: (1) Les termes utilisés pour conférer la fonction
ou le contexte général dans lequel cette fonction est exercée
donnent-ils à entendre que l'on envisage la tenue d'une
audience avant qu'une décision soit prise? (2) La décision
porte-t-elle atteinte aux droits et obligations de quelqu'un? (3)
S'agit-il d'une procédure contradictoire? (4) S'agit-il d'une
obligation d'appliquer les règles de fond à plusieurs cas indivi-
duels plutôt que de l'obligation d'appliquer une politique sociale
et économique au sens large?
Arrêt: la requête est rejetée.
Le juge en chef Thurlow: Quant à la première question, la
Cour ne possède pas suffisamment d'éléments d'information
pour déterminer la nature du poste occupé par la requérante.
De plus, il n'est pas évident qu'il s'agisse, du poste auquel
l'intimé l'a nommée, ni d'un poste auquel il pouvait la nommer.
Quant à la deuxième question, il s'agit d'une décision où il y a
éminemment lieu d'inférer que la décision de renvoi est soumise
à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. Le seul motif du
renvoi est la mauvaise conduite. En conséquence, il y a lieu de
soumettre cette décision à un processus quasi judiciaire, ne
serait-ce qu'au motif que la notion de «mauvaise conduite» n'est
pas définie et qu'aucune norme n'est prescrite, ce qui permet
une certaine latitude et la possibilité de tenir compte de consi-
dérations d'intérêt public. En ce qui concerne le premier critère
énoncé par la Cour suprême du Canada, l'existence d'un pou-
voir de révocation pour mauvaise conduite, particulièrement
lorsque celui-ci s'inscrit dans un ensemble où le pouvoir de
suspension pour mauvaise conduite et pour négligence dans
l'accomplissement des fonctions se trouve assujetti à des garan-
ties tant de procédure que judiciaires, laisse supposer que
l'exercice de ce pouvoir, quand même plus grand, est, lui aussi,
soumis aux garanties judiciaires. Quant au deuxième critère, la
décision de renvoi pour mauvaise conduite touche directement
et gravement l'employé, tant par la perte de son emploi que par
ses incidences sur les droits accessoires à l'emploi. Quant au
troisième critère, chaque fois que la mauvaise conduite est
contestée, une procédure contradictoire s'engage et un litige est
né. Enfin, quant au quatrième critère, il ne s'agit pas du
pouvoir d'élaborer ou d'appliquer une politique sociale ou éco-
nomique au sens large. Il faut plutôt appliquer cette notion de
mauvaise conduite dans un cas particulier afin de déterminer
s'il y a eu mauvaise conduite. Les quatre critères indiquent que
le pouvoir de renvoi est légalement soumis à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire.
Le juge Urie: La requête est rejetée par ce motif que la Cour
ne dispose pas de tous les éléments qui lui permettraient d'y
faire droit.
Arrêt appliqué: Le ministre du Revenu national c. Coopers
and Lybrand [1979] 1 R.C.S. 495. Arrêts mentionnés:
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of
Commissioners of Police [1979] 1 R.C.S. 311; Ridge c.
Baldwin [1964] A.C. 40; Cooper c. Wandsworth Board of
Works (1863) 14 C.B.N.S. 180; Martineau c. Le Comité
de discipline de l'Institution de Matsqui [1980] 1 R.C.S.
602.
REQUÊTE.
AVOCATS:
J. Bruce Carr -Harris pour la requérante.
W. L. Nisbet, c.r. pour les intimés.
PROCUREURS:
Scott & Aylen, Ottawa, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: L'intimé sollicite
le prononcé d'une ordonnance annulant, sur le
fondement que la Cour n'a pas compétence pour
en connaître, la demande fondée sur l'article 28 de
la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), c. 10, présentée par la requérante, Evie
Arghiri. Cette demande tend à l'examen et à l'an-
nulation de la décision, rendue le 1" juin 1978 ou
vers cette date par l'intimé, [TRADUCTION] «par
laquelle la requérante fut, en application de l'arti-
cle 6.48 du Règlement de 1956 concernant le
personnel recruté sur place à l'étranger, renvoyée
de son poste à l'ambassade canadienne à Athènes
et par laquelle il fut décidé qu'en vertu de l'article
14(1)g) du Règlement sur la pension des employés
recrutés sur place à l'étranger du Conseil du
Trésor, elle ne recevrait pas de pension de
retraite.»
