T-2354-79
Rudy Kiist et Donald Robertson, en leur nom
propre et au nom de tous les autres titulaires d'un
livret de permis délivré par la Commission cana-
dienne du blé en conformité de l'article 19 de la
Loi sur la Commission canadienne du blé, S.R.C.
1970, c. C-12, modifiée, pour les campagnes agri-
coles de 1977-78 et 1978-79 (Demandeurs)
c.
Canadian Pacific Railway Company et la Compa-
gnie des chemins de fer nationaux du Canada
(Défenderesses)
et
La Commission canadienne du blé (Mise-en -
cause)
Division de première instance, le juge Gibson—
Toronto, 11 octobre 1979; Ottawa, 11 février
1980.
Pratique — Requête en radiation de déclaration — Les
demandeurs réclament des dommages-intérêts pour violation
d'une obligation légale — Il échet d'examiner si les deman-
deurs sont des personnes lésées — Il échet d'examiner si les
demandeurs sont en droit d'intenter une action concernant une
classe de personnes — Il échet d'examiner si les demandeurs
sont en droit d'intenter une action dérivée contre les défende-
resses — Il échet d'examiner si la Division de première
instance de la Cour fédérale du Canada est compétente en
l'espèce — Requête accueillie — Loi sur la Commission
canadienne du blé, S.R.C. 1970, c. C-12, art. 16, 17, 18, 21, 25,
33, 34 — Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, art.
262 — Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-17,
art. 55, 56, 58, 61, 64 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(2e Supp.), c. 10, art. 23.
Requête tendant à la radiation de la déclaration et au rejet
de l'action aux motifs que la Cour n'est pas compétente pour
l'entendre, que la déclaration ne révèle aucune cause raisonna-
ble d'action, et que l'action n'a pas été proprement intentée à
titre d'action concernant une classe de personnes. Les deman-
deurs sont des producteurs ayant le droit de livrer une certaine
quantité de leurs grains aux élévateurs, conformément aux
livrets de permis délivrés par la Commission canadienne du blé.
L'action en dommages-intérêts se fonde sur le fait que les
compagnies de chemins de fer défenderesses avaient l'obligation
légale, qu'elles ont enfreinte, de mettre à la disposition des
demandeurs des wagons en nombre suffisant pour transporter à
destination le surplus de grains produits par les demandeurs,
mais dont la Commission n'a pas autorisé la livraison. Il échet
d'examiner si les demandeurs sont des personnes lésées au sens
de l'article 262(7) de la Loi sur les chemins de fer; s'ils sont en
droit d'intenter une action concernant une classe de personnes,
s'ils sont en droit d'intenter un action dérivée contre les défen-
deresses, s'ils ont une cause d'action contre la Commission
canadienne du blé et si la Division de première instance de la
Cour fédérale du Canada est compétente en l'espèce.
Arrêt: la requête est accueillie. Il découle de l'article 262(7)
de la Loi sur les chemins de fer qu'en cas de non-observation,
toute personne lésée au sens de la Loi a le droit de porter
plainte. Une personne n'est normalement pas considérée comme
«lésé[e]» au sens de cet article si elle ne peut établir qu'elle a
subi un préjudice déterminé, un simple grief n'étant pas un
motif suffisant. Les cours de justice ont dérogé dans certains
cas à cette condition rigoureuse du locus standi, dérogation qui
est limitée aux actions contre les autorités publiques dans
l'exercice de leurs pouvoirs prévus par la Loi. Dans ces cas, les
recours s'exercent par voie de certiorari, de mandamus et de
prohibition; ils ne peuvent être invoqués contre les organismes
privés n'exerçant pas des pouvoirs prévus par la Loi, telles les
compagnies de chemins de fer défenderesses. S'il est vrai qu'à
l'égard de toutes les questions affectant les producteurs, il y a
entre les demandeurs et la Commission canadienne du blé une
«communauté d'intérêts», ce n'est pas un «artifice juridique» que
de dire que le grain, dont les demandeurs étaient les produc-
teurs et les propriétaires à l'origine et qu'ils demandaient aux
compagnies de chemins de fer de transporter, était la propriété
de la Commission canadienne du blé. C'est ce qu'il était de par
la Loi. Quant au soi-disant «surplus» de grain produit pendant
les années en cause par les demandeurs mais dont la livraison
n'était pas autorisée par les «permis», ce grain n'a effectivement
pas été livré (l'interdiction légale faite aux compagnies de
chemins de fer d'en prendre livraison ayant été respectée), et de
ce fait, les compagnies de chemins de fer n'étaient pas tenues, à
cet égard, à l'obligation que l'article 262 de la Loi sur les
chemins de fer impose aux transporteurs publics. Il n'y avait
entre les demandeurs et les compagnies de chemins de fer
défenderesses aucun contrat exprès ou tacite en vertu duquel les
premiers pourraient exiger quoi que ce fût, pas plus qu'ils ne
tenaient de la Loi le droit d'exiger que ces dernières prennent
livraison de ce soi-disant «surplus» de grain dont la livraison
n'était pas autorisée par les «permis»; par surcroît, aucune
demande n'a été faite en ce sens; en conséquence, on ne saurait
relever contre les compagnies de chemins de fer aucun manque-
ment qui eût justifié une action en dommages-intérêts par
application de l'article 262(7) de la Loi sur les chemins de fer,
pour violation de l'une quelconque des obligations prévues à
l'article 262(1) et (2) de la même Loi. Il s'ensuit qu'en l'espèce,
les demandeurs ne sont pas des personnes lésées au sens de
l'article 262(7) de la Loi sur les chemins de fer. Il n'y a lieu à
action dérivée que dans les cas expressément prévus par la Loi.
