T-518-80
Boris Celovsky (Requérant)
c.
Edmund Peter Newcombe, Commissaire (Intimé)
et
Le procureur général du Canada (Intervenant)
Division de première instance, le juge Cattanach--
Ottawa, 7 et 12 février 1980.
Pratique — Requête en ordonnance interdisant à l'intimé de
poser au requérant une certaine question dans le cadre d'une
enquête sur la conduite du requérant, laquelle conduite a pu
nuire au fonctionnement de Statistique Canada et saper la
confiance du public à son égard — Il échet d'examiner si cette
question est pertinente aux fins de l'enquête, dont les limites
sont définies par le décret en la matière — Requête rejetée —
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 18
— Loi sur les enquêtes, S.R.C. /970, c. I-13 — Loi sur la
statistique, S.C. 1970-7/-72, c. 15, art. 6.
Le requérant demande une ordonnance interdisant à l'intimé
de lui demander s'il avait révélé à une personne ne travaillant
pas à Statistique Canada des renseignements acquis du fait de
son emploi auprès de cet organisme et plus spécialement, les
renseignements contenus dans une lettre qu'il avait adressée au
statisticien en chef, laquelle lettre a été publiée deux jours plus
tard dans un journal. L'intimé a été désigné pour enquêter sur
certaines allégations faites par le requérant, lesquelles ont pu
nuire au fonctionnement de Statistique Canada et saper la
confiance du public à son égard. Une citation à comparaître a
été signifiée au requérant, qui a demandé et reçu subséquem-
ment communication des questions que le Commissaire se
proposait de lui poser. Le requérant s'est opposé à la question
susmentionnée par ce motif que le décret dont s'agit autorisait
une enquête sur la conduite de quiconque au service de Statisti-
que Canada aurait violé le serment prévu à l'article 6 de la Loi
sur la statistique par la divulgation non autorisée d'informa-
tions et que, par conséquent, la seule question que le Commis-
saire pût poser, c'était de savoir s'il y avait eu divulgation de
renseignements statistiques recueillis au titre de la Loi sur la
statistique. En d'autres termes, les renseignements qu'il est
interdit à un employé de divulguer sans autorisation sont ceux
qui ont été recueillis par application de la Loi sur la statistique,
et c'est bien là le sens du serment d'entrée en fonction prévu à
l'article 6 de cette Loi; cette interdiction ne porte pas sur les
renseignements qu'un employé a pu recueillir du fait de son
emploi.
Arrêt: la requête est rejetée. Il faut donner au décret une
interprétation large. Considérant le vaste champ de l'enquête
que le Commissaire est autorisé à mener dans les limites fixées
par le décret, la réponse à la question en cause est pertinente à
l'enquête. Ce n'est qu'une fois muni de cette réponse que le
Commissaire pourra décider si la divulgation constitue une
violation du serment. Ces exemples de politiques peu sages et
inutiles, cités par le Dr Celovsky, ont pu être portés à sa
connaissance par suite de renseignements recueillis en confor-
mité de la Loi sur la statistique. Le Commissaire est chargé,
conformément à son mandat, de faire la lumière sur cette
affaire et il n'y arrivera qu'après avoir posé des questions
pertinentes et obtenu des réponses satisfaisantes. Il est aussi
tenu de faire enquête et rapport sur la conduite de toute
personne à la suite d'«allégations de conduite repréhensible ou
illégale ... faite par M. Boris Celovsky ou d'autres, qui pour-
rait avoir nuit au fonctionnement de l'organisme et ... la
confiance du public à son égard». La publication par un
employé de Statistique Canada de critiques relatives au fonc-
tionnement de cet organisme, critiques qui, même si elles sont
justifiées, peuvent fort bien saper la confiance du public à
l'égard de ce même organisme, pourrait être considérée comme
une conduite répréhensible en ce qu'elle constitue un comporte-
ment inconciliable avec les responsabilités d'un fonctionnaire.
Cette remarque s'applique à toute déclaration publique faite en
ce sens. Aux termes du décret, le Commissaire est tenu de faire
enquête et rapport sur cette affaire; par conséquent, la question
qu'il se propose de poser au Dr Celovsky est pertinente. Vu
cette conclusion, il est inutile de se prononcer sur l'interpréta-
tion à donner au serment de secret.
