A-239-80
Armstrong Cork Canada Limited, Armstrong
Cork Company, Armstrong Cork Industries Lim
ited, Armstrong Cork Inter -Americas Inc. (Appe-
lantes) (Défenderesses)
c.
Domco Industries Limited (Intimée) (Demande-
resse)
et
Congoleum-Nairn Inc., Congoleum Industries, Inc.
et Congoleum Corporation (Intimées) (Défende-
resses)
Cour d'appel, les juges Heald, Urie et Ryan—
Ottawa, 3, 4 et 24 décembre 1980.
Brevets — Contrefaçon — Appel d'une décision jugeant
l'intimée Domco, titulaire d'une licence non exclusive des
brevetés, les Congoleum, en droit de recouvrer des dommages-
intérêts des appelantes, les contrefacteurs — II échet d'exami-
ner si le contrefacteur d'un brevet valide est responsable des
dommages du titulaire de licence — Loi de 1935 sur les
brevets, S.C. 1935, c. 32, art. 55 [S.R.C. 1970,, c. P-4, art.
57(1)].
Cette espèce est l'appel qui a été formé d'une décision de la
Division de première instance où l'action en contrefaçon de
brevet qu'avait engagée la Domco, le titulaire d'une licence non
exclusive des brevetés, les Congoleum, eut pour résultat que la
Domco fut jugée en droit de recouvrer des dommages-intérêts
des appelantes, les contrefacteurs. Il échet d'examiner si le
contrefacteur d'un brevet valide est responsable des dommages
du titulaire de licence. Les appelantes soutiennent que la
réponse à cette question se trouve dans la convention de licence
entre la Domco et les Congoleum alors que l'intimée Domco
invoque l'article 57(1) de la Loi sur les brevets et le principe du
stare decisis. Enfin les appelantes prétendent que la convention
ne révèle aucune intention d'accorder des droits au titulaire de
la licence contre les tiers contrefacteurs.
Arrêt: l'appel est rejeté. Bien que la convention de licence ne
puisse être écartée, c'est à la loi qu'il faut s'adresser pour
décider quels droits, qui autrement découleraient de la conven
tion, sont atteints par les termes de la loi. L'article 57(1) vise
clairement les titulaires de licences indépendamment de la
nature précise des droits que leur donne leur convention parti-
culière d'attribution de licence. Dès qu'il est établi que le
titulaire d'une licence; qu'elle soit exclusive ou non exclusive, se
réclame du breveté, il a droit à tous les dommages qu'il peut
établir en raison de la contrefaçon du brevet non en raison de
l'inexécution de quelque stipulation de la convention de licence.
L'article 57 accorde et une créance et un recours, ce recours
étant pour les dommages qui peuvent être prouvés. Indépen-
damment de l'application du principe du stare decisis à notre
juridiction, une saine administration de la justice requiert de se
conformer aux décisions antérieures récentes de la Cour qu'el-
les aient ou non été prononcées sur une question interlocutoire
plutôt que lors d'un jugement définitif au fond.
Arrêts appliqués: American Cyanamid Co. c. Novopharm
Ltd. [1972] C.F. 739, infirmant [1971] C.F. 534; Murray
c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1979] 1
C.F. 518; Perry c. Le Comité d'appel de la Commission de
la Fonction publique [1979] 2 C.F. 57. Arrêt suivi: Fiber-
glas Canada Ltd. c. Spun Rock Wools Ltd. (1947) 6
C.P.R. 57. Arrêts mentionnés: Flake Board Co. Ltd. c.
Ciba-Geigy Corp. (1974) 15 C.P.R. (2e) 33; Young c.
Bristol Aeroplane Co., Ltd. [1944] K.B. 718.
APPEL.
AVOCATS:
David Watson, c.r. pour les appelantes
(défenderesses).
Donald F. Sim, c.r. et C. E. R. Spring pour
l'intimée (demanderesse) Domco Industries
Limited.
Donald MacOdrum pour les intimées (défen-
deresses) Congoleum-Nairn Inc., Congoleum
Industries, Inc. et Congoleum Corporation.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les
appelantes (défenderesses).
