A-458-79
Pedro Enrique Juarez Maldonado (Requérant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(Intimé)
Cour d'appel, les juges Heald et Ryan, le juge
suppléant MacKay—Toronto, 3 octobre; Ottawa,
19 novembre 1979.
Examen judiciaire — Immigration — Demande d'examen et
d'annulation de la décision de la Commission d'appel de
l'immigration qui a refusé d'instruire la revendication du
statut de réfugié — Il échet d'examiner si la Commission a
refusé de prendre en considération les preuves établissant une
crainte bien fondée de persécution — Demande accueillie (le
juge suppléant MacKay dissident) — Loi sur l'immigration de
1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 65(2)c) — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28.
Arrêt examiné: Maslej c. Le ministre de la Main-d'oeuvre
et de l'Immigration [1977] 1 C.F. 194.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
Paula S. Knopf pour le requérant.
Thomas James pour l'intimé.
PROCUREURS:
Community and Legal Aid Services Pro
gramme, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: J'estime que la Commission
d'appel de l'immigration a erré en droit en rejetant
la demande de réexamen de la revendication du
statut de réfugié concernée.
Résumons les faits. En septembre 1973, le
requérant, citoyen chilien, fut arrêté par l'armée
peu après le renversement par celle-ci du gouver-
nement Salvador Allende. Détenu pendant huit
jours, soumis à la torture trois fois par jour, il fut
accusé d'avoir, à titre de président d'une «associa-
tion de bienfaisance» à l'hôpital où il travaillait,
exercé des activités politiques. En septembre
encore et en décembre de la même année, il fut
arrêté, battu environ cinq fois et, à plusieurs repri
ses, interrogé sur ses activités politiques; on lui
demanda de révéler les noms de ses camarades
socialistes. Le requérant quitta le Chili en 1974
pour gagner l'Argentine où il trouva de l'emploi.
En septembre 1974, il obtint le statut d'immigrant
en Argentine où sa famille le rejoignit en 1975. En
1977, en raison des problèmes politiques existant
entre l'Argentine et le Chili, il pensa que sa famille
serait plus en sécurité au Chili. Son frère lui ayant
écrit qu'il s'était arrangé pour obtenir des papiers
qui lui permettraient de voyager hors du Chili, il
vendit ses biens en Argentine et, en février 1978,
sa famille et lui retournèrent au Chili. Il y resta
jusqu'au 18 mars 1978, date de son départ pour le
Canada. Il a déclaré qu'il ne savait pas exactement
comment son frère lui avait obtenu un passeport
mais qu'il croyait que c'était [TRADUCTION] «par
l'entremise des connaissances travaillant pour le
gouvernement.»
Voici les raisons pour lesquelles la Commission
a refusé de permettre qu'il soit donné suite â la
demande (annexe 1, aux pages 9 et 10):
[TRADUCTION] La Commission constate que M. Juarez était
bien établi en Argentine et y avait reçu le statut d'immigrant
avant de décider de retourner au Chili. Durant tout le temps où
il était à Valparaiso, soit du mois de février au 19 mars 1978, il
n'a jamais eu affaire à la police ou été arrêté par elle. Grâce à
son frère, il a pu obtenir un passeport le 16 mars 1978.
Par ses expériences acquises depuis presque six ans, la Com
mission sait que, pour obtenir au Chili un passeport valide, une
personne doit tout d'abord obtenir de la police locale ce qu'on
appelle un certificat de bonnes vie et mœurs; après l'obtention
de ce document et munie de sa carte d'identité, elle doit
s'adresser au bureau d'enregistrement pour se procurer une
formule; quand le passeport est prêt, le requérant doit signer
ces documents et y apposer ses empreintes digitales devant
l'autorité compétente du bureau d'enregistrement. Le requérant
n'a jamais eu de difficultés dans l'obtention de l'un quelconque
de ces documents ou du passeport.
