A-137-79
La Reine (Appelante) (Défenderesse)
c.
Sun Life du Canada compagnie d'assurance-vie
(Intimée) (Demanderesse)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge
suppléant Lalande—Montréal, 9 septembre;
Ottawa, 7 octobre 1980.
Impôt sur le revenu — Non-résidents — Fonds de retraite
— Appel formé contre la décision par laquelle la Division de
première instance a accueilli l'appel de l'intimée à l'encontre
d'une nouvelle cotisation d'impôt sur le revenu — Le fiduciaire
du fonds du régime de retraite a transféré certaines sommes du
régime de retraite au Canada au fonds d'une filiale aux
États-Unis — Le Ministre a cotisé à nouveau l'intimée sur le
fondement que ce paiement était un de ceux visés à l'art.
212(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu — Il y avait à
déterminer si un montant payé ou crédité à un non-résident
doit avoir les caractéristiques d'un »revenu» pour être imposa-
ble en vertu de l'art. 212(1) — Il y avait également lieu de
déterminer si ce paiement tombait autrement dans le champ
d'application de l'al. 212(1)h) — Il fallait finalement détermi-
ner si ce paiement constituait le paiement d'une pension au
sens de la Convention relative à l'impôt entre le Canada et les
États-Unis — Appel accueilli — Loi de l'impôt sur le revenu,
S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 212(1 )hJ, 215(1),(6), 248 — Règles
de 1971 concernant l'application de l'impôt sur le revenu, S.C.
1970-71-72, c. 63, art. 10(2), modifié.
APPEL.
AVOCATS:
Wilfrid Lefebvre et Jacques Côté pour l'appe-
lante (défenderesse).
Claude P. Desaulniers et Peter Cumyn pour
l'intimée (demanderesse).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante (défenderesse).
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour l'intimée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Il est fait appel d'une décision
de la Division de première instance [[1979] 2 C.F.
76] qui accueillait l'appel de l'intimée à l'encontre
d'une nouvelle cotisation pour son année d'imposi-
tion 1974.
Les faits qui ont donné lieu à la nouvelle cotisa-
tion contestée aux présentes sont énoncés dans un
«exposé conjoint des faits» produit en première
instance. Cet exposé est ainsi conçu:
[TRADUCTION] Relativement à l'appel de la nouvelle cotisa-
tion d'impôt pour l'année d'imposition 1974 de la demande-
resse, la demanderesse et la défenderesse, par leur procureur
respectif, admettent, pour les fins de la présente action seule-
ment, les faits suivants:
1. Pendant toute la période pertinente, Sun Life du Canada
compagnie d'assurance-vie a agi comme dépositaire et adminis-
trateur des fonds du régime contributif de pension de retraite
des employés de Dominion Bridge Company, Limited.
2. En 1973 et 1974, certains des employés de Dominion Bridge
Company, Limited, qui est une société commerciale résidante
au Canada, ayant été mutés au service d'AMCA International
Corporation (précédemment Dombrico Inc.), filiale en pro-
priété exclusive de Dominion Bridge Company, Limited et
résidante des États-Unis, lesdits employés ont cessé de résider
au Canada et sont devenus résidents des États-Unis.
3. Le paragraphe 2 de l'article XIV des règles régissant le
régime contributif de pension de retraite des employés de
Dominion Bridge Company, Limited stipule ce qui suit:
2. Si, à un moment quelconque, un membre est muté à
AMCA International Corporation, ses droits et avantages en
vertu des présentes cesseront et prendront fin et il cessera
d'être membre. Dans une telle éventualité, il y aura transfert
du fonds détenu par la compagnie d'assurance en vertu de la
police n° 9309-G au fonds de retraite d'AMCA International
Corporation d'une somme égale à l'obligation actuarielle à
l'égard de ce membre au jour de sa mutation, calculée sur les
bases et selon les méthodes acceptées par la Compagnie et
AMCA International Corporation.
4. La demanderesse a, le 28 février 1974 et le 1°r juillet 1975,
transféré les sommes de $221,742 et de $28,882 respectivement
du fonds du régime contributif de pension de retraite des
employés de Dominion Bridge Company, Limited au régime de
pension de retraite d'AMCA International Corporation, un
régime fiduciaire résidant aux États-Unis et non au Canada,
sur les instructions de Dominion Bridge Company, Limited et
conformément au paragraphe 2 de l'article XIV des règles
régissant le régime contributif de pension de retraite de Domin
ion Bridge Company, Limited.
5. A compter de la date de la mutation de chaque employé, le
régime de pension de retraite d'AMCA International Corpora
tion a assumé, à l'égard de celui-ci, les obligations précédem-
ment assumées par le régime contributif de pension de retraite
des employés de Dominion Bridge Company, Limited.
