T-515-80
Crush International Limited (Appelante)
c.
Canada Dry Limited (Intimée)
Division de première instance, le juge Cattanach—
Ottawa, 4 et 18 mars 1980.
Pratique — Prorogation de délai — Marques de commerce
— Avis d'appel produit dans les délais mais signifié à l'inti-
mée après les délais — Requête de l'appelante pour faire
proroger le délai de signification d'une copie de l'avis d'appel
et requête de l'intimée en annulation de l'avis d'appel pour
inobservation des dispositions de la Loi — Il y a lieu d'exami-
ner si les dispositions du par. 56(3) de la Loi sur les marques
de commerce sont impératives ou indicatives et si l'appelante
est limitée au recours qu'elle a choisi — La requête tendant à
faire proroger le délai pour compléter l'appel est accueillie et
la requête en annulation de l'avis d'appel est rejetée — Loi sur
les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, art.
56(1 ),(2),(3) — Règle 3(1)c) de la Cour fédérale.
L'appelante demande une prorogation de délai pour la signi
fication d'un avis d'appel d'une décision rendue par le regis-
traire des marques de commerce. L'intimée demande l'annula-
tion de l'avis d'appel pour le motif que l'appelante a omis
d'expédier à l'intimée une copie de l'avis d'appel dans le délai
prescrit par le paragraphe 56(3) de la Loi sur les marques de
commerce. L'avis d'appel a été déposé au bureau du registraire
et au greffe de la Cour dans le délai imparti. Il s'agit de
déterminer si les dispositions du paragraphe 56(3) sont impéra-
tives ou indicatives et si l'appelante est limitée au recours choisi
par elle.
Arrêt: la requête de l'appelante pour autorisation de complé-
ter son appel est accueillie, mais sans dépens et la requête de
l'intimée est rejetée, mais l'intimée aura droit à ses dépens. Les
dispositions de l'article 56 de la Loi sur les marques de
commerce se présentent comme impératives et ne peuvent, sans
raisons majeures, être considérées comme simplement indicati
ves. Il n'existe pas de telles raisons. Dés lors, le défaut d'obser-
ver exactement ces dispositions emporte nullité. C'est le para-
graphe 56(1) qui prescrit le délai de deux mois, délai pouvant
être prolongé soit avant soit après son expiration. Il n'y a pas de
disposition dans l'article 56 qui permette de prolonger le délai
prescrit au paragraphe 56(3) comme le demande l'avis de
requête de l'appelante. La prémisse voulant que l'appelante se
soit limitée à demander une ordonnance prorogeant le délai de
signification d'une copie de l'avis d'appel à l'intimée en vertu
du paragraphe 56(3) est écartée. Ce que l'appelante recherche
c'est une ordonnance prorogeant le délai qui lui permettrait de
compléter son appel, et pour compléter l'appel il faut incidem-
ment une prolongation du délai qui s'applique en vertu du
paragraphe 56(3). Cette fin peut être atteinte au moyen d'une
prolongation du délai d'appel prévu au paragraphe 56(1). La
seule façon dont le délai applicable en vertu du paragraphe
56(3) peut être prolongé, c'est par une prolongation du délai
d'appel prévu au paragraphe 56(1).
DEMANDE.
AVOCATS:
J. Guy Potvin pour l'appelante.
Duncan Finlayson, c.r. pour l'intimée.
PROCUREURS:
Scott & Aylen, Ottawa, pour l'appelante.
Kingsmill, Jennings, Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Par avis de requête daté
du 14 février 1980, et indiquant que la requête
serait présentée à Ottawa, en Ontario, le 21 février
1980, l'appelante a demandé une prolongation du
délai imparti pour signifier un avis d'appel d'une
décision rendue par le registraire des marques de
commerce le 4 décembre 1979 et expédiée à l'inti-
mée à cette date.
Par avis de requête aussi daté du 14 février
1980, et indiquant que la requête serait présentée à
Toronto, en Ontario, le 25 février 1980, l'intimée a
demandé l'annulation de l'avis d'appel du 4 février
1980, déposé au greffe et au bureau du registraire
le même jour, pour le motif que l'appelante ne
s'était pas conformée aux exigences du paragraphe
56(3) de la Loi sur les marques de commerce,
S.R.C. 1970, c. T-10.
Les avocats des parties ont consenti à ce que les
deux requêtes soient entendues à Ottawa, le 4
mars 1980. A cause des difficultés que les avocats
éprouvaient à débattre des requêtes portant la
même date, mais inscrites pour audition dans deux
villes différentes à des dates différentes, les dates
mentionnées à l'avis de requête de l'appelante
nécessitaient des changements auxquels les avocats
des parties donnèrent leur accord.
