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A-5-80
McCain Foods Limited (Appelante) (Demande- resse)
c.
C. M. McLean Limited (Intimée) (Défenderesse)
Cour d'appel, les juges Urie, Heald et Ryan— Ottawa, 9 et 12 septembre 1980.
Pratique Frais et dépens Appel d'une ordonnance de la Division de première instance accordant des dépens (honoraires et débours) à l'intimée Il échet d'examiner si ce sont des frais injustifiés, s'il y a eu application inexacte du principe gouvernant la matière Règles 344 et 346 de la Cour fédérale, Tarif B, art. 2(2)a),b), 4.
Il est fait appel d'une ordonnance de la Division de première instance par laquelle, sur une requête en augmentation des dépens, faite en vertu des Règles 344 et 346, l'intimée, contre qui l'appelante avait abandonné son action immédiatement avant l'instruction (après les interrogatoires préalables et la conférence préalable à l'instruction—quelque 14 mois séparant ces deux événements), s'est vue accorder des dépens d'honorai- res et de déboursés. Il échet d'examiner si le juge de première instance a fait une application inexacte du principe gouvernant la matière en accordant des sommes injustifiées.
Arrêt: l'appel est accueilli. Que le taxateur, en l'espèce le juge qui a statué sur la requête, ait eu le pouvoir d'imposer, dans les circonstances, des dépens plus élevés que ceux prévus au tarif B, cela résulte implicitement des Règles 344(l),(4) et (5). Il en va de même quant à son pouvoir d'imposer une somme forfaitaire plutôt que de procéder à la taxation. Les Règles permettent bien sûr de s'écarter quelque peu du tarif dans la fixation d'une somme forfaitaire, mais l'on ne peut en faire complètement abstraction. Le juge aurait se baser sur le tarif B pour déterminer la somme forfaitaire à accorder, du moins pour la période allant jusqu'aux interrogatoires préala- bles inclusivement, puisqu'il n'y a pas eu de retard jusque-là, avant de prendre en considération le retard qui a justifié l'octroi de frais supplémentaires. La partie des dépens qui a trait aux débours doit être réduite: les dépenses engagées par un client et le temps perdu par ce dernier ne constituent pas des frais taxables. Enfin, les frais d'un stagiaire font partie des frais généraux d'un cabinet et, comme tels, ne sont pas taxables.
Arrêts examinés: IBM Canada Ltd. -IBM Canada Ltée c. Xerox of Canada Ltd. [1977] 1 C.F. 181; Kaufman c. New York Underwriters Insurance Co. [1955] O.W.N. 496.
APPEL. AVOCATS:
J. I. Minnes pour l'appelante. J. R. Morrissey pour l'intimée.
PROCUREURS:
Scott & Aylen, Ottawa, pour l'appelante. Barrigar & Oyen, Ottawa, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Il est fait appel d'une ordon- nance de la Division de première instance [ [ 1980] 2 C.F. 580] par laquelle, sur une requête en aug mentation des dépens faite en vertu des Règles 344 et 346 des Règles et ordonnances générales de la Cour fédérale du Canada, l'intimée, contre qui l'appelante avait abandonné son action immédiate- ment avant l'instruction, s'est vue accorder $10,929.26 de dépens, dont $7,000 d'honoraires et $3,929.26 de déboursés.
Les Règles pertinentes quant à la requête sont les suivantes:
Règle 344. (1) Les dépens et autres frais de toutes les procédu- res devant la Cour sont laissés à la discrétion de la Cour et suivent le sort de l'affaire sauf ordonnance contraire. Sans limiter la portée générale, la Cour pourra prescrire le paiement d'une somme fixe ou globale au lieu de frais taxés.
(4) Lorsque dans une action, une chose est faite ou omise à tort ou sans nécessité par une partie ou pour son compte, la Cour pourra prescrire qu'il ne sera pas accordé de dépens à cet égard à la partie, et que les frais résultant, pour les autres parties, de cet acte ou omission, leur seront payés par ladite partie.
