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T-738-80
La Reine (Demanderesse)
c.
Telesphore Demers (Défendeur)
Division de première instance, le juge Marceau— Ottawa, 11 et 25 septembre 1980.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Appel contre la décision de la Commission de révision de l'impôt qui a conclu qu'une partie de la rémunération du défendeur en 1975 ne provenait pas de son emploi et n'était pas imposable Le défendeur était employé à l'étranger Sa rémunération annuelle était composée du traitement, des allocations fami- liales et de l'indemnité de cherté de vie Le défendeur soumet que le dernier item n'était ni un revenu ni une alloca tion, mais le remboursement des dépenses occasionnées par le coût élevé de la vie à l'étranger Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, modifiée, art. 5(1), 6(1),(3),(6) et (7).
Appel formé contre une décision de la Commission de révi- sion de l'impôt qui a conclu qu'une partie de la rémunération du défendeur ne pouvait pas être considéré comme des émolu- ments provenant de son emploi et partant n'avait pas à être incluse dans ses revenus imposables pour 1975. Pendant cette période, le défendeur travaillait pour l'OEA à Haïti, il séjournait cependant que sa femme demeurait à Ottawa. Sa rémunération annuelle était composée des trois items indiqués dans l'avis annonçant le poste, soit a) le traitement annuel, b) les allocations familiales et c) l'indemnité de cherté de vie. Le défendeur soumet que ce dernier item, d'un montant de $4,280.92, ne fut pas reçu par lui à titre de revenu tiré d'un emploi ni non plus à titre d'allocation pour frais personnels ou de subsistance, il lui fut versé à titre de remboursement de dépenses occasionnées par le coût élevé de la vie à Haïti. Il soumet, subsidiairement, que s'il s'était agi d'une allocation, cette allocation aurait été exempte d'impôt en raison des dispo sitions des articles 6(6) et 6(7) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Arrêt: l'appel est accueilli. Les dispositions relatives aux éléments à inclure dans le revenu ne permettent pas de préten- dre que le «réajustement» constituait un remboursement de dépenses. Tous les employés de l'OEA de même catégorie ont droit au même salaire de base mais «réajusté» en fonction du coût de la vie prévalant dans les pays chacun est appelé à exercer ses fonctions. C'est le salaire lui-même qui est ajusté. La thèse subsidiaire du défendeur doit également être rejeté. La somme d'abord n'a jamais été versée ni reçue à titre d'«alloca- tions». Ensuite, le seul fait qu'une personne, qui occupe un emploi pour l'exercice duquel sa présence est requise de façon normale et continue dans un lieu, maintienne ou installe sa résidence dans un autre lieu ne l'autorise pas à invoquer les exemptions de l'article 6(6) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Distinction faite avec les arrêts: Ransom c. Le ministre du Revenu national 67 DTC 5235; R. c. Forestell 79 DTC 5289.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
W. Lefebvre et P. Plourde pour la demande-
resse.
J. C. Couture, c.r. pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Ogilvy, Renault, Montréal, pour le défendeur.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU: Vers la fin de l'année 1974, peu après qu'il eut pris sa retraite comme employé du gouvernement fédéral, le défendeur sollicita et obtint un emploi auprès de l'Organisa- tion
des États américains (l'OEA). L'emploi était prévu pour une durée d'un an et devait être exercé à Port-au-Prince, Haïti. Le défendeur l'exerça effectivement du 18 janvier au 31 décembre 1975. Il demeura seul à Haïti pendant cette période, sa femme étant demeurée à Ottawa dans le logement il résidait et réside encore aujourd'hui. Pendant qu'il travaillait ainsi pour l'OEA, le défendeur reçut de son employeur une somme totale de $22,954.25. Cette somme, le ministre du Revenu national la considéra comme imposable intégrale- ment en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, telle qu'amendée, et émit une cotisation en conséquence. Le défendeur contesta et il réussit éventuellement à convaincre la Com mission de révision de l'impôt que $4,280.92 des $22,954.25 qu'il avait reçus ne devaient pas être considérés comme des émoluments provenant de son emploi et partant n'avaient pas à être inclus dans ses revenus imposables pour cette année 1975. C'est à l'encontre de cette décision de la Commission de révision de l'impôt que la présente action a été intentée.