Il a acheté son billet à l'agence de voyage, pour l'itinéraire
Santiago-Toronto-Montréal-Lisbonne-Madrid et le 18 mars
1978, il a obtenu facilement son visa de sortie de la police de
l'aéroport. Il est clair que les autorités ne s'intéressaient pas au
requérant. La preuve, c'est qu'elles n'ont pris aucune mesure à
son égard, peut-être du fait de son absence du pays pendant
plus de quatre ans. Même lors de la demande de son premier
passeport en janvier 1974, les autorités ne lui ont créé aucune
difficulté.
Pendant les quatre années passées en Argentine, le requérant
a eu l'occasion de demander le statut de réfugié ou d'immigrant
à l'ambassade canadienne. M. Juarez a affirmé à la page 16 de
l'interrogatoire sous serment que l'un de ses frères est venu au
Canada quatre mois avant lui, un autre, le 13 mars, et que sa
soeur est arrivée il y a une semaine à titre de réfugiée. Il appert
que le requérant a été encouragé par son frère à quitter
l'Argentine et à demander le statut de réfugié au Canada.
Tenant compte de l'ensemble de la preuve, la Commission
conclut que les activités politiques de M. Juarez au Chili ont
été négligeables et qu'à son retour au Chili après une longue
absence, il n'a pas été inquiété par les autorités; la Commission
met en doute le fait que la famille du requérant aurait été,
après le départ de ce dernier pour le Canada, interrogée par
l'armée pour vérifier ses activités passées en Argentine et
l'endroit où il se trouvait.
La Commission semble avoir déduit de la preuve
devant elle que si le requérant avait eu de bonnes
raisons de croire qu'il serait persécuté, il serait
resté en Argentine. A mon avis, une telle conclu
sion ne tient pas compte du fait que le requérant
estimait que sa famille serait plus en sécurité au
Chili, étant donné les tensions politiques entre
l'Argentine et le Chili. Je trouve également révéla-
teur le fait que le requérant n'a pas quitté l'Argen-
tine avant d'être informé par son frère qu'il lui
avait obtenu des papiers lui permettant de quitter
le Chili. La Commission ne semble pas du reste
avoir tenu compte de ce que le passeport de l'inté-
ressé n'a peut-être pas été régulièrement obtenu
puisqu'il l'a été grâce à des connaissances de son
frère dans le Gouvernement. La Commission con-
clut que les autorités ne s'intéressaient pas au
requérant, puisque aucune mesure n'a été prise
contre lui dès son retour, et met en doute le fait
qu'après son départ pour le Canada sa famille ait
été interrogée par l'armée en vue de vérifier ses
activités passées en Argentine et l'endroit où il se
trouvait. Cette conclusion ne tient pas compte des
déclarations non contredites faites sous serment
par le requérant et consignées à l'alinéa 25 de sa
déclaration (dossier, page 28):
[TRADUCTION] 25. Bien que je crusse ma famille en sécurité au
Chili, ma femme écrivit pour me dire que l'armée avait com-
mencé à fouiller la maison et à l'interroger, ainsi que nos
enfants, sur mes activités en Argentine et mon lieu de rési-
dence. Elle avait eu très peur et sa santé et celle des enfants en
avaient été affectées. La lettre que j'avais reçue de ma femme
fut consignée au procès-verbal de mon interrogatoire sous
serment le 26 septembre 1978, et à ce moment-là, j'exprimai
mon intention de faire venir ma famille aussitôt que possible.
Ma famille est arrivée au Canada en décembre 1978 et ma
femme y a demandé le statut de réfugié.
La lettre susmentionnée se trouve aux pages 20 et
21 du dossier; les passages pertinents en sont ainsi
rédigés:
[TRADUCTION] Cher Pedro,
J'espère que tu vas bien. Je m'empresse de te dire que les
enfants et moi, nous ne nous portons pas bien; nos nerfs sont à
vif parce que les fusiliers marins te cherchent et m'interrogent.
