T-4606-80
La Reine et le procureur général du Canada
(Demandeurs)
c.
R. Rahoman, N. Devine, G. Springett, M. P.
Gravelle, J. M. Stang, S. M. Long, G. Binder et
Reggie Fréchette, tant en leur nom personnel
qu'en leur qualité de représentants de toutes les
personnes à l'emploi de Sa Majesté la Reine du
chef du Canada dans la Fonction publique du
Canada qui sont membres de l'Alliance de la Fonc-
tion publique du Canada et qui ne sont pas dési-
gnées conformément à l'article 79 de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique, à
l'exception des membres du groupe des commis
aux écritures et aux règlements (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Walsh—
Ottawa, 7 et 8 octobre 1980.
Brefs de prérogative — Injonction interlocutoire — Rela
tions du travail — Les demandeurs réclamaient une injonction
interlocutoire interdisant aux défendeurs, membres d'unités de
négociation représentées par l'Alliance de la Fonction publique
du Canada et liés par des conventions collectives, de participer
à une grève illégale pour appuyer la grève du groupe des
commis aux écritures et aux règlements — Une interruption
des services des défendeurs pourrait entraîner des dommages
irréparables à la population canadienne et au gouvernement du
Canada — Il y avait à trancher si le fait que la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique prévoie des
amendes pour la violation de ses dispositions interdit le
recours à l'injonction — Requête accueillie — Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c.
P-35, art. 79, 101(1)c),(2)a), 103. 104 — Loi sur le casier
judiciaire. S.R.C. 1970 (1e 1 Supp.), c. 12, art. 3 — Règle 469(2)
de la Cour fédérale.
Les demandeurs réclament une injonction interlocutoire
interdisant aux défendeurs de participer à une grève illégale.
Les défendeurs appartiennent à des unités de négociation repré-
sentées par l'Alliance de la Fonction publique du Canada
(A.F.P.C.) et sont liés par une convention collective. Le prési-
dent de l'A.F.P.C. a demandé à ses membres de respecter les
cordons de piquet de grève du groupe des commis aux écritures
et aux règlements. Une interruption des services des défendeurs
risquerait de causer un tort irréparable à la population et au
gouvernement du Canada. La Commission des relations de
travail dans la Fonction publique a déclaré illégale la grève de
toutes ces unités de négociation de l'Alliance, à l'exception du
groupe des commis aux écritures et aux règlements. Les défen-
deurs soutiennent qu'il ne devrait pas être prononcé d'injonc-
tion civile, puisque le défaut de s'y conformer entraînerait
d'autres peines, ce qui en fait une procédure quasi-pénale, alors
que la Loi sur les relations de travail dans la Fonction
publique réprime déjà la violation de ses dispositions. La
question est donc de savoir si la violation de l'article 101 de la
Loi constitue un délit, ce qui empêcherait l'émission d'une
injonction.
Arrêt: la requête est accueillie. La jurisprudence pose qu'il ne
peut être ordonné de reprendre le travail qu'à des membres
d'une unité de négociation faisant illégalement grève et non pas
à une personne en tant que telle. Les membres des unités de
négociation participant à une grève illégale se voient interdire
de participer à toute cessation concertée illégale de travail avec
d'autres membres des groupes.
Arrêts suivis: International Brotherhood of Electrical
Workers, Local Union 2085 c. Winnipeg Builders'
Exchange [1967] R.C.S. 628; Association internationale
des débardeurs, section locale 273 c. Association des
employeurs maritimes [1979] 1 R.C.S. 120. Arrêts men-
tionnés: Robinson c. Adams (1924-25) 56 O.L.R. 217;
Rubenstein c. Kumer [1940] O.W.N. 153; Dallas c. Felek
[1934] O.W.N. 247. Distinction faite avec l'arrêt: Com
mission de transport de la Communauté urbaine de
Montréal (C.S.N.) [1974] C.S. 227, infirmé par [1977]
C.A. 476.
REQU ÊTE.
AVOCATS:
D. Friesen et D. Kubesh pour les demandeurs.
L. M. Joyal, c.r. pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
les demandeurs.
