A-248-80
Le procureur général du Canada (Requérant)
c.
Hélène Piché (Intimée)
Cour d'appel, les juges Pratte et Ryan et le juge
suppléant Lalande—Montréal, 12 novembre;
Ottawa, 24 novembre 1980.
Examen judiciaire — Assurance-chômage — Admissibilité
aux prestations — L'intimée fut mise à pied le 29 juin 1979,
c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur, le l e ' juillet 1979, de la
nouvelle Loi — Demande initiale de prestations faite le 10
juillet 1979 — L'intimée demanda que la demande initiale fût
antidatée au 29 juin 1979, selon l'art. 20(4) de la Loi de 1971
sur l'assurance-chômage — Demande d'examen et d'annula-
tion de la décision du juge-arbitre qui a antidaté la demande
de prestations par ce motif que l'intimée remplissait les condi
tions requises pour recevoir des prestations — /l échet d'exa-
miner si ces conditions sont exclusivement celles que prévoit
l'art. 17 de la Loi, ou si elles sont également celles que
prévoient les art. 17 et 19 et suivants — Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, c. 48, art. 17(1),(2),
19, 20(4), 23 — Règlements sur l'assurance-chômage,
DORS/71-324, art. 150(1) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28.
L'intimée, qui fut mise à pied le 29 juin 1979, formula le 10
juillet 1979 une demande initiale de prestations, et demanda en
vertu de l'article 20(4) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chô-
mage que sa demande soit considérée comme ayant été formu-
lée avant le le' juillet 1979, c'est-à-dire avant l'entrée en
vigueur de la nouvelle Loi. Le requérant conclut à l'examen et à
l'annulation de la décision du juge-arbitre, selon laquelle cette
demande pouvait être antidatée du 29 juin 1979 puisque l'inti-
mée remplissait «les conditions requises pour recevoir des pres-
tations». Le requérant soutient que l'intimée ne les remplit pas
puisque cette expression embrasse non seulement les conditions
prescrites par l'article 17 de la Loi—contrairement à ce que fait
valoir l'intimée—mais aussi les conditions d'admissibilité pré-
vues aux articles 19 et suivants. Le litige porte sur le sens de
l'expression «conditions requises pour recevoir des prestations»
dans l'article 150 des Règlements sur l'assurance-chômage.
Arrêt: la demande est rejetée. La version française de l'arti-
cle 150 des Règlements et de l'article 17 de la Loi indique
clairement que les conditions dont parle le premier article sont
celles que prescrit le second. La version française des Règle-
ments doit prévaloir; si on donne effet à la version anglaise de
l'article 150, on ne peut éviter de donner à ce texte un sens qui
contredise l'esprit général de la Loi. Suivant la Loi, les condi
tions d'admissibilité aux prestations prescrites par les articles
19 et suivants n'ont rien à voir avec le droit d'un assuré de
formuler une demande de prestations. Il est impossible d'imagi-
ner une raison pouvant justifier l'existence de l'article 150 si on
lui donne l'interprétation que favorise le requérant. Qui plus
est, si on adopte l'interprétation que suggère la version anglaise,
on aboutit à ce résultat absurde qu'une demande ne pourrait
jamais être antidatée.
Arrêt mentionné: R. c. Compagnie Immobilière BCN Ltée
[1979] 1 R.C.S. 865.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
J.-M. Aubry pour le requérant.
L. Lamarche pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Sylvestre, Brisson, Dupin, Charbonneau &
Bourdeau, Montréal, pour l'intimée.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE PRATTE: Cette demande, faite en vertu
de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, est dirigée contre la
décision d'un juge-arbitre en vertu de la Partie V
de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C.
1970-71-72, c. 48.
Du 7 mai 1979 jusqu'au vendredi 29 juin 1979,
l'intimée travaillait pour le gouvernement du
Québec. Elle fut mise à pied le 29 juin, après sa
journée normale de travail. Elle avait, à ce
moment-là, exercé un emploi assurable pendant 12
semaines, ce qui lui permettait, suivant la Loi alors
en vigueur, de formuler une demande initiale de
prestations. La Loi fut modifiée le ler juillet 1979:
à compter de cette date-là, un assuré ne pouvait
formuler de demande de prestations que s'il avait
exercé un emploi assurable pendant 20 semaines.
