T-193-80
Nisshin Kisen Kaisha Ltd. (Demanderesse)
c.
La Compagnie des chemins de fer nationaux du
Canada et toutes les autres personnes ayant des
réclamations contre la demanderesse, son navire
Japan Erica ou le fonds à être créé par les présen-
tes (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Addy—
Vancouver, 26 février; Ottawa, 10 avril 1980.
Droit maritime — Requête en rejet de l'ordonnance ex parte
prévoyant, sur consignation à la Cour d'une somme détermi-
née, la suspension de toutes autres procédures pendantes
devant une cour relativement à la collision entre le navire de la
demanderesse et le pont de la défenderesse — Il y a lieu de
déterminer si l'action d'un réclamant devrait être suspendue en
attendant la détermination du droit du propriétaire â la limi
tation de sa responsabilité, à moins que ce dernier n'admette sa
responsabilité — Il y a lieu de déterminer si la Cour fédérale
tient de l'art. 648 de la Loi sur la marine marchande du
Canada le pouvoir de rendre une ordonnance de ne pas faire —
Il y a lieu de déterminer si le Parlement fédéral a le pouvoir
constitutionnel d'habiliter la Cour fédérale â empêcher un
plaideur d'exercer ses droits civils devant une cour supérieure
provinciale — Il y a lieu de déterminer si le Parlement fédéral
tient de la Constitution le pouvoir d'autoriser la Cour fédérale
à suspendre les procédures civiles devant une cour supérieure
provinciale — Il y a lieu de déterminer si, dans les circons-
tances, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire
pour suspendre les procédures et rendre une ordonnance de ne
pas faire — Requête rejetée — Loi sur la marine marchande
du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, modifiée par S.R.C. 1970 (2e
Supp.), c. 10, art. 647, 648 — Acte de l'Amérique du Nord
britannique, 1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5], art. 91(10), 92(13),(14) — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 22.
La demanderesse a, à titre de propriétaire d'un navire qui a
heurté et sérieusement endommagé un pont appartenant à la
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, intenté la
présente action en vue de faire limiter sa responsabilité. La
Cour a rendu une ordonnance ex parte prévoyant, sur consigna-
tion à la Cour d'une certaine somme, la suspension de toutes
autres procédures pendantes devant une cour relativement à cet
événement. La Compagnie des chemins de fer nationaux du
Canada introduit une requête en rejet de l'ordonnance aux
motifs suivants: la détermination du droit du propriétaire à la
limitation de sa responsabilité ne saurait suspendre l'action
d'un réclamant, à moins que le propriétaire ne soit disposé à
admettre sa responsabilité envers le réclamant; la Cour fédérale
ne tient pas de l'article 648 de la Loi sur la marine marchande
du Canada le pouvoir de rendre une ordonnance de ne pas
faire; le Parlement fédéral n'a pas le pouvoir constitutionnel
d'habiliter la Cour fédérale à empêcher un plaideur d'exercer
ses droits civils devant une cour supérieure provinciale; le
Parlement fédéral ne tient pas de la Constitution le pouvoir
d'autoriser la Cour fédérale à suspendre les procédures civiles
devant une cour supérieure provinciale; subsidiairement, dans
les circonstances, la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir
discrétionnaire pour suspendre les procédures et rendre une
ordonnance de ne pas faire.
Arrêt: l'ordonnance ex parte sera confirmée, sous réserve de
certaines modifications. L'argument fondé sur le fait que l'aveu
aurait été incomplet doit être rejeté. Une action en limitation
de responsabilité peut être intentée sans aveu de responsabilité.
Toutefois, cette responsabilité doit être soit établie, soit recon-
nue avant l'octroi d'une ordonnance ou d'un jugement déclarant
la limitation de responsabilité. Reconnaître sa responsabilité
revient à reconnaître sans les préciser tous les faits constitutifs
de la responsabilité légale. Tout aveu de faits dans une procé-
dure est considéré comme formel et ne peut être contredit par
son auteur. Toutefois, l'aveu formel ne lie son auteur qu'aux
fins de l'instance au cours de laquelle il est fait. Par conséquent,
la précision que l'aveu est fait aux fins de cette action seule-
ment ne change rien aux conséquences qui s'attachent à tout
aveu formel fait dans une instance. Pour ce qui est du second
argument, il est clair que l'article 648 ne mentionne pas
expressément le pouvoir de rendre une ordonnance de ne pas
faire: il ne mentionne que le pouvoir d'arrêter les procédures.
