T-6020-80
Le caporal J. M. Luc Grégoire (Requérant)
c.
Le lieutenant-général J. J. Paradis, le lieutenant-
général R. Gutknecht, le lieutenant-colonel J. P.
D. Boiteau, le lieutenant-colonel N. Rouleau, le
lieutenant-colonel J. P. Plouffe, le major J. J. B.
Pinsonneault, le major G. Babkine, le capitaine J.
P. L'Espérance et le capitaine C. Biais (Intimés)
et
Le procureur général du Canada et le procureur
général de la province de Québec (Mis-en-cause)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, 3 mars; Ottawa, 11 mars 1981.
Brefs de prérogative — Prohibition — Requête afin d'inter-
dire aux intimés, qui constituent une Cour martiale, de procé-
der à l'instruction des charges criminelles retenues contre le
requérant, un membre des Forces armées canadiennes — Les
charges retenues en vertu de l'art. 120 de la Loi sur la défense
nationale sont fondées sur des infractions prévues au Code
criminel — Il y aurait eu prescription en vertu du Code
criminel — Le requérant fait valoir que l'art. 59 de la Loi sur
la défense nationale, qui prévoit une prescription plus tardive
que celle du Code criminel, est contraire à l'art. lb) de la
Déclaration canadienne des droits Il échet d'examiner si la
Cour a le pouvoir de lancer le bref de prohibition — Il échet
d'examiner si l'art. 120 de la Loi sur la défense nationale est
inconstitutionnel, ultra vires — Il échet d'examiner si engager
une poursuite devant une juridiction militaire est en matière de
prescription contraire à la Déclaration canadienne des droits
— Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, c. N-4, art. 59,
120 et 198 — Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 245 et
721(2) — Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, art. 27(2)
— Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44 (S.R.C.
1970, Appendice III), art. lb) — Acte de l'Amérique du Nord
britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 51, art. 91(7),(27) et 92(14).
Cette espèce est une requête par laquelle son auteur, membre
des Forces armées canadiennes, cherche à faire interdire aux
intimés—qui constituent une Cour martiale—de procéder à
l'instruction des charges retenues contre lui, en vertu de l'arti-
cle 120 de la Loi sur la défense nationale, pour des infractions
prévues au Code criminel. Il a tenté, sans succès, de faire valoir
devant la Cour martiale que si la poursuite avait été engagée
sur le fondement du Code criminel, elle aurait été prescrite (car
l'article 721(2) du Code prévoit une prescription de six mois) et
qu'en conséquence une poursuite fondée sur l'article 59 de la
Loi sur la défense nationale, qui prévoit une prescription
triennale, est contraire à l'article lb) de la Déclaration cana-
dienne des droits. Il échet d'abord de décider si la Cour a le
pouvoir d'accorder un bref de prohibition, malgré le droit du
requérant de former appel de la décision d'une Cour martiale
en vertu de l'article 198 de la Loi sur la défense nationale. Il
échet ensuite d'examiner si l'article 120 de la Loi sur la défense
nationale est inconstitutionnel, ultra vires, lorsque, globale-
ment, il incorpore l'ensemble des infractions prévues au Code.
criminel. Enfin, troisièmement, il échet d'examiner si une ins
truction par une Cour martiale, alors qu'il y a prescription
selon le Code criminel, est contraire à la Déclaration cana-
dienne des droits.
Arrêt: la requête doit être rejetée. Bien qu'il y ait controverse
dans la pensée judiciaire au sujet de savoir si une Cour martiale
peut à bon droit connaître des infractions prévues au Code
criminel incorporées à la Loi sur la défense nationale en vertu
de l'article 120, ou si ce ne serait pas là enfreindre la Déclara-
tion canadienne des droits, il ne peut être statué, en l'état
actuel de la jurisprudence, que l'article 120 de la Loi sur la
défense nationale est inconstitutionnel, ultra vires, pour ce qui
est des infractions commises au Canada, ni que cela ne peut se
faire selon les dispositions de la Loi sur la défense nationale. Il
n'est pas nécessaire de décider si la Cour a le pouvoir de lancer
un bref de prohibition puisqu'en l'espèce ce ne devrait pas être
le cas.
Arrêts analysés: R. c. Hauser [1979] 1 R.C.S. 984;
MacKay c. La Reine [1980] 2 R.C.S. 370. Arrêt examiné:
R. c. Pontbriand (1978) 1 C.R. (3 ° ) 97. Arrêt mentionné:
Smythe c. La Reine [1971] R.C.S. 680.
DEMANDE.
AVOCATS:
J. D. Nolan pour le requérant.
J. Ouellet, c.r. pour les intimés.
PROCUREURS:
LeCorre, Paquette & Associés, Laval, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: En demandant en l'espèce un
bref de prohibition, le requérant dit que les disposi
tions de la Loi sur la défense nationale, S.R.C.
