T-5154-79
85839 Canada Ltd. et 91984 Canada Ltd.
(Demanderesses)
c.
La Reine du chef du Canada (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, 14 janvier; Ottawa, 24 janvier 1980.
Compétence — Pratique — Dans une action intentée contre
la défenderesse pour défaut de paiement de loyer, requête des
demanderesses pour que soit jointe â l'action à titre de code-
manderesse la compagnie qui était propriétaire des locaux
avant le non-paiement du loyer — La défenderesse ayant
introduit une demande reconventionnelle relative aux frais
tenant à la violation du bail reprochée aux propriétaires des
locaux, requête faite par les mêmes demanderesses, à titre de
défenderesses à cet égard, en permission de signifier avis à
tierce partie à certaines personnes qu'elles voulaient obliger à
les garantir contre les suites de la demande reconventionnelle
— 11 échet d'examiner si la Cour a compétence pour connaître
de la requête.
La défenderesse était locataire de locaux de Threeway Hol
ding Corp., lesquels ont été par la suite vendus et revendus,
avec cession de tous les droits afférents au bail, à 85839
Canada Ltd. et à 91984 Canada Ltd. respectivement. L'action
des demanderesses se rapporte au non-paiement, par la défen-
deresse, du loyer pour les mois de mars à septembre 1979
inclusivement. La défenderesse a opposé aux prétentions relati
ves au loyer une demande reconventionnelle en remboursement
des frais qu'elle aurait subis du fait que les locaux n'avaient pas
été proprement chauffés ou entretenus par Threeway Holding
Corp. Les demanderesses demandent que Threeway Holding
Corp. soit constituée partie à l'action pour que la Cour puisse
instruire valablement et complètement tous les points litigieux
soulevés par la demande reconventionnelle. Elles demandent
également, à titre de défenderesses contre la demande recon-
ventionnelle, la permission de signifier avis à tierce partie à
Philip Wiseman, Samuel Wiseman et Rhoda Wiseman qu'elles
voulaient obliger à les garantir contre les suites de la demande
reconventionnelle. La défenderesse soulève proprement l'excep-
tion d'incompétence.
Arrêt: la requête est rejetée. Threeway Holding Corp. ne
peut être constituée partie puisque les créances pour le loyer dû
ont commencé à courir après que l'immeuble eut été vendu et le
bail cédé. La Cour ne peut, ni directement ni à la suite d'une
demande en intervention forcée, statuer sur un litige entre les
demanderesses et Threeway Holding Corp. L'article 1610 du
Code civil du Québec ne peut être d'aucune utilité aux deman-
deresses puisque la défenderesse en a invoqué les dispositions et
a présenté une demande reconventionnelle à l'égard de laquelle
la Cour est compétente. Cela ne signifie pas cependant que les
tiers à l'égard desquels la Cour n'a pas compétence peuvent être
constitués parties à l'action, que ce soit par les demanderesses
ou par la défenderesse. Même si cela peut représenter un
inconvénient pour les demanderesses, et peut-être également`
pour la défenderesse, si les parties ne peuvent pas régler toute la
question en litige devant la Cour, la Cour n'a compétence ni
pour connaître de la demande en intervention forcée, introduite
à la suite de la demande reconventionnelle de la défenderesse,
ni pour obliger la défenderesse à étendre sa demande reconven-
tionnelle à une autre partie qui n'avait pas été nommée deman-
deresse dans l'action engagée. Il n'y aurait pas lieu, comme le
demandent les demanderesses à titre subsidiaire, de constituer
Threeway Holding Corp. codemanderesse par une modification
de la procédure. Les conclusions des demanderesses (à la
différence de la demande reconventionnelle) portent unique-
ment sur le loyer échu après le 1°" mars 1979.
Arrêts appliqués: McNamara Construction (Western) Ltd.
c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654; R. c. F. E. Cummings
Construction Co. Ltd. [1974] 2 C.F. 9; R. c. La Banque de
Montréal [1933] R.C.S. 311; R. c. La Garantie, Compa-
gnie d'assurance de l'Amérique du Nord [1977] 1 C.F. 63.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Leonard Seidman pour les demanderesses.