Toute Cour supérieure doit avoir droit de regard sur ses
propres procédures et sur les actions dont on veut la saisir. La
Cour fédérale a le droit d'exiger de toute personne qui intente
une action devant elle qu'elle n'engage pas une action relative à
la même affaire devant une autre juridiction. Pour ce qui est du
troisième argument, l'article 648 n'habilite pas la Cour fédérale
à empêcher une personne d'intenter une action devant une cour
provinciale. Le quatrième argument avancé par les requérants
doit être également rejeté. Les articles 647 et 648 parlent de
procédures directement reliées à «La navigation et les bâtiments
ou navires», domaine qui relève de la compétence exclusive du
Parlement du Canada. Le Parlement a le droit d'intervenir en
matière de propriété et de droits civils lorsque cela est néces-
saire pour légiférer de façon générale et efficace dans les
domaines que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867,
lui a réservés. Le Parlement du Canada a le droit de conférer à
un tribunal de son choix la compétence exclusive sur toute
matière que lui réserve exclusivement la Constitution. Il est
aussi en droit de priver les tribunaux provinciaux de la compé-
tence en la matière. Le Parlement du Canada ayant droit de
regard sur les procédures civiles devant les tribunaux provin-
ciaux relatives au domaine de la navigation et des bâtiments ou
navires, puisqu'il s'agit là d'un sujet qui relève de son autorité
législative exclusive, il a la faculté d'accorder à la Cour fédérale
le pouvoir de contrôler ces procédures pour son compte, dans
certains cas. L'exercice de ce pouvoir se matérialise dans
l'article 648. Quant au dernier argument, les circonstances
penchent pour l'octroi d'une suspension. La présente affaire est
une de celles pour lesquelles l'article 648 a été conçu. Des
dommages importants ont été causés et la possibilité de nom-
breuses réclamations est réelle. Si l'action en limitation de
responsabilité était accueillie, cela réduirait énormément le
nombre de litiges non seulement pour le propriétaire, mais aussi
pour la majorité des réclamants, qui pourraient épargner le
temps et les frais de justice et autres qu'exigerait la preuve de
la responsabilité, alors que celle-ci aurait en fait été reconnue
dans l'action en limitation.
Arrêts appliqués: Les navires «A. L. Smith» et «Chinook»
c. The Ontario Gravel Freighting Co. (1914) 51 R.C.S. 39;
Miller c. Powell (1875) causes jugées devant la Court of
Session, n° 168, 4' série, vol. II; Canadian National Rail
way Co. c. Lewis [1930] R.C.É. 145; Valin c. Langlois
(1879) 3 R.C.S. 1; Le procureur général de l'Alberta c.
Atlas Lumber Co. [1941] R.C.S. 87. Arrêts mentionnés:
British Columbia Telephone Co. c. Marpole Towing Ltd.
[1971] R.C.S. 321; The «Abadesa» [1968] 1 Lloyd's Rep.
493; Tropwood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Co. [1979] 2
R.C.S. 157.
REQUÊTE.
AVOCATS:
P. D. Lowry pour la demanderesse.
E. Chiasson pour les défendeurs.
P. Gordon pour Neptune Bulk Terminals Ltd.
J. W. Perrett pour Vancouver Wharves Ltd.
M. Moseley pour Saskatchewan Wheat Pool.
J. Casey pour Pioneer Grain, et Burlington
Northern Inc.
D. B. Smith pour le capitaine Jones.
PROCUREURS:
Campney & Murphy, Vancouver, pour la
demanderesse.
Ladner Downs, Vancouver, pour les défen-
deurs.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE ADDY: La présente action, intentée par
la demanderesse conformément à l'article 648 de
la Loi sur la marine marchande du Canada', vise
la limitation de sa responsabilité à titre de proprié-
taire du navire Japan Erica qui, le 12 octobre
1979, a heurté et sérieusement endommagé le pont
connu sous le nom de Second Narrows Railway
Bridge, lequel enjambe le port de Vancouver. Ce
pont appartient à la Compagnie des chemins de fer
nationaux du Canada, qui est l'un des défendeurs à
l'instance. Devant la présente Cour, cette dernière
avait auparavant intenté contre la demanderesse
dans l'actuelle action en limitation de responsabi-
lité, le navire lui-même, le capitaine du navire et le
pilote une action en dommages-intérêts pour la
collision.
' S.R.C. 1970, c. S-9, modifié par la Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, article 65, annexe 11,
item 5.
En l'espèce, la demanderesse fait valoir dans la
déclaration que les dommages ont été causés par
un acte ou omission dans la navigation du navire
sans qu'il y ait toutefois faute ou complicité réelle
de sa part; elle prétend par conséquent être en
droit de faire limiter sa responsabilité en vertu de
l'article 647 de la Loi sur la marine marchande du
Canada.
Le 18 janvier 1980, à la suite d'une demande ex
parte présentée par la demanderesse, la Cour a
délivré une ordonnance prévoyant entre autres que,
sur consignation à la Cour de $1,395,627.60, mon-
tant payable d'après les articles 647 et 651 compte
tenu de la jauge du navire, les restrictions suivan-
tes s'appliqueraient aux autres actions intentées
contre le propriétaire et portant sur le même sujet:
[TRADUCTION] 5. a) Toutes procédures pendantes devant une
cour relativement à cet événement seront, en vertu de l'article
648 de la Loi sur la marine marchande du Canada, suspen-
dues, sauf en ce qui concerne la taxation et le paiement des
dépens;
b) Et la défenderesse, la Compagnie des chemins de fer
nationaux du Canada, et toute autre personne ayant une récla-
mation contre la demanderesse pour perte ou dommage causés
aux biens ou violation de tout droit découlant ou émanant du
présent événement devront dorénavant s'abstenir d'agir en jus
tice contre la demanderesse, son navire Japan Erica et tous
ceux dont la responsabilité est limitée en vertu des articles 647
et 649(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada,
relativement au présent événement.