Il est allégué dans l'avis introductif de requête:
[TRADUCTION] (1) Que l'intimé, M. Manion, en déniant à la
requérante, avant de la révoquer et de lui refuser une pension
de retraite, l'occasion d'entendre les accusations portées contre
elle et de se défendre, n'a pas observé les principes de la justice
naturelle;
(2) Que l'intimé, M. Manion, n'avait pas compétence pour
révoquer la requérante et lui refuser une pension de retraite
après les 24 ans de service satisfaisant de cette dernière.
Le moyen déclinatoire soulevé par l'intimé est
que la décision attaquée était une décision admi
nistrative non légalement soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire et que cette Cour n'a
donc pas compétence pour l'examiner en vertu de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale'.
A ce stade-ci d'une requête en annulation, si je
ne m'abuse, il incombe à la partie qui présente la
requête de faire connaître à la Cour, sous une
forme acceptable, les faits propres à établir qu'il
ne s'agit pas d'une procédure dont la Cour a le
droit de connaître. En l'espèce, le dossier devant,
aux termes de la Règle 1402(3), être envoyé à la
Cour afin -que, celle-ci puisse statuer sur la
demande fondée sur l'article 28, ne l'a pas été et la
documentation à partir de laquelle la requête sera
jugée est mince. Elle ne me semble constituer
qu'une base incomplète et peu satisfaisante pour
statuer sur la validité des moyens déclinatoires
soulevés par l'intimé.
' 28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute
autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger
une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou
ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature
administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com
mission ou un autre tribunal fédéral ...
Cette documentation consiste en (1) plusieurs
paragraphes contenus dans le mémoire déposé
pour le compte de la requérante à l'appui de la
requête de celle-ci et qui, aux fins de la présente
requête, ont été repris à l'audience par l'avocat de
l'intimé et (2) l'affidavit de Bernard Brodie déposé
pour le compte de l'intimé à l'appui de la requête
en annulation.
Les paragraphes tirés du mémoire sont ainsi
libellés:
[TRADUCTION] a) La requérante, citoyenne grecque, fut
engagée en février 1954 comme secrétaire de bureau à
l'ambassade canadienne à Athènes.
b) Plus de 24 ans plus tard la requérante, qui avait été
promue agent de programme d'immigration et dont le rende-
ment avait été reconnu «entièrement satisfaisant», fut som-
mairement révoquée au motif qu'elle s'était prétendument
rendue coupable de mauvaise conduite en «abusant de ses
fonctions».
c) La décision de révoquer la requérante comportait l'extinc-
tion de son droit à la pension de retraite basée sur ses 24
années de service.
d) La requérante, tant avant qu'après la date de révocation,
soit le 7 juillet 1978, a demandé à maintes reprises, et
toujours en vain, que soient précisées les accusations portées
contre elle et qu'on lui permette de les contester.
e) La requérante, par suite de sa révocation, ne peut obtenir
en Grèce que des emplois temporaires, car elle n'a pas de
certificat de travail relatif au poste qu'elle a occupé pendant
plus de 24 ans à l'ambassade canadienne. De plus, la requé-
rante est considérée par l'Organisation du fonds national
d'assurance de son pays comme ayant été une employée
permanente de la Fonction publique canadienne, ce qui la
prive du droit de recevoir une pension de retraite des auto-
rités grecques.
3. Au moment de la révocation, l'emploi de la requérante était
régi par le Règlement de 1956 concernant le personnel recruté
sur place à l'étranger.