Donald F. Sim, c.r., Toronto, pour l'intimée
(demanderesse) Domco Industries Limited.
Hayhurst, Dale & Deeth, Toronto, pour les
intimées (défenderesses) Congoleum-Nairn
Inc., Congoleum Industries, Inc. et Congo-
leum Corporation.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Cette espèce est l'appel qui a été
formé d'un jugement de la Division de première
instance [[1980] 2 C.F. 801] où l'action en contre-
façon de brevet qu'avait engagée l'intimée Domco
Industries Limited (ci-après dénommée la
«Domco») eut pour résultat que la Domco fut jugée
en droit de recouvrer des appelantes les domma-
ges-intérêts qu'elle justifierait dans un renvoi, pour
perte de ventes au Canada entre le 25 juillet 1967
et le 9 mars 1976. Cet appel et l'appel A-236-80,
même intitulé, ont été instruits conjointement. Le
litige dans chaque action était le même; elles ont
été instruites sur la base d'une Convention portant
reconnaissance des faits et points litigieux en
cause.
Les actions allèguent contrefaçon, par les appe-
lantes, d'un brevet relatif à un revêtement de
plancher chimiquement gaufré. Au départ ce sont
les compagnies Congoleum intimées (ci-après
appelées les «Congoleum») et la Domco, en tant
que demanderesses, qui les engagèrent. Au cours
de l'instance il y eut transaction au sens étroit
entre les Congoleum et les appelantes. La transac
tion stipulait paiement par les appelantes aux Con-
goleum de $35,000,000 en règlement des deman-
des antérieures; l'attribution d'une licence aux
appelantes pour la période allant du 9 mars 1976 à
la fin de 1976, afin de permettre aux appelantes de
mettre fin dans l'ordre à la fabrication et à la vente
du produit et, notamment, aux Congoleum d'obte-
nir le désistement de la Domco et l'acquiescement
à jugement en une forme convenue. Les Congo-
leum furent incapables d'obtenir le désistement
requis et l'acquiescement de la Domco, avec pour
résultat que les Congoleum exécutèrent la transac
tion dans la mesure qu'elles pouvaient et demandè-
rent jugement, et l'obtinrent, en substance en la
forme annexée au procès-verbal de consentement.
Les actes de procédures furent alors modifiés subs-
tantiellement et l'intitulé de cause changé, les com-
pagnies Congoleum devenant défenderesses, de
demanderesses qu'elles étaient.
Les actions furent alors instruites; il en résulta
les jugements dont appel.
Pour comprendre le fondement sur lequel la
Domco engagea l'action, il est nécessaire d'exami-
ner certains faits liés à sa relation avec les Congo-
leum. Ces parties étaient convenues d'un accord de
licence le 8 juillet 1966 par lequel la Domco
obtenait licence de fabriquer, d'employer et de
vendre des revêtements de plancher, ou muraux,
chimiquement gaufrés, produits au Canada.
D'après la convention, du 8 juillet 1966 au 8 juillet
1971 la Domco aurait été l'unique détentrice d'une
licence pour la fabrication au Canada de ces pro-
duits et, pour trois ans à compter du 8 juillet 1966,
la Domco avait été autorisée à fabriquer les pro-
duits au Canada en exclusivité, donc à l'exclusion
même des brevetés, les Congoleum. Au cours de la
période pertinente, la Domco, les Congoleum et les
appelantes ont toutes vendu les produits au
Canada, c'est-à-dire du 25 juillet 1967, date de
délivrance du brevet, au 9 mars 1976, date de
signature de la transaction par Armstrong et les
Congoleum. Un tiers a aussi obtenu une licence de
fabrication et de vente du produit au Canada à
compter du ler janvier 1974. En fait il n'a jamais
fabriqué les produits au Canada au cours de la
période en cause bien qu'il ait effectué des ventes à
cette époque. Seule la Domco et les appelantes ont
fabriqué ces produits chimiquement gaufrés au
Canada.