Honeywell, Wotherspoon, Ottawa, pour les
défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: Les demandeurs demandent
a) une injonction interlocutoire interdisant aux
personnes à l'emploi de Sa Majesté la Reine du
chef du Canada dans la Fonction publique du
Canada qui sont membres de l'Alliance de la
Fonction publique du Canada et qui ne sont pas
désignées conformément à l'article 79 de la Loi sur
les relations de travail dans la Fonction publique,
S.R.C. 1970, c. P-35, à l'exception des membres
du groupe des commis aux écritures et aux règle-
ments, de participer à une grève en contravention
de l'alinéa 101(1)c) * de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique.
b) subsidiairement, une injonction interlocutoire
au même effet valable jusqu'à l'instruction de la
présente action, en vertu de l'alinéa 469(2) des
Règles de la Cour fédérale.
* Lire 101(2)a), ainsi qu'il est dit dans l'ordonnance corrigée.
c) très subsidiairement, toute autre ordonnance
que la Cour jugera opportune.
L'audience a été accordée à bref délai d'avis,
celui-ci a été signifié à certains des défendeurs
nommés et les défendeurs se sont fait représenter à
l'audience par un avocat.
La demande était appuyée par trois affidavits.
Celui tout d'abord de Sandra Helen Kendall Budd,
où cette dernière affirme qu'étant en 1978 agent
des relations de travail au ministère des Affaires
des anciens combattants, elle connaît bien les pro-
blèmes qu'a causés une grève du groupe des scien
ces infirmières, lequel relevait de l'Institut profes-
sionnel de la Fonction publique. Ce groupe
assurait les services infirmiers notamment dans les
hôpitaux pour anciens combattants et dans les
pénitenciers. Les difficultés ont surgi lorsque des
membres de divers autres groupes représentés par
l'Alliance de la Fonction publique du Canada refu-
sèrent de traverser le cordon de piquet de grève du
groupe des sciences infirmières, déclenchant ainsi
une grève illégale qui désorganisa les soins aux
patients et compromit la santé et la sécurité de
ceux-ci. L'affidavit énonce que l'Alliance de la
Fonction publique du Canada représente toujours
les unités de négociation impliquées dans ladite
grève illégale, que ces unités sont liées par des
conventions collectives encore en vigueur et que les
défendeurs nommés sont membres du groupe du
traitement mécanique des données, une unité de
négociation représentée par ladite Alliance de la
Fonction publique et présentement liée par une
convention collective.
L'affidavit ensuite de Hubert McShane, Direc-
teur des négociations collectives pour le Conseil du
Trésor (lequel Conseil représente Sa Majesté la
Reine, qui est l'employeur de tous ceux qui sont au
service de la Fonction publique du Canada), où
celui-ci affirme avoir vu au journal télévisé de la 7e
chaîne d'Ottawa (C.T.V.), le 3 octobre 1980, peu
après 23 h, Andrew I. Stewart, qu'il sait être le
président de l'Alliance de la Fonction publique du
Canada, déclarer notamment ce qui suit à l'occa-
sion d'une conférence de presse tenue plus tôt le
même jour:
[TRADUCTION] Je me vois contraint aujourd'hui de demander à
tous les membres de l'Alliance de la Fonction publique du
Canada, à compter de minuit dimanche, de respecter les cor
dons de piquet de grève des commis et d'appuyer ceux-ci par
tous les moyens possibles afin d'en arriver à un règlement
équitable du présent conflit.
Cet affidavit fait également référence à la grève
illégale faite en 1978 par les membres de
l'A.F.P.C. travaillant dans les hôpitaux des anciens
combattants, grève à laquelle participèrent notam-
ment les infirmiers et le personnel de cuisine et qui
eut pour effet de priver les patients pendant un
certain temps de soins et de repas. Il y est affirmé
que les membres de l'A.F.P.C. ayant à la demande
de leur exécutif national respecté leurs contrats
lors de précédentes grèves illégales, tout permet de
croire que si on leur demande de violer leurs
contrats, ils le feront.