Le ministre du Revenu national a cotisé à nou-
veau l'intimée à l'égard de son année d'imposition
1974 au motif
a) qu'en vertu du paragraphe 212(1) de la Loi
de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148,
modifiée par S.C. 1970-71-72, c. 63, il y avait
un impôt de 15% payable sur la somme de
$221,742 que l'intimée avait payée au régime de
pension de retraite d'AMCA International Cor
poration, vu que ce paiement était un de ceux
visés dans cet article, soit un paiement par un
résident du Canada à un non-résident d'une
«pension ou d'une pension de retraite» selon la
définition que le paragraphe 248(1) donne de
cette expression;
b) qu'en conséquence, l'intimée aurait dû, en
vertu du paragraphe 215(1), retenir le montant
de l'impôt de 15% et le remettre au receveur
général du Canada pour le compte du régime de
pension de retraite d'AMCA International
Corporation;
c) et qu'à la suite de son défaut de retenir et
payer l'impôt pour le compte du régime de
pension de retraite d'AMCA International Cor
poration, l'intimée était personnellement tenue
de payer l'impôt en vertu du paragraphe 215(6).
Les dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt
sur le revenu sont les suivantes:
212. (1) Toute personne non résidante doit payer un impôt
sur le revenu de 25%' sur toute somme qu'une personne
résidant au Canada lui paie ou porte à son crédit, ou est réputée
en vertu de la Partie I lui payer ou porter à son crédit, au titre
ou en paiement intégral ou partiel
h) un paiement d'une pension ou d'une pension de retraite,
excepté la partie, si partie il y a, du paiement qui peut
raisonnablement être considérée comme imputable aux servi
ces rendus par la personne à qui ou à l'égard de qui le
paiement est fait, dans des années d'imposition au cours
desquelles elle n'a pas résidé au Canada et n'y a pas été
employée;
248. (1) Dans la présente loi,
«prestation de retraite ou de pension» comprend toute somme
reçue d'une caisse ou d'un régime ou en vertu de cette caisse
ou de ce régime et, sans restreindre la portée générale de ce
qui précède, comprend tout versement fait à un bénéficiaire
au titre de la caisse ou du régime, ou à un employeur ou un
ancien employeur du bénéficiaire
a) conformément aux conditions de la caisse ou du régime,
b) par suite d'une modification apportée à la caisse ou au
régime, ou
c) par suite de la liquidation de la caisse ou du régime;
Le paragraphe 10(2) des Règles de 1971 concernant l'ap-
plication de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, dans
leur forme modifiée, stipule que, à l'égard des paiements et
crédits antérieurs à 1976, la mention de «25%» figurant au
paragraphe 212(1) devrait se lire comme celle de «15%».
215. (1) Lorsqu'une personne verse ou crédite ou est réputée
avoir versé ou crédité une somme sur laquelle un impôt sur le
revenu est exigible en vertu de la présente Partie, elle doit,
nonobstant toute disposition contraire d'une convention ou
d'une loi, en déduire ou en retenir le montant de l'impôt et le
remettre immédiatement au receveur général du Canada au
nom de la personne non résidante, à valoir sur l'impôt, et
l'accompagner d'un état en la forme prescrite.
(6) Lorsqu'une personne a omis de défalquer ou de retenir,
comme l'exige le présent article, une somme sur un montant
payé à une personne non résidante ou porté à son crédit ou
réputé avoir été payé à une personne non résidante ou porté à
son crédit, cette personne est tenue de verser à titre d'impôt
sous le régime de la présente Partie, au nom de la personne non
résidante, la totalité de la somme qui aurait dû être défalquée
ou retenue, et elle a le droit de défalquer ou de retenir sur tout
montant payé par elle à la personne non résidante ou portée à
son crédit, ou par ailleurs de recouvrer de cette personne non
résidante toute somme qu'elle a versée pour le compte de cette
dernière à titre d'impôt sous le régime de la présente Partie.
La Division de première instance a accueilli
l'appel de l'intimée à l'encontre de la nouvelle
cotisation. Le juge de première instance en est
venu à cette conclusion pour deux motifs qu'il
exprime [aux pages 80 et 81] de la façon suivante:
Compte tenu des définitions que les dictionnaires donnent du
mot «paie» et de l'expression «porte à son crédit» et compte tenu
également de certaines autres expressions figurant à l'article
212(1)h) telles que: «au titre ou en paiement intégral ou
partiel» et «paiement d'une pension ou d'une pension de
retraite», il est incontestable que Sun Life en versant lesdites
sommes de $221,742 et $28,882 aux fiduciaires du régime de
retraite d'AMCA International n'a pas «payé ou porté au
crédit» de cette dernière «un paiement d'une pension ou d'une
pension de retraite» au sens de l'article 212(1)h) et de l'article
248 de la Loi ....
La Partie XIII de la Loi de l'impôt sur le revenu a pour objet
de prélever un impôt sur le revenu de personnes non résidantes
provenant du Canada, et ce, au moment pertinent, c'est-à-dire
lorsqu'elles ont été payées ou lorsqu'on a porté ce revenu à leur
crédit.
Le transport desdites sommes en l'espèce de Sun Life, fidu-
ciaire du fonds de retraite de Dominion Bridge, aux fiduciaires
d'AMCA International ne constituait pas un transfert de reve-
nus de personnes non résidantes provenant du Canada.