Ni les demandeurs ni la classe de personnes qu'ils prétendent
représenter n'ont une cause d'action contre la Commission
canadienne du blé en quoi que ce soit. Il appert qu'en l'espèce,
la «compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution
spéciale» au sens de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale.
La Commission canadienne des transports s'est vu spécialement
attribuer la compétence pour instruire tous les aspects d'une
action en dommages-intérêts fondée sur l'article 262(7) de la
Loi, pour défaut d'installations suffisantes et adéquates telles
qu'elles sont requises par l'article 262(1) et (2) de la Loi sur les
chemins de fer. En conséquence, la Division de première ins
tance de la Cour fédérale du Canada n'a pas compétence à
l'égard d'une action fondée en dommages-intérêts de ce genre,
laquelle relève exclusivement de la Commission canadienne des
transports.
Arrêt appliqué: Jamieson c. Carota [1977] 2 C.F. 239.
Arrêts mentionnés: Ex parte Sidebotham; In re Side-
botham (1880) 14 Ch. D. 458; R. c. Paddington Valuation
Officer, Ex parte Peachey Property Corp. Ltd. [1966] 1
Q.B. 380; Arsenal Football Club Ltd. c. Ende [1977] 2
W.L.R. 974 (C.L.); Illinois Central Railway Co. c. Baker
(1913) 159 S.W. 1169 (Kentucky Court of Appeal); Riske
c. La Commission canadienne du blé [1977] 2 C.F. 143;
Norfolk c. Roberts (1913) 28 O.L.R. 593; Meagher c.
Canadian Pacific Railway Co. (1912) 42 N.B.R. 46.
REQU ËTE.
AVOCATS:
A. Golden, c.r. et W. Bartlett pour les
demandeurs.
C. R. O. Munro, c.r. pour la défenderesse
Canadian Pacific Railway Company.
L. L. Band pour la défenderesse Compagnie
des chemins de fer nationaux du Canada.
H. B. Monk, c.r. et D. S. Sagoo pour la
Commission canadienne du blé, mise-en-
cause.
PROCUREURS:
Golden, Levinson, Toronto, pour les deman-
deurs.
Service du contentieux de Canadian Pacific
Railway Company, Montréal, pour la défen-
deresse Canadian Pacific Railway Company.
Service du contentieux de la Compagnie des
chemins de fer nationaux du Canada,
Toronto, pour la défenderesse Compagnie des
chemins de fer nationaux du Canada.
Service du contentieux de la Commission
canadienne du blé, Winnipeg, pour la Com
mission canadienne du blé, mise-en-cause.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE GIBSON: La Cour est saisie d'une
requête de la Canadian Pacific Railway Company,
de la Compagnie des chemins de fer nationaux du
Canada et de la Commission canadienne du blé
(désignée dans la déclaration comme «defendant
without liability»), tendant à la radiation de la
déclaration et au rejet de l'action aux motifs (1)
que la Cour n'est pas compétente pour l'entendre;
(2) que la déclaration ne révèle aucune cause
raisonnable d'action; et (3) que l'action n'a pas été
proprement intentée à titre d'action concernant
une classe de personnes, au sens de la Règle 1711
de la Cour.
A la première audition de la requête en juin
1979, j'ai ordonné, avec le consentement des avo-
cats des parties, le dépôt et l'échange de mémoires
sur les points de droit en vue d'une argumentation
compréhensive. Ce qui fut fait. Il s'ensuit qu'au
fond, cette requête équivaut à une requête fondée
sur la Règle 474 du fait que «la Cour n'ait accordé,
[toutes] parties ... l'occasion d' `une audition rela-
tivement longue et approfondie au lieu d'une audi
tion courte et sommaire.'» (Cf Jamieson c.
Carota.)'
Les demandeurs (qui prétendent représenter
aussi tous les autres titulaires d'un «livret de
permis» délivré par la Commission canadienne du
blé) soutiennent que leur action est fondée sur la
Loi, nommément l'article 262 de la Loi sur les
chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, et qu'ils sont
les personnes lésées au sens de l'article 262(7) de
cette Loi.
Les demandeurs justifient de la qualité de pro-
ducteurs ayant le droit de livrer des céréales (blé et
orge) pendant les campagnes agricoles de 1977-78
et de 1978-79, conformément aux articles 16, 17 et
18 de la Loi sur la Commission canadienne du blé,
S.R.C. 1970, c. C-12, comme en fait foi le «livret
de permis» délivré par la Commission canadienne
du blé, lequel «livret de permis» fixe leurs contin
gents respectifs de livraison de ces céréales.
La Commission canadienne du blé, qui est un
mandataire de Sa Majesté, a pour attributions et
pour raison d'être d'assurer la commercialisation
rationnelle des céréales produites dans l'Ouest du
Canada, sur le plan interprovincial comme à
l'exportation.
Il s'agit en l'espèce d'une action en dommages-
intérêts qui n'est pas, comme on l'a noté, dirigée
contre la Commission canadienne du blé, mais
seulement contre les deux compagnies de chemins
de fer défenderesses.
L'action en dommages-intérêts se fonde sur le
fait qu'il y avait un certain surplus de céréales
(c'est-à-dire des céréales dont leurs «livret[s] de
permis» ne prévoyaient pas la livraison mais que
' [ 1977] 2 C.F. 239 à la p. 244, le juge en chef Jackett.
les demandeurs ont produites au cours des campa-
gnes agricoles de 1977-78 et de 1978-79) et que les
compagnies de chemins de fer défenderesses
avaient l'obligation légale, qu'elles ont enfreinte,
de mettre à la disposition des demandeurs des
wagons en nombre suffisant pour transporter et
livrer au port ce surplus de céréales que la Com
mission canadienne du blé aurait pu vendre.