L'affidavit enfin d'Eric Anthony Bowie, direc-
teur de la section Contentieux, affaires civiles, du
ministère de la Justice. Celui-ci y déclare avoir lu
les affidavits susmentionnés et avoir été informé
par divers autres agents du Conseil du Trésor, et
notamment par le Secrétaire de ce dernier, qu'une
interruption des services des défendeurs risquait,
entre autres en perturbant des services essentiels,
de compromettre la sûreté de la circulation
aérienne et maritime à travers tout le pays, la
santé et le soin des patients des hôpitaux du minis-
tère des Affaires des anciens combattants, la sécu-
rité du système pénitentiaire fédéral ainsi que la
préparation et la distribution des chèques destinés
aux personnes âgées, aux bénéficiaires du bien-être
social et aux prestataires de l'assurance-chômage,
et de causer par le fait même un tort irréparable à
la population et au gouvernement du Canada.
En outre, la Commission des relations de travail
dans la Fonction publique a, en vertu de l'article
103 de la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique, lors d'une audience tenue le
samedi 4 octobre 1980, déclaré que la grève autori-
sée par l'Alliance de la Fonction publique du
Canada de toutes les unités de négociation relevant
d'elle, à l'exception du groupe des commis aux
écritures et aux règlements, serait illégale comme
contraire aux dispositions de l'article 101 de la Loi
sur les relations de travail dans la Fonction
publique.
L'auteur de l'affidavit y affirme de plus n'avoir
dans aucun des bulletins de nouvelles qu'il a écou-
tés le dimanche 5 octobre, entendu dire que des
dirigeants de l'Alliance ou que M. Andrew Stew-
art étaient revenus sur la déclaration faite par ce
dernier le 3 octobre, relativement aux 40 unités de
négociation de l'Alliance auxquelles la Commis-
sion des relations de travail dans la Fonction
publique avait enjoint de respecter leur contrat. Il
dit donc avoir des raisons de croire que non seule-
ment un nombre important de membres de l'Al-
liance a-t-il illégalement cessé de travailler depuis
quelques jours déjà, mais qu'il y a tout lieu de
craindre qu'il continuera à faire grève pour plu-
sieurs jours encore.
Les demandeurs ayant, â l'ouverture de l'au-
dience, produit deux autres affidavits, il y a eu un
bref ajournement pour permettre à la Cour et aux
défendeurs de les étudier. Dans l'un d'eux, Keith
Mattson, responsable de la sécurité pour Trans
ports Canada à l'aéroport international de
Toronto, affirme qu'il a entre autres pour tâche de
diriger le travail des services d'urgence de l'aéro-
port (pompiers). Le soir du 5 octobre 1980, il
apprit qu'il y aurait sans doute débrayage des
pompiers de l'équipe de jour. Le 6 octobre, à 7 h, il
se rendit donc au poste d'incendie et avisa l'équipe
de nuit qu'en cas de grève de leurs collègues, ils
seraient appelés à rester à leur poste et que toute
cessation de travail serait contraire à la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique.
L'équipe de 8 h ne se présenta pas au travail. A
9 h 30, il se rendit à un restaurant local où il avait
appris qu'elle s'était réunie et y parla au chef
d'équipe, Dennis Fortin. Ces employés ont une
convention collective en vigueur du 24 juin 1980
au 3 janvier 1982. M. Fortin aurait dit qu'un
membre du piquet de grève les avait empêchés
d'entrer. Ce à quoi M. Mattson aurait rétorqué
qu'il existait une autre entrée devant laquelle il n'y
avait aucun cordon de piquet de grève et qu'en
outre on était prêt à leur donner une escorte. M.
Fortin répondit que le groupe avait décidé de ne
pas rentrer au travail. L'équipe de nuit, qui avait
été requise de rester au travail, quitta à 8 h. Le
même jour, certains autres membres du personnel
de l'aéroport, notamment du personnel d'entretien
du terrain d'aviation, des électriciens et du person
nel des télécommunications, ne se présentèrent pas
au travail, mais ce fut l'absence des pompiers qui
provoqua la fermeture de l'aéroport.
