T-627-76
New West Construction Co. Ltd. (Demanderesse)
c.
La Reine du chef du Canada, représentée par le
ministre des Travaux publics (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Edmonton, 10 septembre; Ottawa, 15 octobre
1979.
Pratique — Interrogatoire préalable — Action faisant suite
à l'exécution par la demanderesse d'un marché de construction
d'autoroute — Requête faite par la demanderesse conformé-
ment à la Règle 448(1) en vue d'une ordonnance enjoignant à
la défenderesse de déposer une liste de documents — Requête
faite par la défenderesse en vue d'une ordonnance de nouvelle
comparution aux fins d'interrogatoire préalable — La per-
sonne à interroger a reçu de son avocat le conseil de ne pas
répondre du fait que les questions se rapportaient à des
communications qui auraient servi à la préparation d'un dos
sier contentieux et que les négociations avaient été conduites
sous toutes réserves — Règles 448(1), 451 de la Cour fédérale.
Dans une action faisant suite à l'exécution par la demande-
resse d'un marché de construction d'autoroute, la demanderesse
se fonde sur la Règle 448(1) pour demander une ordonnance
enjoignant à la défenderesse de déposer une liste de documents.
La défenderesse se fonde sur la Règle 465(18) pour demander
une ordonnance prescrivant la nouvelle comparution de certai-
nes personnes (Paron et Anselmo) aux fins d'interrogatoire
préalable. Son avocat a conseillé à la personne à interroger de
refuser de répondre aux questions relatives aux renseignements
échangés entre ta demanderesse et les ingénieurs-conseils dont
les services avaient été retenus pour aider la demanderesse à
préparer et à présenter sa réclamation de supplément de rému-
nération. Cet avocat a fondé sa recommandation sur le fait que
les travaux effectués par les ingénieurs-conseils consistaient
dans l'établissement de rapports destinés à un dossier conten-
tieux et, en second lieu, que les négociations avaient été condui-
tes sous toutes réserves.
Arrêt: les requêtes sont accueillies. Une ordonnance fondée
sur la Règle 448 n'étant guère pertinente, la requête de la
demanderesse sera traitée comme si elle avait été faite en vertu
de la Règle 451, relativement aux documents énumérés dans
l'affidavit d'Anselmo. Il sera rendu une ordonnance conforme à
la Règle 451, requérant la défenderesse de déposer et de
signifier un affidavit relatif à ces documents. La demanderesse
a droit à la communication des documents originaux, lorsqu'ils
existent encore, nonobstant le fait que copie en a déjà été
produite. L'ordonnance sera rendue sans préjudice du droit de
la défenderesse de s'opposer à la production de tel ou tel d'entre
eux pour cause de dispense. Une fois que les négociations,
menées par entretiens ou par lettres sous toutes réserves, sont
terminées, un contrat exécutoire entre en vigueur dont l'exis-
tence peut être prouvée par les déclarations faites sous toutes
réserves. Lorsque les services d'un expert sont retenus pour
préparer une réclamation, il est raisonnable d'en déduire qu'un
litige est considéré comme une possibilité et que l'un des
objectifs du rapport de l'expert doit être d'informer un avocat.
Pour qu'une demande de dispense de communication l'emporte
sur l'intérêt public, la remise du document concerné aux con-
seillers juridiques de la partie en prévision d'un litige doit pour
le moins être la raison majeure pour laquelle il a été préparé.
La principale raison des travaux des ingénieurs-conseils jus-
qu'au moment où la demanderesse a jugé que les négociations
ne lui permettraient vraisemblablement pas d'obtenir satisfac
tion, a été d'assumer leur rôle d'agent de la demanderesse dans
ces négociations. Attendu que la preuve ne permet pas de
déterminer ce moment, la date à retenir est celle de la constitu
tion d'avocat.
Arrêt examiné: Waugh c. British Railways Board [1979]
3 W.L.R. 150. Arrêt mentionné: R. c. Hawker Siddeley
Canada Ltd. [1977] 2 C.F. 162.
REQUÊTE.
AVOCATS:
W. G. Geddes pour la demanderesse.
I. Whitehall et J. Kennedy pour la défende-
resse.