Pour ce qui est de l'obligation légale que les
compagnies de chemins de fer auraient enfreinte,
les demandeurs soutiennent que malgré le système
de commercialisation établi par la Loi sur la Com
mission canadienne du blé, les demandeurs, en
tant que producteurs, sont en droit de réclamer des
dommages-intérêts aux compagnies de chemins de
fer en qualité de personnes lésées conformément à
l'article 262(7) de la Loi sur les chemins de fer,
par action intentée devant la Cour fédérale du
Canada.
Un bref aperçu de l'origine et du fonctionne-
ment de la Commission canadienne du blé nous
aidera à éclairer les questions que posent ces
requêtes.
La Commission canadienne du blé, créée en
1935 à la demande instante des producteurs, est
devenue une société de la Couronne en 1967. La
genèse de cette Commission se confond avec l'évo-
lution de la culture céréalière au Canada, dans
laquelle les points litigieux trouvent également
leurs racines.
La culture céréalière étant devenue une entre-
prise de grande envergure dans l'Ouest canadien
au cours des années 1880, les compagnies de che-
mins de fer ont mis en place les mécanismes de
commercialisation et de transport des céréales, et
la principale compagnie à assurer à cette époque le
transport du grain des Prairies vers les marchés fut
la Canadian Pacific Railway Company. L'accrois-
sement considérable des quantités de grain destiné
à la vente au cours des années 1890 a posé aux
producteurs certains problèmes d'ordre économi-
que à résoudre, dont la disponibilité des moyens de
transport et les frais de transport.
Le premier problème fut résolu en partie par la
Loi des grains du Canada de 1912, S.C. 1912, c.
27, qui prévoyait notamment la réglementation
fédérale obligatoire de la répartition des wagons.
Le second problème fut résolu en partie par la
signature et la promulgation de l'accord Crow's
Nest Pass Agreement, S.C. 1896-97, c. 5, qui
garantissait à perpétuité le tarif d'exportation du
grain de l'Ouest. En contrepartie, les compagnies
de chemins de fer, en particulier la Canadian
Pacific Railway, bénéficiaient à l'époque de con
cessions substantielles. Et si, à l'origine, la Com
mission canadienne du blé n'était pas créée par
suite de ces deux problèmes (dont celui de la
disponibilité des moyens de transport qui est en
cause), il se trouve qu'à l'heure actuelle, la Com
mission canadienne du blé est investie d'une cer-
taine compétence en matière d'accessibilité des
moyens de transport.
Depuis 1967, la compétence de la Commission
canadienne du blé est restée essentiellement la
même dans son ensemble, sauf qu'en 1974, les
agriculteurs de l'Ouest se virent accorder la possi-
bilité de vendre sur le marché libre du blé, de
l'avoine et de l'orge pour l'alimentation du bétail
au Canada. Toutefois la Commission est restée et
reste à ce jour l'agent exclusif pour la vente sur les
marchés internationaux du blé, de l'avoine et de
l'orge produits au Manitoba, en Saskatchewan, en
Alberta et dans le district de Peace River en
Colombie-Britannique.
Elle n'a cependant pas compétence sur le fret, en
particulier le fret subventionné par l'effet de l'ac-
cord de Crow's Nest Pass.
En termes positifs, la compétence de la Commis
sion peut se définir par ses attributions qui consis
tent: (1) à écouler le plus de céréales possible au
meilleur prix possible; (2) à assurer la stabilité des
prix au profit des producteurs de céréales des
Prairies; et (3) à faire en sorte que chaque produc-
teur ait chaque année une part équitable du
marché des céréales.
La politique nationale de la Commission vise
donc à assurer aux producteurs canadiens de
céréales l'égalité d'accès au marché, un écoule-
ment ordonné de leurs produits et la stabilité des
prix.
Dans l'application de cette politique nationale,
la Commission n'a toutefois jamais joué le rôle
d'un organisme de soutien des prix ou des revenus.
En fait, les producteurs reçoivent exactement le
prix que la Commission obtient des clients du
marché intérieur et extérieur.
Dans l'application de cette politique nationale,
le pouvoir de contrôle qu'exerce la Commission
canadienne du blé sur le marché des céréales ne
tient pas à un droit de propriété sur les moyens de
manutention, mais découle uniquement de la Loi
sur la Commission canadienne du blé. En fait, ce
pouvoir de contrôle découle de l'exercice de son
pouvoir d'imposer les contingents de livraison. Le
contingentement des livraisons est à la base du
pouvoir de réglementation de la Commission.
Par contingents de livraison, on entend le fait
qu'à l'exception des grains produits exprès et affec
tés directement à l'alimentation du bétail, ou des
grains vendus par les producteurs aux exploitants
de parcs d'engraissement, la majeure partie des
grains est livrée par les producteurs aux élévateurs
régionaux. La Commission canadienne du blé n'est
pas propriétaire de ces élévateurs régionaux, mais
elle est habilitée à contrôler et contrôle effective-
ment l'écoulement des céréales par ces élévateurs,
en contrôlant le transport ferroviaire de la totalité
du grain de ces élévateurs régionaux aux éléva-
teurs de tête de ligne ainsi qu'aux usines de trans
formation de l'intérieur et aux ports d'exportation.
Le pouvoir de contrôle sur le transport des céréales
a sa source dans la Loi des grains du Canada, et le
pouvoir de contrôler les quantités de grain livrées
par les producteurs aux élévateurs s'exerce au
moyen d'un système de contingentement prévu par
la Loi sur la Commission canadienne du blé.