Les avocats sont également convenus que si la
requête de l'intimée était rejetée et l'autorisation
demandée par la requête de l'appelante accordée,
l'ordonnance devrait mentionner:
(1) Que l'autorisation est accordée de produire immédiate-
ment un avis d'appel modifié;
(2) Que le délai accordé pour signifier l'avis d'appel modifié
est porté à cinq jours de la date de cette ordonnance;
(3) Que l'autorisation est accordée à l'appelante de produire
et signifier d'autres preuves par affidavits dans les trente
jours de la date de l'ordonnance;
(4) Que l'intimée a trente jours à compter de la signification
de l'avis d'appel modifié pour produire sa réponse;
(5) Et que l'intimée a un délai additionnel de trente jours
après la production de sa réponse pour produire et signifier
d'autres preuves par affidavits.
Les paragraphes (1), (2) et (3) de l'article 56
sont ainsi rédigés:
56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous
le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour
fédérale du Canada dans les deux mois qui suivent la date où le
registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai
supplémentaire que la Cour peut accorder, soit avant, soit après
l'expiration des deux mois.
(2) L'appel est interjeté au moyen d'un avis d'appel produit
au bureau du registraire et à la Cour fédérale du Canada.
(3) L'appelant doit, dans le délai établi ou accordé par le
paragraphe (1), envoyer, sous pli recommandé, une copie de
l'avis au propriétaire inscrit de toute marque de commerce que
le registraire a mentionnée dans la décision sur laquelle porte la
plainte et à chaque autre personne qui avait droit à un avis de
cette décision.
En vertu du paragraphe (1), le délai accordé
pour déposer l'avis d'appel est de deux mois à
compter du 4 décembre 1979. Il doit donc être
déposé au plus tard le 4 février 1980, ou dans tout
autre délai que la Cour peut accorder avant ou
après l'expiration des deux mois.
En vertu du paragraphe (2), l'appel a lieu par
avis d'appel produit à la Cour fédérale.
L'avis d'appel a été déposé le 4 février 1980, ce
qui était dans le délai de deux mois.
En vertu du paragraphe (3), l'appelante devait,
«dans le délai établi ou accordé par le paragraphe
(1), envoyer, sous pli recommandé, une copie de
l'avis» à l'intimée.
L'avis d'appel a été déposé à la Cour fédérale et
au bureau du registraire des marques de commerce
le 4 février 1980, ce qui était dans le délai de deux
mois et, en conséquence, le délai de deux mois
prescrit au paragraphe (1) n'a pas été prolongé. Ce
n'était pas nécessaire à ce moment-là.
Toutefois, aucune copie de l'avis d'appel n'a été
expédiée à l'intimée le 4 février 1980, comme
l'exigeait le paragraphe (3). A cause d'un oubli de
la part du personnel de la salle de courrier des
avocats de l'appelante, l'avis d'appel n'a été expé-
dié à l'intimée que le 5 février 1980, soit après
l'expiration du délai imparti.
Si j'ai bien compris, l'argumentation de l'avocat
de l'intimée, à l'appui de la requête tendant à
l'annulation de l'appel pour défaut de l'appelante
de se conformer aux exigences de l'article 56 de la
Loi sur les marques de commerce, serait pour
l'essentiel conforme à ce que je dirai ci-après.
Les exigences mentionnées aux paragraphes per-
tinents de l'article 56, paragraphes dont le texte
apparaît plus haut, sont les suivantes:
1. 11 peut être fait appel d'une décision du registraire pendant
un délai de deux mois de la date à laquelle le registraire a
expédié avis de sa décision; (dans le cas présent, il est
constant que la décision a été expédiée le 4 décembre 1979 et
que le délai s'est terminé le 4 février 1980);
2. l'appel est interjeté par avis d'appel et l'avis d'appel doit
être produit au bureau du registraire et à la Cour fédérale du
Canada;
3. l'avis d'appel a été produit au bureau du registraire et à la
Cour dans le délai de deux mois prescrit au paragraphe
56(1), soit le 4 février 1980;
4. copie de l'avis d'appel n'a pas été expédiée à l'intimée dans
le délai de deux mois prévu au paragraphe 56(1), ce paragra-
phe fixant le délai dans lequel copie de l'avis d'appel doit être
transmise à l'intimée comme le prescrit le paragraphe 56(3).
Si les dispositions du paragraphe 56(3) sont
simplement indicatives, l'argumentation de l'inti-
mée ne tient plus.
A mon avis, les dispositions de l'article 56 de la
Loi sur les marques de commerce se présentent
comme impératives et ne peuvent sans raisons
majeures être considérées comme simplement indi
catives. Or, il n'existe pas de telles raisons majeu-
res. Dès lors, le défaut d'observer exactement ces
dispositions emporte nullité.
