A-578-79
Kammy Boun-Leua (Requérant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(Intimé)
Cour d'appel, les juges Urie et Ryan et le juge
suppléant MacKay—Toronto, 13 mars; Ottawa,
17 juin 1980.
Examen judiciaire — Immigration — La question est de
savoir si la décision par le Ministre de reconnaître qu'un
requérant est un réfugié au sens de la Convention confire de
plein droit à ce dernier un statut légal au Canada — Loi sur
l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 2(1), 4, 5,
27(1), 37(1), 45(1),(5), 47(1),(3), 72(2)a),6),(3) — Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28.
Le statut du requérant en tant que visiteur au Canada ayant
expiré, une enquête, au cours de laquelle le requérant a revendi-
qué le statut de réfugié au sens de la Convention, a été tenue.
Après que les procédures visées à l'article 45 de la Loi sur
l'immigration de 1976 eurent été suivies, l'enquête fut ajournée
en vue d'un interrogatoire, et le Ministre prit la décision de
reconnaître au requérant le statut de réfugié au sens de la
Convention. L'enquête fut, par la suite, reprise et l'arbitre
décida que le séjour au Canada du requérant n'était plus légal
et que, en vertu de l'article 4(2) de la Loi, il n'était pas un
réfugié au sens de la Convention et n'avait pas le droit de
demeurer au Canada. La demande fondée sur l'article 28 tend
à l'annulation de l'avis d'interdiction de séjour pris contre lui à
l'issue de cette enquête. Le requérant soutient que, pour que
l'article 4(2) ait un sens, il faut admettre que lorsqu'un requé-
rant est, par la décision du Ministre, un réfugié au sens de la
Convention, il est de plein droit autorisé à se trouver au
Canada, laquelle autorisation reste valide tant qu'il ne tombe
pas sous le coup des exceptions visées à l'article 4(2)b).
Arrêt: la demande est rejetée. La Loi sur l'immigration de
1976 n'accorde un statut particulier qu'aux citoyens canadiens,
aux immigrants et aux visiteurs. Un réfugié au sens de la
Convention se voit accorder les seuls droits suivants, à savoir,
en premier lieu, de ne pas être renvoyé dans un pays où sa vie et
sa liberté seraient menacées (article 55 de la Loi) et, en second
lieu, d'interjeter appel d'une ordonnance de renvoi ou d'une
ordonnance d'expulsion rendue contre lui en invoquant un
moyen d'appel comportant une question de droit ou de fait ou
une question mixte de droit et de fait et en faisant valoir que,
compte tenu de considérations humanitaires ou de compassion,
il ne devrait pas être renvoyé du Canada (articles 72(2)a),b) et
72(3) de la Loi). En l'espèce, le requérant étant un réfugié en
France, il peut retourner en ce pays. Le Ministre n'est nulle-
ment obligé de l'autoriser à demeurer au Canada et le séjour au
Canada du requérant n'est fondé sur aucun droit.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
D. Greenbaum, c.r. pour le requérant.
H. Erlichman pour l'intimé.
PROCUREURS:
Moses, Spring, Greenbaum & Pang, Toronto,
pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: La présente demande, fondée
sur l'article 28, tend à l'examen et à l'annulation
d'un avis d'interdiction de séjour émis à Toronto le
25 septembre 1979 par l'arbitre Susan Comstock.
Voici le résumé des faits. Le requérant, qui est
né au Laos, mais qui est, semble-t-il, apatride, est
entré au Canada le 4 décembre 1978 titre de
visiteur. Il avait obtenu le statut de réfugié en
France et y avait résidé. De là, il avait gagné le
Canada. La durée de validité de son visa de visi-
teur a été prolongée jusqu'au 3 janvier 1979. Le 2
janvier 1979, le requérant, accompagné de son
avocat, se présenta devant un agent d'immigration
à Toronto pour revendiquer le statut de réfugié au
sens de la Convention. Il fut avisé qu'une telle
revendication n'était possible que si elle était faite
dans un pays autre que le Canada ou au cours
d'une enquête. Là-dessus, il n'insista pas, mais
retourna au bureau d'immigration le 4 janvier
1979, date à laquelle son statut de visiteur avait
expiré; de ce fait, un rapport fut soumis au sous-
ministre de l'Emploi et de l'Immigration confor-
mément à l'article 27(2) de la Loi sur l'immigra-
tion de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, et, le 9 janvier
1979, ce dernier ordonna la tenue d'une enquête en
vertu de l'article 27(3) de la Loi.