Pour ce qui est cependant du fonctionnement
d'ensemble de la Commission dans l'exercice de
ses pouvoirs et attributions prévus par la Loi, on
peut dire, à mon avis, que la Commission applique
sa politique nationale de commercialisation des
grains au moyen des cinq méthodes suivantes: (1)
application de prix uniques annuels; (2) applica
tion des contingents de livraison; (3) contrôle du
transport; (4) recours à la bourse des marchandi-
ses de Winnipeg; et (5) recours à un système
compliqué de vente à l'exportation.
Seules les méthodes n° (2) et n° (3) ci-dessus,
savoir l'application des contingents de livraison et
le contrôle du transport, ont un rapport avec les
points litigieux que fait valoir la déclaration dans
l'action principale.
L'application des contingents de livraison
Le système des contingents appliqué par la
Commission vise à donner à chaque producteur
une chance égale de vendre ses grains. Par ce
système, la Commission canadienne du blé con-
trôle la quantité de grains (à l'exception des grains
de provende destinés à la consommation inté-
rieure) que chaque producteur peut livrer à une
époque donnée. Chaque producteur se voit
octroyer un permis. Le permis indique la quantité
de grains que le titulaire a légalement le droit de
livrer à un élévateur régional. Le contingent s'ex-
prime en boisseaux par acre qu'un producteur peut
livrer, par catégorie et par qualité de grain.
Il s'ensuit que dans le cadre de cette politique de
réglementation du marché au moyen du contingen-
tement, la Commission exerce le pouvoir exclusif:
(1) de délivrer des livrets de permis aux produc-
teurs qui souhaitent vendre leurs grains; (2) de
limiter les livraisons de grains aux élévateurs
régionaux, aux producteurs titulaires de livrets de
permis; et (3) de fixer le cas échéant des contin
gents pour chaque variété de grains pouvant être
livrée aux élévateurs régionaux.
Ainsi donc, ce système de contingentement règle
en quelque sorte le type et la quantité de grains qui
alimentent le système.
Le contrôle du transport
Il appert que dans l'exercice de son pouvoir de
contrôle du transport des grains, la Commission
canadienne du blé collabore avec les compagnies
de chemins de fer, sous forme de consultations
entre cadres supérieurs et aussi au niveau de l'exé-
cution de tous les jours.
De leur côté, les responsables des élévateurs
régionaux rendent compte chaque semaine de la
quantité de grains disponible (par qualité) pour
expédition.
Il appert que les wagons céréaliers sont alloués
aux élévateurs régionaux, où ils sont chargés par
les responsables puis pris en charge par les compa-
gnies de chemins de fer. La répartition se fait,
semble-t-il, conformément à un système de zones
d'expédition par lequel la répartition des wagons
céréaliers entre les diverses zones d'expédition est
fixée conjointement par la Commission canadienne
du blé et les compagnies de chemins de fer.
Il appert également qu'au moins pendant les
années visées dans la déclaration, savoir 1977-78 et
1978-79, les producteurs ont produit plus de grains
que ne pouvait en absorber le système décrit plus
haut, et que l'impossibilité d'absorber ce surplus de
grains était en partie due au nombre insuffisant de
wagons céréaliers susceptibles de transporter ce
surplus vers un marché manifestement en mesure
de l'écouler. La Commission canadienne du blé
n'avait délivré aux producteurs aucun permis les
autorisant à livrer ce surplus de grains.
Voilà un aperçu historique des points de fait et
de droit qui nous permettent d'instruire les points
litigieux tels qu'ils ressortent de la déclaration des
demandeurs.
Aux fins de la requête, il convient toutefois de
récapituler sous un autre angle certains points les
plus saillants et d'en relever d'autres qui ont aussi
leur importance.
En premier lieu, la Commission canadienne du
blé réglemente la quantité de grains qu'elle doit
écouler en contingentant les livraisons par les pro-
ducteurs, mais non la production. (Voir l'article 21
de la Loi sur la Commission canadienne du blé.)
En deuxième lieu, les producteurs peuvent pro-
duire tout le grain qu'ils désirent, mais ils ne
peuvent livrer à un élévateur ou à une compagnie
de chemin de fer, pour le marché interprovincial
ou pour l'exportation, du grain dont la livraison
n'est pas autorisée conformément au «permis» déli-
vré par la Commission canadienne du blé.
En troisième lieu, il est interdit aux élévateurs et
aux compagnies de chemins de fer de recevoir d'un
producteur une livraison de grain dont l'autorisa-
tion ne figure pas dans son «permis». (Voir les
articles 17 et 18 de la Loi sur la Commission
canadienne du blé.)
En quatrième lieu, la Commission est seule
mandatée pour le commerce du grain entre les
provinces et à l'exportation. (Voir les articles 33 et
34 de la Loi sur la Commission canadienne du
blé.)
En cinquième lieu, lorsque les producteurs
livrent du grain suivant l'autorisation figurant
dans leurs livrets de permis respectifs, la propriété
de ce grain est transférée à la Commission, qui
l'achète. (Voir l'article 25 de la Loi sur la Com
mission canadienne du blé.) Par conséquent, le
grain livré aux élévateurs ou introduit pour ainsi
dire sur le marché conformément à ce programme
de commercialisation après livraison, appartient à
la Commission.
En sixième lieu, lorsque le grain est livré aux
compagnies de chemins de fer, l'obligation qu'ont
ces dernières de le transporter pour le compte de la
Commission canadienne du blé, propriétaire, est
généralement celle d'un transporteur public sous
réserve des dispositions de la Loi sur les chemins
de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, par exemple l'article
262(1) et (2). L'article 262(1)b) et e) de cette Loi
s'applique particulièrement aux faits de la cause:
262. (1) La compagnie doit, selon ses pouvoirs,
b) fournir des installations suffisantes et convenables pour le
transport, le déchargement et la livraison de ces marchandi-
ses et effets;
e) fournir tel autre service, connexe au transport, habituel ou
d'usage relativement aux affaires d'une compagnie de chemin
de fer, selon que la Commission l'ordonne.