Le 10 juillet 1979, l'intimée formula une demande
initiale de prestations et, en même temps, elle
demanda en vertu du paragraphe 20(4) de la Loi
que sa demande de prestations soit considérée
comme ayant été formulée avant le l er juillet 1979,
c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur de la nouvelle
Loi.
La seule question qui se posait au juge-arbitre
était celle de savoir si, suivant le paragraphe 20(4)
de la Loi et l'article 150 des Règlements sur
l'assurance-chômage, DORS/71-324, modifié par
DORS/79-348, * il était possible de considérer la
* Maintenant l'article 39 de la C.R.C. 1978, Vol. XVIII, c.
1576.
demande de prestations de l'intimée comme ayant
été formulée avant le 1" juillet 1979. A cette
question, le juge-arbitre a donné une réponse affir
mative. C'est cette décision du juge-arbitre qui fait
l'objet de ce pourvoi.
Les règles applicables en l'espèce sont énoncées
au paragraphe 20(4) de la Loi et à l'article 150 des
Règlements. Voici le texte de ces dispositions:
20....
(4) Lorsqu'un prestataire formule une demande initiale de
prestations après le premier jour où il remplissait les conditions
requises pour la formuler et fait valoir un motif justifiant son
retard, la demande peut, sous réserve des conditions prescrites,
être considérée comme ayant été formulée à une date anté-
rieure à celle à laquelle elle l'a été effectivement.
150. (1) Une demande initiale de prestations peut être consi-
dérée comme ayant été formulée à une date antérieure à celle à
laquelle elle l'a été effectivement, si le prestataire prouve
a) qu'à cette date antérieure il remplissait, sous tous les
rapports, les conditions requises pour recevoir des prestations
et qu'il était en mesure d'en fournir la preuve, et
b) que, durant toute la période comprise entre cette date
antérieure et la date à laquelle il a effectivement formulé sa
demande, il avait un motif justifiant le retard de sa demande.
Il est constant que durant toute la période com
prise entre le 29 juin et le 10 juillet 1979, l'intimée
«avait un motif justifiant le retard de sa demande.»
La demande de prestations de l'intimée pouvait
donc être antidatée du 29 juin, comme l'a décidé le
juge-arbitre,, si à cette date l'intimée remplissait
«les conditions requises pour recevoir des presta-
tions».
Suivant l'avocat du requérant, l'intimée ne rem-
plissait pas, ni le 29 ni le 30 juin, «les conditions
requises pour recevoir des prestations»; suivant
l'article 19, les prestations ne sont payables que
pour des semaines de chômage et la semaine qui se
terminait le 30 juin n'était évidemment pas, pour
l'intimée, une semaine de chômage. Pour l'avocat
du requérant, l'expression «conditions requises
pour recevoir des prestations» désigne toutes les
conditions qui doivent être remplies pour qu'un
prestataire ait le droit d'exiger le paiement de
prestations. S'il faut donner ce sens général à
l'expression «conditions requises pour recevoir des
prestations» dans l'article 150 des Règlements, il
est clair que l'intimée ne remplissait pas ces condi
tions les 29 et 30 juin 1979.
L'avocat de l'intimée a soutenu, pour sa part,
qu'il fallait donner à cette expression une significa
tion beaucoup plus restreinte. Pour elle, les «condi-
tions requises pour recevoir des prestations» dont
parle l'article 150 des Règlements, ce sont tout
simplement les conditions d'admissibilité prévues à
l'article 17 de la Loi, savoir que l'assuré ait exercé
un emploi assurable pendant le nombre de semai-
nes requis et qu'il y ait eu arrêt de la rémunération
provenant de son emploi. Comme l'intimée satis-
faisait à ces deux conditions le 29 juin, il en
résulterait que le juge-arbitre aurait eu raison de
décider que la demande de prestations de l'intimée
pouvait être considérée comme ayant été faite à
cette date.'
Ce pourvoi ne soulève donc qu'une question:
quel est le sens de l'expression «conditions requises
pour recevoir des prestations» dans l'article 150 des
Règlements?
Il est facile de répondre à cette question si on lit
seulement la version française de l'article 150 des
Règlements et de l'article 17 de la Loi. Ces textes
semblent indiquer clairement que les conditions
dont parle l'article 150 sont celles que prescrit
l'article 17 de la Loi. En effet, l'expression «condi-
tions requises pour recevoir des prestations» qui est
utilisée dans l'article 150 se retrouve textuellement
dans l'article 17 de la Loi:
17. (1) Les prestations d'assurance-chômage sont payables,
ainsi que le prévoit la présente Partie, à un assuré qui remplit
les conditions requises pour recevoir ces prestations.