REQUÊTE.
AVOCATS:
G. R. Morin, c.r. et J. L. Shields pour le
requérant.
L'intimé n'était pas représenté.
E. R. Sojonky pour l'intervenant.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady, Morin, Ottawa, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intervenant.
Ce qui suit est la version françrcfi1des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: Par avis de requête
introductive d'instance daté du 4 février 1980, le
requérant a, en vertu de l'article 18 de la Loi sur
la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10,
demandé une ordonnance interdisant à l'intimé de
lui demander:
[TRADUCTION] ... s'il a personnellement révélé à la presse ou à
des personnes ne travaillant pas pour Statistique Canada, des
renseignements ou de l'information (autres que des renseigne-
ments recueillis au titre de la Loi sur la statistique, 19-20,
Elizabeth Il, c. 15) de quelque nature que ce soit, acquis du fait
de son emploi à Statistique Canada; ou de demander audit
Boris Celovsky s'il a des renseignements ou de l'information
concernant la publication, dans le journal Ottawa Citizen, de sa
lettre adressée au Dr Peter Kirkham et datée du 6 novembre
1979.
Me Edmund Peter Newcombe, c.r., a été désigné
comme Commissaire, conformément à la Partie II
de la Loi sur les enquêtes, S.R.C. 1970, c. I-13,
pour faire enquête et rapport sur certaines matiè-
res qu'il est plus facile de décrire en reproduisant
intégralement le décret du conseil C.P. 1979-3435,
daté du 13 décembre 1979:
Le Comité du Conseil privé a reçu du président du conseil du
Trésor un rapport dont il ressort que:
Statistique Canada recueille, dresse, analyse, extrait et
publie des données statistiques sur la foi desquelles d'importan-
tes décisions socio-économiques peuvent être prises tant au sein
du gouvernement que dans le secteur privé;
Un haut fonctionnaire de Statistique Canada, M. Boris
Celovsky, a fait certaines allégations qui pourraient avoir nuit
au fonctionnement de l'organisme et saper la confiance du
public à son égard;
Il est dans l'intérêt public que lesdites allégations fassent
l'objet d'une enquête.
A ces causes, sur avis conforme du président du conseil du
Trésor, le Comité approuve par les présentes la nomination, en
vertu de la Partie II de la Loi sur les enquêtes, de M. Edmund
Peter Newcombe, c.r., d'Ottawa (Ontario) à titre de commis-
saire chargé de faire enquête et rapport sur
I. l'état et la gestion de cette partie des affaires de Statistique
Canada et la conduite de toute personne à son service
relativement à toute allégation de conduite repréhensible ou
illégale ou de négligence faite par M. Boris Celovsky ou
d'autres, qui pourrait avoir nuit au fonctionnement de l'orga-
nisme et saper la confiance du public à son égard et sans
restreindre la portée générale de ce qui précède,
a) tout prétendu cas de négligence dans la collecte d'infor-
mations statistiques;
b) tout prétendu cas d'omission de recueillir, de dresser,
d'analyser, d'extraire ou de publier en bonne et due
forme des données statistiques;
c) tout prétendu cas de personne au service de Statistique
Canada qui se serait livré en privé à des activités
incompatibles avec l'exercice de ses fonctions officielles
ou qui aurait eu un comportement inconciliable avec ses
responsabilités en tant que fonctionnaire;
d) tout prétendu cas de favoritisme ou de traitement de
faveur dans les nominations ou l'avancement; et
2. la conduite de toute personne au service de Statistique
Canada qui pourrait avoir manqué au serment d'office ou
déclaration solennelle visé au paragraphe 6 de la Loi sur la
statistique en divulguant sans autorisation des informations.
Le Comité autorise en outre la délivrance audit commissaire
d'une commission prévoyant que:
1. l'enquête sera menée à huis clos, mais que les personnes dont
la conduite fait l'objet d'une enquête pourront être présentes
aux audiences;
2. le commissaire adoptera au besoin toutes les mesures et
règles qui lui sembleront utiles pour la bonne marche de
l'enquête et pourra tenir des audiences aux lieux et moments
qu'il décidera;
3. le commissaire pourra retenir les services d'un sténographe;
4. le commissaire pourra compter sur les services du personnel
et avoir accès aux informations de Statistique Canada et
d'autres ministères et organismes du Canada, et disposera de
tous les locaux et services de secrétariat dont il a besoin; et
5. le commissaire fera part au président du conseil du Trésor de
ses constatations et de ses recommandations d'ici deux mois
ou dans tout autre délai que le président du conseil du Trésor
pourra lui fixer à cet égard et présentera des rapports
intérimaires si ce dernier le demande. [C'est moi qui
souligne.]
