T-4944-79
Dorothy Afua Taabea (Requérante)
c.
Le comité consultatif sur le statut de réfugié, le
ministre de l'Emploi et de l'Immigration du
Canada et la Commission d'appel de l'immigration
(Intimés)
T-4945-79
Samuel Badu Brempong (Requérant)
c.
Le comité consultatif sur le statut de réfugié, le
ministre de l'Emploi et de l'Immigration du
Canada et la Commission d'appel de l'immigration
(Intimés)
Division de première instance, le juge suppléant
Smith—Winnipeg, ler novembre 1979 et 5 février
1980.
Immigration — Requêtes tendant à interdire à la Commis
sion d'appel de l'immigration d'instruire les demandes de
réexamen de la revendication de statut de réfugié au sens de la
Convention tant que le Ministre n'aura pas communiqué ses
motifs de décision aux requérants — Il échet d'examiner si le
Ministre est tenu de communiquer ses motifs aux requérants
— Il échet d'examiner si les requérants ont été traités avec
équité — Loi sur l'immigration de /976, S.C. 1976-77, c. 52,
art. 45, 70, 71.
Les deux requérants, qui sont mari et femme, concluent
chacun à une ordonnance de prohibition interdisant à l'intimée
Commission d'appel de l'immigration d'instruire leur demande
de réexamen de leur revendication du statut de réfugié au sens
de la Convention, tant que le Ministre ne leur aura pas
communiqué les motifs de sa décision par laquelle il avait
conclu qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Conven
tion, et tant qu'ils n'auront pas la possibilité de soumettre au
comité consultatif sur le statut de réfugié puis à la Commission
leur réponse aux objections soulevées par le Ministre. L'avocat
des requérants fait fond sur le principe qu'un fonctionnaire
chargé de mener une enquête administrative, mais n'exerçant
pas de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, même s'il n'est
pas lié par les règles applicables aux procédures judiciaires, est
néanmoins tenu d'agir avec équité envers les personnes qui font
l'objet de l'enquête. Il prétend qu'en l'espèce, les deux requé-
rants n'ont pas été traités avec équité en ce que le conservateur
du comité consultatif sur le statut de réfugié a refusé de leur
communiquer les motifs sur lesquels le Ministre s'était fondé
pour conclure qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la
Convention, et en conséquence, que les décisions du Ministre
sont nulles et qu'il n'y a rien qui puisse faire l'objet d'un
réexamen par la Commission d'appel de l'immigration. Le
Ministre intimé soutient que ses motifs ne seront pas à la
disposition de la Commission lorsque celle-ci détermine s'il y a
lieu de donner suite aux deux demandes de réexamen. La Loi
ne prévoit que la production d'une copie de l'interrogatoire
effectué par l'agent d'immigration supérieur et d'une déclara-
tion contenant les conclusions des requérants. Il s'ensuit que la
non-communication des motifs du Ministre ne peut porter
préjudice aux requérants lors de l'instruction par la Commis
sion, et on ne peut dire qu'il en résulte aucun traitement
inéquitable pour les requérants.
Arrêt: les requêtes sont accueillies en partie et une ordon-
nance sera rendue pour enjoindre au Ministre de signifier aux
requérants le texte de ses motifs de décision. Les décisions du
Ministre ne sont pas nulles comme le soutiennent les requé-
rants. Aux termes de l'article 71(3) de la Loi sur l'immigration
de 1976, il incombe à la Commission, lorsqu'elle donne suite à
une demande de réexamen, de se prononcer «sur le statut du
demandeur» et d'aen informe[r] par écrit le Ministre et le
demandeur.» La décision du Ministre reste en vigueur jusqu'à
ce que la Commission prenne une décision. Le fait que la Loi
n'oblige pas le Ministre à communiquer au demandeur les
motifs de sa décision ne veut pas dire qu'il lui soit interdit de le
faire. Les motifs du rejet de la demande de communication des
motifs du Ministre ne sont pas prévus par la Loi. Le refus de
communiquer aux requérants les motifs des décisions du Minis-
tre équivaut à un manque d'équité qui peut diminuer la possibi-
lité d'obtenir une audition complète et impartiale de leur
demande de réexamen ou même d'obtenir la tenue d'une audi
tion de leur demande.