L'affidavit de Brodie est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] Je, BERNARD BRODIE, fonctionnaire résident
de la ville d'Ottawa dans la province d'Ontario, déclare sous
serment ce qui suit:
1. Au mois d'octobre 1977 ou vers cette date, j'ai assumé le
poste d'Agent de projets spéciaux à la Direction extérieure de la
Commission de l'emploi et de l'immigration à Ottawa et, le 28
juin 1978 ou vers cette date, je suis entré en fonctions comme
Chef de la Division de l'administration du personnel à la
Direction extérieure de la Commission de l'emploi et de l'immi-
gration à Ottawa. Dans l'exercice des fonctions de ces postes,
j'ai eu accès sans restriction aux dossiers du personnel de la
Direction extérieure de ladite Commission, y compris celui de
la requérante, et les faits faisant l'objet du présent affidavit
ressortent de l'examen de ces dossiers.
2. L'intimé J.L. Manion était, à l'époque visée aux présentes
procédures, président de la Commission de l'emploi et de
l'immigration, poste qu'il occupa jusqu'au 31 août 1979. C'est
le 4 février 1954 que la requérante entra en fonctions comme
employée recrutée sur place à l'ambassade canadienne située à
Athènes en Grèce. Elle resta en fonctions jusqu'au 7 juillet
1978, date de sa révocation. Au moment de son congédiement,
la requérante travaillait comme assistante de programme
d'immigration.
3. La requérante était employée sous le régime du Règlement
concernant le personnel recruté sur place à l'étranger, approuvé
par le Conseil du Trésor le 12 avril 1956 et adopté en vertu de
l'alinéa 7c) de la Loi sur l'administration financière, S.R.C.
1952, c. 116. Ce Règlement est devant moi et est annexé au
présent affidavit comme pièce «A». Ce Règlement marqué pièce
«A» fut remplacé par le Règlement régissant les conditions
d'emploi du personnel recruté sur place, approuvé par le Con-
seil du Trésor le 17 juillet 1978 et adopté en vertu de l'alinéa
5e) de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, c.
F-10. Copie dudit Règlement est devant moi et annexée au
présent affidavit comme pièce «B».
4. L'intimé J.L. Manion a décidé, le l» juin 1978, en sa qualité
de président de la Commission de l'emploi et de l'immigration
(poste qu'il occupait du fait de sa nomination comme sous-
ministre de l'Emploi et de l'Immigration), de révoquer la
requérante. Par lettre datée du 20 juin 1978, la requérante fut
avisée qu'elle était révoquée et que sa révocation prenait effet
le 7 juillet 1978. Copie de ladite lettre est devant moi et
annexée au présent affidavit comme pièce «C».
5. Comme elle avait été engagée sous le régime du Règlement
de 1956 concernant le personnel recruté sur place à l'étranger,
les conditions de travail de la requérante ne comportaient pas le
droit pour cette dernière de présenter un grief relativement à
l'interprétation ou à l'application faite dans son cas desdites
conditions de travail ou relativement à son congédiement par
ses supérieurs. Le Règlement ne prévoyait pas non plus que la
requérante était employée autrement qu'à titre amovible.
6. L'article 5.2.2 du Règlement régissant les conditions d'em-
ploi du personnel recruté sur place de 1978 prévoit la présenta-
tion, par les personnes visées dans le Règlement, de griefs
relatifs à une cessation d'emploi décidée par le chef de mission
concerné. Cette procédure des griefs ne comprend pas le droit
de renvoyer un grief à l'examen d'une tierce partie et la
décision rendue par le Sous-secrétaire en dernier ressort est
sans appel à toutes fins que de droit à l'encontre de l'employé
lésé. Voir le sous-alinéa 5.2.2(5) du Règlement.
7. Le Règlement régissant les conditions d'emploi du personnel
recruté sur place de 1978 ne fut distribué aux missions cana-
diennes à l'étranger qu'environ neuf mois après son approbation
par le Conseil du Trésor, le 17 juillet 1978.
8. La requérante, bien que s'étant plainte par écrit de sa
révocation, n'a nullement tenté de se prévaloir de la procédure
des griefs prescrite à l'article 5.2.2 du Règlement régissant les
conditions d'emploi du personnel recruté sur place de 1978.