1970, c. N-4, attribuant à des personnes autres que
le procureur général d'une province le droit d'en-
gager une procédure, dans la province, pour infrac
tion au Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, sont
un excès de pouvoir, ultra vires; que les chefs 1 à 5
de la plainte portée contre le requérant visent des
infractions au Code criminel, commises dans la
province de Québec, de sorte que nul si ce n'est le
procureur général de cette province, ou celui qu'il
a dûment autorisé, ne peut agir dans le cas de ces
délits; que la poursuite desdites charges est menée
par quelqu'un d'autre que le procureur général de
la province de Québec, ou son représentant dûment
autorisé, par un procureur fédéral, qui n'a reçu
aucun mandat du procureur général du Québec;
que les délits visés aux chefs 2 à 5 inclusivement
sont prescrits en vertu de la loi qui les crée, soit le
Code criminel du Canada, et que l'article 59(1) de
la Loi sur la défense nationale, qui prévoit qu'un
individu est justiciable de la juridiction militaire à
moins que la procédure ne soit ouverte dans les
trois ans de la perpétration du délit, enfreint l'arti-
cle lb) de la Déclaration canadienne des droits,
S.C. 1960, c. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III], en
ce qu'il prévoit une prescription plus longue que
celle prévue dans la loi créatrice du délit, le Code
criminel, et qu'il s'ensuit que ledit article 59(1) est
illégal ou inopérant pour ce qui est des chefs 2 à 5
de la plainte.
La déposition sous serment, l'affidavit, qui justi-
fie la requête dit que le requérant est membre de
l'Armée canadienne et de la police militaire, et
qu'il était stationné à Valcartier aux dates en
cause. Le 21 mars 1980, il fut prévenu des charges
retenues contre lui par le lieutenant-colonel J. P.
D. Boiteau, un officier canadien à l'époque, et le 6
mai 1980, le lieutenant-général R. Gutknecht,
commandant intérimaire des forces mobiles, signa
l'ordre de convocation d'une Cour martiale disci-
plinaire qui se tint à Valcartier le 29 mai 1980.
Les membres de la Cour devaient être le major J.
F. Bertrand, le capitaine J. G. Dubé et le capitaine
S. J. Solo. Le lieutenant-colonel J. P. Plouffe du
bureau du juge-avocat général fut nommé juge-
avocat. Le major P. Boutet devait agir pour la
poursuite.
A l'ouverture de l'audience, avant de plaider au
fond, le procureur du requérant présenta une
requête à la Cour martiale excipant du déclina-
toire relativement aux cinq premiers chefs de la
plainte, contesta l'autorité constitutionnelle du
major P. Boutet d'agir au nom de la poursuite et
prétendit que la Cour martiale n'était pas compé-
tente pour connaître des charges retenues. Une
deuxième requête fut aussi présentée au sujet des
deuxième, troisième, quatrième et cinquième chefs,
motifs pris que si ces charges avaient été portées
sur le fondement du Code criminel, elles auraient
été prescrites et qu'en conséquence une procédure
ouverte selon l'article 59 de la Loi sur la défense
nationale, qui prévoit une prescription triennale,
était contraire à l'article lb) de la Déclaration
canadienne des droits. Ces exceptions furent reje-
tées mais la Cour martiale accepta d'ajourner au
30 mai 1980 afin de permettre au requérant de
demander un bref de prohibition en Cour fédérale.
Ce jour arrivé, la Cour martiale a repris l'instance,
le requérant a plaidé non coupable sur tous les
chefs et, après une instruction qui a pris tout le
jour, a ajourné au 25 juin 1980, date la plus
proche qui convenait à toutes les parties. Le 11
juin 1980, le requérant présenta une requête pour
lancement d'un bref de prohibition devant notre
juridiction; elle fut instruite le 16 juin 1980, puis
reportée au 14 juillet 1980, certaines pièces étant
exigées. Le 14 juillet, le débat était reporté au 23
septembre 1980, et, à cette date, le juge Decary
rejeta la demande du bref, motif pris que l'un des
membres de la Cour martiale, le capitaine Solo,
était décédé le 5 septembre 1980 de sorte que, vu
l'article 166(1) de la Loi sur la défense nationale,
la Cour martiale était réputée dissoute.
Le 2 décembre 1980, le lieutenant-général J. J.
Paradis, commandant des forces mobiles, signa un
second ordre de convocation d'une Cour martiale,
devant se tenir à Valcartier le 9 décembre 1980,
avec comme président le major G. Babkine et
comme autres membres, le capitaine J. P. L'Espé-
rance et le capitaine H. A. Forget. L'officier
chargé de la poursuite devait être le major J. J. B.
Pinsonneault et le lieutenant-colonel J. P. Plouffe
du bureau du juge-avocat général était nommé
juge-avocat. Le 9 décembre la Cour martiale fut
ouverte, le capitaine C. Blais remplaçant le capi-
taine H. A. Forget. Au début de l'instance, les
exceptions soulevées par le requérant lors de la
précédente Cour martiale furent à nouveau soule-
vées. La Cour martiale rejeta ces exceptions. Elle
fut alors ajournée jusqu'au 28 avril 1980 (il doit
s'agir de 1981) pour permettre de décider de la
présente requête, présentée le 29 décembre 1980.
La plainte comporte neuf chefs; les cinq pre
miers sont portés en vertu de l'article 120 de la Loi
sur la défense nationale et les quatre derniers en
vertu des articles 115a) ou 119 de la même Loi.
Les charges retenues sur le fondement de l'article
120 et relatives au premier chef sont pour infrac
tion à l'article 245(2) du Code criminel (voies de
fait ayant causé des lésions corporelles) et celles
relatives aux deuxième, troisième, quatrième et
cinquième chefs sont pour infractions à l'article
245(1) du Code criminel, voies de fait simples,
certaines de ces dernières ayant été portées contre
l'individu auquel le requérant aurait, selon le pre
mier chef, causé des lésions corporelles, les trois
autres charges de voies de fait simples concernant
trois autres individus.