Ils m'ont convoquée pour faire une déclaration. Ils m'ont
aussi demandé si, pendant les quatre années passées en Argen-
tine, tu avais eu des activités politiques. J'ignore qui les a
informés que nous arrivions d'Argentine, mais c'est à cause de
cela qu'ils viennent m'importuner. Je leur ai dit qu'en Argen-
tine, tu avais travaillé comme soudeur dans une usine de
bicyclette.
Les enfants ont peur parce qu'ils leur posent à eux aussi des
questions sur ton compte. Je te demande de ne pas revenir au
Chili, parce que si tu reviens, ils vont t'arrêter aussitôt et te
tuer, de la même manière qu'ils l'ont fait avec beaucoup
d'autres.
J'estime que la Commission a agi arbitrairement
en mettant en doute, sans justes motifs, la véracité
des déclarations sous serment du requérant sus-
mentionnées. Quand un requérant jure que certai-
nes allégations sont vraies, cela crée une présomp-
tion qu'elles le sont, à moins qu'il n'existe des
raisons d'en douter'. En l'espèce, je ne vois aucune
raison valable pour la Commission de douter de la
sincérité des allégations susmentionnées du requé-
rant.
J'estime en outre au vu de la preuve que la
Commission était mal fondée à conclure que les
activités politiques du requérant au Chili avaient
été négligeables. La déclaration sous serment du
requérant établit en effet ce qui suit:
a) Le requérant est inscrit au parti socialiste
chilien depuis 1967;
b) Il a participé activement à la campagne élec-
torale de Salvador Allende en 1969 et 1970,
distribuant des affiches électorales et des bro
chures exposant la plate-forme du parti et pre-
nant part aux manifestations en faveur d'Al-
lende;
c) Avec les autres membres de sa famille, le
requérant a érigé un grand portrait d'Allende,
orné d'ampoules de couleur, à l'extérieur de sa
maison dans la basse-ville de Valparaiso; ce
portrait a été remarqué par la plupart des cita-
dins; ledit portrait illuminé était d'ailleurs
Voir Villaroel c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, n° du greffe A-573-78, motifs prononcés le 23 mars 1979,
et plus particulièrement la note en bas de page n° 6 des motifs
du juge Pratte.
accompagné d'une représentation haute de deux
mètres du symbole électoral d'Allende.
Par ces motifs, j'en viens à la conclusion que la
demande présentée en vertu de l'article 28 doit
être accueillie, la décision de la Commission reje-
tée et l'affaire renvoyée à la Commission pour
qu'elle y donne suite conformément aux motifs.
* * *
LE JUGE RYAN: Je souscris.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY (dissident): Le
requérant, citoyen chilien, sollicite par sa demande
formée en vertu de l'article 28 l'examen de la
décision de la Commission d'appel de l'immigra-
tion de rejeter sa demande de réexamen de sa
revendication du statut de réfugié.
En 1967, le requérant devint membre du parti
socialiste chilien. Il n'eut toutefois jamais de res-
ponsabilités au sein de celui-ci.
Aux élections de 1970, le parti socialiste vint au
pouvoir et forma le gouvernement.
De 1967 jusqu'aux élections de 1970, le requé-
rant s'employa activement à défendre les intérêts
du parti.
Le 11 septembre 1973, le gouvernement socia-
liste fut renversé par un coup d'État militaire. A
cette époque, le requérant travaillait dans un hôpi-
tal. Le 13 septembre 1973, lui et cinq autres
employés de l'hôpital furent arrêtés par les auto-
rités militaires et détenus pendant huit jours; pen
dant tout ce temps, ils furent interrogés et torturés.
Entre son élargissement après huit jours de déten-
tion et le mois de décembre 1973, il déclare avoir
été interrogé et battu à cinq occasions.
Tous ces interrogatoires portaient sur ses activi-
tés politiques antérieures aux élections de 1970 et
sur ses activités en tant que membre d'une associa
tion de bienfaisance des employés de l'hôpital. Il a
soutenu que cette association ne s'occupait nulle-
ment de politique.