REQUÊTE.
AVOCATS:
D. Matas pour les requérants.
C. Henderson et C. Morrison pour les intimés.
PROCUREURS:
D. Matas, Winnipeg, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: Chacun des re-
quérants demande que soit rendue en sa faveur une
ordonnance de prohibition interdisant à la Com
mission d'appel de l'immigration de procéder à
l'examen de leur demande respective de réexamen
de leur revendication du statut de réfugié au sens
de la Convention avant que, dans chaque cas:.
[TRADUCTION] a) Le requérant ait reçu du ministre de l'Em-
ploi et de l'Immigration les motifs pour lesquels il n'a pas
reconnu au requérant le statut de réfugié au sens de la
Convention.
b) Il ait eu la possibilité de soumettre au comité consultatif
sur le statut de réfugié sa réponse à ce qui est allégué
contre sa revendication dans les motifs du Ministre.
c) Le comité consultatif sur le statut de réfugié ait avisé le
Ministre, suivant la réponse du requérant à ce qui est
allégué contre sa revendication, quant à savoir si le requé-
rant est un réfugié au sens de la Convention.
d) Le Ministre ait décidé de façon définitive, selon cet avis, si
le requérant est un réfugié au sens de la Convention.
e) Le Ministre ait donné les motifs de cette décision, s'il
décidait que le requérant n'est pas un réfugié au sens de la
Convention.
f) Le requérant ait eu la possibilité de soumettre à la Com
mission d'appel de l'immigration une réponse aux objec
tions soulevées par le Ministre contre sa revendication dans
les motifs de sa décision définitive, si celle-ci ne reconnais-
sait pas au requérant le statut de réfugié au sens de la
Convention.
ou ait été prise quelque autre mesure qui peut sembler
juste.
Les requérants sont mari et femme et, pour ce
qui concerne leurs requêtes, les demandes sont
analogues. Les requêtes ont été entendues ensem
ble et la présente décision s'applique également à
chacune d'elles.
Les faits ne sont pas contestés. Ils sont énoncés
clairement dans des affidavits identiques, avec
pièces jointes, soumis par les requérants à l'appui
de leur demande, et dans une annexe assermentée
jointe à chacun des affidavits. Chaque annexe
contient une déclaration quant à la nature de la
revendication du requérant, une liste des faits sur
lesquels elle se fonde ainsi qu'un résumé des ren-
seignements et des éléments de preuve que le
requérant désire soumettre.
Je n'ai pas à décider, en l'espèce, si les requé-
rants ou l'un d'eux sont des réfugiés au sens de la
Convention. Il m'incombe seulement de décider si
en l'espèce la demande d'ordonnance de prohibi
tion devrait être accueillie. Les faits pertinents qui
se rapportent à cette question se résument comme
suit.
Les requérants sont tous deux citoyens du
Ghana, en Afrique. Le requérant était un profes-
seur à l'école Berekum Methodist Middle B, au
Ghana, de 1970 1976. De 1969 1972, il était
secrétaire de l'association locale du Progress Party
de la ville de Berekum. Pendant cette période, le
Progress Party était le parti qui formait le gouver-
nement au Ghana. Le premier ministre était le Dr
K. A. Busiah, cousin du requérant. En 1972, les
forces armées s'emparèrent du pouvoir au Ghana.
Selon l'affidavit du requérant, à la suite de la
conquête du pouvoir par les forces armées, on
commença à procéder à l'arrestation de membres
du Progress Party, d'abord ceux qui avaient été
ministres du cabinet, ensuite ceux qui avaient été
membres du Parlement, plus tard les présidents et
secrétaires de circonscriptions et enfin, en 1976, les
présidents et secrétaires d'associations locales. En
octobre 1976, ayant appris qu'on avait commencé
à arrêter les secrétaires d'associations locales, le
requérant et un autre professeur obtinrent la per
mission d'aller enseigner dans la région Ashanti du
Ghana. Le requérant est allé à Asokore pour y
chercher un poste dans l'enseignement. Peu de
temps après, on lui apprit l'arrestation de plusieurs
agents d'associations locales dans des villages avoi-
sinants. Craignant l'arrestation, il s'enfuit à
Kumasi. Il voyagea jusqu'à son départ pour le
Canada en février 1977, arrivant ici le 19 février.