La Domco, dans son exposé des faits et du droit
définit l'unique litige qui demeure encore entre les
appelantes et elle comme étant [TRADUCTION] «la
question de savoir, question de droit, si le contre-
facteur d'un brevet valide est responsable des dom-
mages du titulaire de licence», étant constant que
les appelantes étaient les contrefacteurs, lesquelles
avaient transigé de l'action en contrefaçon qu'a-
vaient engagée les brevetés, les Congoleum, sans
avoir transigé avec la titulaire de licence. La ques
tion de l'étendue de la contrefaçon et des domma-
ges en découlant devait, par ordonnance du juge
Gibson de la Division de première instance, faire
l'objet d'un renvoi après le procès. Ces questions
ne sont pas en cause dans l'appel. Présenté d'une
autre façon, l'unique point litigieux est de savoir si
le titulaire d'une licence non exclusive a droit
d'agir contre le contrefacteur du brevet dont il
détient la licence. La réponse à cette question,
d'après les appelantes, se trouve dans la convention
de licence; l'avocat de la Domco cependant sou-
tient que si ses droits de fabrication et de vente
découlent de la convention, les droits et les recours
dont elle dispose en conséquence de la licence
doivent cependant être recherchés au paragraphe
57(1) de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, c.
P-4.
Voici le texte actuel de cet article, lequel a
acquis en substance sa forme actuelle par la modi
fication de la Loi de 1935 sur les brevets':
57. (1) Quiconque viole un brevet est responsable, envers le
breveté et envers toute personne se réclamant du breveté, de
tous dommages-intérêts que cette violation a fait subir au
breveté ou à cette autre personne.
(2) Sauf dispositions expressément contraires, le breveté doit
être, ou être constitué, partie à toute action en recouvrement
des dommages-intérêts en l'espèce.
Notre juridiction, dans American Cyanamid Co.
c. Novopharm Ltd. 2 a été saisie de ce point et a
interprété le paragraphe (1). La demanderesse,
S.C. 1935, c. 32, art. 55.
2 [1972] C.F. 739, infirmant [1971] C.F. 534.
détentrice d'une licence non exclusive du breveté,
avait engagé une action en dommages pour contre-
façon. Une requête en radiation de la déclaration,
motif pris qu'une détentrice de licence non exclu
sive ne pouvait engager une action en contrefaçon,
fut alors accueillie par le juge en chef adjoint de
l'époque de la Division de première instance, lequel
jugea que [à la page 539] «La demanderesse
n'ayant pas qualité en l'espèce, cette action est
rejetée avec dépens.» Il y eut appel et, par arrêt de
la majorité, l'appel fut accordé.
Dans cette espèce, comme en la présente, on
soutenait que le titulaire d'une licence non exclu
sive n'était pas une personne «se réclamant» du
breveté au sens du paragraphe 57(1). Notre juri-
diction décida alors à l'unanimité que cette préten-
tion ne pouvait se soutenir quoique le juge en chef
Jackett, dissident quant aux conclusions finales,
semble avoir indiqué qu'il serait peut-être arrivé à
une opinion contraire à ce sujet s'il ne s'était pas
lui-même senti lié par l'avis du Comité judiciaire
du Conseil privé dans Fiberglas Canada Ltd. c.
Spun Rock Wools Ltd. 3 où, à la page 66, lord
Simonds a dit:
[TRADUCTION] Il leur semble cependant que la modification
apportée à la Loi en 1935 par suite de l'arrêt Electric Chain
Co. c. Art Metal Works Inc., [1933] 4 D.L.R. 240, R.C.S. 581,
les oblige à conclure que les détenteurs de licences sont des
personnes se réclamant du breveté au sens de cet article. Par
définition, le breveté est la personne qui bénéficie actuellement
d'un brevet. L'article 55(1) [maintenant le paragraphe 57(1)]
accorde un droit d'action non seulement à la personne qui
bénéficie actuellement d'un brevet, mais aussi à toute personne
se réclamant de cette personne. Au sens courant des termes de
cet article, un détenteur de licence répond à cette définition.
Les appelantes, en tant que détentrices de licences, pouvaient
donc agir en dommages-intérêts sur le fondement de l'art. 55.