Quant aux points litigieux que soulèvent les
demandeurs dans leur déclaration, leur principale
conclusion est que, pendant les années dont s'agit,
les compagnies de chemins de fer ont manqué à
leur obligation légale envers les demandeurs,
savoir l'obligation de fournir un nombre suffisant
de wagons propres à transporter vers le marché
tout le grain produit par les producteurs deman-
deurs et que la Commission canadienne du blé
aurait pu vendre; que par suite, les demandeurs ont
subi des dommages dont la réparation était paya
ble à la Commission canadienne du blé unique-
ment en vertu du système de commercialisation
établi par la Loi sur la Commission canadienne du
blé; que ce système légal n'était pas destiné par le
législateur à «avoir pour effet d'exonérer les com-
pagnies de chemins de fer défenderesses en cas de
manquement à leur obligation légale qui est de
transporter et de livrer le grain produit par les
[producteurs] demandeurs»; et que par conséquent
les producteurs demandeurs sont fondés à saisir la
Cour d'une action en dommages-intérêts contre les
compagnies de chemins de fer défenderesses, en
leur qualité de personnes lésées au sens de l'article
262(7) de la Loi sur les chemins de fer.
Les demandeurs concluent aux paragraphes 8 et
9 de leur déclaration comme suit:
[TRADUCTION] 8. Les demandeurs sont tenus aux coûts de
transport, dont les surestaries et les frais de manutention et de
magasinage. Le surplus auquel ils ont part est fonction des
quantités livrées selon le contrat, ainsi que des coûts de com
mercialisation et de livraison. Les demandeurs sont en outre
requis par la Loi de livrer le grain selon un système de
contingentement, lequel est fonction des ventes effectuées et
prévues par la Commission canadienne du blé.
9. Pendant l'époque en cause, la Commission canadienne du
blé a confié aux compagnies de chemins de fer défenderesses le
transport de grains, par le biais du Comité des transports pour
la prévision des besoins à long terme et au moyen d'un système
de zones d'expédition pour ce qui était de la répartition du
matériel roulant et des installations connexes par cycle de
transport de six semaines. Les compagnies de chemins de fer
défenderesses ont participé aux décisions et confirmé leur apti
tude à transporter le grain en question. Chacune d'elles dessert
de façon exclusive différentes régions du Manitoba, de la
Saskatchewan et de l'Alberta, ainsi que certaines parties de la
Colombie-Britannique.
Aux paragraphes 12 et 13, les demandeurs font
encore valoir ce qui suit:
[TRADUCTION] 12. Pendant la campagne agricole de 1977-78,
la Commission canadienne du blé a passé contrat pour la vente
à l'exportation de quelque 23 millions de tonnes de grain. Les
ventes ont été négociées et conclues sur la foi des engagements
souscrits par des compagnies de chemins de fer défenderesses,
comme indiqué au paragraphe 9 ci-dessus.
13. Les compagnies de chemins de fer défenderesses ont
manqué à leur obligation, prévue à l'article 262(1) et (2) de la
Loi sur les chemins de fer, de transporter et de livrer quelque 2
millions de tonnes du total visé au paragraphe 12 ci-dessus,
manquement dont elles doivent réparation aux demandeurs.
Aux paragraphes 17 et 18, les demandeurs sou-
tiennent également ce qui suit:
[TRADUCTION] 17. La Commission canadienne du blé, bien
que priée de le faire, n'a pris aucune mesure contre les compa-
gnies de chemins de fer défenderesses pour recouvrer les dom-
mages-intérêts susmentionnés.
18. Il appartient à la Commission canadienne du blé d'encais-
ser les dommages-intérêts en cause et les demandeurs deman-
dent expressément qu'ils soient versés, sans défalcation de frais,
à la Commission canadienne du blé qui en disposera conformé-
ment aux modalités légales qu'elle a établies.
L'article 262(1) et (2) de la Loi sur les chemins
de fer prévoit certains pouvoirs et obligations des
compagnies de chemins de fer comme suit:
262. (1) La compagnie doit, selon ses pouvoirs,
a) fournir, au point de départ de son chemin de fer et au
point de raccordement de son chemin de fer avec d'autres, et
à tous les points d'arrêt établis à cette fin, des installations
suffisantes et convenables pour la réception et le chargement
des marchandises et effets présentés à la compagnie pour être
transportés sur son chemin de fer;
b) fournir des installations suffisantes et convenables pour le
transport, le déchargement et la livraison de ces marchandi-
ses et effets;
c) sans retard, et avec le soin et la diligence voulus, recevoir,
transporter et livrer ces marchandises et effets;
d) fournir et employer tous les appareils, toutes les installa
tions et tous les moyens nécessaires à la réception, au charge-
ment, au transport, au déchargement et à la livraison de ces
marchandises et effets; et
e) fournir tel autre service, connexe au transport, habituel ou
d'usage relativement aux affaires d'une compagnie de chemin
de fer, selon que la Commission l'ordonne.
(2) Ces installations complètes et convenables comprennent
des facilités raisonnables pour le raccordement de voies latéra-
les privées ou d'embranchements privés avec un chemin de fer
possédé ou mis en service par la compagnie, et des facilités
raisonnables pour la réception, l'expédition et la livraison des
marchandises et effets entrant sur ces voies latérales et sur ces
embranchements privés ou en débouchant, ainsi que le place
ment de wagons et leur traction dans un sens ou dans un autre
sur ces voies latérales privées et sur ces embranchements privés.
et aux termes de l'article 262(7) de la Loi:
262....