La requérante exploitait une boutique de confec
tion de robes à Berekum. Lorsque son mari quitta
le pays pour fuir les autorités, elle resta au Ghana.
En novembre 1977, un policier de l'État se rendit à
sa boutique pour lui demander où se trouvait son
mari. Elle avait entendu parler de réfugiés politi-
ques dont les parents avaient été détenus jusqu'à
ce que les fugitifs soient arrêtés. Craignant d'être
arrêtée et détenue jusqu'à ce que son mari soit
retrouvé, elle quitta le Ghana avec ses deux
enfants et arriva au Canada le 19 janvier 1978. Un
troisième enfant est né au Canada.
Le 22 mars 1979, une enquête eut lieu pour
déterminer si les requérants avaient le droit de
rester au Canada. Ils revendiquèrent tous deux le
statut de réfugié au sens de la Convention. L'arbi-
tre Kevin Flood décida qu'à défaut de cette reven-
dication, l'enquête aurait abouti à une ordonnance
de renvoi ou à un avis d'interdiction de séjour. Il
ajourna l'enquête afin que, conformément à la Loi
sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, les
requérants puissent être examinés par un agent
d'immigration supérieur au sujet de leur revendi-
cation du statut de réfugié.
Le 26 mars 1979, les deux requérants furent
interrogés sous serment par G. J. Komar, agent
d'immigration supérieur. Il les avisa, dans une
lettre datée du 10 avril 1979, qu'une copie de
l'interrogatoire avait été soumise au comité consul-
tatif sur le statut de réfugié.
Le 13 septembre 1979, G. T. Garvin, conserva-
teur du comité consultatif sur le statut de réfugié,
écrivit à chacun des requérants leur disant, dans
chaque cas, que le ministre de l'Emploi et de
l'Immigration ne leur avait pas reconnu le statut
de réfugié au sens de la Convention. Ces lettres
parvinrent aux requérants sous le même pli que des
lettres de Komar datées du 24 septembre 1979.
Le 27 septembre 1979, les deux requérants pré-
sentèrent à la Commission d'appel de l'immigra-
tion, en vertu de l'article 70(1) de la Loi sur
l'immigration de 1976, des demandes écrites de
réexamen de leur revendication respective.
Le 28 septembre 1979, Matas, avocat des re-
quérants, écrivit au conservateur du comité consul-
tatif sur le statut de réfugié demandant, dans
chaque cas, ce qui suit:
Que le Comité
1. Fournisse au requérant (à la requérante) les
motifs pour lesquels le Ministre ne lui avait pas
reconnu le statut de réfugié au sens de la
Convention.
2. Lui donne la possibilité de soumettre au
comité sa réponse aux objections soulevées par
le Ministre dans ses motifs contre sa revendica-
tion du statut de réfugié.
3. Avise le Ministre, suivant cette réponse, de sa
décision sur le statut du requérant (de la
requérante).
4. Lui fournisse, au cas où le Ministre ne lui
reconnaîtrait pas le statut de réfugié au sens de
la Convention, les motifs de cette décision
définitive.
Une copie de cette lettre, cotée pièce «B», est
jointe à l'affidavit du requérant.
Dans une lettre datée du 11 octobre 1979, dont
copie, cotée pièce «C», est jointe au même affida
vit, le conservateur répondit à la lettre de Matas,
rejetant la demande des motifs du Ministre,
déclarant:
[TRADUCTION] La Loi sur l'immigration de 1976 n'exige pas
que la personne qui réclame le statut de réfugié, aux termes de
l'article 45, soit informée des motifs de la décision du Ministre.
Le 12 octobre 1979, des avis introductifs de
requête, dont je fus saisi, furent déposés au nom
des requérants. Ils introduisirent également les
procédures suivantes:
[TRADUCTION] 1. Ils formèrent un appel en vertu de l'article
28 de la Loi sur la Cour fédérale contre le ministre de l'Emploi
et de l'Immigration afin que soient examinées et annulées les
décisions du Ministre refusant de reconnaître aux requérants le
statut de réfugié au sens de la Convention. Ceci, en déposant
des avis d'appel au greffe de la Cour fédérale le 2 octobre 1979.