La somme susmentionnée a été consignée à la
Cour et les dispositions susmentionnées de l'ordon-
nance ont pris effet. Ont été également prévues
dans l'ordonnance des mesures de publicité et de
notification afin que toute personne ayant simple-
ment des réclamations à faire contre le fonds
puisse déposer des avis de revendication dans l'ac-
tion et que ceux qui désiraient contester le droit de
la demanderesse à la limitation de sa responsabi-
lité ou le montant de cette limitation puissent
déposer leur défense. Cette ordonnance a aussi
réglé diverses questions d'ordre procédural.
En vue du rejet de l'ordonnance ex parte sus-
mentionnée, la Compagnie des chemins de fer
nationaux du Canada et les autres défendeurs ont
introduit le 6 février 1980 une requête à laquelle se
rapportent les présents motifs. Le pilote du navire,
ainsi que des réclamants ou défendeurs éventuels
dans l'action en limitation, certains d'entre eux
ayant indubitablement été informés par la mesure
de publicité prévue par l'ordonnance ex parte du
18 janvier 1980, se sont également fait représenter
par leur avocat dans la présente requête et ont fait
des observations. J'ai réservé ma décision afin de
permettre à l'avocat de soumettre des conclusions
écrites. Entre-temps, les dispositions de l'ordon-
nance ex parte s'appliquaient.
Voici les arguments avancés devant la Cour
pour faire rejeter cette ordonnance:
1. La détermination du droit du propriétaire à la
limitation de sa responsabilité ne saurait suspen-
dre l'action d'un réclamant, à moins que le
propriétaire ne soit disposé à admettre sa res-
ponsabilité envers le réclamant;
2. la Cour fédérale ne tient pas de l'article 648
de la Loi sur la marine marchande du Canada
le pouvoir de rendre une ordonnance de ne pas
faire;
3. le Parlement fédéral n'a pas le pouvoir consti-
tutionnel d'habiliter la Cour fédérale à empê-
cher un plaideur d'exercer ses droits civils
devant une cour supérieure provinciale;
4. le Parlement fédéral ne tient pas de la Consti
tution le pouvoir d'autoriser la Cour fédérale à
suspendre les procédures civiles devant une cour
supérieure provinciale;
5. subsidiairement, étant donné les circonstances
de l'espèce, la présente Cour ne devrait pas
exercer son pouvoir discrétionnaire pour suspen-
dre les procédures et rendre une ordonnance de
ne pas faire.
A propos du premier argument, la règle est
claire: une action en limitation de responsabilité
peut être intentée sans que le demandeur proprié-
taire de navire admette sa responsabilité. Toute-
fois, cette responsabilité doit être soit établie soit
reconnue avant l'octroi d'une ordonnance ou d'un
jugement déclarant la limitation de responsabilité.
Voir Edward Stanley Roscoe: The Admiralty
Jurisdiction and Practice of the High Court of
Justice 2 ; Les navires «A. L. Smith» et «Chinook»
c. The Ontario Gravel Freighting Company';
2 Cinquième édition, 1931, pp. 242 et 243.
3 (1914) 51 R.C.S. 39,à la p. 44.
Edward C. Mayers: Admiralty Law and Practice
in Canada 4 ; voir aussi David Maclachlan: A Trea
tise on the Law of Merchant Shipping 5 , à la page
97:
[TRADUCTION] Dans une action en limitation de responsabilité,
une ordonnance ne peut être obtenue que si la responsabilité du
propriétaire de navire a été établie par un jugement ou un aveu.
Il semble également vrai que, à moins d'un aveu
ou d'un jugement, les actions intentées pour établir
la responsabilité ne seront pas suspendues en
attendant la détermination du droit du propriétaire
à la limitation de sa responsabilité. Voir Miller c.
Powell 6 , à la page 979:
[TRADUCTION] Quand ils [les propriétaires] reconnaîtront
leur responsabilité, la Cour procédera à la suspension de toutes
les actions et procédures intentées ou à intenter en vue de
l'établissement de la responsabilité. [C'est moi qui a ajouté les
mots entre parenthèses.]
Voir aussi Michael Thomas et David Steel: British
Shipping Laws, The Merchant Shipping Acts 7 :
[TRADUCTION] Si, et seulement si, il reconnaît sa responsabi-
lité, la Cour suspendra les actions intentées en vue de l'établis-
sement de la responsabilité.
