T-6086-80
Charles Vernon Myers (Requérant)
c.
La Commission nationale des libérations condi-
tionnelles (Intimée)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Calgary, 30 janvier; Ottawa, 5 février 1981.
Brefs de prérogative — Demande (1) de bref de prohibition
interdisant à l'intimée d'exiger, à titre de condition de sa
libération conditionnelle, le paiement d'impôts impayés; (2) de
bref de mandamus enjoignant à l'intimée de lui accorder la
libération conditionnelle; (3) de bref de certiorari annulant la
décision de l'intimée lui refusant la libération conditionnelle
— Requérant déclaré coupable de fraude fiscale — Refus de
libération conditionnelle prononcé par la Commission avant la
date fixée pour l'audition de la demande de libération condi-
tionnelle — Il échet de déterminer si les demandes de brefs
sont fondées — Il échet de déterminer si la conclusion d'un
accord pour le paiement de l'impôt et les efforts du requérant
pour arriver à un tel accord peuvent valablement être pris en
considération — Loi sur la libération conditionnelle de déte-
nus, S.R.C. 1970, c. P-2, art. 10(1).
Le requérant, qui a été déclaré coupable de fraude fiscale,
demande: (1) un bref de prohibition interdisant à l'intimée
d'exiger, à titre de condition de sa libération conditionnelle,
qu'il conclue un accord relativement à son impôt impayé; (2)
un bref de mandamus enjoignant à l'intimée de lui accorder la
libération conditionnelle; (3) un bref de certiorari annulant la
décision de l'intimée lui refusant la libération conditionnelle
après qu'il eut omis de retourner en prison après une absence
temporaire sans escorte. Le requérant soumet que cette der-
nière décision a été prise avant la date fixée pour l'audition de
sa demande de libération conditionnelle. En ce qui concerne le
bref de prohibition, la question est de savoir si la conclusion
d'un accord pour le paiement de l'impôt impayé et les efforts du
requérant pour arriver à un tel accord peuvent valablement être
pris en considération par la Commission dans l'exercice de sa
discrétion d'accorder ou non la libération conditionnelle.
Arrêt: la requête est rejetée. Les demandes de certiorari et de
mandamus sont sans fondement. A tous les égards, la jurispru
dence, les rapports et les ouvrages académiques cités pour le
compte du requérant sont irréprochables, sauf qu'ils ne s'appli-
quent pas aux circonstances de l'espèce depuis que le requérant
ne rentra pas au pénitencier. En ce qui concerne les efforts du
requérant pour arriver à un accord, la Commission nationale
des libérations conditionnelles peut valablement, dans le cadre
de l'exercice de sa discrétion en vertu du paragraphe 10(1) de
la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, tenir compte
de l'attitude du détenu à l'égard du paiement de sa dette
découlant de l'acte criminel. Toutefois, si la Commission a
considéré la conclusion d'un tel règlement comme un élément
pertinent en soi plutôt que comme indication de ses efforts, elle
a eu tort. En outre, la Commission n'a pas stipulé de condition
comme préalable à la libération conditionnelle: elle a simple-
ment donné avis de quelque chose dont elle entendait tenir
compte à l'audition de la demande.
Arrêt mentionné: Roncarelli c. Duplessis [1959] R.C.S.
121.
DEMANDE.
AVOCATS:
J. Marshall et R. Hughes pour le requérant.
B. Saunders pour l'intimée.
PROCUREURS:
Macleod Dixon, Calgary, pour le requérant.
Donald F. Sim, c.r., Toronto, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Le requérant (ci-après
appelé «Myers») demande un bref de prohibition
pour interdire à l'intimée (ci-après appelée «la
Commission») d'exiger, à titre de condition de sa
libération conditionnelle, que Myers prenne des
arrangements avec le ministère du Revenu natio
nal pour le paiement de tout impôt sur le revenu
impayé; un bref de mandamus enjoignant à la
Commission de lui accorder la libération condi-
tionnelle; et un bref de certiorari annulant la
décision de la Commission lui refusant la libéra-
tion conditionnelle. La demande n'a aucun rapport
avec le refus d'accorder à Myers la libération
conditionnelle par exception, quoiqu'une grande
partie des pièces produites à l'appui se rapporte à
ce refus. Myers a décidé de poursuivre la demande
même si l'exécution de l'ordonnance de communi
cation générale et spéciale rendue le 12 janvier
1981 contre la Commission conformément aux
Règles 448 et 451, a été suspendue jusqu'à la
disposition de l'appel formé contre elle et qu'il n'y
a pas été procédé entre-temps.
Myers a été déclaré coupable d'avoir éludé le
paiement de l'impôt sur un revenu de $1,400,000
pour les années d'imposition 1969 1974 inclusi-
vement'. Condamné à un emprisonnement de deux
ans, il commença à purger sa sentence le 10 jan-
vier 1979. Il était admissible à la libération condi-
tionnelle «totale» le 10 septembre 1979, et à la
1 La Reine c. Myers 77 DTC 5278; [ 1977] C.T.C. 507.
libération conditionnelle «de jour» le 10 juillet. Il a
demandé sa libération conditionnelle.