2. Ils intentèrent des actions en Division de première instance
de la Cour fédérale contre le comité consultatif sur le statut de
réfugié, le ministre de l'Emploi et de l'Immigration et le
procureur général du Canada demandant l'émission de brefs de
mandamus contre les deux premiers défendeurs et un jugement
déclaratoire contre le procureur général concernant les droits
revendiqués au nom des requérants.
A l'audition des présentes requêtes, l'avocat des
requérants a fait fond surtout sur le principe,
maintenant bien établi, qu'un fonctionnaire chargé
de mener une enquête administrative, mais n'exer-
çant pas de fonctions judiciaires ou quasi judiciai-
res, même s'il n'est pas lié par toutes les règles
applicables aux procédures judiciaires, ni même
par les règles de justice naturelle, est néanmoins
tenu d'agir avec équité envers les personnes qui
font l'objet de l'enquête. Lorsque le fonctionnaire
n'agit pas avec équité, sa décision ne peut être
maintenue. L'avocat prétend que dans ces deux
cas, les requérants n'ont pas été traités avec équité,
que, par conséquent, les décisions du Ministre sont
nulles et qu'il n'y a donc rien qui puisse faire
l'objet d'un réexamen par la Commission d'appel
de l'immigration.
Tout cet argument est fondé sur la prétention
que les requérants n'ont pas été traités avec équité,
ce que les intimés n'admettent pas. J'estime donc
nécessaire de préciser en quoi consiste cette
prétention.
Aucun élément de preuve ni argument ne m'a
été présenté qui suggère qu'il y eut manque
d'équité au cours de l'enquête initiale menée par
l'arbitre Kevin Flood, ni au niveau des mesures
prises en vue de l'interrogatoire des requérants par
l'agent d'immigration supérieur G. J. Komar au
sujet de leur revendication ni au cours de cet
interrogatoire. Et il n'y a ni preuve ni allégation de
manque d'équité de la part du comité consultatif
sur le statut de réfugié dans son examen de la
question, ni de manque d'équité dans l'examen fait
par le Ministre ou dans la façon dont il a pris ses
décisions. La seule allégation de manque d'équité
concerne le refus du conservateur du comité con-
sultatif sur le statut de réfugié de communiquer
aux requérants les motifs des décisions du Ministre
refusant de leur reconnaître le statut de réfugié au
sens de la Convention après que ces décisions leur
eurent été communiquées.
D'après moi, je ne peux, à partir de ces faits,
conclure que les décisions du Ministre sont nulles.
Elles demeurent valides, sous réserve de l'issue de
la demande de réexamen, de l'appel porté devant
la Cour d'appel fédérale en vertu de l'article 28 ou
de l'action intentée en Division de première ins
tance. Je m'empresse d'ajouter que mon avis sur ce
point ne signifie pas que la question du manque
d'équité soit réglée.
Les dispositions légales régissant les demandes
présentées en vertu de l'article 70 pour réexamen
d'une décision du Ministre refusant de reconnaître
à un demandeur le statut de réfugié au sens de la
Convention n'établissent pas avec certitude qu'il
sera permis à la demande de faire l'objet d'une
audition. C'est sans doute une des raisons pour
lesquelles les requérants n'ont pas misé unique-
ment, en l'espèce, sur la procédure de réexamen
mais ont également interjeté appel devant la Cour
d'appel fédérale en vertu de l'article 28 et introduit
une action devant la Division de première instance
de cette Cour.
L'article 70(2) prévoit ce qui doit accompagner
une demande de réexamen présentée à la Commis
sion d'appel de l'immigration. Ensuite l'article
71(1) prévoit ce qui suit:
71. (1) La Commission, saisie d'une demande visée au para-
graphe 70(2), doit l'examiner sans délai. A la suite de cet
examen, la demande suivra son cours au cas où la Commission
estime que le demandeur pourra vraisemblablement en établir
le bien-fondé à l'audition; dans le cas contraire, aucune suite
n'y 'est donnée et la Commission doit décider que le demandeur
n'est pas un réfugié au sens de la Convention.
