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T-4206-79
Eurobulk Ltd. (Demanderesse)
c.
Wood Preservation Industries (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Dubé— Montréal, 15 octobre; Ottawa, 23 octobre 1979.
Compétence Sentence arbitrale rendue à l'étranger en matière maritime La demanderesse demande l'exequatur pour une sentence rendue à Londres, en Angleterre Il échet d'examiner si la Cour est compétente pour rendre exécutoire une sentence étrangère en matière de navigation et de transport maritime Rejet de la demande d'autorisation, faite par la défenderesse, de déposer un acte de comparution condition- nelle en vue de contester la compétence de la Cour The Admiralty Jurisdiction Court Act, 1861, 24 & 25 Vict., c. 10, art. 23 Colonial Courts of Admiralty Act, 1890, 53 & 54 Vict., c. 27 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 22(2)i).
Arrêt suivi: Tropwood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Co. [ 1979] 2 R.C.S. 157. Arrêt mentionné: Crane c. Hege- man-Harris Co. Inc. [1939] 1 All E.R. 662.
REQUÊTE. AVOCATS:
Gerald Barry pour la demanderesse. Marc Nadon pour la défenderesse.
PROCUREURS:
McMaster Meighen, Montréal, pour la
demanderesse.
Martineau, Walker, Allison, Beaulieu, Mac -
Kell & Clermont, Montréal, pour la défende- resse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DUBÊ: La défenderesse demande con- formément à la Règle 401 la permission de déposer un acte de comparution conditionnelle en vue de contester la compétence de la Cour. Dans son
affidavit, l'avocat de la défenderesse allègue que la Cour n'a aucune compétence pour connaître de [TRADUCTION] «l'objet de l'action de la demande- resse, savoir l'homologation et l'exécution d'une sentence arbitrale rendue à Londres (Angleterre), le 28 août 1979».
Dans sa déclaration, la demanderesse sollicite la Cour de [TRADUCTION] «donner l'exequatur à la
sentence arbitrale qu'elle a à bon droit obtenue, conformément à la charte-partie, à la convention des parties et au droit de l'arbitrage tel qu'il est appliqué dans le R.-U.» La conclusion est ainsi rédigée:
[TRADUCTION] EN CONSÉQUENCE, la demanderesse sollicite l'honorable Cour de rendre une ordonnance enjoignant à la défenderesse de lui verser l'équivalent en monnaie canadienne [des] sommes [adjugées par la sentence arbitrale, avec intérêt] au taux annuel de 12% depuis le 28 août 1979 jusqu'à la date du jugement et même jusqu'à celle du paiement, et de rendre exécutoire la sentence arbitrale et de lui accorder les dépens.
Les deux parties admettent que la Cour est compétente pour connaître des litiges entre les parties à une charte-partie en vertu de l'alinéa 22(2)i) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10. Celui-ci est ainsi conçu:
22....
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il est déclaré`, pour plus de certitude que la Division de première instance a compétence relativement à toute demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
(i) toute demande née d'une convention relative au transport de marchandises à bord d'un navire, à l'utilisation ou au louage d'un navire soit par charte-partie, soit autrement;
Il est clair que la Cour serait normalement compétente pour statuer sur le présent litige, puis- qu'il est d'une convention relative au louage d'un navire. Mais ce qui est plus délicat, c'est le point de savoir si la Cour a compétence pour rendre exécutoire une sentence prononcée par un organisme étranger et portant sur la navigation et les transports maritimes.
Bien entendu, on doit étudier le problème en tenant compte des décisions récentes de la Cour suprême du Canada, et plus particulièrement de l'arrêt Quebec North Shore c. Canadien Pacifique Ltée', lequel a statué que la Cour fédérale n'est compétente que s'il existe une législation fédérale applicable, qu'il s'agisse d'une loi, d'un règlement ou de la common law. Il ne suffit pas que l'objet du litige relève de la compétence législative fédérale.
' Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée [1977] 2 R.C.S., aux pages 1054 à 1066.
On ne doit pas oublier qu'en vertu de l'article 92(14) de l'Acte de l'Amérique du Nord britanni- que, 1867 [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] chaque province canadienne exerce une compé- tence exclusive relativement à l'homologation et à l'exécution de jugements étrangers prononcés en matière patrimoniale.' La défenderesse est une société constituée au Québec et dont les actifs se trouvent dans cette province, laquelle possède ses propres lois régissant l'homologation des juge- ments étrangers. Les autres provinces ont égale- ment des lois sur le Reciprocal Enforcement of Judgments, mais de telles lois font défaut en droit fédéral.
La demanderesse ne cherche cependant pas à faire exécuter un jugement étranger, mais une sentence rendue à Londres (Angleterre) par un arbitre.