Dans l'exécution de son mandat, Me Newcombe
a fait signifier au requérant un avis l'enjoignant de
comparaître le ler février 1980 afin de témoigner
sur toutes les questions qui relèvent, selon lui, des
matières sur lesquelles la Commission est chargée
d'enquêter, et de déposer devant celle-ci tous les
documents pertinents qu'il a en sa possession.
L'avocat du requérant a demandé la communi
cation des questions que le Commissaire envisa-
geait de poser à son client.
A sa réponse, le Commissaire a joint un projet
de trois pages traitant des points sur lesquels le D'
Celovsky serait questionné.
Ce dernier ne s'est opposé à aucun de ces points,
sauf au suivant:
[TRADUCTION] Le paragraphe (2) du mandat de la Commis
sion parle de «la conduite de toute personne au service de
Statistique Canada, qui pourrait avoir manqué au serment
d'office ou déclaration solennelle visé au paragraphe 6 de la Loi
sur la statistique en divulguant sans autorisation des informa-
tions.. En plus des questions portant sur ce qui est mentionné
au paragraphe (1), j'envisage de demander au D' Celovsky s'il
connaît, à Statistique Canada, quelque personne ayant révélé
des renseignements sans autorisation pertinente.
Dans le même ordre d'idées, j'envisage aussi de demander au Dr
Celovsky s'il a personnellement révélé à la presse ou à des
personnes qui ne sont pas au service de Statistique Canada, des
renseignements ou de l'information, de quelque nature que ce
soit, acquis du fait de son emploi à Statistique Canada. A cet
égard, je le renverrai spécifiquement à sa lettre du 6 novembre
1979 adressée au D' Peter Kirkham et publiée deux jours plus
tard dans un article du Ottawa Citizen du 8 novembre 1979
sous la plume de Frank Howard.
C'est cette partie du second paragraphe (pré-
cité) qui est au coeur du litige:
... s'il a personnellement révélé à la presse ou à des personnes
qui ne sont pas au service de Statistique Canada, des renseigne-
ments ou de l'information, de quelque nature que ce soit, acquis
du fait de son emploi à Statistique Canada. A cet égard, je le
renverrai spécifiquement à sa lettre du 6 novembre 1979 adres-
sée au Dr Peter Kirkham et publiée deux jours plus tard dans
un article du Ottawa Citizen du 8 novembre 1979 sous la plume
de Frank Howard.
Ce passage a d'ailleurs été reproduit, avec quel-
ques légères modifications, dans l'avis de requête.
La veille du jour fixé pour le témoignage du
requérant, le Commissaire a entendu une requête
de l'avocat de ce dernier, en présence de l'avocat
de Statistique Canada.
Si je ne m'abuse, ce dernier a souscrit aux
allégations présentées devant le Commissaire pour
le compte du requérant; elles seraient d'ailleurs à
peu près les mêmes que celles présentées devant la
Cour.
En résumé, il est allégué qu'aux termes du
paragraphe 2 du décret du conseil C.P. 1979-3435,
le Commissaire ne pourrait enquêter auprès du
requérant que pour savoir si celui-ci a révélé des
renseignements statistiques recueillis au titre de la
Loi sur la statistique, S.C. 1970-71-72, c. 15,
puisqu'un employé n'est pas censé manqué au
serment prêté en vertu de l'article 6 de cette Loi, à
moins qu'il n'ait effectivement révélé de tels ren-
seignements sans y avoir été dûment autorisé.
Voici en quels termes est libellé ce serment
d'office:
6. (I) ...
Je, , jure (ou affirme) solennellement que
j'exercerai fidèlement et honnêtement mes fonctions d'employé
de Statistique Canada en conformité des prescriptions de la Loi
sur la statistique, ainsi que de toutes règles et instructions
établies sous son régime, et que je ne révélerai ni ne ferai
connaître, sans y avoir été dûment autorisé, rien de ce qui
parviendra à ma connaissance du fait de mon emploi.