9. La plainte de la requérante fut, après examen par l'intimé J.
L. Manion et par d'autres personnes relevant alors de lui,
rejetée. Manion, en se penchant sur la plainte portée par la
requérante, agissait comme représentant supérieur de l'une des
parties au différend ou conflit soulevé par la révocation de la
requérante, soit l'employeur. Il n'agissait ni en qualité de juge
ni en qualité d'arbitre. En prenant la décision de révoquer la
requérante et de rejeter sa plainte contre la révocation, Manion
a agi de façon purement administrative et sa décision n'était
pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi
judiciaire.
10. La requérante, pendant toute la durée de son emploi à
l'ambassade canadienne à Athènes, était un «fonctionnaire
public» au sens du paragraphe 2(1) de la Loi d'interprétation,
S.R.C. 1970, c. I-23. En tant que «fonctionnaire public» et aux
termes du paragraphe 22(1) de la Loi d'interprétation, elle est
obligatoirement réputée avoir été nommée à titre amovible
seulement puisque, lors de sa nomination, rien d'autre ne fut
convenu.
11. Pendant la période de son emploi à l'ambassade canadienne
à Athènes, la requérante était couverte par un régime de
pension régi par le Règlement sur la pension des employés
recrutés sur place à l'étranger, dont copie est devant moi et
annexée au présent affidavit comme pièce «D».
12. Pendant la période de 1954 1974, la requérante ne fut pas
tenue de contribuer au régime. Pendant la période allant du I'
janvier 1975 au 7 juillet 1978, la requérante a dû contribuer à
ce régime de pension, avec le gouvernement du Canada.
13. La requérante, au moment de son congédiement, le 7 juillet
1978, n'avait droit qu'au remboursement, avec intérêts, du
montant de ses contributions. La somme de 62,839 drachmes
(en devises grecques), soit le montant de ses contributions au
régime de pension depuis le 1"P janvier 1975 plus les intérêts au
taux de 4% par an, lui fut versée le 2 août 1978 ou vers cette
date. Copie de la lettre datée du 31 juillet 1978 informant la
requérante du montant du remboursement des contributions est
devant moi et annexée au présent affidavit comme pièce «E».
14. Le Sous-ministre, en vertu du paragraphe 7(2) du Règle-
ment sur la pension des employés recrutés sur place à l'étran-
ger, jouit d'un pouvoir discrétionnaire illimité d'accorder, de
réduire ou de retenir tout paiement à l'employé visé dans ledit
Règlement.
15. Le présent affidavit est établi à l'appui d'une demande,
présentée par les intimés sur le fondement de la Règle 1100 des
Règles de la Cour fédérale du Canada, tendant à faire mettre
fin aux procédures conformément à l'alinéa 52a) de la Loi sur
la Cour fédérale.
On remarquera que cet affidavit ressemble
davantage à un exposé de moyens qu'à un exposé
de faits. Il regorge non seulement d'arguments et
de conclusions mélangées de fait et de droit, con
clusions dont pas une seule n'est recevable ou ne
peut être prise en considération, mais aussi d'inter-
prétations quant à l'effet de certains documents.
Sauf lorsqu'il fournit en annexe copie des Règle-
ments et des lettres qu'il mentionne, l'affidavit,
dans l'ensemble, n'ajoute guère aux faits exposés
au mémoire de la requérante. Sa plus grave lacune
est de n'être pas accompagné des documents ayant
trait à l'engagement et à la promotion de la
requérante.
Le premier moyen avancé à l'appui de la requête
(bien qu'on n'ait ni insisté sur, ni abandonné,
celui-ci) est que la requérante ayant, aux termes
du paragraphe 22(1) 2 de la Loi d'interprétation,
été nommée à titre amovible, elle pouvait, en vertu
du paragraphe 23(1) de la même Loi, être révo-
quée sans audition par l'intimé, qui, a-t-on pré-
tendu, du fait qu'il détenait le pouvoir de nommer
la requérante à son poste, était autorisé à exercer
celui conféré par le paragraphe 23(1) 3 .