La décision du juge-avocat, le lieutenant-colonel
J. P. Plouffe, qui rejeta les exceptions soulevées à
l'ouverture de la Cour martiale le 9 décembre
1980, montre qu'il a étudié fort soigneusement
tous les arguments présentés et la jurisprudence
citée, arguments et jurisprudence qu'on a à nou-
veau invoqués en la présente instance au sujet du
lancement du bref de prohibition. Il en avait
conclu que:
(1) Les charges retenues selon l'article 120 de la
Loi sur la défense nationale sont des infractions
militaires, lesquelles incluent les infractions à cette
Loi, au Code criminel ou à toute autre loi du
Parlement du Canada que commet un individu
assujetti au Code de discipline militaire.
(2) L'article 120(1)a) de la Loi sur la défense
nationale, qui assimile à une infraction à cette Loi
les infractions, commises au Canada, punissables
selon la Partie XII de la Loi sur la défense natio-
nale ou qui relèvent du Code criminel ou de toute
autre loi du Parlement du Canada, est de la com-
pétence du Parlement du Canada en vertu des
dispositions de l'article 91(7) de l'Acte de l'Améri-
que du Nord britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c.
3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5] lequel
attribue au Parlement fédéral compétence pour ce
qui concerne «la milice, le service militaire et le
service naval, et la défense du pays»; il n'avait pas
été adopté sur le fondement de l'article 91(27),
source de la compétence fédérale en matière de
droit criminel. Il s'ensuivait que l'article 92(14) de
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867,
attribuant au législateur provincial compétence
pour ce qui concerne «l'administration de la justice
dans la province, y compris la création, le maintien
et l'organisation de tribunaux de justice pour la
province, ayant juridiction civile et criminelle, y
compris la procédure en matières civiles dans ces
tribunaux» ne s'appliquait pas.
(3) Quant à l'argument relatif à la Déclaration
canadienne des droits, le fait que les chefs 2, 3, 4,
et 5 soient prescriptibles par six mois selon l'article
721(2) du Code criminel alors que la Loi sur la
défense nationale prévoit, elle, une prescription
triennale, ne serait pas contraire à la Déclaration
canadienne des droits. Le Code de discipline mili-
taire inclus dans la Loi sur la défense nationale
prévoit pour les militaires des juridictions différen-
tes, des peines différentes et des prescriptions dif-
férentes. C'est le cas dans tous les pays occiden-
taux depuis des temps immémoriaux et au Canada
au moins depuis 1868. En s'enrôlant dans les
Forces armées, un soldat n'échappe pas à la com-
pétence des juridictions civiles mais, ce faisant, il
souscrit volontairement à une obligation juridique
supplémentaire qu'impose le droit militaire cana-
dien. Les arrêts de la Cour suprême MacKay,
Lavell et Prata, qui interprètent la Déclaration
canadienne des droits, disent qu'elle n'exige pas
que tous les groupes de citoyens soient traités de la
même manière mais qu'il suffit que la loi ait un
objet fédéral valide et que les individus d'un même
groupe soient traités également. Il y a le cas du
caporal Mallard, une Cour martiale qui eut lieu en
Europe; le colonel Barnes a alors fait droit à un
argument semblable à celui soulevé en l'espèce en
matière de prescription et dit qu'un retard à juger
est un déni de justice, motif pris apparemment
d'arguments équitables; on avait attendu fort long-
temps avant d'engager la procédure. Le colonel
Barnes s'est déclaré incompétent pour connaître
d'une charge retenue sur le fondement de l'article
245(1) du Code criminel. En l'espèce, le lieute-
nant-colonel Plouffe constatait qu'il n'y avait eu
aucun abus des voies de droit pour cause de retard
de la part de la Couronne à retenir ces charges
devant la Cour martiale (ce qui est discutable
puisque les infractions que visent les cinq premiers
chefs auraient été perpétrées les 31 juillet, 2 et 8
août 1979, les charges n'étant retenues que le 21
mars 1980).
De toute façon, ni la décision du colonel Barnes,
ni celle du lieutenant-colonel Plouffe en l'espèce,
ne lient la Cour et si j'ai cité assez longuement la
décision du lieutenant-colonel Plouffe, ce n'est pas
que la présente instance constitue un appel de
celle-ci mais plutôt parce qu'il s'agit là d'un
résumé utile des arguments que soumet le requé-
rant pour obtenir le bref de prohibition en cause
d'une part, et des réponses des intimés à ce sujet
d'autre part.