J'ai, dès le début, émis des réserves quant à
l'opportunité d'examiner cette requête qui est, en
fait, sans portée pratique puisque aucune question
n'a été posée au témoin.
J'ai les mêmes doutes que le Commissaire quant
à l'opportunité de révéler d'avance à l'avocat, sur
demande de celui-ci, les points spécifiques sur
lesquels il entend questionner un certain témoin
qui était d'ailleurs, en l'espèce, le client de cet
avocat. Bien que je sois convaincu que le Commis-
saire n'était nullement tenu d'obtempérer à cette
demande, je souscris néanmoins à son avis que cela
pourrait certes avoir pour effet d'accélérer le
déroulement de l'enquête. Après avoir acquiescé à
la demande de l'avocat, le Commissaire a décidé,
pour des raisons pratiques, d'entendre et de tran-
cher à l'avance l'objection soulevée par ce dernier
à l'égard de la seule question faisant l'objet du
présent litige et qui devait être posée au témoin. Je
suis d'accord avec cette façon de procéder.
C'est d'ailleurs pourquoi j'ai entendu la présente
requête même si la question envisagée n'avait pas
encore été posée au témoin, car le cours des événe-
ments à venir est facile à prévoir. En effet, il est
presque certain que le Commissaire va poser cette
question au témoin et il est tout aussi certain que
le témoin, sur recommandation de son avocat, va
refuser d'y répondre. Refuser d'entendre aujour-
d'hui cette requête n'aurait pour seul effet que de
repousser la nécessité de trancher le litige qui y est
soulevé jusqu'à ce que la question ait été posée au
témoin et que celui-ci ait refusé d'y répondre.
A l'appel de la requête, l'avocat du procureur
général du Canada a demandé que son client soit
inscrit comme intervenant. Sur consentement de
l'avocat du requérant, on acquiesça à cette
demande. Le Commissaire n'était pas représenté.
Je souscris entièrement à l'avis de l'avocat du
procureur général qui a fait ressortir que le Com-
missaire a seulement une fonction administrative
consistant à mener une enquête et à recueillir des
renseignements en vue de la rédaction d'un rap
port. Il n'exerce aucune fonction judiciaire ou
quasi judiciaire puisqu'il ne rend aucune décision
et ne formule aucune conclusion. A ce titre, il n'est
tenu de suivre aucune des règles de justice natu-
relle si ce n'est celle d'agir aussi équitablement que
possible. Par conséquent, selon l'avocat du procu-
reur général, tout bref de prohibition pris contre le
Commissaire serait irrecevable.
Dans les circonstances de l'espèce, on ne cherche
pas à empêcher le Commissaire d'exécuter son
mandat tel qu'il est précisé dans le décret du
conseil, mais à lui interdire de poser au témoin la
question spécifique précitée. Pour résoudre ce
litige, il faut se référer au libellé du décret afin d'y
découvrir les limites du mandat confié au
Commissaire.
Le but du décret est évident. Le Dr Boris
Celovsky, un haut fonctionnaire de Statistique
Canada, a fait certaines allégations qui pourraient
avoir nuit au fonctionnement de l'organisme et
saper la confiance du public à son égard. L'intérêt
public exige donc l'ouverture d'une enquête.
Pour ne pas aller à l'encontre du décret, il ne
faut pas l'interpréter à la lettre, mais tenir compte
plutôt de son objectif. Je ne dis pas que les disposi
tions clairement libellées du décret doivent être
régies par un renvoi à son objectif. Ce n'est que
lorsque deux interprétations différentes sont possi
bles qu'il faut retenir celle qui soit conforme à
l'objectif du décret et nécessairement écarter
l'autre.
En résumé, il faut donner au décret une inter-
prétation large.
Lorsqu'il a précisé les points sur lesquels porte-
ront les questions posées au D' Celovsky, le Com-
missaire a indiqué qu'il se proposait, en vertu du
paragraphe 2 du décret du conseil, de lui deman-
der s'il avait personnellement révélé à la presse ou
à des personnes ne travaillant pas pour Statistique
Canada, des renseignements ou de l'information,
de quelque nature que ce soit, acquis du fait de son
emploi à Statistique Canada, et plus spécialement
dans sa lettre du 6 novembre 1979 adressée au Dr
Peter Kirkham, statisticien en chef, et publiée
deux jours plus tard dans The Citizen d'Ottawa du
8 novembre 1979.