(7) Quiconque a été lésé par la négligence ou le refus de la
compagnie de se conformer aux exigences du présent article, a,
sous réserve de la présente loi, le droit d'intenter une poursuite
contre la compagnie; et la compagnie ne peut se mettre à l'abri
de cette poursuite en invoquant un avis, une condition ou une
déclaration, si le tort résulte d'une négligence ou d'une omission
de la compagnie ou de ses employés.
Une Loi générale sur le transport, adoptée par le
Parlement en 1966-67, donne des pouvoirs étendus
à la Commission canadienne des transports: il
s'agit de la Loi nationale sur les transports, S.C.
1966-67, c. 69 (modifiée par la suite).
En ses articles 55, 56, 58 et 61(1) et 64(9), la
Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c.
N-17, prévoit certains pouvoirs de la Commission
canadienne des transports, comme suit:
55. (1) La Commission peut, de son propre mouvement, ou
à la demande d'une partie, et après qu'a été fourni le cautionne-
ment qu'elle prescrit, ou à la requête du gouverneur en conseil,
soumettre un mémoire pour obtenir l'opinion de la Cour d'appel
fédérale sur toute question que cette Commission considère être
une question de droit ou une question concernant la juridiction
de la Commission.
(2) La Cour d'appel fédérale doit entendre et juger cette
question, et remettre l'affaire à la Commission avec l'opinion de
la cour.
56. (1) En décidant une question de fait, la Commission
n'est liée par la constatation ou par le jugement d'aucune autre
cour, dans une action, poursuite ou procédure comportant la
décision relative à cette question de fait; mais cette constatation
ou ce jugement, dans les procédures engagées devant la Com
mission, ne constitue qu'une preuve prima facie.
(2) La litispendance, devant un autre tribunal, d'une action,
poursuite ou procédure comportant des questions de fait, n'en-
lève pas à la Commission sa compétence pour entendre et
décider ces mêmes questions de fait.
(3) La décision de la Commission sur toute question de fait
de sa compétence est obligatoire et définitive.
58. Sur toute requête présentée à la Commission, cette der-
nière peut rendre une ordonnance accordant cette requête en
totalité ou en partie seulement, ou accorder un redressement
plus étendu ou tout autre redressement de griefs, en sus ou au
lieu de celui qui a été demandé, selon que la chose lui paraît
juste et convenable, aussi amplement à tous égards que si la
requête eût été faite pour obtenir ce redressement partiel,
différent ou plus étendu.
61. (1) Toute décision ou ordonnance rendue par la Com
mission peut être déclarée règle, ordonnance ou décret de la
Cour fédérale ou de toute cour supérieure d'une province du
Canada, et être exécutée de la même manière qu'une règle, une
ordonnance ou un décret de ces cours.
64....
(9) Sauf les dispositions du présent article,
a) toute décision ou ordonnance de la Commission est finale,
et
b) nulle ordonnance, décision ou procédure de la Commis
sion ne peut être contestée ou revisée, restreinte ou écartée
par voie de prohibition, d'injonction, de certiorari, ni par un
instrument ou autre procédure de quelque cour que ce soit.
Il ne serait fait droit aux conclusions de la
demande que si les demandeurs réussissaient à
établir que, pendant les années en cause, les com-
pagnies de chemins de fer ont violé l'obligation
légale, qu'elles avaient envers les producteurs
demandeurs, de prendre livraison d'un certain sur
plus de grain par eux produit et dont la Commis
sion canadienne du blé (de par son pouvoir exclusif
d'autorisation) n'avait pas, par une inscription
dans les «permis» des intéressés, autorisé la livrai-
son aux fins de transport vers les usines de trans
formation de l'intérieur pour ce qui était du
marché interprovincial ou vers les ports pour ce qui
était du marché d'exportation.
Après considération attentive des allégations de
la déclaration, des mémoires très compréhensifs
des avocats de toutes les parties et de leur plaidoi-
rie, je suis parvenu aux conclusions suivantes à
l'égard des points litigieux:
Il échet en premier lieu d'examiner si les deman-
deurs sont des personnes lésées au sens de l'article
262(7) de la Loi sur les chemins de fer citée
ci-dessus.
Il découle de ce paragraphe qu'en cas de non-
observation de la Loi, toute personne lésée au sens
de la Loi a le droit de porter plainte, soit devant les
tribunaux soit devant la Commission canadienne
des transports.
Une personne n'est normalement pas considérée
comme «lésé [e]» au sens de ce paragraphe (comme
au sens d'autres lois d'ailleurs) si elle ne peut
établir qu'elle a subi un préjudice déterminé, un
simple grief n'étant pas un motif suffisant. (Voir
Ex parte Sidebotham. In re Sidebotham. 2 ) Les
cours de justice ont dérogé dans certains cas à
cette condition rigoureuse de locus standi. Dans
Regina c. Paddington Valuation Officer, Ex parte
Peachey Property Corporation Ltd. 3 , il a été jugé
que les demandeurs étaient des personnes lésées et,
à ce titre, avaient droit à un bref de certiorari ou
de mandamus alors même qu'ils n'arrivaient pas à
prouver qu'ils avaient subi un préjudice déterminé.
A la page 401, lord Denning s'est prononcé en ces
termes [TRADUCTION]: «La Cour n'entendrait cer-
tainement pas un importun qui se mêle d'affaires
qui ne le concernent pas. Mais elle entendra tous
ceux dont les intérêts sont touchés par ce qui a été
fait.... En l'espèce donc, elle entendra tout contri-
buable qui conteste la validité du rôle». (Voir aussi
Arsenal Football Club Ltd. c. Ende 4 .)