PROCUREURS:
William G. Geddes, Edmonton, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MAHONEY: Les présentes requêtes ont
été entendues à Edmonton (Alberta), le 10 sep-
tembre 1979. Les documents produits à l'appui,
c'est-à-dire les volumes I à V inclusivement de la
transcription de l'interrogatoire préalable de Paci
fic Paron, les volumes XIV à XVII inclusivement
de la transcription de l'interrogatoire préalable de
Felix Gary Anselmo et la transcription de l'inter-
rogatoire préalable de James B. Coxford, les 14
et 15 novembre 1977, ne sont parvenus à mon
cabinet à Ottawa que le 10 octobre. J'en suis
réduit aux conjectures sur les causes de cette len-
teur et je regrette qu'elle ait retardé ma décision.
L'action dérive de l'exécution d'un contrat de
construction que la demanderesse a passé avec la
défenderesse et repose sur les différences impor-
tantes qu'il y aurait entre les conditions réelles sur
l'emplacement et celles indiquées par la défende-
resse dans les documents d'adjudication. Cette der-
nière réclame maintenant, en vertu de la Règle
465(18), une ordonnance prescrivant une nouvelle
comparution aux fins d'interrogatoire de Pacific
Paron et de Felix Gary Anselmo. Quant à la
demanderesse, elle réclame, en vertu de la Règle
448(1), une ordonnance enjoignant à la défende-
resse de déposer une liste de documents.
Examinons d'abord la requête de la demande-
resse. Le 27 janvier 1978, la défenderesse a déposé
une longue liste de 320 pièces, conformément à la
Règle 447, qui n'ont donné lieu à aucune demande
de dispense de communication. Ces 320 pièces
consistent en grande partie en classeurs, dossiers et
autres assemblages de documents divers. Je me
suis laissé dire que tous ces documents, qui sont
consultables, occupent un espace de plusieurs dou-
zaines de pieds cubes. La demanderesse prétend
que certains documents n'ont pas été divulgués ou
ne peuvent pas être retrouvés dans une pareille
masse par une recherche raisonnable. Ce à quoi la
défenderesse objecte ou qu'ils ont été produits ou
qu'ils n'existent pas ou bien, dans certains cas,
qu'il s'agit de documents émanant de la demande-
resse et dont la reproduction entraînerait des
dépenses importantes et inutiles.
Dans ces circonstances, j'estime qu'une ordon-
nance, fondée sur la Règle 448 ne serait guère
pertinente. Je traiterai donc la demande comme si
elle avait été faite en vertu de la Règle 451,
relativement aux documents énumérés au paragra-
phe 14 de l'affidavit de Felix Gary Anselmo
déposé le 4 septembre 1979 à l'appui de la requête.
Je rendrai une ordonnance conforme à la Règle
451, requérant la défenderesse de déposer et de
signifier dans les trente jours un affidavit relatif
auxdits documents. La demanderesse a droit à la
communication des documents originaux, lorsqu'ils
existent encore, nonobstant le fait que copie en ait
déjà été produite. L'ordonnance sera sans préju-
dice du droit de la défenderesse de s'opposer à la
production de tel ou tel d'entre eux pour cause de
dispense.
Le ler mai 1979, une ordonnance fut rendue,
enjoignant à Paron et à Anselmo de comparaître
encore une fois pour être respectivement interrogés
sur neuf et quatre nouveaux points. L'interroga-
toire subséquent de Paron dura trois jours, et celui
d'Anselmo, quatre. La demanderesse prétend, non
sans raison semble-t-il, que ces interrogatoires ont
été abusifs. Le fait est que, dans les deux cas,
l'interrogatoire n'était pas terminé avant l'ordon-
nance du 1 er mai, et que pour Anselmo, la présente
demande porte sur des points qui n'avaient été ni
examinés ni même abordés avant son introduction.
Les nouvelles questions sur lesquelles Anselmo,
sur le conseil de son avocat, a refusé de déposer
découlent des faits suivants. Dès le début de l'exé-
cution du contrat, la demanderesse s'aperçut que
celui-ci présentait de sérieuses difficultés et qu'il
lui faudrait probablement réclamer un supplément
de rémunération. Elle retint les services d'une
firme d'ingénieurs-conseils pour l'aider à préparer
et à présenter ladite réclamation. Il ressort claire-
ment d'une série de lettres s'étalant du 19 octobre
1973 au 15 avril 1975 que, pendant cette période,
les ingénieurs-conseils engagèrent des négociations
avec la défenderesse en qualité d'agent de la
demanderesse. Il n'a pas été constitué avocat avant
février 1975, c'est-à-dire environ deux ans après
que les services des ingénieurs-conseils aient été
retenus. Les négociations au sujet de la réclama-
tion furent conduites «sous toutes réserves». En
septembre 1975, elles aboutirent au paiement par
la défenderesse à la demanderesse d'une somme de
$334,769.32. Au paragraphe 6 de la version modi-
fiée de sa défense, la défenderesse soutient que ce
paiement incluait une somme de $309,319.21 que
la demanderesse a acceptée en règlement définitif
de certains points de sa réclamation. Or, il ressort
de la réponse de la demanderesse à la demande de
détails de la défenderesse qu'elle réclame un sup-
plément de rémunération pour ces points. Sur le
conseil de son avocat, Anselmo refusa de répondre
aux questions relatives aux renseignements échan-
gés entre les ingénieurs-conseils et la demanderesse
au motif que leurs travaux avaient été effectués en
tant qu'experts, en vue d'établir des rapports pour
informer un avocat en prévision d'un litige, et à
celles relatives aux négociations ayant abouti au
paiement des $334,769.32 au motif qu'elles
avaient été conduites sous toutes réserves.