J'estime que la Cour, à ce stade-ci, n'est pas en
possession de suffisamment de renseignements
pour déterminer la nature du poste occupé par la
requérante. D'ailleurs, il n'est pas clair qu'il
s'agisse d'un poste auquel l'intimé l'avait nommée
ou auquel ce dernier avait le pouvoir de la
nommer. Par conséquent, dans la mesure où la
requête est fondée sur la prétention selon laquelle
l'intimé jouissait, en vertu du paragraphe 23(1) de
la Loi d'interprétation, d'un pouvoir discrétion-
naire illimité de révoquer la requérante pour mau-
vaise conduite et ce, sans l'informer de l'accusation
portée contre elle ou sans l'entendre, j'estime que
les faits de nature à appuyer cette prétention n'ont
pas été suffisamment établis pour permettre à la
Cour de statuer sur cette dernière à ce moment-ci
des procédures. J'ajouterai toutefois que même si
2 22. (1) Chaque fonctionnaire public nommé avant ou après
le 1" septembre 1967 ou à cette date, aux termes ou sous le
régime d'un texte législatif ou autrement, est réputé avoir été
nommé à titre amovible seulement, sauf disposition contraire
dudit texte ou de sa commission ou nomination.
3 23. (1) Les mots autorisant la nomination d'un fonction-
naire public à titre amovible comportent le pouvoir
a) de mettre fin à sa charge, de le destituer ou de le
suspendre de ses fonctions,
b) de le nommer de nouveau ou de le réintégrer dans ses
fonctions, et
c) d'en nommer un autre qui le remplacera ou agira à sa
place,
à la discrétion de l'autorité investie du pouvoir de faire la
nomination.
l'exercice du pouvoir conféré par le paragraphe
23(1) n'est pas assorti de l'exigence d'entendre
l'intéressé, question semblable à celle étudiée dam
la décision majoritaire de la Cour suprême
dans l'affaire Nicholson c. Haldimand-Norfolk
Regional Board of Commissioners of Police
[1979] 1 R.C.S. 311, la page 322, il ne me
semble pas s'agir de plus qu'un pouvoir d'annuler
volonté la nomination de la requérante et de
destituer celle-ci. Le paragraphe en question ne
contient ni le mot «révoquer» 4 ni l'expression «révo-
quer pour inconduite». Selon moi, bien qu'autori-
sant à enlever une personne d'un poste, il ne
permet pas de la révoquer pour inconduite, avec
tout ce que cela peut entraîner en sus de la perte
du poste.
Je n'estime donc pas que le moyen soulevé, du
moins sur la base des éléments dont dispose la
Cour, permette d'accueillir la requête dont il
s'agit.
Le second argument, si je comprends bien, est
que l'intimé, en sa qualité de sous-chef de l'Emploi
et de l'Immigration, était habilité par le Règle-
ment concernant le personnel recruté sur place à
l'étranger à révoquer la requérante, que ce pouvoir
était purement administratif et que même si, pour
l'exercer équitablement 5 , l'intimé eût dû entendre
la requérante, il ne s'agit cependant pas d'un pou-
voir légalement soumis à un processus judiciaire ou
quasi judiciaire. Dès lors, l'examen prévu à l'arti-
cle 28 de la Loi sur la Cour fédérale serait exclu,
bien qu'il puisse y avoir lieu de procéder par voie
de certiorari en application de l'article 18.
Le Règlement précité aurait été adopté en 1956
en vertu de l'alinéa 7c) de la Loi sur l'administra-
tion financière, S.R.C. 1952, c. 116, c'est-à-dire
quelque deux ans après l'engagement de la requé-
rante. Il n'est pas certain, eu égard aux termes de
la Loi sur le service civil alors en vigueur, que les
dispositions de ce Règlement autorisant les person-
nes mentionnées à embaucher et à mettre fin aux
emplois avaient force de loi. Les deux parties les
ont cependant considérées comme régissant l'em-
4 A comparer aux termes de la Loi sur le service civil, S.R.C.
1952, c. 48, art. 52.
