A-267-80
Donald Eugene Anderson (Requérant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(Intimé)
Cour d'appel, les juges Heald et Urie et le juge
suppléant Kelly—Toronto, 2 et 5 juin 1980.
Examen judiciaire — Immigration — Demande tendant à la
révision et à l'annulation d'un avis d'interdiction de séjour
rendu au motif que le requérant faisait partie d'une catégorie
non admissible décrite à l'al. 19(2)a) de la Loi sur l'immigra-
tion de 1976 — Le rapport, fait en application de l'art. 27 et à
la suite duquel l'enquête a été tenue, déclare que le requérant
fait partie d'une catégorie non admissible décrite à l'al. 19(1)c)
— II échet d'examiner si l'arbitre a commis une erreur de droit
en délivrant un avis d'interdiction de séjour sur le fondement
de motifs non spécifiés dans le rapport en question
Demande accueillie — Une ordonnance de renvoi ne peut être
rendue en application de l'art. 27 que sur le fondement de
«motifs» spécifiés dans le rapport requis par cet article — Loi
sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 28 —
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art.
19(1)c),(2)a), 21, 27(2)a),(3),(4), 28, 104(2).
Arrêt suivi: Eggen c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration [1976] 1 C.F. 643. Distinction faite avec
l'arrêt: Potter c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion [1980] 1 C.F. 609.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Mark A. Lapedus pour le requérant.
Brian Evernden pour l'intimé.
PROCUREURS:
Koffman, Cohen, Lapedus, Toronto, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: La présente demande, fondée
sur l'article 28, tend à la révision et à l'annulation
d'un avis d'interdiction de séjour délivré contre le
requérant le 23 avril 1980. L'avis d'interdiction de
séjour est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] J'estime que vous êtes une personne décrite à
l'alinéa 27(2)a) de la Loi sur l'immigration de 1976.
Vous êtes une personne se trouvant au Canada, autre qu'un
citoyen canadien ou un résident permanent, qui pourrait se voir
refuser l'autorisation de séjour du fait qu'elle fait partie d'une
catégorie non admissible décrite à l'alinéa 19(2)a). Vous avez
en effet été déclaré coupable à l'étranger d'une infraction qui
constitue une infraction qui peut être punissable par voie d'acte
d'accusation, en vertu du Code criminel du Canada, d'une
peine maximale de moins de dix ans d'emprisonnement.
L'enquête a été tenue conformément à un avis
d'enquête délivré en application du paragraphe
27(4) de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C.
1976-77, c. 52'.
Dans cet avis, l'agent d'immigration supérieur
déclare avoir reçu, en application du paragraphe
27(3) de la Loi 2 , une directive prévoyant la tenue
d'une enquête ainsi qu'une copie d'un rapport
énonçant que le requérant à l'instance est une
personne décrite à l'alinéa 27(2)a) - de la Loi. 3
La catégorie non admissible visée dans le rap
port est, dit-on, celle décrite à l'alinéa 19(1)c), qui
prévoit que:
19. (1) Ne sont pas admissibles
c) les personnes qui ont été déclarées coupables d'une infrac
tion qui constitue, qu'elle ait été commise au Canada ou à
' Ledit paragraphe 27(4) est ainsi conçu:
27....
(4) L'agent d'immigration supérieur qui reçoit le rapport
et la directive visés au ,paragraphe (3), doit, dès que les
circonstances le permettent, faire tenir une enquête sur la
personne en question.
2 Ledit paragraphe 27(3) est ainsi rédigé:
27....
(3) Sous réserve des instructions ou directives du Ministre,
le sous-ministre saisi d'un rapport visé aux paragraphes (1)
ou (2), doit, au cas où il estime que la tenue d'une enquête
s'impose, adresser à un agent d'immigration supérieur une
copie de ce rapport et une directive prévoyant la tenue d'une
enquête.
Ledit alinéa 27(2)a) est ainsi rédigé:
27....