Dans une lettre en date du 18 juin 1979, la
Commission a informé Myers que sa demande de
libération conditionnelle par exception avait été
rejetée et que sa demande de libération condition-
nelle totale serait examinée peu avant la date
d'admissibilité du 10 septembre. La lettre continue
comme suit:
[TRADUCTION] Pendant l'examen de votre dossier, la Com
mission a remarqué une cotisation d'impôt sur le revenu non
payée de $1,810,000.00. Elle est au courant de la lettre du Pf
mai 1979 que votre avocat a envoyée à Revenu Canada, Impôt;
mais elle s'inquiète du fait que vous n'ayez fait qu'un effort
minime pour discuter de la question avec Revenu Canada,
Impôt afin d'arriver à un accord relatif au paiement. Comme ce
sera un élément important à considérer au cours de tout
examen de votre cas, la Commission espère que d'ici à la date
de votre admissibilité à la libération conditionnelle vous pren-
drez l'initiative d'entrer en contact avec Revenu Canada, Impôt
pour tâcher d'arriver à un accord relativement au paiement de
l'impôt.
Le 18 juillet, la Commission entendit la demande
de libération conditionnelle de jour de Myers. Il
ressort clairement d'une lettre de Myers à son
procureur, datée du 18 juillet, et du rapport sur
l'audition, daté du même jour et signé par les
membres de la Commission, que cette dernière
continuait à s'inquiéter des efforts du requérant,
ou plutôt de leur absence, pour entreprendre des
négociations relatives à son impôt impayé. Voici
un passage du rapport de la Commission:
[TRADUCTION] Tant qu'il ne fait aucun effort sincère pour
entreprendre un règlement avec Revenu Canada, l'évasion fis-
cale semble continuer.
et, sous la rubrique [TRADUCTION] «Recomman-
dations relatives aux mesures à prendre», le rap
port continue comme suit:
[TRADUCTION] Nous appuierions des absences temporaires
sans escorte pour permettre au détenu de rencontrer ses avocats
et les agents de Revenu Canada afin de discuter de la question
susmentionnée.
La lettre de Myers confirme que la Commission a
approuvé des absences temporaires aux fins préci-
tées. Suivant cette lettre, voici ce que la Commis
sion a dit:
[TRADUCTION] La Commission a dit que le non-paiement de
l'impôt est considéré comme une continuation de l'acte
criminel.
Elle a dit qu'antérieurement à la réunion du 10 septembre avec
Revenu Canada, la Commission vérifierait si les négociations se
déroulaient à leur satisfaction.
Elle a dit ne pouvoir croire qu'en six mois d'emprisonnement, je
n'arrivais pas à faire plus de progrès dans mes négociations
avec Revenu Canada si je l'avais vraiment voulu. Elle a dit que
j'étais redevable de la somme en question—et que c'était à moi
[mot illisible] de prendre plus d'initiatives.
Dans le rapport comme dans la lettre, il est indi-
qué que l'audition de la demande de libération
conditionnelle totale serait reprise le 10 septembre
1979.
Le 28 juillet 1979, 18 h, Myers fut libéré pour
une absence temporaire sans escorte de 48 heures.
Il n'est pas allé à un rendez-vous avec son avocat.
Il n'est pas retourné au pénitencier à l'expiration
de la permission. Il est resté en liberté à l'étranger.
Le 13 septembre 1979, dans une lettre adressée à
Myers à Spokane, dans l'État de Washington, aux
États-Unis, apparemment en réponse à une lettre
de ce dernier, la Commission l'a ainsi avisé:
[TRADUCTION] ... le 30 août 1979, la Commission a fait un
nouvel examen de votre dossier. Comme vous êtes à présent en
liberté, elle a voté le rejet de votre demande de libération
conditionnelle de jour et de votre demande de libération condi-
tionnelle totale.
Myers demande un bref de certiorari pour faire
annuler cette décision précitée, pour le motif que
l'examen a été fait avant le 10 septembre 1979,
date fixée pour l'audition. Cette demande ainsi que
la demande de mandamus sont absolument sans
fondement. A tous les égards, la jurisprudence, les
rapports et les ouvrages académiques cités dans les
plaidoiries pour le compte de Myers sont irrépro-
chables, sauf qu'ils ne s'appliquent pas aux cir-
constances de l'espèce depuis que Myers ne rentra
pas au pénitencier le 30 juillet 1979. L'examen de
cet argument constituerait un exercice purement
théorique, digne de la plume d'un Lewis Carroll
des temps modernes. Évidemment, en l'espèce, la
Cour ne doit pas exercer sa discrétion pour annuler
la décision de rejeter la demande de libération
conditionnelle et pour ordonner à la Commission
d'accorder la libération conditionnelle à Myers.