Pour des raisons de commodité et pour le faire
ressortir, je reproduis ci-après hors contexte le
paragraphe 2. Introduit par les mots «chargé de
faire enquête et rapport sur», il est ainsi rédigé:
2. la conduite de toute personne au service de Statistique
Canada, qui pourrait avoir manqué au serment d'office ou
déclaration solennelle visé au paragraphe 6 de la Loi sur la
statistique en divulguant sans autorisation des informations.
Il est clair que la conduite du D' Celovsky n'est
pas exclue du champ d'enquête du Commissaire.
Toutefois, dans son interprétation de l'objet de
l'enquête présentement en cause, l'avocat du
requérant insiste sur le fait que l'article & de la Loi
sur les enquêtes, en vertu duquel la présente Com
mission fut créée, parle de la conduite, en ce qui a
trait à ses fonctions officielles, de quiconque est un
employé de la Fonction publique. Naturellement,
l'expression clé est «fonctions officielles». Il est
clair qu'on ne peut l'interpréter comme désignant
«toute fonction». Les «fonctions officielles» d'un
employé de Statistique Canada, en tant que
membre d'un groupe d'employés distinct de la
Fonction publique, doivent être celles décrites dans
la Loi sur la statistique. L'avocat du requérant
déduit de ces principes que les employés de Statis-
tique Canada ne doivent pas divulguer sans autori-
sation des renseignements recueillis par l'orga-
nisme en vertu des dispositions de la Loi sur la
statistique et que c'est bien là le sens du serment
d'office énoncé à l'article 6 de cette Loi. Selon lui,
l'interdiction de divulgation ne porte pas sur les
autres renseignements que peut avoir recueillis un
employé du fait de son emploi.
Pour ma part, je doute que l'interprétation res
trictive mise de l'avant par l'avocat du requérant
soit justifiée par le libellé du serment prêté par les
employés de Statistique Canada. Ceux-ci jure (1)
de remplir leurs fonctions en conformité des pres
criptions de la Loi sur la statistique et (2) de ne
pas révéler ni faire connaître «sans y avoir été
dûment autorisé, rien de ce qui parviendra à [leur]
connaissance du fait de [leur] emploi». Dans la
version anglaise du texte, l'expression «in that
behalf» peut se référer soit à des renseignements
parvenus à la connaissance d'un employé et por-
tant sur certaines matières relevant de l'organisme
en vertu de la Loi sous le régime de laquelle
celui-ci fonctionne, soit à l'autorisation qui doit
être donnée.
La version française, elle, ne laisse aucun doute
possible. L'expression «sans y avoir été dûment
autorisé» se rapporte exclusivement à l'autorisa-
tion. Celle-ci doit être spécifique. Cette clarté nous
est très utile pour interpréter la version anglaise de
la Loi. En effet, l'expression «in that behalf» doit
là aussi se rapporter à l'autorisation et non aux
renseignements. Ceci étant admis, il s'ensuit que la
particule «et» est une conjonction disjonctive. Par
conséquent, celui qui prête serment le fait à deux
titres différents: il jure de remplir fidèlement et
honnêtement ses fonctions et il jure de ne révéler
aucune matière ou chose parvenue à sa connais-
sance «du fait de [son] emploi», sans y avoir été
dûment autorisé. En d'autres termes, la seconde
partie du serment est séparable de la première et
ce, sans qu'elle en perde sa valeur. Il faut donc,
dans ce contexte, donner à l'expression «du fait de
mon emploi» son sens habituel.
Compte tenu de ce point de vue, je n'ai plus à
décider si l'interprétation restrictive du serment
donnée par l'avocat du requérant est celle à
laquelle il faut souscrire ou non.
Considérant le vaste champ de l'enquête que le
Commissaire est autorisé à mener dans les limites
fixées par le décret du conseil, je ne vois pas
comment l'on peut affirmer que la réponse à la
question en cause ne serait pas pertinente à l'en-
quête puisque ce n'est qu'une fois muni de cette
réponse que le Commissaire pourra décider si la
révélation constitue effectivement une violation du
serment.