Il échet d'examiner d'abord s'il y a lieu à bref de
prohibition en l'espèce. En prononçant un juge-
ment le refusant dans l'affaire MacKay c. Rippon
[[1978] 1 C.F. 233] (qui plus tard alla en Cour
suprême, en appel de la décision du Tribunal
d'appel des cours martiales, un arrêt de la Cour
suprême prononcé en date du 18 juillet 1980,
auquel on se référera plus loin), le juge Cattanach
rappela que le bref de prohibition, comme tout
autre bref de prérogative, est un recours discré-
tionnaire. L'exception aurait dû être soulevée
comme fin de non-recevoir devant la Cour mar-
tiale (ce qui fut fait en la présente espèce, les
exceptions étant rejetées). Si cela avait été fait et
que la Cour martiale permanente l'eût rejetée, on
aurait pu décliner la compétence d'attribution
devant le Tribunal d'appel des cours martiales,
duquel on aurait pu se pourvoir en Cour suprême
du Canada. Le contrôle de la décision de la Cour
martiale par la Cour d'appel fédérale selon l'arti-
cle 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(2e Supp.), c. 10, est expressément exclu par le
paragraphe (6) de cet article. Le juge ajoute [à la
page 246]:
La raison de cette exclusion des cours martiales du pouvoir de
surveillance de la Cour d'appel dans le cas d'une infraction
militaire, et particulièrement lorsqu'elle est instruite par une
cour martiale, est évidente; il existe une voie de recours devant
le Tribunal d'appel des cours martiales. En conséquence, il me
semble qu'il serait bien incongru, vu que la Cour d'appel est
incompétente pour exercer un tel contrôle en vertu de l'article
28, que la Division de première instance soit compétente pour
ce faire, en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale,
par la voie d'un bref de prérogative.
On a aussi soulevé cet argument en l'espèce,
mais l'avocat du requérant interprète différem-
ment l'exclusion de l'article 28 en matière d'infrac-
tion militaire selon la Loi sur la défense nationale,
faisant valoir qu'il est significatif qu'il n'y a pas
d'exclusion semblable de la compétence de la Divi
sion de première instance en matière de bref de
prérogative selon l'article 18. On a cité aussi l'arti-
cle 198 de la Loi sur la défense nationale, que
voici:
198. Le droit, pour toute personne, d'interjeter appel contre
le verdict ou la sentence d'une cour martiale est censé s'ajouter,
et non porter atteinte, aux droits qu'elle possède en vertu de la
loi du Canada.
L'avocat du requérant soutient que la constata-
tion par la Cour martiale de sa compétence et le
rejet de ses arguments sont un jugement dont on
ne peut appeler en cet état de la cause, la Cour
martiale s'étant contentée d'ajourner au 28 avril
dans l'attente de la décision sur le bref de prohibi
tion. Elle se poursuivra alors, soit sur les neuf chefs
si le bref de prohibition est rejeté ou, de toute
façon, sur les quatre derniers chefs même si le bref
est accordé. Le requérant craint donc d'être con-
damné à une peine d'emprisonnement si déclaré
coupable de l'un des cinq premiers chefs mais il
pense que cela pourrait ne pas être le cas pour ce
qui est des quatre derniers, lesquels portent sur de
fausses dépositions écrites relatives aux rapports
qu'il aurait faits sur les événements. Comme la Loi
sur la défense nationale ne contient aucune dispo
sition en matière de cautionnement ni de sursis, s'il
avait choisi la procédure d'appel au Tribunal d'ap-
pel des cours martiales et éventuellement à la Cour
suprême du Canada, il aurait dû, s'il avait été
déclaré coupable de l'un des cinq premiers chefs, et
condamné à une peine d'emprisonnement en consé-
quence, demeurer en détention tout au long de
l'audition des appels, lesquels n'auraient probable-
ment pas été jugés définitivement avant que la
peine ne soit purgée, lui causant ainsi préjudice.
C'est pour cette raison qu'il demande un bref de
prohibition; s'il lui est accordé, la Cour martiale ne
pourra connaître que des quatre derniers chefs, ce
qui lui permettra de conserver sa liberté en atten
dant que soient résolus les divers appels.
L'avocat des intimés oppose à cet argument que
le requérant, en ayant recours au bref de prohibi
tion plutôt qu'à la procédure d'appel prévue par la
Loi sur la défense nationale, peut retarder l'ins-
truction des cinq premiers chefs jusqu'à une date
postérieure aux appels prévisibles à la Cour d'ap-
pel fédérale et, éventuellement, à la Cour suprême
du Canada et, lorsqu'il sera enfin jugé qu'il n'y a
pas lieu à prohibition, le cas échéant, et que la
Cour martiale pourra connaître de ces chefs, les
témoins ne seront plus disponibles ou les faits
auront été obscurcis par le passage du temps. Ce
sont là deux arguments de commodité qui ne de-
vraient pas jouer lorsqu'il s'agit de décider à dis-
crétion si un bref de prohibition doit ou non être
accordé. Certainement, le fait qu'un individu
déclaré coupable sur le fondement de la Loi sur la
défense nationale et condamné à une peine d'em-
prisonnement doive éventuellement subir l'incar-
cération en attendant l'issue des appels que lui
ouvre cette Loi, n'est pas en lui-même un motif
pour chercher à passer outre à la procédure d'ap-
pel normale et à procéder en son lieu et place par
le biais du bref de prohibition. Toutefois, en l'es-
pèce, je ne juge pas nécessaire de décider si la
Cour est autorisée à lancer un bref de prohibition,
alors qu'on peut avoir recours à une procédure
d'appel selon la Loi sur la défense nationale,
puisque, sur le fond, j'en suis venu à la conclusion,
de toute façon, qu'il n'y a pas lieu de lancer ce
bref.
Il faut maintenant traiter du fondement de cette
conclusion puisque les arguments du requérant,
fondés sur la constitutionnalité de l'article 120 de
la Loi sur la défense nationale, et l'effet de la
Déclaration canadienne des droits, vu le préjudice
causé au requérant par suite de la prescription plus
longue que prévoit la Loi sur la défense nationale,
ont été tous deux débattus en long et en large et
qu'une abondante jurisprudence a été citée.