Dans le second affidavit, George Donald Fraser,
gérant du centre postal Gateway de Mississauga,
par où passe 49 p. 100 de tout le courrier canadien,
et notamment la majeure partie du courrier inter
national, soutient que sur un effectif de 2,900
personnes, le centre compte 120 commis membres
de l'A.F.P.C. et 282 ouvriers d'entretien membres
du groupe des manoeuvres et hommes de métiers
de ce même syndicat. Des 22 membres de ce
dernier groupe devant se présenter au travail à
23 h 30 le 5 octobre 1980, seulement 6 se présen-
tèrent effectivement et 3 d'entre eux quittèrent
avant l'heure, à 4 h. Ces travailleurs ont notam-
ment pour fonctions de mettre en marche toute la
machinerie servant au tri du courrier et d'en sur-
veiller le fonctionnement. Le 6 octobre, avant
23 h 30, un membre de l'équipe relevée, Pacific
Burke, avait arrêté l'alimentation des machines et
les manoeuvres et hommes de métier n'étaient pas
assez nombreux pour la rétablir. Des 37 manoeu
vres et hommes de métier de l'équipe de jour tenus
de se présenter le 6 octobre 1980, seulement 4 le
firent. Ce qui a eu pour effet d'interrompre la
manutention du courrier. Il y a déjà dans la
cour 37 lourdes remorques chargées à capacité de
courrier qui ne peut entrer dans le centre, et l'on
en attend encore environ 50 autres par jour. Des
dirigeants nommément désignés du groupe des
manoeuvres et hommes de métier ainsi que d'au-
tres membres de celui-ci font partie du piquet de
grève. Le centre a donc dû être fermé bien qu'il
eût suffi que 12 manoeuvres et hommes de métier
soient présents pour qu'il puisse continuer à
fonctionner.
Les défendeurs n'ont soumis aucune preuve et
ne nient pas que des membres d'autres unités de
l'Alliance de la Fonction publique du Canada ces-
sent illégalement le travail pour appuyer les
commis aux écritures et aux règlements qui eux
font légalement grève. Leur seul argument est
technique. Ils soutiennent en effet que la Loi sur
les relations de travail dans la Fonction publique
réprimant déjà la violation de ses dispositions, il ne
devrait pas être prononcé d'injonction civile, puis-
que le défaut de se conformer à celle-ci entraînant
d'autres peines, elle constitue une procédure quasi
pénale. Ils invoquent à l'appui de leur thèse d'an-
ciennes décisions, soit Robinson c. Adams
(1924-25) 56 O.L.R. 217, où il est dit à la page
224 que [TRADUCTION] «La compétence d'equity
d'un tribunal civil ne peut être utilisée pour répri-
mer le crime», ainsi que les décisions postérieures
Rubenstein c. Kumer [1940] O.W.N. 153 et
Dallas c. Felek [1934] O.W.N. 247, qui vont dans
le même sens.
L'avocat des défendeurs soutient qu'en pré-
voyant en son article 104 que toute infraction à son
article 101 constitue une «infraction> punissable
sur déclaration sommaire de culpabilité, la Loi sur
les relations de travail dans la Fonction publique
fait de l'inobservation dudit article 101 un délit.
Cela est, selon lui, confirmé par le fait qu'une telle
inobservation donne lieu à l'établissement d'un
casier judiciaire, puisque l'article 3 de la Loi sur le
casier judiciaire, S.R.C. 1970 (1" Supp.), c. 12 dit
que «Une personne déclarée coupable d'une infrac
tion en vertu d'une loi du Parlement du Canada ou
d'un règlement qui en découle peut présenter une
demande de pardon à l'égard de cette infraction».