Le juge en chef Jackett a alors fait remarquer
que cette conclusion, libellée en des termes suffi-
samment larges pour inclure tout titulaire de
licence, exclusive comme non exclusive, ne mettait
pas un terme à la controverse. Certes l'effet du
paragraphe 57(1) était de créer un droit d'action
d'origine légale inexistant auparavant, mais il res-
tait à déterminer la nature de ce droit d'action. Il
estima que pour justifier une action sur le fonde-
ment de cet article le titulaire d'une licence non
exclusive devrait établir qu'il avait lui-même subi
un dommage et non quelqu'un d'autre. Aux pages
756 et 757 du recueil il dit:
3 (1947) 6 C.P.R. 57.
Puisqu'à mon avis, la simple licence concédée en vertu d'un
brevet correspond uniquement à une permission accordée par le
breveté de faire quelque chose qu'autrement il aurait été illégal
de faire, celui qui contrefait le brevet ne porte pas préjudice au
titulaire de la licence et ne le prive pas de quelque chose auquel
il avait droit en vertu de l'accord passé entre lui et le breveté.
En d'autres termes, le titulaire d'une licence n'est pas fondé à
se plaindre de la contrefaçon du brevet, soit en raison de droits
qu'il détiendrait et qui seraient opposables à l'auteur d'un acte
précis de contrefaçon, soit en vertu d'un contrat avec le breveté
dont les droits sont violés par un tel acte. Un titulaire de simple
licence qui exploite un brevet dans un but lucratif peut évidem-
ment subir une diminution des bénéfices qu'il retire de la vente
du produit inventé par suite de la concurrence de tiers qui
exploitent également les droits découlant du brevet, que ces
tiers le fassent en vertu d'une licence accordée par le breveté ou
en commettant une contrefaçon. Toutefois, cette diminution des
bénéfices, me semble-t-il, ne constitue pas une perte qui peut
faire l'objet d'un recours en justice. Comparer avec l'arrêt
Bradford c. Pickles [1895] A.C. 587.
La majorité de la Cour, les juges suppléants
Bastin et Sweet, ne partageaient pas l'opinion du
juge en chef; à la page 764, le juge Bastin dit:
On peut difficilement contester que la diminution du volume
des ventes imputable à celles qu'a réalisées le contrefacteur
puisse causer un préjudice au titulaire d'une licence non exclu
sive. On pourrait soutenir que le législateur n'a jamais envisagé
d'obliger un contrefacteur à indemniser le titulaire d'une
licence non exclusive pour de tels dommages de fait, mais qu'il
a eu l'intention de limiter les dommages dont le contrefacteur
est responsable à ceux subis par une personne dont les droits
ont été directement violés par la contrefaçon même. D'après ce
raisonnement, le titulaire d'une simple licence a seulement
l'autorisation d'exploiter le brevet et il ne peut présenter de
réclamation que si l'on porte atteinte à sa liberté d'user de cette
autorisation. Par ailleurs, le titulaire d'une licence exclusive a
reçu un monopole et toute contrefaçon du brevet influe directe-
ment sur ce droit. Cela peut sembler être un argument logique,
mais on y répond en disant que le droit qu'a tout titulaire de
licence de recouvrer des dommages-intérêts est purement statu-
taire et que, si le législateur avait eu l'intention d'établir une
distinction entre le titulaire d'une licence exclusive et celui
d'une licence non exclusive, il l'aurait dit clairement. Puisque le
législateur n'a pas fait de distinction semblable, il s'ensuit que
tous les titulaires de licence doivent être traités de la même
façon.
Le juge Sweet, lui, présentait la chose de la
façon suivante, aux pages 768 et 769:
En vertu de l'article 57(1), le titulaire d'une licence non
exclusive possède plus de droits ou de privilèges qu'il ne pouvait
en avoir vis-à-vis du breveté en raison des relations contractuel-
les existant entre eux. A mon avis, le contrefacteur est mainte-
nant responsable envers le titulaire d'une licence non exclusive
de tous les dommages imputables à cette contrefaçon dans la
mesure où elle porte atteinte à cet élément d'exclusivité déjà
mentionné qui intervient entre le titulaire de la licence et le
contrefacteur.