Le 4 janvier 1974, après avoir obtenu, sans
difficulté nous dit-il, un passeport, il partit pour
l'Argentine où, en septembre 1974, il obtint le
statut d'immigrant.
En juin 1975, sa femme et ses deux enfants l'y
rejoignirent. Le 4 février 1978, il retourna au Chili
avec sa femme et ses enfants. Le 19 mars 1978, il
vint au Canada et demanda le statut de réfugié,
laissant au Chili sa femme et ses enfants.
Durant les quatre années passées en Argentine,
il était soudeur dans une usine. A la suite du coup
d'État militaire intervenu en Argentine en mars
1976, il fut interrogé par la police sur la raison
pour laquelle il avait quitté le Chili et sur la
question de savoir s'il avait fait de la politique en
Argentine. Toutefois, après que son employeur eut
témoigné qu'il était un bon ouvrier et ne faisait pas
de politique, la police cessa de l'importuner.
Lorsqu'un agent d'immigration supérieur pro-
céda à son interrogatoire conformément à
l'article 45 de la Loi sur l'immigration de 1976,
S.C. 1976-77, c. 52, il déclara ce qui suit:
[TRADUCTION] Q. Quand avez-vous décidé de demander le
statut de réfugié au Canada?
R. Eh bien, j'ai été en Argentine parce que j'avais été
persécuté au Chili; le 4 janvier 1974, je suis parti pour
l'Argentine en raison des problèmes que j'avais au Chili
du fait de mon appartenance au parti socialiste; puis j'ai
fait venir ma famille en Argentine; je suis finalement
retourné au Chili à cause de l'arrivée au pouvoir en
Argentine d'un gouvernement militaire qui persécutait
tous les Chiliens.
Dans sa déclaration, il dit que c'était à cause de sa
crainte d'une guerre entre le Chili et l'Argentine.
A propos de l'obtention d'un passeport et d'un
visa de sortie pour quitter le Chili, il a affirmé ce
qui suit lors de son interrogatoire:
[TRADUCTION] Q. Avez-vous eu des difficultés à quitter le
Chili pour le Canada?
R. Non, parce que mes parents avaient obtenu tout ce qu'il
fallait pour moi.
Q. Quelle sorte de choses avaient-ils obtenue?
R. C'est le passeport dont j'avais déjà parlé à la TURIR
SAAR; étant donné mes problèmes au Chili et en Argen-
tine, j'avais peur qu'on ne me prenne.
Q. Avez-vous rencontré des difficultés pour obtenir votre
passeport?
R. Non.
Q. Avez-vous eu des difficultés pour obtenir le visa de sortie
du Chili?
R. Non, parce qu'il l'a obtenu pour moi, je veux dire la Turir
Saar l'a obtenu.
Q. Il a obtenu quoi pour vous, le passeport ou le visa de
sortie?
R. Eh bien, ils ont obtenu le passeport et le visa de sortie.
(La Turir Saar est une agence de voyages où il a
acheté son billet pour le Canada.)
Dans la déclaration déposée devant la Commis
sion, le requérant dit:
[TRADUCTION] Je ne sais pas exactement comment mon frère a
obtenu mon passeport, mais je sais que c'est par l'entremise de
connaissances travaillant pour le gouvernement.
Le passeport a été examiné, lors de son interro-
gatoire, par un agent d'immigration qui dit que
c'était un passeport en règle délivré par le gouver-
nement chilien.
A son interrogatoire, le requérant a également
donné les détails suivants:
[TRADUCTION] Q. Et d'Argentine vous êtes retourné au
Chili?
R. Oui, je suis retourné le 4 février 1978.
Q. Vous est-il arrivé quelque chose une fois de retour au
Chili?