Quant à la lettre adressée au Dr Kirkham par le
D r Celovsky, celui-ci y met tout d'abord sérieuse-
ment en doute les normes adoptées pour la dota-
tion des hauts fonctionnaires. Il s'agit là d'une
question interne d'administration ministérielle qui
est sans doute parvenue à la connaissance du Dr
Celovsky par suite de son emploi.
Ce dernier y cite ensuite en exemple trois projets
dont deux constituaient des gaspillages de fonds
publics. Ceux-ci n'auraient jamais dû être lancés
mais ils l'ont été sans qu'il ne soit tenu aucun
compte des recommandations des économistes du
travail de Statistique Canada. Après que l'on eut
constaté qu'il s'agissait de projets inutiles, ils
furent abandonnés. Quant au troisième exemple, il
vise l'indexation périodique du revenu du travail
fondée sur des relevés de base peu sûrs, à quoi
s'ajoute le fait qu'il n'existe pas de données techni
ques constantes pouvant justifier cette indexation
rendue nécessaire par suite des erreurs initiales.
Ces trois exemples constituent une critique des
politiques et de la gestion de Statistique Canada.
Ils sont parvenus à la connaissance du Dr Celovsky
par suite de son emploi.
Adressée au statisticien en chef, au président de
la Commission de la Fonction publique et peut-
être à trois autres personnes (en lice pour une
promotion), cette critique n'a rien de répréhensible
en elle-même car il s'agit en fait d'une question
interne. Toutefois, après révélation de cette lettre à
la presse et après sa publication dans les journaux,
d'autres considérations peuvent entrer en jeu.
Ces exemples de politiques peu sages et inutiles,
cités par le D r Celovsky, peuvent être parvenus à la
connaissance de ce dernier par suite de renseigne-
ments recueillis en conformité de la Loi sur la
statistique.
Le Commissaire est chargé, suivant les termes
mêmes de son mandat, de faire toute la lumière
sur cette affaire et il n'y arrivera qu'après avoir
posé des questions pertinentes et obtenu des répon-
ses satisfaisantes.
La question présentement en cause est celle que
le Commissaire entend poser au titre du paragra-
phe 2 du décret du conseil relativement à la con-
duite de toute personne qui pourrait avoir manqué
au serment d'office visé à l'article 6 de la Loi sur
la statistique en divulguant sans autorisation des
informations. Soulignons que le Commissaire est
aussi tenu de faire enquête et rapport sur la con-
duite de toute personne relativement à «toute allé-
gation de conduite repréhensible ou illégale ...
faite par M. Boris Celovsky ou d'autres, qui pour-
rait avoir nuit au fonctionnement de l'organisme et
... la confiance du public à son égard».
J'interprète l'expression «conduite ... illégale»
comme signifiant un manquement au serment d'of-
fice, ce qui pourrait entraîner une poursuite crimi-
nelle et une peine.
Mais le Commissaire doit aussi faire enquête et
rapport sur toute «conduite repréhensible», cette
expression étant précisée à l'alinéa 1 c) par les mots
«personne ... qui aurait eu un comportement
inconciliable avec ses responsabilités en tant que
fonctionnaire».
La publication, par un employé de Statistique
Canada, de critiques relatives au fonctionnement
de cet organisme, même si elles sont justifiées, qui
peuvent fort bien saper la confiance du public à
l'égard de celui-ci, pourrait être considérée comme
une conduite répréhensible en ce qu'elle constitue
un comportement inconciliable avec les responsabi-
lités d'un fonctionnaire. Cette remarque serait éga-
lement applicable à toute déclaration publique
faite en ce sens.
Aux termes du décret du conseil, le Commis-
saire est tenu de faire enquête et rapport sur cette
affaire; par conséquent, la question qu'il envisage
de poser au Dr Celovsky est pertinente. Compte
tenu de cette conclusion, je n'ai pas à me pronon-
cer sur l'interprétation à donner au serment d'of-
fice ni sur ce qui y est spécifiquement prévu
comme n'étant pas une matière dont la divulgation
sans autorisation expresse constitue un manque-
ment à ce serment.
Pour ces motifs, la requête est rejetée.
Compte tenu des circonstances de l'espèce, il n'y
aura pas d'adjudication des dépens en faveur ou à
l'encontre de l'une des parties, d'autant plus qu'au-
cune partie n'a demandé l'adjudication des dépens.
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