Le deuxième point à traiter en l'espèce est la
prétention du requérant voulant que l'article 120
de la Loi sur la défense nationale soit inconstitu-
tionnel, ultra vires, lorsqu'il incorpore globalement
dans cette loi toutes les infractions du Code crimi-
nel. La Partie V de la Loi sur la défense nationale
est intitulée «Infractions militaires et peines»; les
articles 62 à 119 inclusivement ne traitent que
d'infractions militaires mais l'article 120 a pour
effet de qualifier d'infractions militaires les infrac
tions prévues au Code criminel qui ne sont pas en
soi des infractions militaires; c'est à cela que le
requérant s'en prend.
Le requérant invoque cette portion de l'arrêt de
la Cour suprême dans l'affaire La Reine c. Hau-
ser' où il fut jugé toutefois qu'une charge portée
par le procureur général du Canada, sur le fonde-
ment de la Loi sur les stupéfiants, l'avait été
régulièrement, indépendamment de l'article 2 du
Code criminel, que voici:
2....
«procureur général» désigne le procureur général ... d'une
province où sont intentées des procédures visées par la pré-
sente loi et désigne, relativement
' [1979] I R.C.S. 984.
b) aux procédures instituées sur l'instance du gouvernement
du Canada et dirigées par ce gouvernement ou pour son
compte, qui sont relatives à la violation ou à un complot en
vue de la violation d'une loi du Parlement du Canada ou d'un
règlement établi en vertu d'une telle loi, sauf la présente loi,
le procureur général du Canada .. ,
On jugea que la Loi sur les stupéfiants était bien
une loi de ce genre. Prononçant l'arrêt, le juge
Pigeon dit, à la page 992:
Du point de vue constitutionnel, la distinction à faire est entre
les lois fondées sur le pouvoir législatif en matière de droit
criminel et toutes les autres lois fédérales; c'est ce que disent les
trois provinces qui reconnaissent que, lorsqu'il légifère dans ses
autres domaines de compétence, le Parlement fédéral peut
confier la direction des poursuites aux fonctionnaires fédéraux,
mais ces provinces contestent cette compétence à l'égard des
poursuites en droit criminel proprement dit.
Le juge Spence, dans son opinion individuelle, à la
page 1003 dit:
Je ne vois rien qui empêche le Parlement, dans l'exercice de son
pouvoir législatif valide, de décréter, relativement à certains
devoirs ou procédures, que les fonctionnaires provinciaux n'ont
pas de rôle exclusif, mais le partagent avec des fonctionnaires
fédéraux, dont le procureur général du Canada, ou un orga-
nisme d'investigation ou de poursuite désigné par le Parlement.
Si on admet, comme il se doit, que la Loi sur la
défense nationale a été promulguée sur le fonde-
ment de l'article 91(7) de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique, 1867, plutôt que sur celui de
l'article 91(27), qui traite du droit criminel, même
si incidemment il arrive qu'y sont incorporées des
infractions selon le droit criminel, alors, semble-
t-il, l'article 120 constitue un acte législatif fédéral
valide.
Le requérant a aussi cité l'affaire Regina c.
Pontbriand 2 où, à la page 110, le juge en chef
adjoint Hugessen dit:
[TRADUCTION] Autrement dit, les pouvoirs et privilèges du
procureur général de conduire, surveiller et diriger les poursui-
tes criminelles constituent plus qu'une simple question de pro-
cédure; ils sont au cœur même de l'administration de la justice
en matière criminelle. En vertu des art. 92(14) et 135 de
l'A.A.N.B., seules les législatures provinciales ont le droit de
légiférer sur ces pouvoirs et privilèges. En vertu de sa compé-
tence en matière de procédure criminelle, le Parlement peut
augmenter ces pouvoirs et privilèges, mais il ne peut les enlever.
Plus précisément, le Parlement ne peut créer son propre procu-
reur général et tenter de lui donner sur l'administration de la
justice en matière criminelle des droits qui équivalent à ceux
qu'exerçait le procureur général à l'époque de la Confédération.
Puisque c'est le but visé par la définition de «procureur général»
à l'art. 2 du Code criminel, cette disposition est, dans cette
mesure, ultra vires.
2 (1978) 1 C.R. (3') 97.
C'était là toutefois une affaire, portant sur la Loi
sur les stupéfiants, décidée avant l'arrêt de la
Cour suprême La Reine c. Hauser. Le requérant
soutient que l'article 120 de la Loi sur la défense
nationale ne serait pas inconstitutionnel s'il était
restreint à la répression d'infractions perpétrées à
l'extérieur du Canada mais que les poursuites cri-
minelles engagées sur son fondement dans l'une
des provinces du Canada interfèrent avec les arti
cles 92(14) et 135 de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique, 1867; en vertu de l'article 2 du
Code criminel, de telles poursuites ne pourraient
être engagées que par le procureur général de la
province et ne réprimeraient qu'une infraction
selon le droit criminel.
On s'est en outre référé à l'arrêt de la Cour
suprême MacKay c. La Reine [[1980] 2 R.C.S.