Michel H. Duchesne pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Tinkoff, Seal, Shaposnick & Moscowitz,
Montréal, pour les demanderesses.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Les demanderesses ont pré-
senté une requête demandant que Threeway Hol
ding Corp. soit constituée partie à l'action parce
que sa présence est nécessaire pour que puissent
être valablement et complètement instruites et
jugées toutes les questions en litige dans la
demande reconventionnelle présentée par la défen-
deresse en l'espèce. Elles demandent également, à
titre de défenderesses à la demande reconvention-
nelle, la permission de délivrer un avis à tierce
partie à Philip Wiseman, Samuel Wiseman et
Rhoda Wiseman ou, en d'autres termes, de les
assigner en intervention, car elles prétendent avoir
le droit d'être indemnisées par ceux-ci de toute
réparation à laquelle elles pourraient être condam-
nées par suite de la demande reconventionnelle de
la défenderesse. La défenderesse soulève à bon
droit la question de la compétence de la Cour pour
ce qui concerne les tiers qu'on veut ainsi constituer
parties à l'action. Le cas est exceptionnel, mais les
difficultés que pourrait causer aux demanderesses
le rejet de leur requête ne peuvent justifier que l'on
donne à la Cour compétence pour connaître de
questions qui ne sont pas de son ressort.
Les faits, tels que présentés dans les plaidoiries
écrites, sont les suivants:
Threeway Holding Corp. a conclu un contrat de
bail aux termes duquel elle louait à la défenderesse
certains locaux commerciaux dans la cité de Mont-
réal pour une période de cinq ans, soit du 1e.
novembre 1974 au 31 octobre 1979, avec faculté
d'obtenir trois renouvellements d'un an. Il est allé-
gué,—bien que ce soit nié par la défenderesse,—
que par une lettre en date du 12 septembre 1978,
le bail fut renouvelé pour une période commençant
le ler novembre 1979. Par la suite, l'immeuble fut
vendu à la demanderesse 85839 Canada Ltd., avec
cession de tous les droits dans le bail. La défende-
resse fut dûment notifiée de ce changement et
l'accepta. Par conséquent, allègue-t-on, tous les
loyers dus par la défenderesse à compter du 1"
février 1979 devaient être payés à la demanderesse
85839 Canada Ltd. Il est en outre allégué que, par
la suite, la demanderesse 85839 Canada Ltd.
vendit l'immeuble à la demanderesse 91984
Canada Ltd. avec cession de tous les droits dans le
bail en question, que la défenderesse fut dûment
notifiée de cette cession et qu'elle accusa réception
de cette notification. Tous les loyers dus par la
défenderesse à compter de juillet 1979 devaient
donc être payés à la demanderesse 91984 Canada
Ltd. La défenderesse n'a pas payé son loyer pour
les mois de mars, avril, mai, juin, juillet, août et
septembre 1979. Par conséquent la demanderesse
85839 Canada Ltd. réclame la somme de
$7,047.80 et la demanderesse 91984 Canada Ltd.
réclame la somme de $5,285.85, en réservant son
droit de réclamer toutes autres sommes qui pour-
ront devenir exigibles.
La défenderesse conteste certaines des alléga-
tions de la déclaration et se plaint du fait que,
pendant longtemps, les locaux n'ont pas été entre-
tenus ni chauffés par le locateur Threeway Hold
ing Corp. en conformité avec les conditions du
bail. La demande reconventionnelle réclame la
somme de $3,725.46 pour la peinture des locaux
effectuée par le ministère des Travaux publics,
$995 pour frais de déménagement lorsque le minis-
tère de la Santé nationale et du Bien-être social a
quitté les locaux le 31 août 1976à cause de leur
état, $1,320 pour frais de déménagement lorsque
le ministère des Postes a à son tour quitter les
locaux le 15 septembre 1978 et des frais de
$1,108.79 et de $990 pour le départ d'Environne-
ment Canada, le 17 mai 1979. La demande recon-
ventionnelle réclame le remboursement de toutes
ces sommes. On demande que soit reconnue la
compensation de ces sommes avec les réclamations
des loyers des demanderesses et, en même temps,
on demande la résolution du bail, avec effet
rétroactif au 17 mai 1979, ainsi que de tout renou-
vellement de ce bail.
