T-1029-79
Johnny Carson (Appelant)
c.
William A. Reynolds (Intimé)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Ottawa, 18 février et 7 mars 1980.
Marques de commerce — Appel contre la décision du
registraire qui a autorisé l'enregistrement de la marque de
commerce WHERE'S JOHNNY» à l'égard de toilettes extérieures
démontables — Preuve établissant que l'appelant avait utilisé
la marque au Canada avant la demande faite par l'intimé et
que le public associait l'appelant avec la phrase «HERE'S
JOHNNY» - La Loi sur les marques de commerce interdit
l'adoption d'une marque qui peut faussement suggérer un
rapport avec un particulier vivant — Il échet d'examiner si le
registraire a commis une erreur en autorisant l'enregistrement
de la marque en cause — Appel accueilli — Loi sur les
marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, art. 9(1), 12(1)e).
Appel contre la décision du registraire des marques de
commerce qui a rejeté l'opposition de l'appelant à l'enregistre-
ment de l'expression HERE'S JOHNNY comme marque de com
merce destinée a être employée à l'égard de remorques d'aisan-
ces, de toilettes extérieures démontables et de cabinets de
toilette d'une part, et de leur location d'autre part. L'appelant a
administré la preuve établissant qu'il avait utilisé la marque
non enregistrée à l'égard de vêtements pour hommes et de
services de divertissement bien avant la demande d'enregistre-
ment faite par l'intimé. Il a également produit les résultats d'un
sondage, selon lequel l'expression HERE'S JOHNNY suggère
probablement, pour beaucoup de gens vivant au Canada, un
rapport avec lui-même, pour faire valoir que l'alinéa 9(1)k) de
la Loi sur les marques de commerce interdit l'adoption d'une
marque composée de toute matière qui peut faussement suggé-
rer un rapport avec un particulier vivant, ou dont la ressem-
blance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre
avec cette matière.
Arrêt: l'appel est accueilli. Toute exploitation commerciale
d'un particulier vivant, au sens de l'alinéa 9(1)k), est frappée
d'une interdiction absolue, indépendamment du préjudice ou
dommage subi par ce particulier. Puisque l'appelant est un
particulier vivant et qu'il n'existe aucun rapport entre l'intimé
et l'appelant, l'expression HERE'S JOHNNY ne peut être enregis-
trée à la demande de l'intimé comme marque de commerce,
sans le consentement de l'appelant.
Arrêt appliqué: Canadian Schenley Distilleries Ltd. c.
Canada's Manitoba Distillery Ltd. (1976) 25 C.P.R.
(2e) 1.
APPEL.
AVOCATS:
R. C. McLaughlin pour l'appelant.
PROCUREURS:
Macdonald, Affleck, Ottawa, pour l'appelant.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: L'appelant interjette appel
contre une décision du registraire rejetant son
opposition à l'enregistrement de l'expression
HERE'S JOHNNY comme marque de commerce des
tinée à être employée en liaison, d'une part, avec
des remorques d'aisances, des toilettes extérieures
démontables et des cabinets de toilette et, d'autre
part, avec la location de ces commodités. L'intimé
n'a pas comparu, n'a pas présenté d'observations et
n'a produit aucune preuve et ce, bien qu'on lui ait
signifié l'avis d'appel et envoyé des copies des
documents déposés en preuve par l'appelant, de la
demande pour fixer la date d'audition de l'appel, et
de l'ordonnance rendue à cet égard. Il a cependant
fait valoir certains arguments devant le registraire,
mais il ne les a étayés d'aucune preuve. Il a
notamment déclaré avoir adopté l'expression
HERE'S JOHNNY comme marque de commerce
pour ses marchandises et services (ci-après appelés
«commodités») simplement [TRADUCTION] «parce
qu'il s'agit d'une marque frappante pouvant être
associée au mot «JOHN» qui est souvent utilisé pour
désigner un cabinet de toilette». Autant que je
sache, ce mot est aussi utilisé en Amérique du
Nord, dans l'argot, pour désigner le client d'une
prostituée. Ces significations données au mot
«JOHN» doivent certainement déplaire aux
hommes, et même aux saints, qui portent ce nom.