L'avocat de la demanderesse soutient, à bon droit d'ailleurs, que l'exécution de décisions mariti- mes et d'amirauté des tribunaux étrangers relève traditionnellement de la compétence de la Court of Admiralty anglaise. Au début, si l'on excepte les lois, il ne pouvait être procédé à l'exécution de la sentence d'un arbitre désigné par convention que par voie d'action en justice. Des voies d'exécution plus sommaires furent instituées par la suite. En 1698, il fut prévu que les parties pouvaient conve- nir de faire de la convention d'arbitrage une déci- sion judiciaire, et que le tribunal statuerait en conséquence; toute partie ne se conformant pas à la sentence arbitrale était passible d'une peine. The Common Law Procedure Act, 1854, 17 & 18 Vict., c. 125, allant plus loin, prévoyait que toute convention écrite pouvait devenir une décision judiciaire, sauf stipulation contraire. Quant à l'Ar- bitration Act, 1889, 52 & 53 Vict., c. 49, il disait qu'une sentence arbitrale était susceptible d'exécu- tion par voie judiciaire, de la même manière qu'un jugement. 3
L'obligation des tribunaux maritimes anglais d'exécuter les décisions des tribunaux maritimes étrangers a été reconnue dès 1608. 4 Sir Leoline
2 Voir Castel dans Canadian Conflict of Laws, chap. 14, à la page 536.
3 Le vicomte Finlay dans Duff Development Co., Ltd. c. Government of Kelantan [ 1924] A.C. 797.
4 Sir R. Phillimore dans The City of Mecca (1879) 4 Asp. 187.
Jenkins (Wynne's Life, vol. 2, p. 762) écrivait en 1666: [TRADUCTION] «il est établi qu'un juge ne doit pas refuser d'exécuter la condamnation pro- noncée par un juge étranger à l'égard des person- nes ou des marchandises relevant de sa compé- tence, lorsqu'il est saisi d'une commission rogatoire à cet effet».
L'avocat soutient que la compétence d'amirauté sur l'arbitrage et l'exécution de sentences arbitra- les [TRADUCTION] «dans toutes les affaires et matières pendantes devant ladite Cour» a été expressément conférée par l'article 23 de The Admiralty Jurisdiction Court Act, 1861, 24 & 25 Vict., c. 10, lequel est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] 23. Tous les pouvoirs dont est investi, en vertu notamment de la Common Law Procedure Act, 1854, l'un quelconque des tribunaux supérieurs de common law ou tout juge de ces tribunaux, en ce qui concerne les clauses compro- missoires, les procédures d'arbitrage et l'exécution de sentences arbitrales, sont conférés au juge de la High Court of Admiralty dans toutes les affaires et matières pendantes devant ladite Cour; le registraire de ladite Court of Admiralty jouit sur ces matières des mêmes pouvoirs que les officiers desdits tribunaux supérieurs de common law. [C'est moi qui souligne.]
Il prétend que la compétence ainsi conférée par The Admiralty Jurisdiction Court Act, 1861 (et adoptée par la Colonial Courts of Admiralty Act, 1890, 53 & 54 Vict., c. 27) est, par renvoi, intégrée par le paragraphe 2b) de notre Loi sur la Cour fédérale. Il fonde son affirmation sur une décision récente de la Cour suprême du Canada, l'arrêt Tropwood A.G. c. Sivaco Wire & Nail Co.'
L'actuelle loi britannique sur l'arbitrage 6 définit les pouvoirs de l'arbitre et les procédures d'arbi- trage, et comporte des dispositions sur les senten ces arbitrales et leur exécution. Elle n'a pas d'équi- valent en droit canadien.
La demanderesse a décidé de ne pas épuiser toutes les voies de recours prévues par la loi britan- nique, mais de saisir un tribunal canadien, étant donné que la défenderesse a des actifs au Canada, alors qu'elle, n'en possède probablement pas en Angleterre.
Si une sentence arbitrale était un jugement étranger prononcé par une cour de justice, la Cour
5 [1979] 2 R.C.S. 157.
6 Arbitration Act, 1950, c. 27, modifiée par Arbitration Act 1975, c. 3, (loi donnant force exécutoire à la Convention de New York sur la reconnaissance et l'exécution de sentences arbitrales étrangères).
fédérale du Canada n'aurait pas compétence pour en assurer l'exécution. Contrairement à l'Angle- terre, le Canada n'est pas un pays unitaire; ses provinces, comme je l'ai souligné plus haut, jouis- sent d'une compétence exclusive en matière d'exé- cution des jugements étrangers.
Néanmoins, tel n'est pas le cas en l'espèce. La demande de la demanderesse est née d'une charte- partie que les parties en cause ont conclue. Cel- les-ci avaient en outre convenu de se soumettre à la sentence arbitrale qui a été rendue et qui est maintenant en suspens. [TRADUCTION] «Une action relative à une sentence arbitrale est au fond une action tendant à l'exécution d'une convention, implicitement contenue dans le fait de recourir à l'arbitrage, selon laquelle les parties s'engagent à payer ou à faire ce que décidera l'arbitre».'
La compétence de la Cour fédérale dans ce domaine vient de The Admiralty Jurisdiction Court Act, 1861 susmentionnée, et plus par- ticulièrement de son article 23 qui est intégré, par renvoi, par la Loi sur la Cour fédérale. L'alinéa 22(2)i) de la Loi dispose que, pour plus de certi tude, la Division de première instance a compé- tence relativement à toute demande née d'une convention de la nature d'une charte-partie.
Par conséquent, la demande est rejetée et la demanderesse a droit aux frais. Toutefois, la défenderesse a dix jours pour déposer sa défense.
ORDONNANCE
La Cour se déclare compétente. La demande de la défenderesse est rejetée, et les frais sont à la charge de celle-ci. La défenderesse a dix jours pour déposer sa défense.
7 Crane c. Hegeman-Harris Co. Inc. [1939] 1 All E.R. 662, par le juge Simonds, à la page 671.
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