R. Non, il ne m'est rien arrivé.
Q. De retour au Chili, avez-vous eu affaire à l'armée?
R. Oui.
Q. De quelle façon?
R. Ils voulaient savoir ce que j'étais allé faire en Argentine.
Je leur répondis que j'y étais allé pour travailler et que je
ne m'y étais mêlé d'aucune activité politique. Ils m'ont
ensuite demandé pourquoi j'étais revenu au Chili. J'ai
répondu que c'était à cause des problèmes entre les deux
pays, à cause du fait qu'on ne savait pas ce qui allait se
passer. C'est pourquoi j'étais revenu.
Arrivé au Canada, le requérant demanda le
statut de réfugié au sens de la Convention. L'arti-
cle 2(1) de la Loi sur l'immigration de 1976
définit ainsi l'expression «réfugié au sens de la
Convention»:
»réfugié au sens de la Convention» désigne toute personne qui,
craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de
sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un
groupe social ou de ses opinions politiques [c'est moi qui
souligne.]
Pour tomber sous le coup de la définition, le
demandeur doit établir qu'il craignait avec raison
d'être persécuté au moment où il a revendiqué le
statut de réfugié. Or, sa persécution au Chili avait
cessé en décembre 1973. Il a sans difficulté obtenu
un passeport et quitté le Chili pour l'Argentine le 4
janvier 1974. A son retour au Chili le 4 février
1978, il fut interrogé par les autorités militaires à
une occasion. Mis à part cela, il n'a été nullement
importuné, et a obtenu l'autorisation de quitter le
Chili pour le Canada le 18 mars 1978.
En Argentine, où il a vécu jusqu'à son retour au
Chili le 4 février 1978, il a eu un emploi stable,
obtenu le statut d'immigrant et construit une
maison. A part le fait qu'il a été interrogé par les
autorités militaires à la suite du coup d'Etat de
mars 1976 (interrogatoire qui a cessé après l'inter-
vention de son employeur), il n'a nullement été
inquiété lors de son séjour en Argentine.
Il ressort de la preuve que le demandeur ne
craignait nullement d'être persécuté en Argentine.
Ni lors de l'interrogation fait par l'agent d'immi-
gration, ni dans sa déclaration n'a-t-il dit qu'il
craignait d'être persécuté alors qu'il était au Chili
en février et en mars 1978. II a déclaré être venu
au Canada parce qu'il avait peur d'une guerre
entre le Chili et l'Argentine. Même si cette crainte
était bien fondée, il ne serait pas en droit de
revendiquer le statut de réfugié, parce que le fait
d'appréhender une guerre ne constitue pas un
motif de persécution prévu dans la définition de
«réfugié».
A l'appui de sa demande, le demandeur a versé
au dossier une lettre qu'il a reçue de sa femme en
juillet 1978, et dans laquelle celle-ci lui dit qu'elle
a été interrogée par les fusiliers marins sur les
activités politiques de son mari en Argentine. Voici
un extrait de sa lettre:
[TRADUCTION] Les enfants ont peur parce qu'ils leur posent
à eux aussi des questions sur ton compte. Je te demande de ne
pas revenir au Chili, parce que si tu reviens, ils vont t'arrêter
aussitôt et te tuer ....
Cette lettre a été écrite après que son mari eut
été établi au Canada depuis quelques mois et à un
moment où elle savait que celui-ci demandait le
statut de réfugié et n'avait nullement l'intention de
retourner au Chili. Rien ne justifie sa peur que son
mari ne soit tué s'il retourne au Chili. De plus,
c'est le demandeur et non sa femme qui doit avoir
une crainte bien fondée d'être persécuté.
L'avocat du requérant soutient que la Commis
sion a erré en droit en affirmant ce qui suit dans
les motifs de sa décision:
[TRADUCTION] Par ses expériences acquises depuis presque
six ans, la Commission sait que, pour obtenir au Chili un
passeport valide, une personne doit tout d'abord obtenir de la
police locale ce qu'on appelle un certificat de bonnes vie et
moeurs; après l'obtention de ce document et munie de sa carte
d'identité, elle doit s'adresser au bureau d'enregistrement pour
se procurer une formule; quand le passeport est prêt, le requé-
rant doit signer ces documents et y apposer ses empreintes
digitales ....