L'enquête fut tenue le 25 janvier 1979 et l'arbi-
tre constata que le requérant, qui était entré au
Canada en tant que visiteur, y était resté après
avoir perdu cette qualité. Toutefois, au cours de
l'enquête, le requérant avait réitéré sa revendica-
tion du statut de réfugié au sens de la Convention.
C'est pourquoi, au lieu de rendre une ordonnance
de renvoi ou d'émettre un avis d'interdiction de
séjour, l'arbitre, en application de l'article 45(1)'
de la Loi, ajourna l'enquête en vue d'un interroga-
toire sous serment du requérant par un agent
d'immigration supérieur.
Après que les procédures visées aux autres para-
graphes de l'article 45 eurent été suivies, le Minis-
tre, le 21 juin 1979, en application du paragraphe
45(5) 2 informa l'agent d'immigration supérieur et
le requérant de sa décision de reconnaître à ce
dernier le statut de réfugié au sens de la Conven
tion, statut défini à l'article 2(1) de la Loi. Par la
suite, l'enquête ajournée fut reprise le 11 septem-
bre 1979 conformément à l'article 47(1) 3 de la
Loi. A l'issue de cette enquête et après avoir
délibéré sur l'affaire, l'arbitre décida qu'ayant
constaté au cours de la première phase de l'en-
quête que le requérant était resté au Canada après
avoir perdu sa qualité de visiteur, son séjour au
Canada n'était plus légal. Dès lors, en application
de l'article 4(2) de la Loi, le requérant n'était pas
un réfugié au sens de la Convention et n'avait pas
le droit de demeurer au Canada. L'arbitre notifia
donc au requérant un avis d'interdiction de séjour.
C'est cet avis que le requérant cherche à faire
annuler par sa demande introduite en vertu de
l'article 28.
L'article 4(2) est ainsi rédigé:
4....
(2) Sous réserve des lois du Parlement, le citoyen canadien,
le résident permanent ainsi que le réfugié au sens de la Conven-
1 45. (1) Une enquête, au cours de laquelle la personne en
cause revendique le statut de réfugié au sens de la Convention,
doit être poursuivie. S'il est établi qu'à défaut de cette revendi-
cation, l'enquête aurait abouti à une ordonnance de renvoi ou à
un avis d'interdiction de séjour, elle doit être ajournée et un
agent d'immigration supérieur doit procéder à l'interrogatoire
sous serment de la personne au sujet de sa revendication.
z 45....
(5) Le Ministre doit notifier sa décision par écrit, à l'agent
d'immigration supérieur qui a procédé à l'interrogatoire sous
serment et à la personne qui a revendiqué le statut de réfugié.
3 47. (1) L'agent d'immigration supérieur, informé que le
Ministre ou la Commission a reconnu, à la personne qui le
revendique, le statut de réfugié au sens de la Convention, doit
faire reprendre l'enquête soit par l'arbitre qui en était chargé,
soit par un autre arbitre qui détermine si la personne en cause
remplit les conditions prévues au paragraphe 4(2).
tion qui se trouve légalement au Canada, ont le droit d'y
demeurer à l'exception
a) du résident permanent visé au paragraphe 27(1); et
b) du réfugié au sens de la Convention qui tombe sous le
coup des alinéas 19(1)c), d), e),J) ou g) ou 27(1)c) ou d) ou
27(2)c) ou qui, déclaré coupable d'une infraction prévue par
une loi du Parlement,
(i) a été condamné à plus de six mois de prison, ou
(ii) est passible d'au moins cinq ans de prison.