370], en date du 18 juillet 1980, qui traite lui aussi
d'une instance devant une Cour martiale saisie
d'infractions relatives aux stupéfiants. L'une des
questions soumises à la Cour était de savoir si «la
Loi sur la défense nationale est ultra vires du
Parlement du Canada dans la mesure où elle
permet au procureur à charge militaire et non au
procureur général d'une province ou au procureur
général du Canada d'instituer et de mener des
poursuites criminelles devant des tribunaux mili-
taires pour des infractions commises au Canada en
violation de la Loi sur les stupéfiants ou du Code
criminel?» Quoique cette question ait été débattue
à fond dans les factums soumis, elle ne fut soulevée
ni plaidée à l'audience vu l'arrêt Hauser qui avait
décidé que les infractions à la Loi sur les stupé-
fiants n'étaient pas des infractions criminelles. La
question de savoir si des infractions au Code cri-
minel pouvaient faire l'objet de la procédure
prévue à la Loi sur la défense nationale demeurait
donc à décider. En prononçant l'arrêt toutefois, à
la page 397 des motifs, le juge Ritchie dit:
Le pouvoir de permettre aux autorités militaires d'intenter
des poursuites est un aspect nécessaire de la répression des
infractions militaires que l'on a toujours considérées comme
faisant partie du droit militaire. La loi en cause tire sa force du
par. 91(7) et il n'y a donc pas d'application possible des
pouvoirs provinciaux en vertu du par. 91(24) *. La Loi ressortit
donc exclusivement au Parlement, même dans les domaines qui
relèvent normalement du Code criminel ou de la Loi sur les
stupéfiants mais qui, à cause de la Loi et de l'application du
droit militaire, sont à bon droit inclus dans la catégorie des
infractions militaires.
* Évidemment on veut dire l'article 92(14).
Il se peut qu'il s'agisse là d'obiter dicta en l'espèce
mais on rappellera que les juges Martland, Pigeon,
Beetz et Chouinard ont souscrit à ses motifs sans
aucun commentaire.
Le juge en chef Laskin, à la page 376 de son
opinion dissidente, dit:
On prétend toutefois en l'espèce que l'on a nettement débordé
du cadre d'un code militaire interne par l'art. 120 de la Loi sur
la défense nationale et les dispositions connexes, puisqu'on y
prévoit la poursuite d'infractions aux lois pénales ordinaires
devant des tribunaux militaires, sans que les membres des
forces armées accusés soient placés, face à ces lois, dans la
même situation que les autres membres du public accusés des
mêmes infractions.
A la page 377, il ajoute:
Certaines infractions semblables à des infractions au Code
criminel sont incluses dans la catégorie d'infractions militaires,
mais font l'objet de dispositions distinctes comme, par exemple,
le vol à l'art. 104 et le recel à l'art. 105. Ces exceptions
n'influent pas sur le caractère général de l'art. 120 et, bien qu'il
ne soit pas nécessaire de trancher cette question en l'espèce, il
se peut que l'on ait le choix de poursuivre un accusé en pareil
cas soit en vertu du Code criminel soit en vertu des dispositions
spéciales que je viens de mentionner.
Et à la page 380 il dit:
A mon avis, il est fondamental que lorsqu'une personne, quel
que soit son statut ou son occupation, est accusée d'une infrac
tion à la loi pénale ordinaire et doit être jugée en vertu de cette
loi et conformément à ses prescriptions, elle ait le droit d'être
jugée par une cour de justice, distincte de la poursuite et
au-dessus de tout soupçon d'influence ou de dépendance d'au-
tres personnes. Il n'y a rien dans le cas où l'accusé fait partie
des forces armées, qui exige les connaissances ou l'habileté
spéciales d'un officier supérieur, comme ce serait le cas si une
infraction purement militaire ou disciplinaire relative à l'acti-
vité militaire était en cause. Il en découle que l'al. 2f) de la
Déclaration canadienne des droits a été violé, parce que l'ac-
cusé, inculpé d'une infraction criminelle, avait le droit d'être
jugé par un tribunal indépendant et non préjugé.
Après avoir cité l'article 2f) de la Déclaration
canadienne des droits, il conclut [à la page 380]:
En bref, je considère que les dispositions de la Loi sur la
défense nationale sont inopérantes dans la mesure où elles
prévoient que les infractions à la loi ordinaire sont jugées par
des tribunaux militaires.
Cette opinion dissidente est fondée sur la Déclara-
tion canadienne des droits, argument qui fut aussi
soulevé en l'espèce et sera considéré plus loin,
plutôt que sur la constitutionnalité de l'article 120.