Les demanderesses prétendent, non sans fonde-
ment, qu'au moins certaines des sommes réclamées
dans la demande reconventionnelle sont des créan-
ces contre leur auteur, Threeway Holding Corp.,
puisqu'elles sont antérieures à février 1979. Il
semble, pour ce qui concerne le fond du litige, que
les conditions de la vente de l'immeuble à la
demanderesse 85839 Canada Ltd. ainsi que de la
cession du bail à celle-ci et ensuite, par cette
dernière à 91984 Canada Ltd., permettront de
déterminer si elles ont assumé toutes les obliga
tions de leur auteur Threeway Holding Corp. Cel-
le-ci ne peut certainement pas être constituée code-
manderesse comme le suggèrent les demanderesses
à titre subsidiaire, puisque les créances pour les
loyers dus commencent en février 1979, après que
l'immeuble eut été acheté à Threeway Holding
Corp. et que le bail eut été cédé. Quant à savoir si
la défenderesse peut, dans sa demande reconven-
tionnelle, réclamer des demanderesses des sommes
dues au titre des dommages causés par leur auteur,
c'est une question qu'il faudra trancher à l'audi-
tion au fond, sur la base du contrat de vente et de
cession et en prenant en considération les points de
droit pertinents. Il n'y a actuellement aucun litige
entre les demanderesses et Threeway Holding
Corp. même s'il pourrait éventuellement y avoir
ouverture à une action récursoire s'il est fait droit
à la demande reconventionnelle de la défenderesse.
Contre la demande reconventionnelle, les deman-
deresses, à titre de locateur en vertu de la cession
du bail, peuvent invoquer les moyens de défense
qu'aurait pu invoquer leur auteur. Dans leur
requête, les demanderesses compliquent la situa
tion en demandant la permission d'assigner en
intervention Philip Wiseman, Samuel Wiseman et
Rhoda Wiseman afin qu'ils les indemnisent de
toute réparation à laquelle elles pourraient être
condamnées par suite de la demande reconvention-
nelle, au motif qu'ils seraient responsables à titre
de vendeurs de l'immeuble en question et de
cédants du bail; mais en même temps, elles deman-
dent une ordonnance enjoignant à la défenderesse
de modifier sa demande reconventionnelle de façon
à constituer Threeway Holding Corp. codéfende-
resse. Il n'est donné aucune explication sur la
nature des liens qui pourraient exister entre Philip
Wiseman, Samuel Wiseman et Rhoda Wiseman
d'une part et Threeway Holding Corp. d'autre
part. Peut-être s'agissait-il d'une société qui se
composait des parties susnommées.
De toute façon, il est clair que la Cour ne peut
ni directement ni dans une demande en interven
tion forcée, statuer sur un litige entre les demande-
resses et lesdites parties ou entre les demanderesses
et Threeway Holding Corp. Les demanderesses ont
invoqué l'article 1610 du Code civil du Québec
(anciennement l'article 1641) et ont cité divers
commentaires qui en ont été faits, mais je ne crois
pas que cela soit d'aucune utilité en l'espèce; cet
article prévoit uniquement que l'inexécution d'une
obligation par le locateur donne au locataire le
droit de demander, outre des dommages-intérêts,
l'exécution en nature de l'obligation, la résiliation
du contrat, si l'inexécution lui cause un préjudice
sérieux, et la diminution du loyer. Ce sont là des
points qui peuvent être soulevés en défense, et c'est
ce que la défenderesse a fait; elle a en outre
présenté une demande reconventionnelle à l'égard
de laquelle la Cour est compétente.
Cela ne signifie pas cependant que les tiers à
l'égard desquels la Cour n'a pas compétence peu-
vent être constitués parties aux procédures, que ce
soit par les demanderesses ou par la défenderesse.
Dans l'arrêt McNamara Construction (Western)
Limited c. La Reine', le juge en chef Laskin
affirme à la page 662:
Lorsqu'il ne s'agit pas de la responsabilité de la Couronne mais
de celle de l'autre partie à un contrat bilatéral, la situation n'est
plus la même quant au droit de la Couronne d'obliger cette
personne à agir en défense dans une action intentée en Cour
fédérale.
Dans une décision antérieure à cette dernière: La
Reine c. F. E. Cummings Construction Co. Ltd. 2 ,
le juge Collier dit, à la page 15:
Un avis à tierce partie équivaut à un bref d'assignation.
' [1977] 2 R.C.S. 654.
2 [1974] 2 C.F. 9.
Dans cette affaire, la Reine, à titre de demande-
resse, réclamait des dommages-intérêts suite à des
défauts dans un bâtiment que lui avait construit la
défenderesse Cummings. Cette dernière assigna en
intervention des sous-traitants et d'autres person-
nes auxquelles elle réclamait un dédommagement.