Cette dernière objection est insoutenable. On
peut résumer le principe qui s'applique ici de la
manière suivante:'
[TRADUCTION] Une fois que les négociations menées, par
entretiens ou par lettres, sous toutes réserves sont terminées, un
contrat exécutoire entre en vigueur, dont l'existence peut être
prouvée par les déclarations faites sous toutes réserves.
' Cross on Evidence, quatrième édition, p. 263.
Il est inutile de recourir à une autre autorité pour
établir le bien-fondé de l'assertion de cet ouvrage.
Quant à la première objection, lorsqu'une per-
sonne chargée de l'exécution d'un contrat entrevoit
une réclamation contre l'autre partie et retient les
services d'un expert pour l'aider à préparer cette
réclamation, il me semble raisonnable d'en déduire
qu'un litige est considéré comme une possibilité et
que l'un des objectifs du rapport de l'expert doit
être d'informer un avocat. Cette déduction est
compatible avec la raison qu'Anselmo donne pour
refuser de répondre à certaines questions. Par ail-
leurs, il n'est pas exagéré d'affirmer que les récla-
mations présentées par des entrepreneurs contre
des propriétaires à l'occasion de contrats de cons
truction sont plutôt monnaie courante. Il ne faut
pas en déduire que la plupart, ou même un pour-
centage élevé d'entre elles, donnent lieu à des
procédures judiciaires. Manifestement, même
après que les services d'un avocat aient été retenus,
le rôle des ingénieurs-conseils a consisté à négocier
en qualité d'agent de la demanderesse. La défende-
resse ne pose pas de questions sur les rapports et
activités de ces derniers après qu'il eut été consti-
tué avocat.
Dans La Compagnie de chemins de fer natio-
naux du Canada c. McPhail's Equipment Com
pany Ltd., 2 la Cour d'appel fédérale, traitant des
évaluations immobilières effectuées pour une
administration expropriante après le dépôt du plan
d'expropriation et avant constitution d'avocat,
déclare [à la page 598]:
Étudions maintenant les principes de droit applicables à une
telle situation de fait. Les renseignements échangés entre une
partie et un mandataire qui n'est pas un avocat sont seulement
exempts de communication, selon moi, s'ils sont donnés à la
fois—(l) pour être transmis à un avocat dans le but d'obtenir
un conseil ou de lui permettre d'intenter des poursuites, de
présenter une défense ou de préparer un dossier, et (2) pour les
fins d'un procès actuel ou prévisible à ce moment-là.
Il fut reconnu que toute expropriation est, dès le
début, potentiellement litigieuse. Je suis persuadé
que quoi qu'il en soit, le pourcentage des litiges
d'expropriation qui vont en justice est beaucoup
plus élevé que celui des réclamations afférentes à
des contrats de construction. La dispense de com
munication réclamée par le C.N. a été refusée.
' [1978] 1 C.F. 595.
Dans La Reine du chef du Canada c. Hawker
Siddeley Canada Ltd. 3 , la Cour d'appel fédérale a
jugé que ce passage d'un ouvrage de référence
résumait la règle de droit applicable en la matière:
[TRADUCTION] Sont exempts de production tous les docu
ments et copies de ces documents rédigés dans l'intention—pas
nécessairement unique ni primordiale—d'aider une partie ou
ses conseillers juridiques dans un procès en cours ou prévu.
Continuant, la Cour affirme ce qui suit à la page
166:
Les intimées s'appuient sur une certaine jurisprudence pour
dire que si telle n'est pas la raison unique ou primordiale
justifiant la rédaction d'un document, ce doit être au moins une
raison sérieuse mais, ce fait ne semble pas important en l'es-
pèce. Il n'est pas essentiel ... que les documents soient prépa-
rés à la demande d'un conseiller juridique; il suffit qu'ils soient
préparés à cette fin par une partie de sa propre initiative.