Le juge McIntyre, dans son opinion individuelle,
à laquelle a souscrit le juge Dickson, dit, aux pages
408 et 409:
L'article 2 de la Loi sur la défense nationale définit une
infraction militaire comme aune infraction visée par la présente
loi, par le Code criminel ou par toute autre loi du Parlement du
Canada, et commise par une personne pendant son assujettisse-
ment au Code de discipline militaire». La Loi porte également
que ces infractions pourront faire l'objet de poursuites et de
sanctions conformément au droit militaire. Si nous appliquons
littéralement la définition d'infraction militaire, toutes poursui-
tes contre des militaires pour toute infraction à toute loi pénale
canadienne pourraient être menées devant des tribunaux mili-
taires. Dans un pays doté d'un système judiciaire bien établi
desservant toutes les régions du pays et où la poursuite des
infractions criminelles et la constitution des tribunaux de juri-
diction criminelle incombent aux gouvernements provinciaux, il
m'est impossible d'accepter la thèse que les besoins légitimes
des forces armées aillent aussi loin. Pour atteindre un objectif
socialement souhaitable relié à la vie militaire, il n'est pas
nécessaire d'étendre autant la compétence des tribunaux mili-
taires. On peut bien dire qu'en pratique, les tribunaux militaires
ne chercheront pas à étendre leur compétence au champ entier
du droit pénal applicable aux membres des forces armées. C'est
peut-être bien le cas, mais nous n'avons pas à examiner la
conduite des tribunaux militaires dans les faits. Notre problème
consiste à définir les limites de leur compétence et, à mon avis,
ce serait contrevenir au principe de l'égalité devant la loi que
d'interpréter les dispositions de la Loi sur la défense nationale
de façon à donner ce sens littéral à la définition d'infraction
militaire. La portée exhaustive des dispositions en cause de la
Loi sur la défense nationale dépasse toute limite raisonnable ou
nécessaire. Le soldat inculpé d'une infraction criminelle est
privé du bénéfice d'une enquête préliminaire ou du droit à un
procès devant jury. Il est soumis à un code militaire qui diffère
à certains égards du droit commun, à des règles de preuve
différentes et à une procédure d'appel différente et plus res-
treinte. Son droit d'invoquer les plaidoyers spéciaux d'aautrefois
convict» ou d'aautrefois acquit» est modifié car, s'il est déclaré
coupable d'une infraction par un tribunal civil, il ne peut être
jugé de nouveau pour la même infraction par un tribunal
militaire, mais sa déclaration de culpabilité par un tribunal
militaire n'empêche pas une deuxième poursuite devant un
tribunal civil. Son droit à un cautionnement est à toutes fins
pratiques éliminé. Bien que ces différences puissent être accep-
tables, compte tenu des besoins militaires, dans certains cas, on
ne peut leur donner d'effet universel dans l'application du droit
pénal canadien aux membres des forces armées en poste au
Canada.
Lui aussi traitait donc de l'argument relatif à la
Déclaration canadienne des droits. Le juge en chef
Laskin dit toutefois à la page 386:
En conséquence, l'art. 120 de la Loi sur la défense nationale
doit être déclaré inopérant dans la mesure où, pour une viola
tion de la loi ordinaire, il impose aux membres des forces
armées une responsabilité différente et, d'ailleurs, plus lourde
que celle qui incombe aux autres personnes au Canada à qui
cette loi-là s'applique aussi.
Il semblerait y avoir deux écoles de pensée en
Cour suprême lorsqu'il s'agit de savoir si une Cour
martiale peut connaître des infractions au Code
criminel incorporées à la Loi sur la défense natio-
pale en vertu de l'article 120 ou s'il ne s'agit pas là
d'une violation de la Déclaration canadienne des
droits, cinq juges tenant que cette procédure ne
constitue pas une telle violation, quatre tenant que
c'est le cas (le juge Estey ayant souscrit à l'opinion
dissidente du juge en chef). Quoique dissident par
sa discussion de l'à-propos de cette procédure dans
le cas des infractions au Code criminel, le juge
McIntyre, le juge Dickson souscrivant à cet avis,
admet que dans l'espèce alors en cause, trafic et
possession de stupéfiants, il s'agissait d'infractions
suffisamment reliées à la vie militaire pour être de
la compétence de la juridiction militaire.
On ne peut donc soutenir, dans l'état actuel de
la jurisprudence, que l'article 120 de la Loi sur la
défense nationale est inconstitutionnel, ultra vires,
pour ce qui est des infractions instruites au
Canada même, ni pour dire que celles-ci ne peu-
vent faire l'objet de la procédure prévue à la Loi
sur la défense nationale.
Le troisième point litigieux est de savoir si saisir
le tribunal militaire des deuxième, troisième, qua-
trième et cinquième chefs des charges dont le
requérant est prévenu, alors qu'ils seraient déjà
prescrits si la procédure avait été ouverte en vertu
du Code criminel, est contraire à la Déclaration
canadienne des droits. Cet argument a été exa-
miné à fond dans l'affaire MacKay (précitée); il
est vrai cependant que la question de la prescrip
tion n'a pas alors été soulevée. Répéter les mêmes
arguments en cet état de la cause n'ajoute rien. Si
l'article 59 de la Loi sur la défense nationale, qui
prévoit une prescription triennale pour toutes les
infractions y contenues (ce qui bien entendu inclut
ces infractions du Code criminel incorporées en
vertu de l'article 120) n'est pas un excès de pou-
voir, ultra vires, et je ne conclus pas qu'il l'est, se
pose alors la question de savoir s'il ne s'agit pas
purement d'un problème de procédure. Certaine-
ment s'il est contraire à la Déclaration canadienne
des droits, comme le soutient le requérant, de
procéder à l'instruction des infractions du Code
criminel selon la Loi sur la défense nationale,
alors qu'elles auraient été prescrites si instruites
selon le Code criminel, au Canada, il serait encore
plus discriminatoire de dire qu'elles pourraient
l'être à l'étranger, selon la Loi sur la défense
nationale, à tout moment avant l'expiration de la
prescription triennale, alors que l'individu pour-
suivi au Canada pour des infractions similaires
bénéficierait de la prescription semestrielle. Le
requérant prétend que la prescription semestrielle
prévue au Code criminel pourrait être appliquée
même dans le cas des infractions instruites à
l'étranger; je ne trouve aucun fondement à cet
argument si ce n'est la décision du colonel Barnes
dans l'affaire du Caporal Mallard instruite en
Europe, affaire qui naturellement ne lie en aucune
façon la Cour. Si une Cour martiale va à l'étran-
ger en vertu des dispositions de la Loi sur la
défense nationale, c'est manifestement la prescrip
tion triennale de cette Loi qui s'applique, non la
prescription semestrielle du Code criminel.