La situation du titulaire d'une licence non exclusive peut
changer à l'occasion, car le breveté a le droit d'accorder
d'autres licences non exclusives qui peuvent affaiblir et dimi-
nuer les privilèges du titulaire de la licence. Quoi qu'il en soit,
le titulaire d'une licence non exclusive a encore en vertu de
cette licence des droits que le contrefacteur n'a pas sauf s'il
obtenait également une licence. Même si le contrefacteur devait
obtenir plus tard une licence, il faudrait tout de même prendre
la question de la priorité en considération. En tout cas, lors-
qu'une situation de ce genre se présente, il faut prendre en
considération les faits tels qu'ils existent à l'époque en cause et
non tels qu'ils pourraient éventuellement exister plus tard.
Je suis d'avis que, grâce à l'article 57(1), dont la rédaction
est juste et appropriée, le législateur a mis en œuvre et concré-
tisé son intention de créer au profit du titulaire d'une licence
non exclusive et relativement à tout ce qui concerne sa licence,
le droit de recouvrer de celui qui contrefait le brevet, des
dommages-intérêts en compensation des pertes imputables à
cette contrefaçon.
L'appel fut donc accueilli et la requête en radia
tion rejetée.
Dans Flake Board Co. Ltd. c. Ciba-Geigy
Corp. 4 , une autre requête en radiation, notre juri-
diction statua à l'unanimité qu'elle devait appli-
quer l'arrêt American Cyanamid et à nouveau
rejeta la requête.
L'avocat des appelantes en la présente espèce
nous a invités à la distinguer des arrêts American
Cyanamid et Flake Board parce qu'il se serait agi
de jugements d'avant dire droit et non de juge-
ments définitifs sur le fond. Donc, à son avis, la
question du statut d'un titulaire de licence non
exclusive réclamant des dommages pour contrefa-
çon demeurerait à considérer et devrait être réso-
lue selon le raisonnement du juge en chef Jackett;
il a cependant soutenu longuement que c'était à
tort que le juge en chef avait statué qu'un titulaire
de licence non exclusive pouvait se réclamer d'un
breveté.
L'avocat de l'intimée, naturellement, ne parta-
geait pas cette opinion; voici comment il présente
la chose dans son exposé des faits et du droit:
[TRADUCTION] Bien que l'affaire American Cyanamid ait été
un appel formé d'une ordonnance de radiation d'une déclara-
tion, le point de droit qui sans équivoque était étudié dans la
décision était l'interprétation de l'article 57 de la Loi sur les
brevets: le titulaire d'une licence non exclusive détenait-il ou
non un droit d'action sur son fondement? La solution de ce
point était nécessaire pour décider de la requête.
4 (1974) 15 C.P.R. (2') 33.
Donc en vertu du stare decisis la Cour devrait, à
son avis, se conformer à l'arrêt Cyanamid. Subsi-
diairement, dit-il, par courtoisie judiciaire, la Cour
devrait se sentir liée par la décision.
La Chambre des Lords a discuté de l'application
du principe du stare decisis à des juridictions
d'appel intermédiaires dans l'arrêt Davis c. John-
son 5 , dans lequel lord Diplock dit, à la page 562 du
recueil:
[TRADUCTION] A mon avis, notre Chambre devrait profiter
de l'occasion pour réaffirmer expressément, sans équivoque et
unanimement que la règle énoncée dans l'arrêt Bristol Aero
plane [1944] K.B. 718 en matière de stare decisis s'applique
toujours à la Cour d'appel.
Voici la règle de l'arrêt Bristol telle qu'elle est
résumée dans le sommaire:
[TRADUCTION] La Cour d'appel doit se conformer à ses
propres décisions et à celles des juridictions de même degré, la
cour «plénière» étant dans la même position que ses sections de
trois membres. Les seules exceptions à cette règle sont: (1.) La
cour peut et doit décider quelle, de deux de ses propres déci-
sions contradictoires, elle suivra; (2.) elle doit refuser de se
conformer à l'une de ses propres décisions qui, quoique non
expressément réformée, ne peut, à son avis, être maintenue sans
entrer en conflit avec un arrêt de la Chambre des Lords; (3.)
elle n'a pas à se conformer à l'une de ses décisions si elle est
convaincue qu'elle a été rendue per incuriam, v.g. lorsqu'une
loi, ou une règle ayant l'effet d'une loi, qui aurait modifié la
décision, n'a pas été portée à l'attention de la première cour.