Dans l'affaire Commission de transport de la
Communauté urbaine de Montréal c. Syndicat du
Transport de Montréal (C.S.N.) [1974] C.S. 227,
où des peines étaient requises pour violation d'une
injonction de retour au travail, le juge en chef
Deschênes, après avoir fait la revue de la jurispru
dence, en est arrivé à la conclusion qu'il s'agissait
en l'espèce d'un outrage criminel plutôt que d'un
outrage civil et qu'il aurait été contraire à la
Constitution d'étendre à des matières pénales les
dispositions du droit civil du Québec. Il a donc
statué qu'il n'avait pas compétence pour prononcer
des peines pour sanctionner le mépris d'une injonc-
tion. La Cour d'appel du Québec, dans un arrêt
unanime [1977] C.A. 476, a cependant infirmé
cette décision. Elle a statué que la Cour supérieure
était compétente pour connaître des poursuites en
outrage nées du mépris des ordonnances par elle
rendues en matière civile, même si cela touche au
droit pénal, et que la poursuite en outrage a le
caractère civil des procédures dont elle dérive. En
l'espèce, la demande d'injonction ayant été formée
devant la Cour fédérale, il n'y a pas de problème
constitutionnel. D'autre part, la thèse des défen-
deurs, voulant que le fait que la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique
réprime l'interruption illégale des services interdit
le recours au remède plus expéditif qu'est l'injonc-
tion, ne me convainc guère, d'autant plus que, du
propre aveu de l'avocat des défendeurs, les peines
prévues par ladite Loi sont très modestes. Dans les
conditions actuelles, ces peines semblent fort peu
susceptibles de décourager les actes illégaux.
Mais il n'en reste pas moins que les décisions
Robinson et Dallas (précitées) de la Cour d'appel
d'Ontario seraient déterminantes si ce n'était de
certains arrêts subséquents de la Cour suprême.
Ainsi, dans l'affaire International Brotherhood of
Electrical Workers, Local Union 2085 c. Winnipeg
Builders' Exchange [1967] R.C.S. 628, le litige
portait sur une demande d'injonction fondée sur
The Labour Relations Act du Manitoba et tendant
à ce qu'il soit ordonné à des grévistes de reprendre
le travail, leur grève étant contraire à l'article
22(1)b) de la Loi susmentionnée et à la convention
collective les régissant. Le juge en chef Cartwright
s'est exprimé ainsi aux pages 640 et 641:
[TRADUCTION] La Labour Relations Act deviendrait large-
ment inopérante si la Cour devait conclure qu'elle n'a pas le
pouvoir d'interdire que ne se prolonge une grève déclenchée en
violation manifeste d'une convention collective liant les grévis-
tes et des dispositions de la Loi. Mais au vu des motifs des
décisions telles que celle rendue dans l'affaire Lumley c.
Wagner (précitée), j'estime que nous ne sommes pas obligés de
conclure ainsi. Ce n'est pas du tout la même chose que de dire à
un individu qu'il doit continuer de travailler pour un autre et de
dire à un groupe lié par une convention collective qu'il ne doit
entreprendre aucune action concertée pour rompre cette con
vention et violer les lois écrites de la province. De toute
évidence, ainsi que le souligne le juge d'appel Freedman, l'un
des effets de l'ordonnance qui, en l'instance, a été confirmée par
la Cour d'appel, fut d'enjoindre aux grévistes de reprendre le
travail. A mon avis, il n'y a là nulle erreur de droit. L'on ne
pourrait statuer autrement sans rendre illusoire la protection
qu'assure aux parties la convention collective et la loi. L'em-
ployeur dont l'entreprise est paralysée par une grève illégale ou
le syndicat dont les membres font l'objet d'un lock-out illégal
peuvent, il est vrai, intenter une action en dommages et intérêts
ou requérir l'application des dispositions pénales de la Labour
Relations Act. Mais à cause du temps que nécessite le prononcé
d'une décision finale dans de telles procédures la partie lésée se
trouverait en fait privée de tout remède efficace.