L'alinéa 10(1)a) de la Loi sur la libération
conditionnelle de détenus énonce de la manière
suivante le pouvoir de la Commission d'accorder la
libération conditionnelle 2 :
10. (1) La Commission peut
a) accorder la libération conditionnelle à un détenu, sous
réserve des modalités qu'elle juge opportunes, si la Commis
sion considère que
2 S.R.C. 1970, c. P-2.
(i) dans le cas d'un octroi de libération conditionnelle autre
qu'une libération conditionnelle de jour, le détenu a tiré le
plus grand avantage possible de l'emprisonnement,
(ii) l'octroi de la libération conditionnelle facilitera le
redressement et la réhabilitation du détenu, et
(iii) la mise en liberté du détenu sous libération condition-
nelle ne constitue pas un risque indu pour la société;
Comme la demande de libération conditionnelle
de Myers a été, à bon droit, rejetée pour d'autres
motifs et comme sa peine est actuellement inter-
rompue et que sa libération conditionnelle doit être
le moindre de ses soucis, s'il revient, ou est ramené
au Canada, on peut considérer cette demande de
bref de prohibition comme quelque peu théorique.
Toutefois, j'admets l'allégation selon laquelle il y a
entre les parties des points litigieux bien définis
qu'il conviendrait de trancher. Il s'agit de détermi-
ner si l'une ou l'autre des considérations suivantes,
ou les deux à la fois, constitue un ou des éléments
dont la Commission peut valablement tenir compte
dans l'exercice de sa discrétion d'accorder la libé-
ration conditionnelle:
1. La conclusion d'un accord pour le paiement
de l'impôt; et
2. Les efforts de Myers pour arriver à un tel
accord.
S'il est vrai qu'un règlement relatif à l'impôt
impayé serait une preuve concluante que Myers
était de bonne foi dans ses efforts pour y parvenir,
il y a une distinction importante à faire. La Com
mission n'a pas pour fonction de refuser la libéra-
tion conditionnelle afin d'aider le fisc dans ses
efforts de recouvrement'. D'un autre côté, Myers a
été incarcéré pour évasion fiscale et c'est parce
qu'il est ainsi emprisonné qu'il demande la libéra-
tion conditionnelle. Pour décider si le détenu a tiré
le plus grand avantage possible de l'emprisonne-
ment, il faut évidemment examiner, parmi d'autres
éléments, l'attitude du détenu à l'égard de la répa-
ration de la faute civile découlant de son acte
criminel. Du point de vue du détenu, un élément
important de cet avantage est la réduction de la
probabilité de récidive. Des déductions se rappor-
tant à cette question peuvent certainement être
tirées de son attitude à l'égard de ses obligations
financières découlant de son ou de ses délits anté-
rieurs. Celui qui fraude le fisc ne diffère en rien de
tout autre fraudeur dont l'acte est réputé criminel
en vertu de la loi. La Commission n'a pas plus le
3 Roncarelli c. Duplessis [1959] R.C.S. 121.
droit de passer outre à l'attitude de Myers à
l'égard du règlement de sa dette fiscale qu'elle n'en
a de passer outre à celle d'un auteur de détourne-
ment de fonds à l'égard de son obligation de
restitution. Chaque acte criminel a des particulari-
tés différentes, mais dans chaque cas, dans
l'exercice de sa discrétion en vertu du paragraphe
10(1), la Commission prend valablement en consi-
dération l'attitude du détenu à l'égard du paiement
de sa dette découlant de l'acte criminel.
La Commission a évidemment, et valablement,
pris en considération les efforts de Myers pour
arriver à un règlement. Elle a également pu consi-
dérer la conclusion d'un tel règlement comme un
élément pertinent en soi plutôt que comme indica
tion de ses efforts; si c'est ce qu'elle a fait, elle a eu
tort. Si elle est saisie d'une autre demande, la
Commission ne devrait pas considérer le défaut de
règlement comme un élément important en soi,
mais devrait plutôt examiner les motifs de ce
défaut, dans la mesure où ils peuvent raisonnable-
ment être imputés à Myers.
On a beaucoup insisté sur la prétendue impossi-
bilité pour Myers de faire quoi que ce soit durant
son incarcération vu qu'il n'a aucun bien au
Canada et que ses biens à l'étranger sont dans un
compartiment de coffre-fort auquel lui seul a
accès. A moins d'être absolument naïf, n'importe
qui rejetterait une telle allégation en l'absence de
preuve que les lois du pays étranger non divulgué
sont tellement inhabituelles qu'elles interdisent à
tous, même à un procureur, l'accès à ce coffre,
sauf à Myers lui-même, en personne. En tout cas,
ce n'est pas une excuse pour ne pas entreprendre
des négociations.
On a allégué que la Commission n'avait le droit
de stipuler aucune condition qui n'est pas prévue
dans la Loi, comme préalable à l'audition de la
demande de libération conditionnelle. Je suis d'ac-
cord, mais ce n'est pas ce que la Commission a
fait. Elle a donné préavis de quelque chose dont
elle entendait tenir compte à l'audition de la
demande. Non seulement cela était-il conforme à
la loi, mais aussi éminemment raisonnable et perti
nent, fondé sur la présomption que Myers voulait
que sa demande fût examinée rapidement et
favorablement.
JUGEMENT
La demande est rejetée avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.