Les intimés soutiennent que l'article 27(2) de la
Loi d'interprétation' doit aussi être appliqué.
Voici ledit article:
27....
(2) Toutes les dispositions du Code criminel relatives aux
actes criminels s'appliquent aux actes criminels créés par un
texte législatif, et toutes les dispositions du Code criminel
relatives aux infractions punissables sur déclaration sommaire
de culpabilité s'appliquent à toutes les autres infractions créées
par un texte législatif, sauf dans la mesure où ce dernier en
décide autrement. [Soulignés ajoutés.]
Le requérant soutient que cela ne s'applique
qu'aux infractions du Code criminel mais il est
significatif que l'article parle d'«un» texte législatif,
ce qui peut fort bien inclure la Loi sur la défense
nationale qui alors «en décide autrement».
Les intimés citent aussi l'article 244(4) de la Loi
de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63,
qui prévoit une prescription de cinq ans en matière
de plaintes sommaires, en lieu et place de la pres
cription semestrielle du Code criminel. Dans l'af-
faire Smythe c. La Reine 4 , dans laquelle on avait
soutenu que la décision de choisir la voie de l'incul-
pation conformément à l'article 132(2) de la Loi
de l'impôt sur le revenu d'alors, qui prévoyait une
peine d'emprisonnement minimum de deux mois,
plutôt que la procédure sommaire de l'article
131(1), était contraire à la Déclaration canadienne
des droits, on a jugé que [sommaire, page 6811:
3 S.R.C. 1970, c. I-23.
' [1971] R.C.S. 680.
L'article 132(2) de la Loi n'est pas discriminatoire et ne viole
pas le principe de l'égalité devant la loi. Cet article n'établit en
soi aucune distinction entre une personne ou classe de person-
nes particulière et quelque autre membre de la société. Ses
dispositions s'appliquent sans distinction à tout le monde. La
façon dont un ministre de la Couronne exerce un pouvoir
discrétionnaire qui lui est conféré par le législateur pour la
bonne administration d'une loi n'entre pas en jeu lorsqu'on
examine la question de savoir si cette loi, en soi, porte atteinte
au principe de l'égalité devant la loi. Il serait impossible,
particulièrement en matière criminelle, d'appliquer la loi si un
certain pouvoir discrétionnaire n'était dévolu à une personne
ayant autorité. Si une personne ayant autorité, telle que le
procureur général, peut avoir le droit de décider si une personne
sera poursuivie ou non, elle peut à coup sûr, si la loi l'y autorise,
avoir le droit de déterminer la forme que prendra la poursuite.
La situation n'est pas changée du fait que l'art. 132(2) prévoit
une période minimum d'emprisonnement.
Le juge Ritchie s'est référé à cette décision dans
son arrêt dans l'affaire MacKay.
En outre, les intimés soutiennent que lorsqu'un
individu s'enrôle dans les Forces armées, il accepte
volontairement de respecter les dispositions de la
Loi sur la défense nationale, laquelle inclut le
Code de discipline militaire qui y est énoncé, y
compris les infractions de droit criminel qui ne
sont pas expressément d'une nature militaire mais
qui y sont assimilées par l'article 120 ainsi que la
prescription triennale de l'article 59; dans la
mesure où il n'est pas traité différemment des
autres membres en service des Forces armées, il ne
peut plaider discrimination contrevenant à la Dé-
claration canadienne des droits.
Le requérant fait valoir qu'il n'y a pas d'objet
fédéral valide qui justifie l'article 59 de la Loi sur
la défense nationale de prévoir une prescription
plus longue que celle du Code criminel dans le cas
des infractions sommaires qui y sont incluses en
vertu de l'article 120; néanmoins, il ne demande
pas de prononcer son invalidité mais simplement
de le déclarer inopérant dans les cas où il y a
prescription semestrielle, le prévenu ne pouvant
plus être poursuivi en vertu du Code criminel pour
voies de fait simples.
Il se peut que cet argument soit en quelque sorte
plus fort lorsqu'il met en cause la Déclaration
canadienne des droits plutôt que l'aspect constitu-
tionnel dont j'ai déjà traité mais, après examen de
la jurisprudence de la Cour suprême relative à la
Déclaration canadienne des droits, je ne puis con-
dure que l'argument est suffisant pour justifier de
paraître aller à l'opposé des vues de la majorité
dans l'affaire MacKay, quoiqu'elle n'ait pas décidé
précisément du litige en cause.
Donc je conclus que, même s'il pourrait y avoir
lieu au bref de prohibition en l'instance, en dépit
des procédures d'appel dont pourrait se prévaloir le
requérant en vertu des dispositions de la Loi sur la
défense nationale, ce qui est plus que douteux, le
bref ne doit pas être lancé, motif pris des points de
droit soulevés en l'espèce.
ORDONNANCE
La demande de bref de prohibition du requérant
en l'espèce est rejetée avec dépens.
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