La Cour d'appel a statué [à la page 166] que Sa
Majesté n'avait pas réussi «à établir clairement
que l'un des objectifs de l'enquête» ouverte en
vertu de l'article 42(1) de la Loi sur la défense
nationale 5 avait été «la préparation d'un rapport
devant être soumis aux conseillers juridiques aux
fins du procès prévu», bien qu'elle ait conclu «qu'au
moment de la convocation de la commission d'en-
quête, on envisageait la possibilité d'un procès».
En toute déférence, je ne suis pas d'accord avec
lord Simon of Glaisdale lorsqu'il affirme dans le
jugement Waugh c. British Railways Board<',
publié récemment, que cette décision de la Cour
d'appel autorise à dire que:
[TRADUCTION] ... la communication d'un tel rapport n'est pas
obligatoire si l'un de ses objets (même secondaire) est de
fournir des renseignements à un conseiller juridique en vue d'un
litige considéré comme possible ou probable.
Au contraire, il est manifeste que la Cour d'appel
s'est abstenue de trancher cette question, puis-
qu'elle a déclaré qu'il ne lui semblait «pas impor
tant en l'espèce» de préciser si, lorsqu'un document
a plusieurs objets, l'objet susmentionné peut n'être
qu'accessoire.
Le raisonnement de la Chambre des Lords dans
l'affaire Waugh est énoncé avec précision dans le
sommaire de la décision:
3 [1977] 2 C.F. 162.
4 The Law of Civil Procedure, par Williston & Rolls, Vol. 2,
p. 916.
5 S.R.C. 1970, c. N-4.
6 [1979] 3 W.L.R. 150, à la p. 156.
[TRADUCTION] ... la bonne administration de la justice
requiert que soit communiqué un document comme ce rapport
d'enquête interne qui, étant de la même époque et contenant les
déclarations des témoins directs, constitue certainement la
meilleure preuve sur la cause de l'accident; que, pour qu'une
demande de dispense de communication l'emporte sur l'intérêt
public, la remise du document concerné aux conseillers juridi-
ques de la partie en prévision d'un litige doit pour le moins être
la raison majeure pour laquelle il a été préparé; et qu'en
l'espèce, l'obtention d'un avis juridique en prévision d'un litige
n'ayant pas été une raison plus importante que le fonctionne-
ment et la sécurité du système ferroviaire, la demande de
dispense présentée par la Commission est rejetée et le rapport
devra être communiqué ....
Je suis disposé à accepter le critère prescrit dans
l'affaire Waugh, et je ne crois pas que l'arrêt
Hawker Siddeley m'empêche de le faire.
En l'espèce, la principale raison des travaux des
ingénieurs-conseils jusqu'au moment où la deman-
deresse a jugé que les négociations ne lui permet-
traient vraisemblablement pas d'obtenir satisfac
tion, a été d'assumer leur rôle d'agent de la
demanderesse dans ces négociations. La preuve ne
me permet pas de déterminer ce moment avec
exactitude; néanmoins, les ingénieurs-conseils
ayant continué à jouer ce rôle même après qu'il ait
été constitué avocat, j'estime que la date à retenir
est celle de cette constitution. Il est fort peu proba
ble qu'avant cette date la communication de ren-
seignements à un avocat ait été un objectif plus
important que l'exécution de leurs fonctions
d'agent, mais il est possible qu'elle le soit devenue
par la suite. Je pense que le choix de cette date
donne à la demanderesse le bénéfice du doute que
l'on pourrait raisonnablement concevoir au
moment de statuer sur sa demande de dispense de
communication.
Je rendrai une ordonnance enjoignant à Felix
Gary Anselmo de comparaître de nouveau aux fins
de subir un autre interrogatoire préalable relative-
ment aux négociations «sous toutes réserves» et aux
travaux entrepris par les ingénieurs-conseils avant
février 1975, ainsi qu'aux rapports auxquels ces
derniers ont donné lieu.
Je rejette la requête de la défenderesse en ce
qu'elle tend à faire comparaître Paron et Anselmo
pour les interroger sur d'autres points. Les frais
afférents aux deux requêtes suivront l'issue de
l'action principale. Transcriptions et pièces seront
renvoyées aux parties qui les ont présentées si, à
l'expiration des délais impartis, la présente ordon-
nance n'a fait l'objet d'aucun appel.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.