La question qui se pose en l'espèce n'est pas
réellement de savoir s'il y a effectivement eu aveu
de responsabilité mais, plus précisément, de savoir
si l'aveu a été trop limité. Voici la dernière phrase
du paragraphe 2 de la déclaration:
[TRADUCTION] Aux fins de la présente action seulement, la
demanderesse admet sa responsabilité envers les défendeurs
jusqu'à concurrence du montant global du «fonds» à être créé
par les présentes.
Voici les parties pertinentes des articles 647 et
648:
647. (1) Pour les objets du présent article et des articles 648
à 653,
(2) Le propriétaire d'un navire, immatriculé ou non au
Canada, n'est pas, lorsque l'un quelconque des événements
suivants se produit sans qu'il y ait faute ou complicité réelle de
sa part, savoir:
d) avarie ou perte de biens, autres que ceux qui sont mention-
nés à l'alinéa b), ou violation de tout droit
(i) par l'acte ou l'omission de toute personne, qu'elle soit
ou non à bord du navire, dans la navigation ou la conduite
du navire, le chargement, le transport ou le déchargement
° Première édition, 1916, à la p. 165.
5 Septième édition, 1932.
6 (1875) causes jugées devant la Court of Session, no l68, 4 e
série, volume II.
7 Volume 11, septième édition, 1976.
de sa cargaison, ou l'embarquement, le transport ou le
débarquement de ses passagers, ou
(ii) par quelque autre acte ou omission de la part d'une
personne à bord du navire;
responsable des dommages-intérêts au-delà des montants sui-
vants, savoir:
(3) Les limites que le présent article fixe à l'égard de la
responsabilité du propriétaire d'un navire s'appliquent chaque
fois que se produit l'un quelconque des événements mentionnés
aux alinéas (2)a) à d) sans qu'il y ait faute ou complicité réelle
de la part du propriétaire, et indépendamment de toute respon-
sabilité encourue par ce propriétaire à l'égard de ce navire à
toute autre occasion.
648. (1) Lorsqu'il est allégué qu'une responsabilité a été
encourue par le propriétaire d'un navire relativement à la mort
ou à des blessures corporelles, ou à la perte ou l'avarie de biens
ou à la violation de tout droit à l'égard desquels sa responsabi-
lité est limitée par l'article 647, et que plusieurs réclamations
sont faites ou appréhendées relativement à cette responsabilité,
la Cour d'Amirauté peut, à la requête dudit propriétaire, fixer
le montant de la responsabilité et répartir ce montant propor-
tionnellement entre les différents réclamants; cette cour peut
arrêter toutes procédures pendantes devant une cour relative-
ment à la même affaire et procéder de la façon et sous réserve
des règlements que la cour juge convenables, pour rendre les
personnes intéressées parties aux procédures, pour exclure tous
réclamants qui ne se présentent pas dans un certain délai, pour
exiger des garanties du propriétaire et quant au paiement des
frais.
L'avocat de la Compagnie des chemins de fer
nationaux du Canada prétend que la reconnais
sance de la responsabilité doit être complète et
avoir force obligatoire à toutes fins. Toutefois, à
l'appui de cette prétention, il n'a pu citer aucune
jurisprudence.
L'article 648 dit que, lorsqu'il est allégué qu'une
responsabilité a été encourue par le propriétaire
dans des cas où sa responsabilité est limitée par
l'article 647, le juge peut fixer le montant de la
responsabilité et le répartir. L'expression «est limi-
tée par l'article 647» contenue dans la première
phrase de l'article 648 (1) doit s'interpréter comme
signifiant [TRADUCTION] «est selon le propriétaire
limitée», parce que le vrai problème que le juge
sera normalement appelé à trancher est de savoir,
à partir des faits établis, s'il y a eu complicité ou
faute de la part du propriétaire. Dans l'affirma-
tive, naturellement il n'y aurait lieu à aucune
limitation et l'article 647 ne s'appliquerait pas.
Le défaut de complicité ou de faute et la limita
tion de responsabilité qui en résulte et, par le fait
même, l'existence de la responsabilité doivent,
d'après l'article 647(3), se rapporter à l'un quel-
conque des «événements» mentionnés à l'article
647(2) et qui donneraient lieu à la limitation. La
reconnaissance d'une responsabilité dans une
action en limitation doit donc se rattacher particu-
lièrement à l'événement en question et aux circons-
tances qui l'entourent. Puisqu'il ne s'agit pas d'un
aveu fait sous toutes réserves ou visant le règle-
ment d'une action, cet aveu ne bénéficie d'aucun
privilège. Je ne vois pas comment cet aveu pourrait
jouir d'une protection particulière au motif qu'on
prétend le faire «aux fins de la présente action
seulement», par opposition à un simple aveu fait
dans une plaidoirie.