Bien que l'avocat du requérant ait fait valoir
deux autres prétentions, il soutient principalement
que, du moment que le Ministre classe une per-
sonne dans la catégorie de réfugié au sens de la
Convention, cette personne se voit attribuer un
statut qui, en application de l'article 4(2) de la
Loi, lui permet de demeurer légalement au Canada
à moins qu'elle ne tombe sous le coup des alinéas
dont il est fait mention dans l'alinéa b) de cet
article. Puisque le requérant n'appartient à aucune
de ces catégories de personnes et que, de par le
statut de réfugié au sens de la Convention que le
Ministre lui avait reconnu, son séjour au Canada
était légal et il avait, soutient-il, le droit d'y
demeurer, en vertu de l'article 47(3) 4 de la Loi.
Selon l'avocat, lorsqu'une enquête doit être ajour-
née afin que le Ministre détermine si la personne
qui en fait l'objet est un réfugié au sens de la
Convention, le séjour au Canada de cette personne
est illégal du fait qu'à ce stade, à défaut de sa
revendication du statut de réfugié, elle aurait fait
l'objet d'une ordonnance de renvoi ou d'un avis
d'interdiction de séjour (article 45(1)). Par consé-
quent, d'après l'avocat, l'alinéa b) de l'article 4(2)
serait complètement inutile.
Selon l'avocat, pour que cet article ait un sens, il
faut admettre que lorsqu'un requérant est, par la
décision du Ministre, un réfugié au sens de la
Convention, il est de plein droit autorisé à se
trouver au Canada, laquelle autorisation reste
valide tant qu'il ne tombe pas sous le coup des
exceptions visées à l'article 4(2)b). Le mot «while»
dans l'expression «while lawfully in Canada» («qui
se trouve légalement au Canada») est utilisé dans
le sens de [TRADUCTION] «tant que». Si, alors qu'il
°47....
(3) Par dérogation à la présente loi et aux règlements,
l'arbitre doit autoriser le réfugié au sens de la Convention qui,
selon lui, remplit les conditions prévues au paragraphe 4(2), à
demeurer au Canada.
a le statut de réfugié, le réfugié par un acte
quelconque tombe sous le coup des exceptions
visées à l'alinéa b), il peut être déchu de son droit
de demeurer au Canada. Jusque-là, toujours selon
l'avocat, son statut de réfugié au sens de la Con
vention lui permet d'y rester.
Cette thèse est convaincante mais, à mon avis,
bute sur l'obstacle suivant. La Loi sur l'immigra-
tion de 1976 accorde un statut particulier seule-
ment aux citoyens canadiens, aux immigrants et
aux visiteurs. En vertu de l'article 4(1), tout
citoyen canadien, ainsi que les résidents perma
nents non visés à l'article 27(1), ont le droit d'en-
trer au Canada. Comme je l'ai indiqué plus haut,
l'article 4(2) autorise ces personnes, ainsi que le
réfugié au sens de la Convention qui se trouve
légalement au Canada, à y demeurer. L'article
4(3) prévoit que tout Indien inscrit, même s'il n'est
pas citoyen canadien, a les mêmes droits et obliga
tions qu'un citoyen canadien en vertu de la Loi.
Conformément à l'article 5 5 , seules les person-
nes visées à l'article 4 ont le droit d'entrer au
Canada et d'y demeurer. Les paragraphes (2) et
(3) de l'article 5 définissent les conditions d'octroi
du droit d'établissement aux immigrants et de
l'autorisation de séjour aux visiteurs. Ce sont là les
seules personnes non canadiennes, à l'exception des
Indiens inscrits, qui ont un statut en vertu de la
Loi, c'est-à-dire le droit d'entrer au Canada et d'y
demeurer tant qu'elles remplissent les conditions
posées par la Loi et ses règlements d'application.