(5) Sans restreindre la portée générale de l'alinéa (4), la Cour doit, aux fins de cet alinéa tenir compte en particulier de ce qui suit:
a) l'omission d'un acte dont la commission aurait été propre à éviter des frais;
b) la commission d'un acte propre à occasionner des frais superflus ou la commission d'un acte d'une façon ou à un moment propre à entraîner des frais superflus; et
c) tout retard superflu dans les procédures.
(7) Une partie peut
a) après le prononcé du jugement, dans le délai accordé par la Règle 337(5) pour requérir la Cour d'examiner de nou- veau le prononcé du jugement, ou
b) après que la Cour aura décidé du jugement à prononcer, au moment la requête pour l'obtention d'un jugement est présentée,
que le jugement ait ou non réglé la question des dépens, requérir la Cour de donner, au sujet des dépens, des directives spéciales aux termes de la présente Règle, y compris une directive visée au tarif B, et de statuer sur tout point relatif à
l'application de tout ou partie des dispositions de la Règle 346. Une demande faite à la Cour d'appel en vertu du présent alinéa doit être faite devant le juge en chef ou un juge désigné par lui, mais l'une ou l'autre partie peut demander à un tribunal composé d'au moins trois juges de la Cour d'examiner une décision ainsi obtenue.
Règle 346. (1) Tous les frais entre parties doivent être détermi- nés aux termes ou en application du jugement et des instruc tions de la Cour et, sous réserve de ces derniers, le tarif B figurant à l'annexe des présentes Règles, ainsi que la présente Règle, sont applicables à la taxation des frais entre parties.
Dans les motifs de l'ordonnance qu'il a rendue, le juge de première instance s'est ainsi exprimé [aux pages 583 et 584]:
A mon avis, la situation ne permet pas d'adjuger des frais extrajudiciaires (sur la base procureur-client) comme le pro pose la défenderesse. On ne peut conclure que l'action est futile ou injustifiée. La Cour elle-même a conclu que la question de la compétence était assez douteuse pour qu'aucune décision préa- lable ne soit prise à ce sujet sur une question de droit. La Cour n'a entendu aucun témoignage sur le fond en raison du désiste- ment et elle ne peut conclure à juste titre que la procédure n'était pas fondée.
Par ailleurs, la défenderesse a certainement subi du tort et les frais ont été accrus considérablement à cause du désistement de dernière minute. La demanderesse disposait d'un délai assez long après l'interrogatoire préalable pour décider si elle avait de bonnes chances de succès. Après la conférence préalable à l'instruction qui s'est tenue le 5 septembre et aussi après le refus de la Cour de trancher la question de compétence sur une question de droit, le 4 octobre, la demanderesse avait ample- ment le temps de demander l'autorisation de se désister. Son silence sur ce point jusqu'au vendredi de la semaine précédant l'instruction a certainement causé aux avocats de la défende- resse des dépenses supplémentaires et inutiles, pour rencontrer les témoins et les citer à comparaître (encore heureux qu'on n'ait pas eu à les faire venir du Nouveau-Brunswick à Ottawa pour l'instruction, quand l'avis de demande d'autorisation de se désister a été produit) ainsi que pour engager des experts, leur donner des instructions et préparer le procès en général, sans oublier les inconvénients graves causés à la Cour. Il est certain que les règlements et les désistements doivent être encouragés mais ils ne devraient pas intervenir à la dernière minute sans aucune justification apparente. Par conséquent, la défenderesse ne devrait pas assumer tous les frais des travaux accomplis inutilement par ses avocats et ses experts.
La règle pour les appels de cette nature est bien établie. Elle veut qu'à l'égard du pouvoir discré- tionnaire exercé par la Cour ou l'officier taxateur, «un tribunal ne devrait intervenir que lorsque les montants accordés sont inappropriés ou que la décision est déraisonnable au point de sembler résulter d'une erreur de principe»'.
' IBM Canada Ltd.—IBM Canada Ltée c. Xerox of Canada Ltd. [1977] 1 C.F. 181, à la p. 185.