L'affirmation selon laquelle la demanderesse se
considère responsable renferme en soi des éléments
mixtes de droit et de fait. La loi en tant que telle
ne saurait être reconnue: elle existe de plein droit
jusqu'à ce qu'elle soit modifiée ou abrogée par le
législateur. Reconnaître sa responsabilité revient à
reconnaître sans les préciser tous les faits constitu-
tifs de la responsabilité légale. Tout aveu de faits
dans une procédure est considéré comme formel et
ne peut être contredit par son auteur. Il se distin-
gue par là de l'aveu non officiel, qui ne constitue
rien d'autre qu'un élément de preuve. Toutefois, il
ne faut pas perdre de vue que dans toute instance,
l'aveu formel, bien qu'il ne puisse être contredit
dans l'action, ne lie son auteur qu'aux fins de
l'instance au cours de laquelle il est fait (voir
Cross on Evidence, troisième édition, page 137).
Par conséquent, je ne vois pas ce que la précision
que l'aveu est fait aux fins de cette action seule-
ment change aux conséquences qui s'attachent à
tout aveu formel fait dans une instance. Le prin-
cipe voulant qu'un aveu dans une instance donnée
ne lie son auteur qu'aux fins de cette instance a
pour corollaire qu'un aveu formel ne vise rien
d'autre que le règlement des points litigieux dont
la Cour est saisie. D'après ce critère, l'aveu qui
nous intéresse est évidemment suffisant. Cet aveu
inévitable lierait absolument la demanderesse à
l'égard des présents défendeurs et réclamants et de
tous ceux qui pourraient plus tard être en droit soit
de contester l'action soit de réclamer au fonds.
Par ces motifs, l'argument fondé sur le fait que
l'aveu aurait été incomplet doit être rejeté.
Le second argument veut que la présente Cour
ne soit pas autorisée par l'article 648 rendre une
ordonnance de ne pas faire. Il est clair que cet
article ne mentionne pas expressément ce pouvoir:
il ne mentionne que le pouvoir d'arrêter les procé-
dures. Les dispositions légales attributives de com-
pétence doivent être strictement interprétées.
Comme l'a déclaré le juge Audette dans Canadian
National Railway Co. c. Lewis', aux pages 150 et
151:
[TRADUCTION] Les dispositions légales attributives de com-
pétence doivent être strictement interprétées. Cela est particu-
lièrement vrai lorsqu'un tribunal au pouvoir limité et d'origine
légale tel que la Cour de l'Échiquier tient de la loi sa compé-
tence; dans ce cas, on ne saurait parler de compétence impli-
cite. Un tribunal ne peut s'attribuer une compétence dont il
n'est pas expressément investi par la loi. Il doit rester dans les
limites de la compétence que la loi lui confère et ne pas exercer
de pouvoirs qui excèdent le cadre de la Loi qui lui donne
compétence. En ce qui concerne les matières qui ont pris
naissance avant la Loi, il n'est compétent que si la Loi le
prévoit expressément.
Ce principe s'appliquerait certainement à toute
compétence que la Cour tenterait d'exercer sur le
droit d'une personne d'intenter une action devant
une autre cour. Le pouvoir de suspendre une action
ne renferme nullement celui d'empêcher une per-
sonne d'intenter ou de continuer une action en
justice: une ordonnance de suspension vise les pro-
cédures qui se déroulent devant la Cour concernée.
Ce sont les officiers de la Cour visée par l'ordon-
nance de suspension qui appliqueront celle-ci, alors
qu'une ordonnance de ne pas faire s'adresse aux
plaideurs. Toutefois, toute Cour supérieure, sinon
toute juridiction, doit avoir droit de regard sur ses
propres procédures et, sous réserve des exigences
de la justice, sur les actions dont on veut la saisir.
Par conséquent, la présente Cour aurait le droit
d'exiger de toute personne qui intente une action
devant elle qu'elle n'engage pas une action relative
à la même affaire devant une autre juridiction.
[1930] R.C.É. 145.
Afin d'éviter d'éventuelles difficultés provenant
de l'une quelconque des nombreuses réclamations
relatives à une limitation des actions, il serait
préférable d'empêcher la poursuite des actions
existantes ou futures plutôt que de prohiber toutes
nouvelles actions. Du reste, cela correspondrait
mieux à l'esprit de l'article 648, qui prévoit la
suspension des actions en cours plutôt que l'inter-
diction d'engager de nouvelles actions.
Compte tenu de ce qui précède, le paragraphe
5b) de l'ordonnance du 18 janvier 1980, que j'ai
cité ci-dessus en entier, sera supprimé et remplacé
par ce qui suit:
b) La Compagnie des chemins de fer nationaux
du Canada, défenderesse à l'instance, et toute
autre personne désirant maintenir devant la pré-
sente Cour toute réclamation contre la deman-
deresse pour perte ou dommage causés aux biens
ou violation de tout droit découlant ou émanant
de cet événement doivent le faire dans la pré-
sente action et, par la suite, s'abstenir de faire
plus que d'intenter toute action, devant quelque
tribunal que ce soit, contre la demanderesse, son
navire Japan Erica et tous ceux dont la respon-
sabilité est, en application des articles 647 et
649(1) de la Loi sur la marine marchande du
Canada, limitée à l'égard de cet événement ...