D'après le libellé de ce paragraphe, il semble
clair qu'au moment où la Commission examine la
demande et décide si elle doit lui permettre de
suivre son cours, ni le requérant ni un représentant
de ce dernier n'est présent, de telle sorte que rien
ne peut être ajouté aux documents qui sont en la
possession de la Commission. Je suis sûr que ce
pouvoir de rejet sommaire d'une demande a pour
but d'éviter que la Commission ne soit tenue de
consacrer du temps à l'audition de demandes qui
n'ont aucune chance d'être accueillies. D'un point
de vue administratif, c'est un objectif désirable,
mais rien ne garantit que les rejets de la Commis
sion seront toujours bien fondés. Quiconque croit
au bien-fondé de sa demande peut très bien avoir
l'impression de n'avoir pas été traité avec équité si
elle est rejetée sans qu'il lui soit donné la possibi-
lité d'être entendu pour la défendre. Même si ce
n'est pas ce qu'on veut, il est fort possible que
l'application de ce paragraphe aboutisse à ce mal-
heureux résultat. En pareil cas, il pourrait ne
rester au requérant que le droit d'appel limité à la
Cour d'appel fédérale, prévu à l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale, et il est même possible
que ce recours ne lui soit pas ouvert aux termes de
cet article.
Il est plus important de savoir si, en l'espèce, le
devoir d'équité exige que soient donnés aux requé-
rants les motifs des refus du Ministre. Il est
soumis, au nom du Ministre, que les motifs de ce
dernier ne seront pas à la disposition de la Com
mission lorsqu'elle examinera la demande de
réexamen pour savoir s'il devrait lui être permis de
suivre son cours. Tout ce qu'exige l'article 70(2)
c'est qu'une demande de réexamen soit présentée à
la Commission, accompagnée d'une copie de l'in-
terrogatoire sous serment effectué par l'agent
d'immigration supérieur (en l'espèce G. J.
Komar), et qu'elle contienne ou que l'accompagne
une déclaration sous serment du requérant
contenant:
a) le fondement de la demande;
b) un exposé suffisamment détaillé des faits sur lesquels
repose la demande;
c) un résumé suffisamment détaillé des renseignements et
des preuves que le requérant se propose de fournir à l'audi-
tion; et
d) toutes observations que le requérant estime pertinentes.
Aucune mention, dans ces exigences, des motifs
de la décision du Ministre. On a probablement
voulu faire en sorte que lorsque la Commission
examine la demande pour décider s'il doit lui être
permis de suivre son cours, elle dispose des mêmes
renseignements et déclarations sous serment que
ceux dont disposait le comité consultatif sur le
statut de réfugié et, par la suite, le Ministre, et
rien d'autre, si ce n'est la décision défavorable du
Ministre et les observations complémentaires
qu'aura pu faire le requérant. Si c'est bien là la
situation qui résultera en l'espèce, les seuls élé-
ments dont disposera la Commission seront les
renseignements, les éléments de preuve et les
observations soumis par les requérants ou en leur
nom. En présumant que telle sera la situation, il
est fait valoir au nom des intimés que le fait de ne
pas délivrer les motifs du Ministre ne peut causer
de préjudice aux requérants au niveau de l'examen
par la Commission et que, par conséquent, on ne
peut dire qu'il en résultera un traitement inéqui-
table pour les requérants. Cet argument ne
manque pas de force.
L'avocat des requérants prétend que le paragra-
phe précédent ne dit pas tout, ou pour le moins,
peut ne pas dire tout. Il est possible que le comité
consultatif sur le statut de réfugié ou ses membres
aient reçu, d'autres sources, des renseignements
pertinents relatifs à la revendication des requé-
rants. C'est aussi vrai pour le Ministère, y compris
le Ministre. A cet égard, il me vient à l'esprit que
l'enquête initiale devant l'arbitre résulte peut-être
de renseignements parvenus au Ministère de cette
façon. On n'a ni tenté de prouver ni allégué que
des renseignements pertinents qui n'auraient pas
été donnés par les requérants ou en leur nom et qui
ne leur auraient pas été divulgués aient été à la
disposition du Ministère, du comité consultatif sur
le statut de réfugié ou du Ministre, mais s'ils
existent et peuvent causer préjudice aux revendica-
tions des requérants, je suis d'avis que ceux-ci
auraient dû avoir la possibilité d'y répondre. Je ne
sais pas quelles règles suit le Ministère à ce sujet.