D'autre part, le sommaire de la cause Association
internationale des débardeurs, section locale 273
c. Association des employeurs maritimes [ 1979] 1
R.C.S. 120, la page 121, dit notamment ce qui
suit:
Le refus de franchir un piquet de grève d'un autre syndicat
ne peut constituer une grève que s'il répond à la définition de
«grève». Le Parlement a adopté une définition de «grève» qui
prévoit qu'il doit y avoir arrêt du travail de la part d'employés
agissant «conjointement» ou «de concert» ou «de connivence». Le
mobile est sans importance, la seule condition étant qu'il y ait
arrêt de travail de connivence. En l'espèce, la définition est
essentiellement la même dans les conventions et la loi. L'expres-
sion «de connivence,, vient se greffer au principe de la solidarité
syndicale qui interdit de franchir les piquets de grève.
La jurisprudence posant qu'il ne peut être
ordonné de reprendre le travail qu'à des membres
d'une unité de négociation faisant illégalement
grève et non pas à une personne en tant que telle,
et les procédures étant en l'espèce dirigées contre
les membres des unités de négociation ayant illéga-
lement cessé le travail plutôt que contre les grou-
pes eux-mêmes, l'ordonnance sera libellée de
manière à interdire aux membres de participer à
toute cessation concertée illégale de travail avec
d'autres membres des groupes. Il est avéré que de
telles cessations ont déjà eu lieu et qu'elles ne sont
pas attribuables à des décisions individuelles mais
à des recommandations des dirigeants syndicaux.
Il y a du reste lieu de rappeler ici certains
principes fondamentaux dont la portée excède de
beaucoup les problèmes que soulève le présent
conflit de travail.
Le premier et le plus important de ces principes
est que personne, pas plus les individus que les
groupes, n'est au-dessus de la loi. Si ce n'était de la
suprématie de la loi, la civilisation telle que nous la
connaissons disparaîtrait et nous reviendrions à la
barbarie et à la loi de la jungle.
Nul, personne ou groupe de personnes, ne peut
pour quelque motif refuser de se soumettre à la loi
ou décider qu'il n'est pas lié par celle-ci et qu'il ne
la respectera pas parce qu'il la considère comme
injuste ou répressive. Admettre une telle façon de
voir, ce serait revenir à un état d'anarchie où
chacun juge souverainement du bien et du mal.
Toute personne sensée doit rejeter avec la dernière
énergie l'idée que [TRADUCTION] «la force prime
le droit». Il ne faut en aucune façon tolérer un
principe qui a été invoqué par Hitler pour justifier
l'invasion de pays sans défense et qui sert de
fondement à toutes les dictatures et à tous les
régimes oppressifs.
Dans notre système, les lois sont établies par le
Parlement et seul ce dernier peut les modifier ou
les abroger. Les tribunaux du pays sont tenus de
les appliquer sans se demander s'il s'agit de bonnes
ou de mauvaises lois.
Dès lors, une distinction très nette doit être
établie entre grèves légales et grèves illégales. Du
reste, même lorsqu'ils interviennent à l'occasion
d'une grève légale, les actes illégaux des grévistes
ne peuvent être tolérés et les cordons de piquet de
grève abusifs, l'intimidation et la violence peuvent
être réprimés par voie d'injonction. Peuvent égale-
ment être ainsi réprimées les grèves faites illégale-
ment par des unités de négociation pendant la
durée de validité d'une convention collective. En
tout état de cause, ne saurait être excusé le fait
pour des membres d'un groupe légalement en
grève d'inciter les membres d'autres unités de
négociation à cesser illégalement le travail et, par
le fait même, à violer la loi. Ne peut non plus être
toléré que l'on incite, à l'occasion d'une grève
légale, ceux des membres de l'unité de négociation
concernée qui sont tenus de travailler en tant
qu'employés désignés conformément, en l'occur-
rence, à l'article 79 de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique, à cesser le
travail en méconnaissance de la loi.
Quelque convaincues que soient les autres unités
de négociation de l'Alliance de la Fonction publi-
que du Canada de la légitimité des revendications
des membres légalement en grève du groupe des
commis aux écritures et aux règlements, cela ne les
autorise point à déclencher, pour les appuyer, une
grève que la Commission des relations de travail
dans la Fonction publique a déclaré illégale. Une
injonction de ne pas faire une telle grève peut être
prononcée et elle le sera.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.