J'estime que la Commission était en droit de
prendre en compte ces faits. C'est là des connais-
sances acquises dans l'accomplissement de sa mis
sion, lors de l'audition de témoignages faits sous
serment sur ces points dans d'autres affaires dont
elle a été saisie.
Elle connaissait personnellement, non pas les
faits en question, mais les témoignages sous ser-
ment établissant ces faits.
En ce qui concerne les réfugiés, les procédures
ont le caractère d'une enquête plutôt que d'un
procès, et les règles de preuve applicables aux
procès ne s'appliquent pas aux procédures devant
la Commission. Les dispositions de l'article
65(2)c) de la Loi sur l'immigration de 1976 sont
on ne peut plus claires sur ce point:
La Commission ... peut
c) recevoir, au cours d'une audition, toute preuve supplémen-
taire qu'elle considère digne de foi et pertinente.
Si les règles sur la recevabilité des preuves appli-
cables au procès avaient été appliquées en l'espèce,
le demandeur n'aurait pas pu produire la lettre de
sa femme.
C'était une preuve par ouï-dire et qui semble de
circonstance, et l'auteur de la lettre n'était pas là
pour être soumis à un contre-interrogatoire.
C'était à la Commission de déterminer la valeur
des déclarations consignées dans la lettre.
Les circonstances entourant la délivrance de
passeports au Chili se rapportaient directement à
la question de la crédibilité.
Le demandeur a donné diverses versions de la
manière dont il a obtenu son passeport. Tantôt il
soutient qu'il l'a obtenu de son frère; tantôt il
prétend qu'il a obtenu et le passeport et le visa de
sortie de l'agence de voyages où il a acheté son
billet. Il n'a pas expliqué quand, où et comment sa
signature, sa photo et ses empreintes digitales ont
été apposées sur le passeport.
Dans l'affaire Maslej c. Le ministre de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration [1977] 1 C.F. 194, le
juge Urie, parlant au nom de la Cour, dit aux
pages 197 et 198:
L'avocat de la demanderesse reproche en second lieu au
groupe de membres de la Commission formant quorum d'avoir
inclus l'expression suivante dans les motifs de sa décision:
[TRADUCTION] Il est notoire qu'il existe en Pologne des
milliers de polonais d'origine ukrainienne et tous ces ukrai-
niens ne courent certainement pas le risque d'être persécutés.
On peut statuer rapidement sur ces prétentions en faisant
remarquer qu'un tribunal ne peut aborder un problème avec un
esprit collectif absolument exempt de connaissances générales,
communes à d'autres membres de la société et acquises par
expérience individuelle, y compris, et c'est peut-être le plus
important, les connaissances acquises par les membres du tribu
nal à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. Nous pensons
que la déclaration de la Commission, dont se plaint la deman-
deresse, entre dans cette catégorie.
En l'espèce, du fait que le parti socialiste a
gagné l'élection au Chili en 1970, il est raisonnable
de conclure qu'une grande partie de la population
était composée de socialistes et qu'il était donc
impossible de persécuter tous les socialistes. Et
bien que beaucoup d'entre eux aient apparemment
été persécutés en 1973, celui qui revendique le
statut de réfugié doit prouver que lui, personnelle-
ment, craignait avec raison d'être persécuté en
1978.
Le requérant dit au paragraphe 28 de sa
déclaration:
[TRADUCTION] Au reçu du refus du comité consultatif sur le
statut de réfugié, j'ai demandé une copie du procès-verbal de
l'audition (son interrogatoire) et je l'ai faite traduire.
Je me rends compte qu'il existe des ambiguïtés et des incohé-
rences dont je n'étais pas conscient à l'époque.