Si le comité consultatif sur le statut de réfugié
ou le Ministre avaient en leur possession des ren-
seignements tels que ceux auxquels je viens de
faire allusion et s'ils ont influencé l'avis qu'a donné
le comité au Ministre ou les décisions du Ministre
relativement à ces revendications, il est probable
que les motifs des décisions du Ministre en feraient
mention. Si tel était le cas, la possession d'une
copie de ces motifs pourrait être d'une importance
considérable pour les requérants, même s'ils ne
sont pas inclus dans les documents que les requé-
rants sont tenus de faire parvenir à la Commission
d'appel de l'immigration en même temps que leur
demande de réexamen.
L'avocat des requérants a déposé une argumen
tation serrée et bien documentée à l'appui de la
prétention suivante: même si on appelle réexamen
l'audition devant la Commission d'appel de l'immi-
gration, il s'agit en fait d'un appel contre les
décisions du Ministre. Je n'estime pas nécessaire
de me prononcer sur cette prétention. Aux termes
de l'article 71(3), il incombe à la Commission,
lorsqu'il est permis à la demande de réexamen de
suivre son cours, de se prononcer «sur le statut du
demandeur» (en l'espèce, chacun des requérants)
et d'«en informe[r] par écrit le Ministre et le
demandeur.» A mon avis, la décision du Ministre
reste en vigueur jusqu'à ce que la Commission
prenne une décision.
La Commission sait que le Ministre a pris la
décision de ne pas reconnaître au requérant le
statut de réfugié, ce qui, en soi, peut influencer la
décision de la Commission, même si ce n'est pas
voulu. Et je note que, même s'il est probable qu'on
ait voulu que les motifs de la décision du Ministre
ne soient pas soumis à la Commission, il n'existe
aucune interdiction en ce sens. Le fait est que
l'article 70(2) ne parle que des choses que le
requérant doit soumettre à la Commission. Ce
n'est que si la Commission décide de permettre à
la demande de suivre son cours qu'il est question
du Ministre, et alors, tout ce qui le concerne se
trouve à l'article 71(2) qui prévoit simplement que
la Commission doit aviser le Ministre des date et
lieu de l'audition et lui donner l'occasion de se
faire entendre. Compte tenu de l'objet de l'audi-
tion, une question sur laquelle le Ministre s'est
déjà prononcé, les mots «lui donne[nt] l'occasion
de se faire entendre» semblent indiquer qu'il sera
permis au Ministre, s'il le désire, de donner les
motifs de sa décision. Il se peut même que cela
veuille dire qu'on s'attend à ce qu'il le fasse. Dans
ces circonstances, on ne peut vraiment pas dire que
les motifs de la décision du Ministre ne seront pas
soumis à la Commission. S'ils le sont, le requérant
aura le droit d'y répondre et, pour avoir vraiment
la possibilité de ce faire, il devrait recevoir ces
motifs assez longtemps avant l'audition pour avoir
le temps de les étudier, pour décider quelle réponse
il voudra faire et pour la préparer. Sinon le requé-
rant n'aura pas été traité avec équité. Ce raisonne-
ment s'applique aux deux requérants en l'espèce.
Les raisons du refus de donner aux requérants
en l'espèce les motifs de la décision du Ministre ne
sont pas claires. Tel que mentionné plus haut, la
lettre du conservateur datée du 11 octobre 1979
déclarait que la Loi sur l'immigration de 1976
n'exigeait pas qu'une personne qui revendique le
statut de réfugié soit informée des motifs de la
décision du Ministre. Le reste de la lettre est ainsi
rédigé:
[TRADUCTION] En vertu de l'article 70 de la Loi sur l'immi-
gration de 1976, votre client peut présenter à la Commission
d'appel de l'immigration une demande de réexamen de sa
revendication. L'article 71(4) prévoit que la Commission doit
motiver sa décision.
S'il est vrai que le Ministre, l'honorable Ron Atkey, a déclaré
que ses motifs devraient être mis à la disposition des deman-
deurs, aucune directive n'a encore été donnée à cet égard.