5 A comparer aux affaires Nicholson c. Haldimand-Norfolk
Regional Board of Commissioners of Police [1979] 1 R.C.S.
311 et Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de
Matsqui [ 1980] 1 R.C.S. 602.
ploi de la requérante. En supposant, à l'instar des
parties, que l'emploi de la requérante était effecti-
vement régi par ce Règlement, il me semble que
tout pouvoir de renvoyer la requérante de la Fonc-
tion publique que pouvait détenir le sous-chef se
limitait à celui prévu par le Règlement et ce,
même si, sans ledit Règlement, le poste ou la
charge de la requérante serait tombé dans la pre-
mière catégorie d'emplois décrite par lord Reid
dans l'affaire Ridge c. Baldwin [1964] A.C. 40, à
la page 65 6 .
Le Règlement prévoit à l'article 6.10 que, sous
réserve de certaines conditions spécifiées, les nomi
nations peuvent être faites par le sous-chef du
ministère concerné. Mais rien n'est dit quant à la
durée du mandat des personnes ainsi nommées. La
Partie VII, qui traite de la suspension, prévoit
notamment ce qui suit:
[TRADUCTION] 6.27 CONDITIONS À REMPLIR DANS LES CAS
DE SUSPENSION
(1) Le chef de mission peut suspendre de l'exercice de ses
fonctions, pour la période qu'il juge à propos, tout employé
coupable de mauvaise conduite ou de négligence dans
l'accomplissement de ses fonctions. Il doit signaler toute
suspension au sous-chef.
(2) L'employé suspendu par le chef de mission a le droit d'en
appeler au sous-chef.
(3) Nul traitement ne doit être versé à l'employé pour la
période de suspension, à moins que le sous-chef ne soit
d'avis que cette suspension était injuste ou a été faite par
erreur ou que la sanction infligée était trop sévère.
On notera que l'employé qui a été suspendu par
le chef de mission pour mauvaise conduite ou pour
négligence dans l'accomplissement de ses fonctions
peut en appeler au sous-chef, et que ce dernier,
6 [TRADUCTION] Le droit régissant les rapports entre
employeurs et employés est clair. Il ne peut y avoir exécution
intégrale d'un contrat de louage de services, et l'employeur peut
mettre fin au contrat qui le lie à son employé en tout temps
avec ou sans motif déterminé. Mais s'il ne respecte pas les
termes du contrat, il doit payer des dommages-intérêts pour
rupture de contrat. Ainsi, lorsqu'il s'agit strictement de rap
ports entre employeurs et employés, la question n'est pas de
savoir si l'employeur a permis à l'employé de se défendre: il
s'agit de voir si la preuve au procès établit une rupture de
contrat. Mais ce genre d'affaire peut s'apparenter à un renvoi
d'une charge publique lorsque l'organisme employeur est assu-
jetti à une loi ou à d'autres restrictions quant à la nature des
contrats qu'il peut passer avec ses employés ou aux motifs pour
lesquels il peut les renvoyer. La présente affaire n'entre pas
dans cette catégorie parce qu'un chef de police n'est ni l'em-
ployé du comité de surveillance ni celui de qui que ce soit.
selon le sous-alinéa (3), doit décider s'il s'agissait
d'une suspension juste ou faite par erreur ou si la
sanction était trop sévère. Cela implique, à mon
sens, que le sous-chef, lorsque l'employé interjette
appel conformément à ces dispositions, est appelé à
exercer des fonctions judiciaires ou peut-être quasi
judiciaires.
La Partie IX, portant sur les départs, comprend
plusieurs alinéas respectivement intitulés: [TRA-
DUCTION] «Démission», «Renvoi ou révocation»,
«Abandon de poste» et «Retraite en raison d'âge».
Celui intitulé «Renvoi ou révocation» est ainsi
rédigé:
[TRADUCTION] 6.48 RENVOI OU RÉVOCATION
(1) Le sous-chef peut licencier, en raison d'une réduction de
l'effectif, pour inaptitude, pour service insatisfaisant ou
pour inefficacité, ou révoquer, pour mauvaise conduite,
tout employé ou tout préposé à l'entretien.