(2) Tout agent d'immigration ou agent de la paix, en
possession de renseignements indiquant qu'une personne se
trouvant au Canada, autre qu'un citoyen canadien ou un
résident permanent,
a) pourrait se voir refuser l'autorisation de séjour du fait
qu'elle fait partie d'une catégorie non admissible, autre
que celles visées aux alinéas 19(1)h) ou 19(2)c),
doit adresser à ce sujet un rapport écrit et circonstancié au
sous-ministre, à moins que la personne concernée n'ait été
arrêtée sans mandat et détenue en vertu de l'article 104.
l'étranger, une infraction qui peut être punissable, en vertu
d'une loi du Parlement, d'une peine maximale d'au moins dix
ans d'emprisonnement, à l'exception de celles qui établissent
à la satisfaction du gouverneur en conseil qu'elles se sont
réhabilitées et que cinq ans au moins se sont écoulés depuis
l'expiration de leur peine;
Sur le fondement de la preuve verbale et docu-
mentaire, l'arbitre a conclu qu'au Canada, l'infrac-
tion équivalante à celle dont le requérant a été
déclaré coupable aux États-Unis serait une tenta
tive de vol de biens d'une valeur ne dépassant pas
$200, et, en se référant aux alinéas 294b) et 421b)
du Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34 tel que
modifié que la peine maximale imposable au
Canada serait d'un an d'emprisonnement, et que
l'infraction considérée était de celles où l'on peut
procéder par voie d'acte d'accusation. En consé-
quence, il a conclu que le requérant était une
personne de la catégorie non admissible décrite à
l'alinéa 19(2)a) de la Loi 4 et, sur ce fondement, il
a rendu l'avis d'interdiction de séjour attaqué.
Ainsi l'arbitre a conclu que le requérant appar-
tenait à une catégorie non admissible autre que
celle spécifiée dans le rapport fait en vertu de
l'article 27, et il a basé son avis d'interdiction de
séjour sur cette conclusion. A mon avis, il a
commis une erreur de droit. La décision de cette
Cour dans l'affaire Eggen c. Le ministre de la
Main-d'oeuvre et de l'Immigrations s'applique
également en l'espèce, même si cette décision a été
4 L'alinéa 19(2)a) est ainsi conçu:
19....
(2) Ne peuvent obtenir l'admission, les immigrants et, sous
réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui
a) ont été déclarés coupables d'une infraction qui consti-
tue, qu'elle ait été commise au Canada ou à l'étranger, une
infraction qui peut être punissable par voie d'acte d'accu-
sation, en vertu d'une autre loi du Parlement, d'une peine
maximale de moins de dix ans d'emprisonnement, à l'ex-
ception de ceux qui établissent à la satisfaction du Minis-
tre qu'ils se sont réhabilités et
(i) qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis la date de
l'expiration de leur peine, au cas où l'auteur était âgé
d'au moins vingt et un ans lors de la déclaration de
culpabilité, ou
(ii) qu'au moins deux ans se sont écoulés depuis la date
de l'expiration de leur peine, au cas où l'auteur était âgé
de moins de vingt et un ans lors de la déclaration de
culpabilité.
5 [1976] I C.F. 643.
rendue sous le régime de l'ancienne Loi sur l'im-
migration, soit celle de 1952. Dans cette affaire, il
a été décidé qu'un rapport fait en vertu de l'article
18 pouvait être utilisé seulement à l'appui d'une
ordonnance d'expulsion fondée sur les «motifs»
énoncés dans ce rapport. Dans ses motifs du juge-
ment, le juge en chef Jackett établit, dans une note
en bas de page, une distinction nette entre un
rapport fait en vertu de l'article 18 et un rapport
fait en vertu de l'article 22. Il fait remarquer qu'à
la différence du rapport fondé sur l'article 22,
l'article 25 exige une intervention du directeur
comme condition préalable à une enquête fondée
sur l'article 18. En outre, l'ancien juge en chef fait
observer que s'il fallait traiter un rapport fondé sur
l'article 18 de la même manière qu'un rapport
fondé sur l'article 22, l'exigence de l'article 25
n'aurait plus aucune raison d'être.