Mais, ainsi que l'a pertinemment souligné le regis-
traire, la Loi sur les marques de commerce', à la
différence de la Loi américaine 2 régissant le même
domaine, ne contient aucune interdiction générale
touchant les marques qui pourraient [TRADUC-
TION] «discréditer . .. des personnes vivantes ou
décédées ... ».
L'appelant allègue principalement que l'expres-
sion HERE'S JOHNNY est, dans l'esprit du public,
tellement associée à lui que toute utilisation de
cette expression en liaison avec un produit quel-
conque porte nécessairement le public à l'associer
à ce produit et vice versa. Il soutient que le regis-
traire a erré:
[TRADUCTION] a. lorsqu'il a conclu que l'utilisation, par
l'intimé, de l'expression HERE'S JOHNNY en liaison avec
lesdites commodités ne créerait pas de confusion au sens du
paragraphe 6(2);
' S.R.C. 1970, c. T-10.
2 15 U.S.C. 1052, art. 2.
b. lorsqu'il a conclu que l'expression HERE'S JOHNNY, telle
qu'utilisée par l'intimé en liaison avec ses commodités, est
une marque distinctive et, par conséquent, enregistrable;
c. lorsqu'il n'a pas conclu que l'expression HERE'S JOHNNY
est à ce point associée au nom de l'appelant que quiconque
utiliserait cette expression au Canada suggérerait l'existence
d'un rapport avec l'appelant;
d. lorsqu'il a décidé qu'il fallait tenir compte du caractère des
marchandises ou des services en liaison avec lesquels une
marque de commerce est utilisée pour déterminer si l'emploi
de cette marque est interdit par l'alinéa 9(1)k) de la Loi; et
e. lorsqu'il n'a pas conclu à l'applicabilité en l'espèce de
l'alinéa 9(1)k) de la Loi, ce qui aurait empêché l'intimé,
compte tenu de l'alinéa 12(1)e), de faire enregistrer sa
marque de commerce.
Avant de passer à l'examen de la preuve et des
arguments soumis par l'appelant, je tiens à souli-
gner que, de toute évidence, j'ai à ma disposition
une preuve bien plus abondante que celle qui fut
produite devant le registraire. Par exemple,
celui-ci ne pouvait savoir qu'antérieurement à la
demande d'enregistrement faite par l'intimé, l'ap-
pelant avait utilisé au Canada la marque non
enregistrée HERE'S JOHNNY en liaison avec des
vêtements pour homme. La preuve établit claire-
ment que cette marque avait ainsi été utilisée en
liaison avec des vêtements pour homme et avec des
services de divertissement.
L'émission «The Tonight Show Starring Johnny
Carson» a été télédiffusée pour la première fois
aux États-Unis d'Amérique le 2 octobre 1962 sur
la chaîne nationale de télévision NBC, et elle n'a
pas cessé de l'être depuis cette date. C'est toujours
Edward McMahon qui en présente la vedette, soit
l'appelant en l'espèce. Cette présentation est dis
tinctive. Ainsi que le prouve un certain nombre
d'extraits enregistrés sur ruban magnétoscopique,
couvrant la période du 5 octobre 1965 au 14 mars
1978, la phrase utilisée à cet effet était, au cours
des premières années, «And now, here's Johnny!»
et, plus récemment, «And now, ladies and gentle
men, here's Johnny!» Le caractère distinctif de
cette présentation consiste dans la pause sensible
après les mots «now» ou «gentlemen», suivie du mot
«here's» traîné en longueur, ce qui donne à toute la
présentation un ton ascensionnel.
Rien dans la preuve n'établit que l'émission ait
jamais été retransmise par une station de télévision
canadienne. Toutefois, dès ses débuts, cette émis-
sion pouvait être vue par les téléspectateurs cana-
diens dont les postes pouvaient capter les signaux
des émetteurs américains et, plus récemment, par
les abonnés à un système de télédistribution
offrant les émissions du réseau NBC. Selon les
enquêtes trimestrielles effectuées par le BBM,
Bureau of Measurement, le nombre quotidien de
téléspectateurs canadiens regardant cette émission
a varié entre 74,600 et 262,300 du printemps 1970
à l'automne 1975.