Puisque je conclus que l'article 648 n'habilite
pas la présente Cour à empêcher une personne
d'intenter une action devant une cour provinciale,
je n'ai pas à statuer sur le troisième argument, à
savoir que la Constitution ne permet pas au Parle-
ment du Canada d'empêcher une personne d'inten-
ter une action devant une cour provinciale. La
question de savoir si le Parlement pourrait l'y
habiliter ne se soulève pas en réalité et est toute
théorique.
Comme il a été indiqué plus haut, le quatrième
argument des requérants est que le Parlement du
Canada ne tient pas de la Constitution le pouvoir
d'autoriser la Cour fédérale à suspendre les procé-
dures civiles devant une cour provinciale.
Il ne fait pas de doute qu'une action contre les
propriétaires du navire dans la province de la
Colombie-Britannique, fondée sur le contrat ou le
délit civil, porte sur «La propriété et les droits
civils dans la province», c'est-à-dire tombe dans le
champ d'application de l'article 92(13) de l'Acte
de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 &
31 Vict., c. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II,
n° 5] qui porte sur les matières relevant des pou-
voirs exclusifs des législatures provinciales. Je ne
pense pas qu'il faille invoquer une jurisprudence
pour étayer cette affirmation.
L'administration de la justice, qui comporte les
procédures en matière civile devant tous les tribu-
naux provinciaux, est aussi mentionnée à l'article
92 (paragraphe (14)):
92. ...
14. L'administration de la justice dans la province, y compris
la création, le maintien et l'organisation de tribunaux de
justice pour la province, ayant juridiction civile et criminelle,
y compris la procédure en matières civiles dans ces
tribunaux.
Une suspension d'instance est manifestement
une question procédurale. Par conséquent, devant
les cours provinciales, l'autorisation de suspendre
les procédures dans les domaines réservés aux pro
vinces relève également des pouvoirs exclusifs des
législatures provinciales.
Par contre, les articles 647 et 648 de la Loi sur
la marine marchande du Canada parlent expressé-
ment d'actes, d'omissions, de responsabilités et de
procédures directement reliés à «La navigation et
les bâtiments ou navires» une matière qui relève de
la compétence exclusive du Parlement du Canada
en vertu de l'article 91(10).
Le problème constitutionnel résultant de ce
qu'une matière réservée à la compétence exclusive
du Parlement du Canada en vertu de l'article 91
constitue aussi une question de propriété et de
droits civils qui, en vertu de l'article 92, relève
exclusivement de la compétence des provinces n'est
pas nouveau. Il est bien rare qu'une question rele
vant de la compétence exclusive du Parlement ne
touche pas dans une certaine mesure à la propriété
et aux droits civils dans une province. Plusieurs
décisions ont clairement établi le droit du Parle-
ment d'intervenir en matière de propriété et de
droits civils lorsque cela est nécessaire pour légifé-
rer de façon générale et efficace dans les domaines
que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique,
1867 lui a réservés. Il a été aussi décidé que la
procédure en matières civiles, sujet qui relève
exclusivement de la compétence des provinces
d'après l'article 92(14), signifie la procédure dans
les matières civiles qui sont de la compétence des
législatures provinciales.
Le Parlement du Canada a aussi le droit de
conférer à un tribunal de son choix la compétence
exclusive sur toute matière que lui réserve exclusi-
vement la Constitution. Il est donc en droit de
priver les tribunaux provinciaux de la compétence
en la matière. La Cour suprême du Canada a
consacré ces principes peu de temps après la Con-
fédération, en 1879, dans l'affaire Valin c. Lan-
glois 9 . Voici quelques passages de cet arrêt:
Le juge en chef Ritchie, à la page 15:
[TRADUCTION] ... sont expressément réservées au Parlement
du Dominion beaucoup de matières mettant en cause la pro-
priété et les droits civils; les deux premiers articles de l'énumé-
ration des catégories de sujets auxquels s'étend l'autorité légis-
lative du Parlement du Canada en fournissent des exemples,
savoir: 1. «La dette et la propriété publiques»; 2. «La réglemen-
tation du trafic et du commerce»; sans parler de «Les amarques,
les bouées, les phares, etc., «La navigation et les bâtiments ou
navires», «les lettres de change et les billets promissoires» et de
beaucoup d'autres matières touchant directement à la propriété
et aux droits civils. Ni ces matières ni le droit des législatures
provinciales de créer des tribunaux ne sont destinés à porter
atteinte aux pouvoirs que le Parlement tient des autres parties
de la Loi ou à donner aux législatures provinciales le droit de
les restreindre. Le droit de régir la procédure en matières civiles
devant ces tribunaux ne vise que la procédure dans les matières
pour lesquelles les législatures provinciales peuvent conférer
compétence à ces tribunaux et ne peut porter atteinte au
pouvoir du Parlement de déterminer la procédure à suivre dans
les cas relevant de sa compétence exclusive ou pouvant être
soustraits par lui à la compétence des tribunaux existants.
L'autorité des législatures provinciales est donc assujettie aux
pouvoirs législatifs généraux et spéciaux du Parlement du
Dominion.