L'argumentation de l'intimée repose sur le fait
que l'appelante, au paragraphe 3 de son avis de
requête, demande une ordonnance
[TRADUCTION] prolongeant le délai accordé par l'article 56(3)
de la Loi sur les marques de commerce pour signifier l'avis
d'appel ... .
L'intimée soutient que le paragraphe 56(3) de la
Loi sur les marques de commerce ne permet pas
d'accorder l'ordonnance demandée par l'appelante.
Ainsi présenté, l'argument de l'intimée est irré-
futable. C'est en effet le paragraphe 56(1) qui
prescrit le délai de deux mois, délai pouvant être
prolongé soit avant soit après son expiration. Le
paragraphe 56(1) règle le délai pendant lequel la
copie de l'avis d'appel doit être expédiée. Puisque
ce délai n'a pas été prorogé, il reste de deux mois.
Il n'y a pas de disposition dans l'article 56 qui
permette de prolonger le délai prescrit au paragra-
phe (3) de cet article, comme le demande l'avis de
requête de l'appelante en son paragraphe (3).
La Règle 3(1)c) des Règles de la Cour fédérale,
qui permet à la Cour de prolonger ou d'abréger
tout délai fixé par les Règles, ne permet pas à la
requérante d'obtenir une prolongation du délai
prescrit par la Loi. Le seul recours ouvert à l'appe-
lante, s'il y en a un, se trouve à l'article 56 de la
Loi sur les marques de commerce.
Il ne fait aucun doute pour moi que les trois
conditions prescrites par les paragraphes 56(1),
(2) et (3) sont des conditions dont dépend la
validité de l'appel.
Dans les circonstances du présent appel, il devait
y avoir: (1) dépôt d'un avis d'appel à la Cour
fédérale du Canada, (2) dépôt d'un avis d'appel au
bureau du registraire des marques de commerce et
(3) transmission à l'intimée d'une copie de l'avis
d'appel, le tout le 4 février 1980 au plus tard, date
à laquelle le délai prescrit par le paragraphe 56(1)
expirait, n'ayant pas été prolongé.
Comme je l'ai déjà dit, si l'on accepte la pré-
misse que l'appelante demande une ordonnance
prorogeant le délai de signification d'une copie de
l'avis d'appel à l'intimée—ce que pour les motifs
que j'ai exprimés, je ne crois ni prévu ni permis par
le paragraphe 56(3)—les conséquences qui en
découlent sont d'une telle logique que la conclusion
à laquelle parvient l'intimée, soit que l'appel n'est
pas valable, est inévitable.
Cependant, je n'accepte pas la prémisse sur
laquelle ce raisonnement s'appuie, prémisse vou-
lant que l'appelante se soit limitée à demander une
ordonnance prorogeant le délai de signification
d'une copie de l'avis d'appel à l'intimée en vertu du
paragraphe 56(3).
Pour être réaliste, ce que l'appelante recherche,
en dépit des termes du paragraphe (3) de son avis
de requête, c'est une ordonnance prorogeant le
délai qui lui permettrait de compléter son appel. Et
pour compléter l'appel, il faut, incidemment, une
prorogation du délai qui s'applique en vertu du
paragraphe 56(3). Cette fin peut être atteinte au
moyen d'une prolongation du délai d'appel prévu
au paragraphe 56(1). C'est là ce que l'appelante
demande réellement, malgré la formulation mala-
droite qu'elle a utilisée dans l'avis de requête. La
seule façon dont le délai applicable en vertu du
paragraphe 56(3), qui est le vice à corriger pour en
arriver à compléter l'appel, peut être prolongé,
c'est par une prolongation du délai d'appel prévu
au paragraphe 56(1). En allant directement à
l'objet ultime de sa requête, l'appelante a négligé
d'inclure spécifiquement les étapes intermédiaires
y conduisant.
Je crois que ce qui a été omis de l'avis d'appel
doit être considéré comme y étant implicitement
contenu.
Ces requêtes, celle de l'appelante et celle de
l'intimée, bien que distinctes, ont été entendues
ensemble. Elles sont si inextricablement liées qu'il
est préférable de les considérer toutes deux comme
une seule et même procédure.
Par ces motifs, la requête de l'appelante pour
autorisation de compléter son appel (selon l'inter-
prétation que j'ai donnée à la partie pertinente de
ladite requête) sera admise et, par voie de consé-
quence, celle de l'intimée sera rejetée.
Les circonstances exigent toutefois que l'intimée
ait droit à ses dépens bien que sa requête ait été
rejetée, et que l'appelante n'ait pas droit aux siens
bien que sa requête ait été accueillie.
L'ordonnance formelle donnera donc effet à ces
conclusions et aux points qui ont fait l'objet d'un
accord entre les avocats des parties et dont j'ai fait
état au début.
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