La Elliot Research Corporation Limited a effec-
tué un sondage aléatoire dans la région métropoli-
taine de Toronto dans le cadre duquel elle a distri-
bué aux personnes interrogées des cartes portant
simplement la mention «HERE'S JOHNNY». Elle
leur a ensuite demandé oralement à qui ou à quoi
elles associaient cette expression. Voici les résul-
tats de ce sondage:
1" TOUTE
ASSOCIATION ASSOCIATION
Johnny Carson ou l'émission télévisée
The Johnny Carson Show 57% 63%
L'émission télévisée The Tonight Show 7% 12%
Une toilette portative ou la Johnny on
the Spot Toilet 3% 6%
Johnny Walker ou
le whisky Johnny Walker Red Label 2% 5%
Une émission de télévision 2% 2%
Un petit garçon 2% 2%
Ed McMahon 1% 3%
Je ne me souviens pas ou je ne sais pas 16% 16%
Dix autres réponses ont aussi été données mais
dans une proportion de 1% seulement sous chacune
des deux rubriques. Aucune de ces réponses n'avait
trait ni à l'appelant ni auxdites commodités.
Je n'ai pas l'intention d'examiner la preuve
abondante produite dans le but d'établir la validité
des enquêtes susmentionnées. Je dirai simplement
que je suis totalement convaincu de leur admissibi-
lité et de ce qu'elles ont été menées de manière à
donner des résultats valables. Elles satisfont aux
critères que mon collègue le juge Cattanach a
étudiés et appliqués dans l'affaire Canadian
Schenley Distilleries Ltd. c. Canada's Manitoba
Distillery Ltd.' Soulignons que ces enquêtes et les
résultats y afférents n'ont pas été produits en
preuve devant le registraire.
3 (1976) 25 C.P.R. (2') 1, aux pages 6 et suiv.
La Loi dispose que:
12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de com
merce est enregistrable si elle ne constitue pas
e) une marque dont l'article 9 ou 10 interdit l'adoption.
9. (I) Nul ne doit adopter à l'égard d'une entreprise, comme
marque de commerce ou autrement, une marque composée de
ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait
vraisemblablement la confondre avec ce qui suit:
k) toute matière qui peut faussement suggérer un rapport
avec un particulier vivant;
Il est utile de reproduire ici le paragraphe 9(1) en
entier:
9. (1) Nul ne doit adopter à l'égard d'une entreprise, comme
marque de commerce ou autrement, une marque composée de
ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait
vraisemblablement la confondre avec ce qui suit:
a) les armoiries, l'écusson ou le drapeau de Sa Majesté;
b) les armoiries ou l'écusson d'un membre de la famille
royale;
c) le drapeau, les armoiries ou l'écusson de Son Excellence le
gouverneur général;
d) un mot ou symbole susceptible de porter à croire que les
marchandises ou services en liaison avec lesquels il est
employé ont reçu l'approbation royale, vice-royale ou gouver-
nementab, ou sont produits, vendus ou exécutés sous le
patronage ou sur l'autorité royale, vice-royale ou gouverne-
mentale;
e) les armoiries, l'écusson ou le drapeau adoptés et employés
à quelque époque par le Canada ou par une province ou
corporation municipale au Canada, à l'égard desquels le
registraire, sur la demande du gouvernement du Canada ou
de la province ou corporation municipale intéressée, a notifié
au public leur adoption et leur emploi;
J) l'emblème héraldique de la Croix-Rouge sur fond blanc,
formé en transposant les couleurs fédérales de la Suisse et
retenu par la Convention de Genève pour la protection des
victimes de guerre de 1949, comme emblème et signe distinc-
tif du service médical des forces armées et utilisé par la
Société de la Croix-Rouge Canadienne; ou l'expression
«Croix-Rouge» ou «Croix de Genève»;
g) l'emblème héraldique du Croissant rouge sur fond blanc,
adopté aux mêmes fins que celles dont l'alinéa J) fait men
tion, par un certain nombre de pays musulmans;
h) le signe équivalent des Lion et Soleil rouges employés par
l'Iran pour le même objet que celui dont l'alinéa J) fait