(2) Sauf dans la mesure où les lois du pays où la mission se
trouve l'exigent, il ne sera versé à la personne révoquée
pour mauvaise conduite aucun traitement à l'égard d'une
période quelconque postérieure au jour de la cessation
d'emploi.
Il importe de noter que l'intitulé autant que le
texte même de cette disposition font la distinction
entre renvoi ou licenciement et révocation. Et alors
qu'il est prévu plusieurs motifs de renvoi ou de
licenciement, le seul motif de révocation est la
mauvaise conduite. De plus, l'interdiction contenue
dans le sous-alinéa (2) ne s'applique qu'en cas de
révocation pour mauvaise conduite. Et, à la diffé-
rence de la suspension, il n'est prévu aucun appel
au sous-chef, le pouvoir de révocation appartenant
à ce dernier. Il n'y a pas non plus de définition de
«mauvaise conduite».
Malgré le manque, dans l'alinéa, de dispositions
relatives à la procédure de révocation, j'estime
qu'il y a éminemment lieu d'inférer que la décision
de révoquer est soumise à un processus judiciaire
ou quasi judiciaire. Si je dis quasi judiciaire, c'est
simplement que la notion de «mauvaise conduite»
n'étant pas définie et qu'aucune norme n'étant
prescrite, il y a sans doute, pour statuer, une
certaine latitude et la possibilité de tenir compte
de considérations d'intérêt public. Mais dans l'un
et l'autre cas, il ne peut être question du pouvoir
de révocation que par suite de mauvaise conduite
et, selon moi, la constatation de la mauvaise con-
duite ne peut qu'être soumise à un processus judi-
ciaire ou peut-être, pour les raisons que je viens
d'énoncer, quasi judiciaire, après examen de tous
les faits prétendus constituer de la mauvaise con-
duite et après audition des deux parties. Il n'y a
pas lieu, aux fins de la présente cause, de s'étendre
sur le genre d'audition et sur la procédure à suivre
lors de celle-ci.
Le principe applicable en l'espèce est fort ancien
et n'a jamais été mieux défini que dans la décision
du juge Byles dans l'affaire Cooper c. Wandsworth
Board of Works (1863) 14 C.B.N.S. 180. Dans
cette cause, le Conseil avait le pouvoir, dans des
circonstances précisées, de démolir un immeuble
privé. Or, le Conseil avait exercé ce pouvoir sans
donner au propriétaire l'occasion de se faire enten-
dre. Bien que la loi ne prévît pas expressément la
tenue d'une audition par le Conseil préalablement
à l'exercice du pouvoir, le juge Byles a dit aux
pages 194 et 195:
[TRADUCTION] Que le conseil ait agi à titre judiciaire ou dans
l'exécution de son mandat, il me semble qu'il s'est trompé. Mais
puisqu'il a eu à déterminer la nature de l'infraction et sa
sanction ainsi que les remèdes qui s'imposaient, j'estime que le
Conseil a agi judiciairement. Or, un grand nombre de décisions,
depuis l'affaire du D' Bentley (Rex c. The Chancellor, &c. of
Cambridge, 1 Stra. 557; 2 Ld. Ray. 1334; 8 Mod. 148; Fortes-
cue 202), jusqu'à des arrêts très récents, établissent que, même
si la loi ne prévoit pas expressément que les parties doivent être
entendues, les principes de justice de common law suppléent à
cette omission du législateur. La décision du juge FORTESCUE
dans l'affaire D' Bentley, bien qu'un peu surannée n'en est pas
moins applicable et constitue la loi encore aujourd'hui. Il dit,
«L'opposition fondée sur ce que l'intéressé n'a pas été appelé ne
peut être écartée. Aussi bien la loi divine que la loi humaine
exigent que soit accordée à la partie l'occasion de se défendre,
si elle le peut. Un homme très savant m'a déjà fait remarquer
que même Dieu, dans une situation semblable, n'avait pas
condamné Adam sans inviter celui-ci à présenter sa défense.