A examiner maintenant la Loi sur l'immigra-
tion de 1976, applicable en l'espèce, on voit évi-
demment que, dans tous les détails importants,
cette partie au moins de la Loi ressemble à celle de
1952. L'article 20 de la Loi de 1976 est semblable
à l'article 22 de la Loi de 1952, en ce que tous
deux envisagent un rapport conduisant à une
enquête relative aux personnes qui cherchent à
entrer au Canada. D'un autre côté, et dans tous les
détails importants, les paragraphes 27(3) et (4) de
la Loi de 1976 ressemblent aux articles 25 et 18 de
la Loi de 1952, car tous traitent de personnes déjà
au Canada. C'est pourquoi j'estime que l'arrêt
Eggen s'applique à la présente cause, régie par la
Loi de 1976. Les dispositions de l'article 21 de la
Loi de 1976 confirment cette opinion:
21. L'ordonnance de renvoi frappant une personne qui a fait
l'objet d'une enquête à la suite du rapport visé au paragraphe
20(1), peut être motivée par le fait que ladite personne appar-
tient à une catégorie non admissible.
Cet article dit clairement qu'une ordonnance peut
être rendue sur le fondement de l'article 20 au
motif que la personne en question appartient à une
catégorie non admissible. L'absence de toute dis
position semblable à l'égard des personnes ren-
voyées du Canada en vertu de l'article 27 est, à
mon avis, significative. Cette omission importanté
confirme mon avis qu'une ordonnance de renvoi ne
peut être rendue conformément à l'article 27 que
sur le fondement des «motifs» énoncés dans le
rapport requis par cet article. En l'espèce, les
«motifs» énoncés dans le rapport se rapportent à
l'alinéa 19(1)c), alors que ceux pour lesquels l'ar-
bitre a délivré l'avis d'interdiction de séjour contre
le requérant se rapportent à l'alinéa 19(2)a). A
mon avis, l'arbitre a commis là une erreur de droit
qui vicie l'avis d'interdiction de séjour.
L'avocat de l'intimé invoque la décision de cette
Cour dans Potter c. Le ministre de l'Emploi et de
l'Immigration [1980] 1 C.F. 609. A mon avis,
cette décision est sans intérêt en l'espèce car il y
avait eu dans l'affaire précitée arrestation en vertu
des dispositions du paragraphe 104(2) de la Loi. 6
En pareil cas, d'après l'article 28 de la Loi, un
agent d'immigration supérieur doit «immédiate-
ment faire tenir une enquête au sujet de [cette]
personne».'
Dans ces circonstances, l'exigence qu'un rapport
ait été fait en vertu de l'article 27 et qu'il y ait eu
des interventions du directeur suite à ce dernier
n'est plus applicable. Ainsi, dans l'arrêt Potter, il
n'y avait pas eu de rapport d'un agent d'immigra-
tion en vertu du paragraphe 27(2). Il y avait
seulement une directive prévoyant la tenue d'une
enquête se référant à l'alinéa 27(2)a), et un avis
d'enquête se référant aux alinéas 27(2)b) et e).
L'arbitre avait décidé qu'il était compétent pour
déterminer si M. Potter était une personne décrite
dans l'un de ces trois alinéas. Cette Cour a décidé
que l'arbitre n'avait pas eu tort d'agir ainsi. La
différence essentielle entre les circonstances de
l'arrêt Potter et celles de la présente cause est que,
6 Ledit paragraphe 104(2) est ainsi rédigé:
104....