Le juge Henry, à la page 67:
[TRADUCTION] Le droit des législatures provinciales de légi-
férer sur les droits civils, comme je l'ai indiqué ci-dessus, est
restreint aux droits civils que ne touche pas l'autorité législative
du Dominion et à ceux dont l'objet est situé dans la province,
étant exclues les matières d'un caractère général.
L'article 92(14) confère à l'autorité locale la compétence sur
«l'administration de la justice dans la province», expression que
j'interprète comme accordant le pouvoir de légiférer en vue de
l'administration de la justice dans la province quant aux sujets
visés par la Loi et, à cet égard seulement, de faire des lois
concernant «la création, le maintien et l'organisation de tribu-
naux de justice pour la province», et notamment la procédure
nécessaire à l'administration de la justice en ce qui a trait à ces
sujets et aux sujets similaires.
9 (1879) 3 R.C.S. 1 (l'autorisation d'en appeler au Conseil
privé a été refusée (1879-80) 5 App. Cas. 115).
Le juge Taschereau, à la page 76:
[TRADUCTION] En ce qui concerne le droit civil, c'est-à-dire
tout ce qui n'est pas droit pénal, je trouve que l'A. A. N. B.
abonde en cas où le Parlement peut modifier la compétence des
tribunaux civils provinciaux. Par exemple, j'estime que le Parle-
ment pourrait soustraire aux tribunaux provinciaux leur compé-
tence en matière de faillite et d'insolvabilité et l'attribuer à des
cours de faillite instituées par ce Parlement. Selon moi, il est
clair aussi que le Parlement pourrait décider, par exemple, que
tous les litiges sur les billets promissoires et les lettres de
change relèvent de la Cour de l'Échiquier ou de toute autre
cour fédérale. Cela porterait certainement atteinte à la compé-
tence des tribunaux provinciaux. Toutefois, je soutiens qu'il
peut le faire à l'égard de toutes matières relevant de son
autorité.
Les mêmes principes ont été maintes fois réaffir-
més depuis. A cet égard, il suffit de nous reporter à
la cause plus récente Le procureur général de
l'Alberta c. Atlas Lumber Co. Ltd. 10
Le juge Rinfret, aux pages 100 et 101, s'exprime
ainsi:
[TRADUCTION] Toutefois, il a été depuis longtemps décidé
que le Parlement du Canada peut conférer compétence aux
tribunaux provinciaux à l'égard des matières tombant dans les
catégories de l'art. 91 et qu'il a les plus larges pouvoirs pour
déterminer la procédure à suivre devant ces tribunaux.
La présente Cour a tranché cette question dans Valin c.
Langlois ((1879) 3 Can. R.C.S. 1, aux pages 15, 22, 26, 53, 67,
76, 77 et 89).
Lord Atkin s'est exprimé en ces termes en rendant le juge-
ment du Conseil privé dans Proprietary Articles Trade Asso
ciation c. Le procureur général du Canada ([1931] A.C. 310,
aux pages 326 et 327):
Partant, si la loi en question s'autorise de l'une ou l'autre
des catégories spécifiquement énumérées dans l'art. 91, rien
ne sert de dire que cette loi affecte la propriété et les droits
civils dans les provinces. La plupart des sujets spécifiquement
mentionnés dans l'art. 91 affectent la propriété et les droits
civils, mais, dans la mesure où la législation édictée par le
Parlement se situe, de par son caractère véritable, dans les
limites des pouvoirs énumérés, elle peut constitutionnelle-
ment affecter le domaine de la propriété et des droits civils.
Le même principe s'appliquerait au paragraphe (14) de l'art.
92, «l'administration de la justice dans la province», même si
la législation affectait, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence,
l'administration de la justice. Il n'y a non plus aucune raison
qui permette de penser que le Dominion ne peut pas
employer ses agents exécutifs en vue d'appliquer la législa-
tion qui entre dans ses pouvoirs constitutionnels, comme il le
fait normalement dans le cas de ses fonctionnaires du revenu
et dans d'autres domaines qu'il n'est pas utile d'énumérer.
Le Parlement du Canada a choisi la Cour de
l'Échiquier, devenue maintenant la Cour fédérale,
'° [1941] R.C.S. 87.
pour partager avec les tribunaux provinciaux la
compétence en ce qui concerne la navigation et les
bâtiments ou navires. Il pourrait tout aussi bien
accorder compétence exclusive dans ce domaine à
la Cour fédérale ou à quelque autre tribunal de son
choix ou de sa création. Le Parlement ayant droit
de regard sur les procédures civiles devant les
tribunaux provinciaux relatives au domaine de la
navigation et des bâtiments ou navires, puisqu'il
s'agit là d'un sujet qui relève de son autorité
législative exclusive, il a par voie de conséquence la
faculté d'accorder à la Cour fédérale le pouvoir de
contrôler ces procédures pour son compte, dans
certains cas, au moyen de suspensions d'instances.