`Adam' (dit Dieu), `où es-tu? N'as-tu pas mangé de l'arbre
dont je t'avais défendu de manger?' Et la même question fut
posée à Ève.» Il est donc évident que le conseil, s'il a agi
judiciairement, a violé le principe bien que la loi ne dise rien en
la matière.
Le juge Dickson, dans l'arrêt M.R.N. c. Coopers
and Lybrand', a établi quatre critères permettant
de déterminer si une décision ou ordonnance est
légalement soumise à un processus judiciaire ou
quasi judiciaire:
(1) Les termes utilisés pour conférer la fonction ou le contexte
général dans lequel cette fonction est exercée donnent-ils à
entendre que l'on envisage la tenue d'une audience avant
qu'une décision soit prise?
' [1979] 1 R.C.S. 495, à la page 504.
(2) La décision ou l'ordonnance porte-t-elle directement ou
indirectement atteinte aux droits et obligations de quelqu'un?
(3) S'agit-il d'une procédure contradictoire?
(4) S'agit-il d'une obligation d'appliquer les règles de fond à
plusieurs cas individuels plutôt que, par exemple, de l'obligation
d'appliquer une politique sociale et économique au sens large?
Cette liste ne prétend pas être exhaustive. Consi-
dérant à tour de rôle chacun des quatre critères, il
me semble, pour ce qui est du premier, que l'exis-
tence d'un pouvoir de révocation pour mauvaise
conduite, particulièrement lorsque celui-ci s'inscrit
dans un ensemble où le pouvoir de suspension pour
mauvaise conduite et pour négligence dans l'ac-
complissement des fonctions se trouve assujetti à
des garanties tant de procédure que judiciaires,
laisse supposer que l'exercice de ce pouvoir, quand
même plus grand, est, lui aussi, soumis aux garan-
ties judiciaires. Pour ce qui est du second critère, il
est évident que la décision de révoquer pour mau-
vaise conduite touche directement et gravement
l'employé, autant de par la perte d'emploi et les
incidences de cela sur les droits accessoires à l'em-
ploi, que de par ses effets sur les perspectives
d'emploi pour l'avenir. Quant au troisième, il me
semble que la constatation de la mauvaise con-
duite, sur laquelle repose l'exercice du pouvoir de
destituer, doit, par la force des choses, découler
d'une dénonciation. Cette dénonciation donne nais-
sance à un litige entre, d'une part, le dénonciateur
ou la personne qui s'intéresse à l'assertion de mau-
vaise conduite soit en y donnant suite, soit en la
rapportant à l'autorité compétente, et l'employé
d'autre part. En ce sens, à chaque fois que la
mauvaise conduite n'est pas avouée, il y a une
procédure contradictoire et, partant, un litige.
Pour ce qui est du quatrième critère, il ne s'agit
nullement, en l'espèce, d'un pouvoir d'établir ou
d'appliquer une politique sociale ou économique au
sens large. Mais à l'intérieur des limites du con
cept non défini mais facile à saisir de mauvaise
conduite, il s'agit d'appliquer ledit concept au cas
particulier afin de déterminer s'il y a eu ou non
mauvaise conduite. D'après ces quatre critères, à
mon avis, le pouvoir de révocation dont il s'agit en
est un qui est légalement soumis à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire.
Dès lors, j'estime qu'il y a lieu de rejeter la
requête.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Je me range à l'avis du juge en
chef qu'il y a lieu de rejeter la requête en annula-
tion de la demande fondée sur l'article 28 dont il
s'agit. Je préfère, à ce stade-ci, ne pas me pronon-
cer sur la question de savoir si la décision . de
révoquer la requérante pour mauvaise conduite est
légalement soumise à un processus judiciaire ou
quasi judiciaire. J'estime que cette question pourra
être plus facilement tranchée lorsque la Cour con-
naîtra mieux les faits. Je me contenterai donc de
fonder simplement mon adhésion à la décision
rendue sur ce que les éléments dont la Cour dis
pose ne lui permettent pas de faire droit à la
requête.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Je souscris.
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