(2) Un assuré remplit les conditions requises pour recevoir
des prestations en vertu de la présente loi
Cette interprétation, en plus d'être conforme au
texte français des Règlements et de la Loi, semble
logique. Le but du paragraphe 20(4) de la Loi et
de l'article 150 des Règlements paraît bien être de
permettre que l'assuré qui a tardé pour de justes
motifs à formuler sa demande de prestations soit
placé dans la même situation que si ce retard
n'avait pas eu lieu. Or, l'assuré qui agit sans tarder
' L'avocat du requérant a soutenu dans son factum que
l'arrêt de la rémunération de l'intimée avait eu lieu après le 30
juin. Il n'a cependant pas repris cet argument à l'audience.
Probablement parce qu'il s'est rendu compte que, à la lumière
de l'article 148 des Règlements, il semble clair que l'arrêt de la
rémunération de l'intimée est survenu le 29 juin au moment où
elle était mise à pied par son employeur.
peut formuler une demande de prestations dès lors
qu'il satisfait aux conditions prescrites par
l'article 17.
Si l'avocat du requérant conteste cette interpré-
tation, c'est qu'il invoque le texte anglais de l'arti-
cle 150 des Règlements et de l'article 17 de la Loi:
150. (1) An initial claim for benefit may be regarded as
having been made on a day prior to the day on which it was
actually made if the claimant proves that
(a) on the prior day he fulfilled, in all respects, the condi
tions of entitlement to benefit and was in a position to
furnish proof thereof, and
(b) throughout the whole period between the prior day and
the day he made the claim he had good cause for the delay
in making that claim.
17. (1) Unemployment insurance benefits are payable as
provided in this Part to an insured person who qualifies to
receive such benefits.
(2) An insured person qualifies to receive benefits under this
Act if he
La version anglaise de l'article 150 des Règlements
n'utilise pas les mêmes mots que l'article 17 de la
Loi. Les Règlements parlent des «conditions of
entitlement to benefit», une expression qu'on ne
retrouve pas dans l'article 17 et qui ressemble, en
revanche, au vocabulaire utilisé dans plusieurs
autres articles de la Loi, qui, comme les articles 23
et 25, prévoient des cas où «a claimant is not
entitled to be paid benefit». L'avocat du requérant
en conclut que les conditions dont parle l'article
150 des Règlements sont non seulement les condi
tions prescrites par l'article 17 de la Loi, mais
aussi les conditions d'admissibilité prévues aux
articles 19 et suivants.
L'argumentation du requérant doit à mon sens
être rejetée. Nous sommes ici en présence d'un cas
où la version française des Règlements doit préva-
loir. 2 Car si on donne effet à la version anglaise de
l'article 150 des Règlements, on ne peut éviter de
donner à ce texte un sens qui contredise l'esprit
général de la Loi. Suivant la Loi, en effet, les
conditions d'admissibilité aux prestations prescri-
tes par les articles 19 et suivants n'ont rien à voir
avec le droit d'un assuré de formuler une demande
de prestations et il est impossible d'imaginer une
raison pouvant justifier l'existence de l'article 150
2 Voir: La Reine c. Compagnie Immobilière BCN Limitée
[1979] 1 R.C.S. 865.
des Règlements si on lui donne l'interprétation que
favorise le requérant. Mais il y a plus. Si on adopte
l'interprétation que suggère la version anglaise de
l'article 150, on aboutit à ce résultat absurde
qu'une demande de prestations ne pourrait jamais
être antidatée. En effet, celui qui demande des
prestations n'est jamais admissible au service de
prestations le jour même où il formule sa
demande, il ne le devient, suivant l'article 23 de la
Loi, qu'à l'expiration du délai de carence:
23. Au cours d'une période de prestations, un prestataire
n'est pas admissible au service de prestations tant qu'il ne s'est
pas écoulé, à la suite de l'ouverture de cette période de presta-
tions, un délai de carence de deux semaines qui débute par une
semaine de chômage pour laquelle des prestations devraient,
sans cela, être servies.
Pour ces motifs, je rejetterais la demande.
* * *
LE JUGE RYAN: Je suis d'accord.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je souscris à ce
jugement.
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