Par définition, l'immigrant est celui qui obtient le
droit d'établissement qui lui permet d'entrer au
Canada et d'y établir une résidence permanente.
Le visiteur, par définition également, est la per-
sonne qui obtient, pour un temps limité, l'autorisa-
tion de séjourner au Canada.
D'autre part, ni le droit de résider en perma
nence au Canada ni celui d'y demeurer pour une
durée déterminée ne sont accordés à un réfugié au
5 5. (1) Seules les personnes visées à l'article 4 ont le droit
d'entrer au Canada et d'y demeurer.
(2) Le droit d'établissement doit être accordé à tout immi
grant qui n'appartient pas à une catégorie non admissible et qui
remplit les conditions posées par la présente loi et les
règlements.
(3) Le visiteur, qui remplit les conditions prévues à la
présente loi et aux règlements, peut obtenir l'autorisation de
séjour et demeurer au Canada pour une durée déterminée ou
pour toute autre période autorisée.
sens de la Convention. Son droit de séjour dépend
du fait qu'il est un réfugié qui a dû fuir son pays
d'origine. Si, pour quelque raison que ce soit, il ne
remplit plus les conditions d'un réfugié au sens de
la Convention, il s'expose à une ordonnance de
renvoi ou d'expulsion. La durée de son séjour, en
tant que réfugié au sens de la Convention, ne peut
être fixée que par un permis délivré par le Ministre
conformément à l'article 37 de la Loi. Si aucun
permis n'est délivré et qu'il appartient à une caté-
gorie inadmissible, il peut faire l'objet d'une
ordonnance de renvoi ou d'expulsion. Un réfugié
au sens de la Convention se voit accorder les seuls
droits suivants, à savoir, en premier lieu, de ne pas
être renvoyé dans un pays où sa vie et sa liberté
seraient menacées (article 55 de la Loi) et, en
second lieu, d'interjeter appel d'une ordonnance de
renvoi ou d'une ordonnance d'expulsion rendue
contre lui en invoquant un moyen d'appel compor-
tant une question de droit ou de fait ou une
question mixte de droit et de fait et en faisant
valoir que «compte tenu de considérations humani-
taires ou de compassion», il ne devrait pas être
renvoyé du Canada (articles 72(2)a) et b) et
72(3)).
Ce qui précède me force à conclure que le fait
que le Ministre décide qu'une personne est un
réfugié au sens de la Convention ne confère pas à
cette personne, contrairement à ce qu'a prétendu
l'avocat du requérant, un statut quelconque. La
décision du Ministre ne lui accorde que les droits
que j'ai mentionnés. En l'espèce, le requérant étant
un réfugié en France, il peut retourner en ce pays
dans la mesure où le visa que lui a délivré ce pays
est toujours valide. Puisque la France l'a considéré
comme un réfugié, le Canada, en tant que si-
gnataire de la Convention des Nations-Unies rela
tive au statut des réfugiés, pourrait difficilement
lui refuser cette qualité. Mais là n'est pas la
question. Puisque l'intéressé peut retourner en
France, qui n'est pas son pays d'origine ou un pays
où sa vie et sa liberté seraient menacées, le Minis-
tre n'est nullement obligé de l'autoriser à demeurer
au Canada. Le séjour au Canada du requérant
n'est fondé sur aucun droit. Par conséquent, à mon
avis, l'avocat du requérant échoue dans sa préten-
tion selon laquelle le fait que le Ministre ait décidé
que son client était un réfugié au sens de la
Convention lui donne le droit de demeurer au
Canada.
Dès lors, la question de savoir si le requérant se
trouvait «légalement au Canada» après la conclu
sion de la première phase de l'enquête est sans
intérêt.
Par ces motifs, il y a lieu de rejeter la demande
fondée sur l'article 28.
* * *
LE JUGE RYAN: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Je souscris aux
motifs ci-dessus.
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