L'exercice de ce pouvoir se matérialise dans l'arti-
cle 648 de la Loi sur la marine marchande du
Canada et la Cour fédérale est une Cour d'Ami-
rauté telle qu'il est mentionné dans l'article (voir
la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), c. 10, article 22 et aussi Tropwood A.G. c.
Sivaco Wire & Nail Company"). La disposition
relative à la suspension d'instances est de toute
évidence nécessaire pour éviter la multiplication
des procédures portant sur le même événement.
Quant à la nécessité d'avoir un texte limitant la
responsabilité des propriétaires de navire en vue de
promouvoir et de protéger la navigation et l'expé-
dition de marchandises par mer ainsi que l'échange
et le commerce internationaux dans les ports de
commerce, elle ne fait aucun doute. Depuis plus de
deux siècles, les pays civilisés du monde s'en sont
rendu compte (voir British Columbia Telephone
Company c. Marpole Towing Limited' 2 et l'affaire
The «Abadesa» 13 ). Par ces motifs, le quatrième
argument des requérants doit être rejeté.
Reste le dernier argument, voulant que, étant
donné les circonstances particulières de l'affaire, la
Cour ne suspende pas les procédures ou ne rende
pas une ordonnance de ne pas faire contre quelque
partie que ce soit. Les requérants font en effet
valoir que, puisque ni le pilote, ni les agents du
propriétaire, ni les propriétaires du remorqueur, ni
le capitaine n'étant parties à cette action en limita
tion, on ne pourrait procéder à leur interrogatoiré,
que la Compagnie des chemins de fer nationaux du
Canada pourrait souhaiter porter son action
devant une autre juridiction, que le refus de sus-
" [1979] 2 R.C.S. 157, la p. 160.
12 [1971] R.C.S. 321, la p. 338.
13 [1968] 1 Lloyd's Rep. 493, à la p. 498
pendre les procédures ne causerait pas grand pré-
judice au propriétaire et que les requérants dési-
rent poursuivre l'action principale le plus
rapidement possible.
Il s'agit là d'objections assez typiques auxquelles
l'on s'attend de quiconque conteste une action en
limitation. La crainte d'être privé de l'avantage de
pouvoir poursuivre plusieurs parties et, par là, de
découvrir des éléments de preuve contre le proprié-
taire du navire n'est pas, à mon avis, une raison
qui suffit à justifier un refus de suspendre les
procédures. De plus, des recours sont prévus dans
les Règles de la présente Cour pour remédier à
tout moyen dilatoire dont pourrait se servir la
demanderesse dans la présente action pour retar-
der l'action principale de la Compagnie des che-
mins de fer nationaux du Canada. La demande-
resse s'est engagée devant la Cour à faire de son
mieux pour accélérer la présente action en limita
tion de responsabilité. De ce fait, tout défendeur
ou réclamant pourra obtenir facilement un redres-
sement immédiat en cas de retard injustifié de la
part de la demanderesse.
Force est de reconnaître que la présente affaire
est une de celles pour lesquelles l'article 648 a été
conçu. Des dommages importants ont été causés et
la possibilité de nombreuses réclamatiôns est
réelle. Dans ces conditions, il échet de tenir compte
des frais, de la confusion et des conclusions contra-
dictoires qui sont susceptibles de résulter de la
multiplication des actions.
Si l'action en limitation de responsabilité était
accueillie, cela réduirait énormément le nombre de
litiges non seulement pour le propriétaire, mais
aussi pour la majorité des réclamants, qui pour-
raient épargner le temps et les frais de justice et
autres qu'exigerait la preuve de la responsabilité
du propriétaire, celle-ci étant en fait reconnue dans
l'action en limitation, la seule question étant de
savoir s'il y a eu complicité ou faute de la part du
propriétaire du navire. De toute évidence, il s'agit
là d'une question intéressant tous ceux qui sont
susceptibles de se porter réclamants. S'il y a res-
ponsabilité limitée, chaque réclamant n'aura qu'à
établir le bien-fondé de sa réclamation et le mon-
tant de celle-ci.
Bref, les circonstances penchent pour l'octroi
d'une suspension. L'ordonnance ex parte sera par
conséquent, sous réserve des modifications qu'au-
torise la présente ordonnance, confirmée et, sous
réserve de toute nouvelle ordonnance de la pré-
sente Cour, restera en vigueur jusqu'à ce qu'il ait
été statué sur l'action en limitation.
Pour tenir compte de l'imprévu et conserver une
certaine souplesse à la procédure fixée dans l'or-
donnance ex parte il sera ajouté à celle-ci un
paragraphe 9 ainsi rédigé:
9. Sur demande de toute partie, après notifica
tion en bonne et due forme à toutes les autres
parties, toute disposition de cette ordonnance
pourra être modifiée par ordonnance de la pré-
sente Cour. Dans le présent paragraphe, «partie»
comprend les personnes qui ont choisi de ne pas
se porter défenderesses et ont simplement déposé
des réclamations contre le fonds.
Les dépens de la présente requête seront à la
charge de l'intimée, demanderesse dans la présente
action.
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