En conséquence, la Partie XIII de la Loi de l'impôt sur le
revenu et en particulier les articles 212 et 215 ne s'appliquent
pas.
La première question à trancher est celle de
savoir si le juge a eu raison de conclure que le
paragraphe 212(1) établit un impôt sur le revenu
de sorte que, pour être imposable en vertu de ce
paragraphe, un montant payé ou crédité à un
non-résident doit avoir les caractéristiques ; d'un
«revenu».
L'impôt prévu au paragraphe 212(1) doit être
payé «sur toute somme» payée ou créditée à un
non-résident dans les circonstances mentionnées
audit paragraphe. Selon mon interprétation de
cette disposition, l'impôt est payable «sur toute
somme», que celle-ci soit de la nature d'un capital
ou de celle d'un revenu, pourvu que le paiement en
cause soit de la catégorie de ceux qui sont décrits
aux alinéas 212(1)a) à p). Il est vrai que presque
tous ces alinéas portent sur des paiements qui ont
les caractéristiques d'un revenu. Toutefois, l'alinéa
h) fait exception, puisque selon la définition
donnée au paragraphe 248(1), l'expression «presta-
tion de retraite ou de pension» comprend «toute
somme reçue d'une caisse ou d'un régime ou en
vertu de cette caisse ou de ce régime». Comme un
montant ainsi reçu peut avoir les caractéristiques
soit d'un capital soit d'un revenu, je ne puis parta-
ger l'opinion du juge de première instance, selon
qui un paiement de nature capitale n'est pas impo-
sable en vertu du paragraphe 212(1).
L'autre question importante est celle de savoir si
le paiement en litige tombe autrement dans le
champ d'application de l'alinéa 212(1)h).
Pour être assujetti à l'impôt en vertu de cet
alinéa, un paiement doit être fait:
a) par une personne résidant au Canada;
b) à un non-résident; et
c) au titre ou en paiement intégral ou partiel
d'une prestation de retraite ou de pension selon
la définition que le paragraphe 248(1) de la Loi
donne de cette expression.
Personne ne conteste que la somme payée par
l'intimée au régime de pension d'AMCA Interna
tional Corporation constitue un paiement d'un
résident à un non-résident. La seule question qui
reste à résoudre est de déterminer si la somme a
été payée au titre ou en paiement intégral ou
partiel d'une «prestation de retraite ou de pension»
qui, d'après la définition que le paragraphe 248(1)
donne de cette expression, comprend «toute somme
reçue d'une caisse ou d'un régime ou en vertu de
cette caisse ou de ce régime ...». La somme versée
aux fiduciaires du régime de pension d'AMCA a
manifestement été tirée du fonds de pension de
Dominion Bridge, conformément aux dispositions
de l'article XIV-2 du régime de pension de cette
dernière société. C'était donc, à mon sens, un
paiement fait au titre ou en paiement intégral ou
partiel d'une pension ou d'une pension de retraite.
Je considère sans aucun fondement l'argument de
l'intimée selon lequel le paragraphe 248 (1) exige
implicitement que la prestation soit versée au pres-
tataire du régime de pension. Cet argument fait
abstraction des termes non équivoques du paragra-
phe 248(1).
L'avocat de l'intimée a aussi soutenu que, de
toute façon, l'appel doit nécessairement être rejeté
pour deux autres motifs: d'abord parce que l'avis
de nouvelle cotisation que le ministre du Revenu
national a expédié à l'intimée serait entaché d'irré-
gularité et, ensuite, parce que le paiement fait aux
fiduciaires du régime de pension d'AMCA consti-
tuerait le paiement d'une «pension» au sens de la
Convention relative à l'impôt entre le Canada et
les États-Unis.
Le point fondé sur la Convention relative à
l'impôt entre le Canada et les États-Unis a été
soulevé en première instance. Le juge de première
instance a eu raison de le rejeter comme «manifes-
tement» mal fondé. Le Protocole de la Convention
précise que le terme «pensions» dans la Convention
signifie «les versements périodiques effectués en
contre-partie de services rendus ou en dédommage-
ment pour blessures reçues.»
L'allégation d'irrégularité dans l'avis de nouvelle
cotisation vise le fait que, par erreur, l'avis de
nouvelle cotisation parle d'un paiement à AMCA
International Corporation plutôt qu'au régime de
pension d'AMCA International Corporation. Per-
sonne n'a été induit en erreur par cette irrégularité
qui ne constitue tout au plus qu'une erreur maté-
rielle. Je ne vois pas comment elle vicierait la
nouvelle cotisation.
Par ces motifs, j'estime qu'il y a lieu d'accueillir
l'appel, d'annuler le jugement de la Division de
première instance et de rétablir la nouvelle cotisa-
tion faite par le ministre du Revenu national.
J'ordonnerais à l'intimée de payer les dépens de
l'appelante tant devant cette Cour qu'en première
instance.
* * *
LE JUGE LE DAIN: Je souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je souscris.
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