Je regrette de ne pouvoir accéder à votre demande.
Le fait que la Loi n'oblige pas le Ministre à
communiquer au demandeur les motifs de sa déci-
sion ne veut pas dire qu'il lui soit interdit de le
faire. Les motifs du rejet de la demande de com
munication des motifs du Ministre ne sont pas
prévus par la Loi. Il ressort de l'extrait précité de
la lettre du conservateur que le refus est une
question de politique interne et probablement relié
aux dispositions de l'article 71(4) qui prévoit que
la Commission, après s'être prononcée sur le statut
du requérant, peut et, à la requête du requérant ou
du Ministre, doit motiver sa décision.
Le résultat obtenu par l'application de ces dispo
sitions n'est pas le même que celui qui serait
obtenu en délivrant au requérant les motifs de la
décision du Ministre avant que la Commission
n'examine la demande de réexamen. Il est vrai que
le requérant a la possibilité de porter la décision de
la Commission en appel devant la Cour d'appel
fédérale en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale, mais la portée de ce droit d'appel,
s'il existe pour ce genre de cas, est très limitée
alors que la Commission a, en vertu de l'article
59(1) de la Loi sur l'immigration de 1976, «com-
pétence exclusive ... pour entendre et juger sur
des questions de droit et de fait, y compris des
questions de compétence, relatives à la confection
d'une ordonnance de renvoi .... » En l'espèce, si la
Commission décide que les requérants ne sont pas
des réfugiés au sens de la Convention, comme il a
déjà été décidé par l'arbitre, Kevin Flood, ils
feront l'objet d'une ordonnance de renvoi ou d'un
avis d'interdiction de séjour. Le cas relève manifes-
tement de l'article 59(1) de la Loi sur l'immigra-
tion de 1976.
A mon avis, le droit incertain d'interjeter un
appel d'une portée limitée contre une décision de la
Commission devant la Cour d'appel fédérale ne
constitue pas une compensation pour le fait que les
motifs de la décision du Ministre ne soient pas
communiqués aux requérants et qu'ils ne soient
donc pas en mesure de répondre devant la Com
mission. Cela ne garantit pas que les requérants
seront traités équitablement.
A mon avis la règle bien établie en matière de
procédure judiciaire selon laquelle il est important
que non seulement justice soit rendue mais qu'il
soit manifeste que justice est rendue peut être
paraphrasée, pour les cas où l'obligation consiste
simplement à agir équitablement, en disant que
dans de tels cas, l'intéressé doit non seulement être
traité avec équité mais il doit être manifeste qu'il
est effectivement traité équitablement.
Après avoir examiné tous les faits et toutes les
circonstances de l'espèce, je suis d'avis que le refus
de communiquer aux requérants les motifs des
décisions du Ministre équivaut à un manque
d'équité qui peut diminuer la possibilité d'obtenir
une audition complète et impartiale de leur
demande de réexamen ou même d'obtenir la tenue
d'une audition de leur demande. A tout le moins, il
n'est pas clair que le refus n'équivaille pas à un
manque d'équité à cet égard. Et il ne nous a pas
été prouvé que le fait de communiquer les motifs
de la décision du Ministre aux requérants dans des
cas de revendication du statut de réfugié causerait
de tels inconvénients au Ministère qu'ils justi-
fieraient que l'on fasse passer la bonne marche de
l'administration du Ministère avant le droit des
requérants à un traitement équitable.
Par conséquent, il est accordé aux requérants le
redressement qu'ils demandent aux paragraphes a)
et f) de leur avis introductif de requête. Ils n'ont
pas droit au redressement demandé aux paragra-
phes b) à e) inclusivement parce que le manque
d'équité relativement auquel le redressement est
demandé est survenu après que le Ministre eut
décidé que les requérants n'étaient pas des réfugiés
au sens de la Convention. Ces décisions étaient
définitives. Une ordonnance sera rendue en confor-
mité avec ce qui précède. Pour faire en sorte que le
redressement demandé soit efficace, une ordon-
nance sera rendue enjoignant au Ministre d'en-
voyer ou de signifier aux requérants le texte des
motifs de ces décisions.
Les requérants ont droit aux frais de leurs
demandes.
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