Il fut décidé que la Cour n'avait pas compétence
pour connaître de cette demande en intervention
forcée. A la page 16, l'on cite l'affaire Le Roi c. La
Banque de Montréal'. Dans cet arrêt, la Couronne
avait intenté une action contre la Banque de Mont-
réal, son banquier, afin de recouvrer les fonds tirés
de son compte au moyen de chèques soumis à des
endossements faux ou non autorisés. La Banque de
Montréal, par voie de demande en intervention
dans laquelle elle se fondait sur la Loi des lettres
de change, demanda des dommages-intérêts à la
Banque Royale du Canada qui avait effectué les
opérations sur les chèques en cause. Dans les
motifs du jugement, le juge en chef Duff (cité à la
page 18 du jugement du juge Collier) disait
notamment ceci:
[TRADUCTION] La Cour suprême de l'Ontario est compétente,
en vertu des lois et règlements qui la régissent, pour connaître
et juger les demandes dans ce qu'on appelle les procédures à
tierce partie. Par exemple, on peut préférer examiner dans
l'action principale, les demandes d'indemnisation faites par un
défendeur à une tierce partie par suite de la réclamation dont il
fait l'objet dans l'action principale. Mais il ne fait aucun doute
que la procédure à tierce partie constitue une procédure portant
sur le fond et non pas simplement accessoire à l'action princi-
pale. Ces règles sont au fond des règles de pratique et non des
principes juridiques et ont été introduites pour plus de commo-
dité et pour empêcher les actions en chaîne.
Le juge en chef Duff, faisant des commentaires sur
la compétence de la Cour de l'Échiquier relative-
ment à une demande fondée sur la Loi des lettres
de change, disait plus loin:
[TRADUCTION] Il n'y a aucun doute que l'action principale
relève strictement des mots «cas se rattachant au revenu». Il ne
fait aucun doute également que, dans un certain sens, la
demande à tierce partie se rattache au revenu puisqu'il s'agit
d'une demande par laquelle le défendeur cherche à se faire
dédommager par la tierce partie au titre d'une dette que la
Couronne lui réclame. Il y aurait également beaucoup à dire
sur les motifs d'ordre pratique pour lesquels on devrait conférer
à la Cour la compétence pour connaître de telles demandes de
dédommagement. Tout bien considéré, cependant, nous esti-
mons, compte tenu du contexte, que cette demande ne relève
pas de l'intention véritable de l'alinéa a).
[1933] R.C.S. 311.
Cet arrêt a été suivi par le juge Marceau dans
l'affaire La Reine c. La Garantie, Compagnie
d'assurance de l'Amérique du Nord'', dans
laquelle la défenderesse, poursuivie comme caution
par suite du défaut du débiteur principal de res-
pecter ses engagements de soumissionnaire, assi-
gna en intervention forcée ce débiteur principal. Le
juge Marceau, en accueillant l'opposition de la
demanderesse à la demande en intervention forcée
s'exprime en ces termes à la page 64:
Je crois bien fondée l'opposition de la demanderesse. Le fait
que le tiers eut pu être poursuivi comme débiteur conjoint et
solitaire de l'obligation invoquée dans l'action ne saurait donner
juridiction à cette Cour pour décider du recours que la défende-
resse peut faire valoir contre lui. D'autre part, rien n'exige que
le débiteur principal soit partie à l'action pour que ses moyens
de défense puissent être invoqués par sa caution. Un avis à
tierce partie équivaut à un bref d'assignation et donne lieu à
une instance par elle-même; or, cette instance, en l'espèce, n'est
pas de la juridiction de cette Cour.
Même si cela peut représenter un inconvénient
pour les demanderesses, et peut-être également
pour la défenderesse si les parties ne peuvent pas
régler toute la question en litige dans cette Cour,
je suis obligé de conclure que la Cour n'a pas
compétence pour connaître de la demande en
intervention forcée que l'on veut présenter en l'es-
pèce à la suite de la demande reconventionnelle de
la défenderesse, ni pour obliger la défenderesse à
constituer codéfenderesse à sa demande reconven-
tionnelle une autre partie qui n'avait pas été
nommée à titre de demanderesse dans les procédu-
res engagées. Je ne crois pas non plus qu'il soit
approprié, comme le demandent les demanderesses
à titre subsidiaire, de constituer Threeway Holding
Corp. codemanderesse par une modification des
procédures. Aucune partie de la réclamation des
demanderesses (à la différence de la demande
reconventionnelle) ne porte sur du loyer venu à
échéance avant le l er mars 1979. La requête des
demanderesses est donc rejetée avec dépens.
ORDONNANCE
La requête des demanderesses est rejetée avec
dépens.
4 [1977] 1 C.F. 63.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.