Cette dérogation à la condition rigoureuse du
locus standi et les recours qui en découlent sont
limités aux actions contre les autorités publiques
dans l'exercice de leurs pouvoirs prévus par la Loi.
Ces recours, sanctionnés par les brefs de certiorari,
de mandamus ou de prohibition, et fondés sur la
dérogation à la condition rigoureuse du locus
standi, ne peuvent être invoqués contre les organis-
mes privés n'exerçant pas des pouvoirs prévus par
la Loi, telles les compagnies de chemins de fer en
l'espèce.
2 (1880) 14 Ch.D. 458 à la page 465.
3 [1966] 1 Q.B. 380.
4 [1977] 2 W.L.R. 974 (C.L.).
Quoi qu'il en soit, les demandeurs n'invoquent
en l'espèce aucun de ces recours, mais réclament
des dommages-intérêts pour manquement, de la
part des compagnies de chemins de fer, à leur
obligation légale de fournir les wagons en nombre
suffisant pour le transport à destination du surplus
de grain produit par les demandeurs mais non
introduit dans le système intégralement soumis au
contrôle de la Commission canadienne du blé. Ce
contrôle, qu'exerce la Commission en vertu de la
Loi sur la Commission canadienne du blé, porte
sur l'ensemble du processus de commercialisation;
il se traduit aussi par le droit exclusif de détermi-
ner qui peut livrer des grains aux élévateurs et
avoir ainsi accès au marché d'exportation. De
même, ce contrôle signifie contrôle exclusif du
transport.
S'il est vrai qu'à l'égard de toutes les questions
affectant les producteurs, il y a entre les deman-
deurs et la Commission canadienne du blé une
«communauté d'intérêts» comme l'ont soutenu les
avocats des demandeurs, ce n'est pas, à mon avis,
un «artifice juridique» que de dire que le grain,
dont les demandeurs étaient les producteurs et les
propriétaires à l'origine et qu'ils demandaient aux
compagnies de chemins de fer de transporter, était
la propriété de la Commission canadienne du blé.
C'est ce qu'il était de par la Loi (voir l'article 25
de la Loi sur la Commission canadienne du blé).
On ne saurait ignorer les dispositions de la Loi sur
la Commission canadienne du blé qui s'appliquent
à cet égard. Quant au soi-disant «surplus» de grain
produit pendant les années en cause par les deman-
deurs mais dont la livraison n'était pas autorisée
par les «permis», ce grain n'a effectivement pas été
livré (l'interdiction légale faite aux compagnies de
chemins de fer d'en prendre livraison ayant été
respectée), et de ce fait, les compagnies de chemins
de fer n'étaient pas tenues, à cet égard, à l'obliga-
tion que l'article 262 de la Loi sur les chemins de
fer impose aux transporteurs publics.
En d'autres termes, les demandeurs ne soutien-
nent pas qu'ils aient demandé aux défenderesses de
transporter du grain (c'est-à-dire le soi-disant «sur-
plus» de grain mentionné dans les présents motifs)
dont la livraison n'était pas autorisée aux termes
de leurs «permis» respectifs (délivrés par la Com
mission canadienne du blé), des élévateurs régio-
naux aux élévateurs de tête de ligne, et de là vers
les usines locales de transformation et les ports
d'exportation, en vue de la vente aux autres pro
vinces et à l'exportation. En fait, les demandeurs
reconnaissent qu'ils n'en avaient pas le droit. Au
surplus, la Loi interdisait expressément aux com-
pagnies de chemins de fer de prendre livraison de
grains non autorisés par les «permis».
Par ailleurs, le grain autorisé par ces «permis» et
effectivement livré au cours des années en cause
était légalement la propriété de la Commission
canadienne du blé.
Ainsi, il n'y avait entre les demandeurs et les
compagnies de chemins de fer défenderesses aucun
contrat exprès ou tacite en vertu duquel les pre
miers pourraient exiger quoi que ce fût, pas plus
qu'ils ne tenaient de la Loi le droit d'exiger que ces
dernières prennent livraison de ce soi-disant «sur-
plus» de grain dont la livraison n'était pas autori-
sée par les «permis»; par surcroît, aucune demande
n'a été faite en ce sens; en conséquence, on ne
saurait relever contre les compagnies de chemins
de fer aucun manquement qui eût justifié une
action en dommages-intérêts par application de
l'article 262(7) de la Loi sur les chemins de fer,
pour violation de l'une quelconque des obligations
prévues à l'article 262(1) et (2) de la même Loi.
Il s'ensuit qu'en l'espèce, les demandeurs ne sont
pas des personnes lésées au sens de l'article 262(7)
de la Loi sur les chemins de fer. (Cf Illinois
Central Railway Company c. Baker 5 .)
Il échet ensuite d'examiner si les demandeurs
ont le droit d'intenter une action concernant une
classe de personnes.
Étant donné que ni les demandeurs ni aucun
membre de la classe qu'ils prétendent représenter
n'allèguent que les défenderesses leur sont redeva-
bles, de par l'article 262 de la Loi sur les chemins
de fer, d'une obligation contractuelle ou légale
(dont la violation donnerait lieu à dommages-inté-
rêts dans l'un comme l'autre cas) ni qu'à défaut,
celles-ci doivent assumer en l'espèce la responsabi-
lité indirecte des dommages-intérêts envers les
demandeurs, il faut conclure qu'aucun de ces der-
5 (1913) 159 S.W. 1 169 (Kentucky Court of Appeal).
niers ne peut se prévaloir de l'article 262(7) de
cette Loi pour poursuivre les défenderesses. (Cf
Riske c. La Commission canadienne du blé 6 .)