Sur le plan des faits et de la preuve, le défendeur appuie sa thèse sur un seul document, soit l'avis préparé par l'OEA annonçant le poste à combler, avis sur la foi duquel il s'est engagé. Cet avis, en effet, divisait les émoluments payables au titulaire du poste ouvert en trois items, soit: a) [TRADUC- TION] «traitement annuel», pouvant aller depuis un minimum jusqu'à un maximum déterminés; b) [TRADUCTION] «allocations familiales annuelles», une somme établie en fonction des trois hypothèses possibles: conjoint, enfant, ou dépendant, et c)
[TRADUCTION] «indemnité annuelle de cherté de vie», un montant se situant entre les minimum et maximum indiqués [TRADUCTION] «en fonction du coût de la vie du lieu et de la situation de famille de l'intéressé». Le défendeur n'a signé aucun con- trat avec l'OEA, il était payé mensuellement par chèque et il ne recevait qu'un seul chèque couvrant le douzième de la somme globale annuelle nette des «émoluments> auxquels il avait droit. Il prétend cependant—et le Ministre ne le conteste pas—que ces émoluments annuels qu'il a reçus étaient effec- tivement composés des trois items annoncés à l'avis, soit: $18,291.30 pour le salaire; $382.03 pour l'allocation pour personne à charge et $4,280.92 pour l'ajustement selon le coût de la vie. Sur le plan du droit, le défendeur soumet d'abord et principalement que ce montant d'ajustement de $4,280.92 ne fut pas reçu par lui à titre de revenu tiré d'une charge ou d'un emploi au sens de l'arti- cle 5(1) ou 6(1) de la Loi, ni non plus à titre d'allocation pour frais personnels ou de subsis- tance, au sens de l'article 6(1)b), il lui fut versé à titre de remboursement de dépenses occasionnées par son absence du Canada. Ce n'était donc pas un montant imposable. Il soumet ensuite et subsidiai- rement que s'il s'était agi d'une allocation, cette allocation aurait été exempte d'impôt en raison des dispositions des articles 6(6) et 6(7) de la Loi.
Cette thèse du défendeur, bien qu'elle ait été reçue favorablement par la Commission de révi- sion de l'impôt et habilement défendue devant moi par son procureur, m'apparaît tout simplement intenable.
La règle de base édictée par la Loi nouvelle de l'impôt sur le revenu pour déterminer le revenu imposable d'un contribuable est contenue, comme on sait, à l'article 5, paragraphe (1), qui se lit comme suit:
5. (1) Sous réserve de la présente Partie, le revenu d'un contribuable, pour une année d'imposition, tiré d'une charge ou d'un emploi est le traitement, salaire et autre rémunération, y compris les gratifications, que ce contribuable a reçus dans l'année.
Et cette règle est complétée par la série de disposi tions de l'article 6 relatives aux éléments à inclure dans le revenu dont le paragraphe (3) édicte comme suit:
6....
(3) Une somme qu'une personne a reçue d'une autre personne,
a) pendant une période alors que le bénéficiaire faisait partie des cadres du payeur ou était employé par ce dernier, ou
b) au titre ou en paiement intégral ou partiel d'une obligation découlant d'une entente intervenue entre le payeur et le bénéficiaire immédiatement avant, pendant ou immédiate- ment après une période ce bénéficiaire faisait partie des cadres du payeur ou était employé par ce dernier,
est réputée être, aux fins de l'article 5, une rémunération des services que le bénéficiaire a rendus à titre de cadre ou pendant sa période d'emploi, sauf s'il est établi que, indépendamment de la date a été conclue l'entente, si entente il y a, en vertu de laquelle cette somme a été reçue ou de la forme ou des effets juridiques de cette entente, cette somme ne peut pas raison- nablement être considérée comme ayant été reçue
c) à titre de contrepartie totale ou partielle de l'acceptation de la charge ou de la conclusion du contrat d'emploi,
d) à titre de rémunération totale ou partielle des services rendus comme cadre ou conformément au contrat d'emploi, ou
e) à titre de contrepartie totale ou partielle d'un engagement prévoyant ce que le cadre ou l'employé doit faire, ou ne doit pas faire, avant ou après la cessation de l'emploi.