Le juge Gale a, dans l'affaire Kaufman c. New York Underwriters Insurance Co. 2 , reconnu cette règle, mais il a aussi noté que la Cour n'est pas pour autant totalement impuissante. Il a cité le juge Middleton, qui s'est ainsi exprimé dans l'af- faire Re Solicitors 3 :
[TRADUCTION] Dans tous ces cas, il est extrêmement diffi- cile pour un juge d'intervenir, lors d'un appel, à propos du montant alloué par un taxateur expérimenté. Néanmoins, il est important de comprendre que la règle, énoncée dans plusieurs affaires, selon laquelle il n'y a pas lieu de réviser, à l'occasion d'un appel, le montant d'honoraires, ce dernier étant à la discrétion du taxateur, n'est pas absolue. Dans nombre de cas, il est impossible de substituer le pouvoir discrétionnaire de la cour d'appel à celui de l'officier taxateur en étant certain que l'un est préférable à l'autre. Il est des cas la somme accordée est si excessive qu'il faut la modifier. Il faut aussi se rappeler que la loi accorde un droit d'appel qui permet au juge d'apprécier.
Tout en admettant les limites imposées à la Cour pour les appels de cette sorte, j'estime que la somme accordée pour honoraires par le juge de première instance est si inappropriée en l'espèce qu'elle suppose que ce dernier a fait une applica tion inexacte du principe gouvernant la matière. Je tiens à souligner les circonstances suivantes:
1) l'action a été intentée en octobre 1977;
2) la liste des documents de la demanderesse est datée de février 1978;
3) les interrogatoires préalables ont eu lieu en juin 1978;
4) la conférence préalable à l'instruction a été tenue le 5 septembre 1979;
5) le 4 octobre 1979, une requête visant à obtenir une décision préliminaire sur la question de la compétence de la Division de première instance pour connaître de la cause a été rejetée;
6) le 19 novembre 1979, la demanderesse a demandé l'autori- sation de se désister.
S'il s'est produit un retard injustifié, c'est entre la fin des interrogatoires préalables et la confé- rence préalable à l'instruction intervenue en sep- tembre 1979, quelque 14 mois séparant ces deux événements. A première vue, ce délai peut paraître considérable, mais il ne faut pas oublier que la précipitation est à déconseiller lorsqu'il s'agit de préparer l'instruction d'une action où, comme en l'espèce, les avocats n'ont pas leur cabinet dans la même région que les bureaux de leurs clients respectifs. De plus, l'éloignement du client accroît la difficulté de déterminer la validité de sa cause
2 [1955] O.W.N. 496, la p. 497.
3 (1921) 20 O.W.N. 84.
après production des documents et après les inter- rogatoires préalables, aussi bien que celle d'évaluer avec lui ses chances de succès ou d'échec et d'en obtenir des instructions. Quant à savoir si le retard a été exagéré, du moins jusqu'à la conférence préalable, c'est une question d'opinion personnelle, mais c'était certainement un élément à prendre en compte pour décider des dépens.
En évaluant à quel point il y a lieu de prendre cet élément en compte, il faut aussi tenir compte de l'avantage qu'il y a à encourager la demande- resse à se désister ou à transiger lorsqu'il ressort des procédures normales d'évaluation des possibili- tés d'établir le bien-fondé de son action que cette dernière a peu de chances de succès, plutôt que de l'en dissuader. Si un justiciable est pénalisé sous forme de frais pour avoir trop tardé à se désister ou à transiger et que la peine qu'il encourt est trop forte, il pourrait être porté à ne pas se désister ou à ne pas transiger. Il s'agit donc de déterminer la sévérité de la peine à prononcer pour le retard jugé inutile, ce qui est une stricte question d'apprécia- tion personnelle. Il faut accorder beaucoup d'im- portance à l'avis du juge, mais j'estime qu'en l'espèce celui-ci n'a pas tenu suffisamment compte des circonstances atténuantes, commettant ainsi une erreur de principe en accordant des frais beau- coup trop élevés.