(2) Tout agent de la paix au Canada, nommé en vertu
d'une loi fédérale, provinciale ou d'un règlement municipal,
et tout agent d'immigration peuvent, sans mandat, ordre ou
directive à cet effet, arrêter et détenir ou arrêter et ordonner
la détention
a) aux fins d'enquête, de toute personne soupçonnée, pour
des motifs valables, de faire partie de l'une des catégories
visées aux alinéas 27(2)b), e),.1), g), h), i) ou j), ou
b) aux fins de renvoi du Canada, de toute personne frappée
par une ordonnance de renvoi exécutoire,
au cas où ils estiment que ladite personne constitue une
menace pour le public ou qu'à défaut de cette mesure, elle ne
se présentera pas à l'enquête ou n'obtempérera pas à l'ordon-
nance de renvoi.
7 L'article 28 est ainsi conçu:
28. Un agent d'immigration supérieur doit immédiatement
faire tenir une enquête au sujet de toute personne détenue, en
vertu de l'alinéa 23(3)a) ou de l'article 104, pour fins
d'enquête.
dans l'affaire Potter, la procédure avait commencé
par une arrestation, alors qu'en l'espèce, elle a
commencé par un rapport fait en vertu du paragra-
phe 27(2), tout comme, dans l'affaire Eggen, elle
avait commencé par un rapport fait en vertu de
l'article 18. En conséquence, le raisonnement de
l'arrêt Eggen est applicable en l'espèce, mais non
dans l'affaire Potter où aucun rapport n'avait été
fait en vertu du paragraphe 27(2) parce qu'un tel
rapport n'est pas nécessaire en cas d'arrestation et
qu'une enquête immédiate est, cependant, obliga-
toire aux termes de l'article 28 de la Loi.
La conclusion que l'erreur de droit commise par
l'arbitre vicie, pour les motifs précités, l'avis d'in-
terdiction de séjour, est suffisante pour rendre une
décision sur la présente demande. A mon avis, il y
a cependant un motif supplémentaire pour pronon-
cer l'annulation de cet avis. J'ai déjà conclu que,
sur le fondement des documents à lui soumis,
l'arbitre a commis une autre erreur de droit en
décidant que l'infraction dont le requérant avait
été déclaré coupable aux États-Unis correspondait,
au Canada, à une tentative de vol de moins de
$200 qui est punissable d'une peine maximale d'un
an et pour laquelle il est possible de procéder par
voie d'acte d'accusation. La preuve documentaire
pertinente (pièces C4-05) montre seulement que le
requérant a été accusé de grand larceny et que, le
10 décembre 1970, il a été déclaré coupable d'une
infraction pour laquelle il a été condamné à 8 mois
d'emprisonnement. Suivant ses dépositions verba-
les admises par l'arbitre, le requérant aurait arra-
ché à une femme son sac à main contenant environ
$22. Il aurait été accusé à l'origine de grand
larceny, mais aurait plaidé coupable après que
l'accusation eut été réduite à celle d'attempted
grand larceny in the third degree (tentative de
grand larceny du troisième degré) à la suite d'une
transaction relative au plaidoyer réduisant l'accu-
sation de felony à une accusation de misdemean
our. Voilà toute la preuve produite à cet égard.
Aucune preuve du sens des expressions «grand
larceny» et «attempted grand larceny in the third
degree» dans le code criminel des États-Unis ou de
l'État de New York qui permette à l'arbitre de
déterminer les éléments essentiels de l'infraction
n'a été rapportée. Sur le fondement de ces rensei-
gnements, à mon avis, il n'était pas possible à
l'arbitre de définir avec quelque précision cette
infraction prévue aux États-Unis. Partant, il ne
pouvait certainement pas décider que cette infrac
tion serait punissable par voie d'acte d'accusation
aux termes du Code criminel. En conséquence, à
mon avis, cette erreur de l'arbitre est un motif
supplémentaire pour annuler l'avis d'interdiction
de séjour en question.
Par ces motifs, j'accueillerai donc la demande
fondée sur l'article 28 et j'annulerai l'avis d'inter-
diction de séjour.
* * *
LE JUGE URIE: J'y souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: J'y soucris.
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