Je n'arrive pas à voir comment ces $4,280.92 d'ajustement compris dans les émoluments paya- bles au défendeur en contrepartie de ses services pourraient échapper à ces dispositions. Sur le plan des faits, l'interprétation que le défendeur suggère du contenu de l'avis d'emploi pour donner prise à sa prétention ne me paraît pas fondée. Les préci- sions qui y sont données quant aux items devant servir au calcul des «émoluments» ne permettent tout simplement pas de prétendre que le «réajuste- ment» constituait un remboursement de dépenses dues au fait que le coût de la vie était plus élevé en Haïti qu'au Canada. Rien ne permet de penser qu'une telle relativité particulière ait été considé- rée par l'employeur. Il me semble au contraire que les précisions existent en vue de répondre aux besoins de l'OEA qui, ayant des employés de même niveau dans des pays différents, se doit de maintenir entre eux une base de rémunération commune tout en tenant compte des variations que les différences de coût de vie entre les divers pays peuvent requérir. Tous les employés de même caté- gorie ont droit au même salaire de base mais «réajusté» en fonction du coût de la vie prévalant dans les pays chacun est appelé à exercer ses fonctions. A mon avis, c'est le salaire lui-même qui est ajusté. Sur le plan du droit, les conséquences se tirent sans difficulté; s'il s'agit d'un réajustement de salaire, les textes invoqués par le défendeur ne sauraient jouer.
Le procureur du défendeur, tout comme la Commission de révision de l'impôt, voudraient que la décision du juge Noël dans l'affaire Ransom c. M.R.N. 67 DTC 5235 puisse leur servir de précé- dent, mais je ne vois pas comment il pourrait en être ainsi. Il s'agissait d'une somme payée par l'employeur en remboursement de la perte qu'avait subie l'employé par suite de son transfert dans une autre ville: c'était donc proprement le rembourse- ment d'une perte précise, le versement d'une indemnité définie pour couvrir un dommage résul- tant d'un événement exceptionnel survenu au cours de l'emploi. Rien de tel ici.
A mon avis, ces $4,280.92 que le défendeur a reçus faisaient partie de la rémunération attachée au poste qu'il occupait. Et non seulement l'idée qu'il s'agirait d'un montant versé à titre de rem- boursement de dépenses occasionnées par son absence du Canada m'apparaît impossible à soute- nir, mais même celle qu'il s'agirait d'une «alloca- tion» à l'égard de laquelle pourrait s'appliquer le paragraphe (6) de l'article 6 de la Loi ne m'appa- raît reposer sur aucun élément de preuve.' La somme d'abord n'a jamais été versée ni reçue à titre «d'allocations», ensuite il n'y a rien au dossier qui permette de retrouver les «éléments» dont parle l'article 6(6). Le défendeur dit qu'il avait conservé sa résidence à Ottawa était demeurée son
' L'alinéa a) du paragraphe (6) de l'article 6, le texte invo- qué, se lit comme suit:
6....
(6) Nonobstant le paragraphe (1), dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, les éléments suivants ne doivent pas être inclus:
a) la valeur de la pension et du logement, ou une allocation (ne dépassant pas un montant raisonnable), se rapportant aux frais qu'il a supportés pour la pension et le logement, par lui reçue
(i) au titre, dans l'occupation ou en vertu de sa charge ou de son emploi sur un chantier particulier d'où, en raison de l'éloignement du lieu il a tenu un établisse- ment domestique autonome (ci-après désigné dans le présent paragraphe comme son »lieu ordinaire de rési- dence») et il a demeuré et a subvenu effectivement aux besoins d'un conjoint ou d'une personne à charge, unie à lui par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption, nul ne pourrait raisonnablement s'attendre à ce qu'il retourne chaque jour à son lieu ordinaire de résidence, et
(ii) au titre d'une période pendant laquelle son travail l'a astreint à être absent, durant au moins 36 heures, de son lieu ordinaire de résidence ...
épouse. Mais le seul fait qu'une personne, qui occupe un emploi pour l'exercice duquel sa pré- sence est requise de façon normale et continue dans un lieu, maintienne ou installe sa résidence dans un autre lieu ne l'autorise pas, à mon sens, à invoquer les exemptions de l'article 6(6). Le juge suppléant Grant dans la cause La Reine c. Fores- tell 79 DTC 5289 qu'invoque aussi le procureur du défendeur lorsqu'il en vient à sa proposition alter native ne prétend certes rien de tel.
Il m'est donc impossible de souscrire à la thèse du défendeur et je ne puis que la rejeter. Je suis d'avis que le Ministre a eu raison de considérer que les $4,280.92 reçus par le défendeur au titre de d'«indemnité de cherté de vie» constituaient une partie de son salaire et de sa rémunération en tant qu'employé de l'OEA et que comme tels ils étaient imposables. L'action sera donc maintenue, la déci- sion de la Commission de révision de l'impôt sera annulée et la cotisation du défendeur pour l'année d'imposition 1975 sera remise en vigueur.
Pour ce qui est des frais, il est clair que les dispositions de l'article 178(2) de la Loi prévoyant paiement par le Ministre de «tous les frais raison- nables et justifiés du contribuable, afférents à l'appel» sont applicables, et il sera prévu en conséquence.
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