Certaines décisions récentes de la Cour requiè-
rent que l'on reconsidère la question. Dans Murray
c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration 6 le
juge en chef Jackett, aux pages 519 et 520, a dit
ceci à ce sujet:
Il se peut que les juges de notre Division eussent conclu
différemment s'ils avaient à juger l'affaire citée, mais devant un
arrêt aussi récent et aussi précis de la Cour, j'estime qu'il faut
s'y conformer, non pas en raison du principe de stare decisis
que la Cour, à mon avis, n'est pas tenue d'appliquer d'une
manière rigide, mais bien par souci d'une bonne administration
de la justice. Bien entendu, la Cour pourrait écarter les conclu
sions d'une de ses récentes décisions si la décision ne portait pas
sur le même point litigieux ou encore si la Cour était convain-
cue que cette décision était fondée sur une erreur patente de
raisonnement.
Dans Perry c. Le Comité d'appel de la Commis-
5 [1978] 2 W.L.R. 553.
6 [1979] 1 C.F. 518.
sion de la Fonction publique' le juge Pratte, au
nom de la Cour, a exprimé l'avis [à la page 58]
qu'en dépit des doutes que la Cour pourrait entre-
tenir sur le bien-fondé de l'une de ses décisions
antérieures, pour les raisons données dans l'affaire
Murray, «Une saine administration de la justice
exige que la Cour suive ses précédents, sauf toute-
fois quand il s'agit de cas exceptionnels.» La Cour
suprême du Canada réforma cet arrêt, mais sans
en donner les motifs, de sorte que je ne puis dire si
le principe exprimé par le juge Pratte a lui-même
été réformé.
De même, en l'espèce présente, je suis d'avis
qu'indépendamment de l'application du principe
du stare decisis à notre juridiction, une saine
administration de la justice requiert de se confor-
mer aux décisions antérieures récentes de la Cour.
En outre, je suis incapable d'accepter l'argument
de l'avocat des appelantes voulant que la Cour ne
soit pas liée par l'arrêt American Cyanamid parce
qu'il aurait été rendu sur présentation d'une
requête en radiation de la déclaration et qu'il ne
s'agit pas d'une décision au fond. Le principe à
déduire de la décision est que le titulaire d'une
licence, qu'elle soit exclusive ou non exclusive, a
droit de recevoir des dommages-intérêts du contre-
facteur du brevet pour lequel il détient la licence,
dans la mesure où il est à même de les établir. Cela
étant l'essence de la décision, il importe peu, à mon
avis, qu'elle ait été prononcée sur une question
interlocutoire plutôt que lors d'un jugement défini-
tif au fond. Cela étant, en cet état de l'instance, la
Domco a droit au renvoi déjà ordonné, afin d'éta-
blir ses dommages.
Au cas où j'aurais tort d'entretenir cette opinion
de l'obligation de la Cour, ou au cas où les déci-
sions aboutissant à cette obligation seraient erro-
nées, je dois, je pense, exprimer mes vues sur le
fond. A cet égard il est nécessaire de savoir si
l'article 57 de la Loi sur les brevets accorde au
titulaire d'une licence non exclusive une créance et
un recours contre le contrefacteur du brevet. Pour
décider de ces questions, on ne saurait trouver un
grand secours dans les jugements semblables à
ceux, rendus dans d'autres juridictions, que nous a
cités l'avocat des appelantes, qu'ils soient relatifs à
des brevets accordés conformément à des lois diffé-
rentes, à des droits de propriété découlant de licen-
' [1979] 2 C.F. 57.