Le désistement tardif en l'espèce a sûrement occasionné des frais inutiles à la défenderesse pour la préparation de l'instruction, mais il lui a par contre certainement fait épargner les frais entre procureur et client considérables qu'elle aurait supporter si l'action s'était poursuivie jusqu'à l'étape de l'audition et si l'intimée avait réussi dans sa défense. Que le taxateur, en l'espèce le juge qui a statué sur la requête, ait eu le pouvoir d'imposer, dans les circonstances, des dépens plus élevés que ceux prévus au tarif B, cela résulte implicitement des Règles 344(1),(4) et (5) déjà citées. Il en va de même quand à son pouvoir d'imposer une somme forfaitaire plutôt que de procéder à la taxation. J'aurais cru cependant qu'après avoir conclu, comme le juge l'a fait, qu'il n'y avait pas lieu en l'espèce de taxer les frais entre procureur et client, on se serait inspiré du tarif B pour fixer la somme forfaitaire. Les Règles permettent bien sûr de s'écarter quelque peu du tarif dans la fixation
d'une somme forfaitaire, mais, selon moi, l'on ne peut en faire complètement abstraction.
A mon avis, le juge aurait se baser sur le tarif B pour déterminer la somme forfaitaire à accorder, du moins pour la période allant jusqu'aux interro- gatoires préalables inclusivement, puisqu'il n'y a pas eu de retard jusque-là, avant de prendre en considération le retard qui a justifié l'octroi de frais supplémentaires. S'il est clair qu'il n'a pas fixé la somme forfaitaire à partir du mémoire de frais entre procureur et client soumis par l'intimée, il est aussi manifeste qu'il ne s'est aucunement fondé sur le tarif pour déterminer les frais considérés.
Quant à la partie des dépens qui a trait aux débours, il convient de souligner que les articles 2 et 4 du tarif B permettent de les ajouter à ceux qui sont accordés en vertu du tarif A s'ils étaient essentiels à la conduite de l'action et s'ils sont «certifiés par affidavit ou autre preuve satisfai- sante». Dans un affidavit produit à l'appui de la requête en augmentation des dépens, un des avo- cats de l'intimée a justifié de plusieurs débours faits par son cabinet au cours des procédures. Les administrateurs et le personnel supérieur de l'inti- mée auraient également, a-t-on soutenu, consacré beaucoup de temps à l'affaire. Ce temps est estimé à 50 heures, ce qui, à raison de $30 l'heure, représenterait en tout $1,500. On a aussi estimé que les dépenses, notamment les dépenses de voyage, de l'intimée s'élevaient à $375, mais il n'a été nullement justifié de ces dépenses. Le premier juge a accordé à l'intimée $1,000 pour le temps perdu par les cadres et $375 pour ses débours, dans la somme totale de $3,929.26 qu'il a, sur la requête, accordée pour les débours. A mon avis, il n'aurait pas faire cela. Je doute beaucoup qu'il s'agisse de frais taxables, mais même en suppo- sant qu'ils en sont, la preuve de leur existence est, de toute façon, trop mince pour les accorder. Aussi je réduirai le montant accordé pour les débours de $1,375, ce qui les ramènera à $2,554.26. En consé- quence, j'accueillerai l'appel et je renverrai l'af- faire en Division de première instance pour que des frais forfaitaires y soient fixés conformément aux motifs du présent jugement. Puisque l'appelante a gain de cause dans l'ensemble, elle aura droit aux frais taxables de l'appel.
Je ne voudrais pas terminer sans souligner qu'il semble ressortir des motifs du premier juge que les honoraires pour le temps que les avocats stagiaires ont consacré à la cause en Division de première instance sont taxables. A mon avis, il n'en est rien. Les frais d'un stagiaire font partie des frais d'ex- ploitation d'un cabinet, comme ceux de tout autre employé qui n'est pas un avocat admis à plaider devant les tribunaux. Ces frais font partie des frais généraux du cabinet et la partie de ceux-ci que doit supporter l'avocat est incluse dans le tarif horaire que ce dernier charge à ses clients. A mon avis, pour ce qui est tout au moins de la Cour fédérale, il ne peut être accordé pour les services de stagiaires de frais distincts de ceux de l'avocat chargé du dossier. Le tarif horaire qui peut être accordé à un avocat est une question qui ressort au pouvoir discrétionnaire du taxateur, lequel tiendra compte de tous les facteurs qui sont habituelle- ment pris en considération pour fixer les honorai- res d'un avocat, et notamment de l'importance de l'affaire, du fait qu'il s'agit de l'avocat principal ou d'un assistant et de la complexité des questions en litige.
* * *
LE JUGE HEALD: Je souscris.
* * *
LE JUGE RYAN: Je souscris.
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