Il échet encore d'examiner si les demandeurs ont
le droit d'intenter une action dérivée contre les
compagnies de chemins de fer défenderesses.
Dans leur mémoire, les avocats des demandeurs
reconnaissent que ceux-ci n'ont pas le droit d'in-
tenter une action dérivée, ce qu'ils ne font d'ail-
leurs pas.
Quoi qu'il en soit, il n'y a lieu à action dérivée
que dans les cas expressément prévus par la Loi.
(Cf Norfolk c. Roberts'.)
Il échet ensuite d'examiner si les demandeurs
ont une cause d'action contre la Commission cana-
dienne du blé.
Les demandeurs ne prétendent pas avoir une
cause d'action contre la Commission canadienne
du blé.
Quoi qu'il en soit, ni les demandeurs ni la classe
de . personnes qu'ils prétendent représenter n'ont
une cause d'action contre la Commission cana-
dienne du blé en quoi que ce soit (cf Riske c. La
Commission canadienne du blé (supra)); en consé-
quence, la Commission canadienne du blé n'aurait
pas dû être mise en cause.
Il échet enfin d'examiner si la Division de pre-
mière instance de la Cour fédérale du Canada
aurait compétence en la matière s'il y avait une
action fondée en dommages-intérêts pour violation
d'une obligation légale de la part des compagnies
de chemins de fer.
Aux termes de l'article 23 de la Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, la Division
de première instance de la Cour fédérale du
Canada a:
... compétence concurrente en première instance, tant entre
sujets qu'autrement, dans tous les cas où une demande de
redressement est faite en vertu d'une loi du Parlement du
Canada ou autrement, en matière de lettres de change et billets
à ordre lorsque la Couronne est partie aux procédures, d'aéro-
nautique ou d'ouvrages et entreprises reliant une province à une
autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province, sauf
6 [1977] 2 C.F. 143.
7 (1913) 28 O.L.R. 593.
dans la mesure où cette compétence a par ailleurs fait l'objet
d'une attribution spéciale.
Il appert que cette «compétence a par ailleurs
fait l'objet d'une attribution spéciale» au sens de
cet article, pour ce qui est de l'obligation imposée
aux compagnies de chemins de fer par l'article
262(1) et (2) de la Loi sur les chemins de fer.
On peut conclure de la jurisprudence Meagher
c. Canadian Pacific Railway Company' et de l'ar-
ticle 58 de la Loi nationale sur les transports que
la Commission canadienne des transports s'est vu
spécialement attribuer la compétence exclusive
pour instruire tous les aspects d'une action de cette
nature, intentée par des personnes lésées au sens de
l'article 262(7) de la Loi sur les chemins de fer,
par application du même paragraphe.
Sur la question de savoir qui avait la compé-
tence pour juger si la compagnie de chemin de fer
en cause avait violé son obligation légale de fournir
des moyens de transport suffisants et convenables,
il ressort de l'arrêt Meagher (supra) que la Com
mission des chemins de fer (remplacée par la
Commission canadienne des transports) avait com-
pétence exclusive pour décider si une compagnie de
chemin de fer fournissait les installations et les
moyens de transport raisonnables, comme requis
par les articles 284 et 317 (actuellement les arti
cles 262 et 265 de la Loi sur les chemins de fer).
L'article 58 de la Loi nationale sur les trans
ports confère à la Commission canadienne des
transports un pouvoir que la Commission des che-
mins de fer n'avait pas au moment de l'affaire
Meagher (supra), notamment le pouvoir d'évaluer
et d'accorder les dommages-intérêts dans les con
ditions prévues par l'article 262(7) de la Loi sur
les chemins de fer, en cas d'action fondée en
dommages-intérêts contre une compagnie de
chemin de fer pour violation de l'obligation, que
lui impose l'article 262 de la Loi sur les chemins
de fer, de fournir les installations et les moyens
raisonnables de transport. L'article 58 de la Loi
nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-17,
porte:
58. Sur toute requête présentée à la Commission, cette der-
nière peut rendre une ordonnance accordant cette requête en
totalité ou en partie seulement, ou accorder un redressement
8 (1912) 42 N.B.R. 46.
plus étendu ou tout autre redressement de griefs, en sus ou au
lieu de celui qui a été demandé, selon que la chose lui paraît
juste et convenable, aussi amplement à tous égards que si la
requête eût été faite pour obtenir ce redressement partiel,
différent ou plus étendu.
Bien entendu, la Commission canadienne des
transports n'a pas compétence pour juger toutes les
réclamations fondées sur l'article 262 de la Loi sur
les chemins de fer. Certaines de ces réclamations
relèvent exclusivement des cours de justice. (Cf
Meagher (supra), le juge en chef Barker à la page
81.) Cependant, la Commission canadienne des
transports s'est vu «spécialement attribuer» la com-
pétence pour instruire tous les aspects d'une action
en dommages-intérêts fondée sur l'article 262(7)
de la Loi, pour défaut d'installations suffisantes et
convenables telles qu'elles sont requises par l'arti-
cle 262(1) et (2) de la Loi sur les chemins de fer.
En conséquence, la Division de première ins
tance de la Cour fédérale du Canada n'a pas
compétence à l'égard d'une action fondée en dom-
mages-intérêts de ce genre, laquelle relève exclusi-
vement de la Commission canadienne des trans
ports.
Par ces motifs, la Cour ordonne la radiation de
la déclaration et le rejet de l'action contre les
défenderesses avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.