ces, d'hypothèques, de servitudes ou autrement, ou
à des décisions concernant des comportements pré-
tendus délictueux. Quel que soit le droit en ce qui
concerne le statut des titulaires de licences relati-
vement à ces sujets, la législation l'a modifié pour
ce qui est des titulaires de licences en vertu de
brevets au Canada. Bref, l'article 57 est l'article
qui doit être interprété et ce qu'il faut décider
d'abord est de savoir si le titulaire d'une licence
non exclusive peut se réclamer du breveté. A mon
avis cette question, au moins dans la mesure où la
Cour est concernée, peut être résolue en se référant
à la décision du Conseil privé dans Fiberglas
Canada Ltd. c. Spun Rock Wools Ltd., précitée,
dont l'extrait pertinent a été cité ci-dessus. En ce
qui me concerne, je partage les vues qu'a expri-
mées le juge en chef Jackett dans l'affaire Ameri-
can Cyanamid [aux pages 753 et 754]:
Il me semble toutefois impensable que Lord Simonds ou le juge
Davis, compte tenu de leurs connaissances respectives de
common law, aient utilisé ... le concept très connu de «licence»
pour qualifier uniquement une catégorie très étroite de licence.
Stare decisis et courtoisie judiciaire mis à part,
je suis d'avis que l'interprétation qu'a donnée de
l'article 57 le Comité judiciaire est parfaitement
justifiée par le sens premier de l'article. Cela étant,
tous les arguments des avocats voulant que l'on
n'ait pas voulu attribuer le recours accordé par
l'article 57 un sous-titulaire de licence échouent.
Arrivant à cette conclusion, je n'oublie pas l'argu-
ment de l'avocat des appelantes selon lequel, pour
établir les droits d'un titulaire de licence, il faut
examiner la convention d'attribution de licence.
Bien que la convention ne puisse être écartée, c'est
à la loi qu'il faut s'adresser pour décider quels
droits, qui autrement découleraient de la conven
tion, sont atteints par les termes de la loi. L'article
de la loi, à mon avis, vise clairement les titulaires
de licences indépendamment de la nature précise
des droits que leur donne leur convention particu-
lière d'attribution de licence.
L'argument subsidiaire de l'avocat des appelan-
tes était que même si un titulaire de licence non
exclusive peut se réclamer du breveté, il n'a souf-
fert aucun dommage que reconnaisse la loi en
l'absence d'atteinte à ses droits juridiques. Cette
théorie dépend pour être valable de la prémisse
selon laquelle, avant que l'on puisse recouvrer des
dommages, il doit y avoir atteinte au monopole de
la demanderesse. En l'espèce, dit-on, la Domco n'a
obtenu aucun monopole en vertu de sa convention
de licence. Examinant la convention, l'avocat dit
que l'attribution d'une licence non exclusive n'était
qu'une promesse entre les parties contractantes ne
donnant qu'un recours contre les Congoleum en
cas de non-exécution. Selon les règles d'interpréta-
tion, faisait-il valoir, d'après ce que j'ai compris, la
convention ne révélait aucune intention d'accorder
des droits contre des tiers, c.-à-d. qu'aucun mono-
pole ni droit exclusif donnant au titulaire de la
licence un recours contre les tiers contrefacteurs
n'était cédé.
La réponse de la Domco à cet argument, à mon
avis, consiste à se référer aux termes du paragra-
phe 57(1). Les termes «que cette violation» ren-
voient au début du paragraphe, à «Quiconque viole
un brevet». Bien interprété, dans le contexte des
autres termes du paragraphe, on veut dire par là
que celui qui se réclame du breveté a droit à tous
les dommages résultant de la contrefaçon du
brevet. Dès qu'il est établi que le titulaire d'une
licence, qu'elle soit exclusive ou non exclusive, se
réclame du breveté, il a droit à tous les dommages
qu'il peut établir en raison de la contrefaçon du
brevet non en raison de l'inexécution de quelque
stipulation de la convention de licence. Donc, selon
mon interprétation, l'article 57 accorde et une
créance et un recours, ce recours étant pour les
dommages qui peuvent être prouvés. Le distingué
premier juge a à bon droit jugé en ce sens.
L'appel devrait donc être rejeté aux dépens des
appelantes et des intimées les Congoleum. Quoique
défenderesses par nécessité en vertu du paragraphe
57(2) et donc, à bon droit, intimées devant notre
juridiction, les compagnies Congoleum n'étaient
pas obligées en droit d'appuyer les appelantes
comme elles l'ont fait, elles devraient donc suppor
ter leur part des dépens en tant qu'intimées
n'ayant pas eu gain de cause.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
* * *
LE JUGE RYAN: J'y souscris aussi.
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