mention;
i) les drapeaux, armoiries, écussons ou emblèmes nationaux,
territoriaux ou civiques, ou tout signe ou timbre de contrôle
et garantie officiels, dont l'emploi comme devise commerciale
a été l'objet d'un avis d'opposition reçu en conformité des
stipulations de la Convention et publiquement donné par le
registraire;
j) une devise ou un mot scandaleux, obscène ou immoral;
k) toute matière qui peut faussement suggérer un rapport
avec un particulier vivant;
1) le portrait ou la signature d'un particulier vivant ou qui
est décédé dans les trente années précédentes;
m) les mots «Nations Unies» (United Nations), ou le sceau
ou emblème officiel des Nations Unies;
n) tout insigne, écusson, marque ou emblème
(i) adopté ou employé par l'une quelconque des forces de
Sa Majesté telles que les définit la Loi sur la défense
nationale,
(ii) d'une université, ou
(iii) adopté et employé par une autorité publique au
Canada comme marque officielle pour des marchandises
ou services,
à l'égard desquels le registraire, sur la demande de Sa
Majesté ou de l'université ou autorité publique, selon le cas, a
donné un avis public d'adoption et emploi; ou
o) le nom «Gendarmerie royale du Canada» (Royal Canadi-
an Mounted Police) ou «R.C.M.P.», ou toute autre combinai-
son de lettres se rattachant à la Gendarmerie royale du
Canada, ou toute représentation illustrée d'un membre de ce
corps en uniforme.
A l'exception de l'alinéa j), seul en son genre,
ainsi que des alinéas k) et 1), tout le paragraphe
précité a nettement pour but d'interdire l'exploita-
tion commerciale d'un certain nombre d'institu-
tions dont aucune ne subirait, semble-t-il, de préju-
dices d'ordre commercial du fait de cette
exploitation. Ce paragraphe énonce une interdic
tion absolue qui n'est nullement subordonnée à la
preuve du préjudice ou dommage subi. A mon avis,
toute exploitation commerciale d'un particulier
vivant, au sens de l'alinéa 9(1)k), est également
frappée de cette même interdiction absolue et ce,
indépendamment du préjudice ou dommage subi
par ce particulier.
Pour beaucoup de gens vivant au Canada, l'ex-
pression HERE'S JOHNNY suggère probablement un
rapport avec l'appelant. Puisque d'une part, l'appe-
lant est un particulier vivant et que, d'autre part, il
n'existe aucun rapport entre l'intimé et l'appelant,
l'expression HERE'S JOHNNY ne peut être enregis-
trée à la demande de l'intimé comme marque de
commerce, sans que l'appelant n'y ait consenti
conformément au paragraphe 9(2).
Il est clair que le registraire ne disposait pas
d'une preuve suffisante qui lui aurait permis de
conclure qu'au Canada, l'expression HERE'S
JOHNNY suggère faussement un rapport avec l'ap-
pelant. Sans cette preuve, il ne pouvait naturelle-
ment conclure comme je l'ai fait quant à l'applica-
tion des alinéas 12(1)e) et 9(1)k). A mon avis, il
ne pouvait non plus en venir à toutes les autres
conclusions souhaitées par l'appelant. Par exemple,
il ne pouvait conclure que l'emploi de l'expression
HERE'S JOHNNY en liaison avec lesdites commodi-
tés créait effectivement de la confusion avec la
même expression employée en liaison avec des
services de divertissement. En effet, le registraire
ne disposait d'aucune preuve établissant que l'ex-
pression HERE'S JOHNNY est si généralement asso-
ciée à l'appelant que l'emploi de celle-ci avec
d'autres marchandises ou services, même s'ils n'ont
absolument rien à voir avec des services de diver-
tissement, créerait de la confusion en ce que ce
double emploi donnerait vraisemblablement à
entendre que toutes ces marchandises et services,
quels qu'ils soient, ont un rapport direct avec
l'appelant. Je suis donc d'avis d'accueillir l'appel.
Toutefois, compte tenu des circonstances, il n'y
aura pas d'ordonnance quant aux dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.