Un exemple d'incohérence: il affirme à un endroit
être venu au Canada pour demander le statut de
réfugié parce qu'il craignait d'être persécuté au
Chili du fait qu'il était socialiste, alors qu'à un
autre il dit que c'était à cause de sa crainte d'être
persécuté en Argentine. Dans son interrogatoire
sous serment et dans sa déclaration, il assure par
contre être venu au Canada parce qu'il avait peur
d'une guerre entre l'Argentine et le Chili.
En conclusion de ses motifs, la Commission dit:
[TRADUCTION] Tenant compte de l'ensemble de la preuve, la
Commission conclut que les activités politiques de M. Juarez au
Chili ont été négligeables et qu'à son retour au Chili après une
longue absence, il n'a pas été inquiété par les autorités; la
Commission met en doute le fait que la famille du requérant
aurait été après le départ de ce dernier pour le Canada,
interrogée par l'armée pour vérifier ses activités passées en
Argentine et l'endroit où il se trouvait.
Eu égard à la preuve dans son ensemble, la Commission
n'estime pas que le requérant pourra vraisemblablement établir
à l'audition le bien-fondé de sa demande, et refuse par consé-
quent de permettre que celle-ci suive son cours; elle décide que
M. Juarez n'est pas un réfugié au sens de la Convention.
J'estime que compte tenu des éléments de preuve
dont elle disposait, la Commission était fondée à
en arriver à cette conclusion. Par ces motifs aussi
bien que par ceux énoncés par la Commission, je
rejette la demande.
J'annexe aux présentes copie des articles perti-
nents de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C.
1976-77, c. 52.
STATUTS DU CANADA
1976-1977
Immigration, 1976
Reconnaissance du statut de réfugié
45. (1) Une enquête, au cours de laquelle la personne en
cause revendique le statut de réfugié au sens de la Convention,
doit être poursuivie. S'il est établi qu'à défaut de cette revendi-
cation, l'enquête aurait abouti à une ordonnance de renvoi ou à
un avis d'interdiction de séjour, elle doit être ajournée et un
agent d'immigration supérieur doit procéder à l'interrogatoire
sous serment de la personne au sujet de sa revendication.
(2) Après l'interrogatoire visé au paragraphe (1), la revendi-
cation, accompagnée d'une copie de l'interrogatoire, est trans-
mise au Ministre pour décision.
(3) Une copie de l'interrogatoire visé au paragraphe (1) est
remise à la personne qui revendique le statut de réfugié.
(4) Le Ministre, saisi d'une revendication conformément au
paragraphe (2), doit la soumettre, accompagnée d'une copie de
l'interrogatoire, à l'examen du comité consultatif sur le statut
de réfugié institué par l'article 48. Après réception de l'avis du
comité, le Ministre décide si la personne est un réfugié au sens
de la Convention.
(5) Le Ministre doit notifier sa décision par écrit, à l'agent
d'immigration supérieur qui a procédé à l'interrogatoire sous
serment et à la personne qui a revendiqué le statut de réfugié.
(6) Toute personne faisant l'objet de l'interrogatoire visé au
paragraphe (1) doit être informée qu'elle a droit aux services
d'un avocat, d'un procureur ou de tout autre conseil pour la
représenter et il doit lui être donné la possibilité de choisir un
conseil, à ses frais.
46. (1) L'agent d'immigration supérieur, informé conformé-
ment au paragraphe 45(5) que la personne en cause n'est pas
un réfugié au sens de la Convention, doit faire reprendre
l'enquête, dès que les circonstances le permettent, par l'arbitre
qui en était chargé ou par un autre arbitre, à moins que la
personne en cause ne demande à la Commission, en vertu du
paragraphe 70(1), de réexaminer sa revendication; dans ce cas,
l'enquête est ajournée jusqu'à ce que la Commission notifie sa
décision au Ministre.
(2) L'arbitre chargé de poursuivre l'enquête en vertu du
paragraphe (1), doit, comme si la revendication du statut de
réfugié n'avait pas été formulée, prononcer le renvoi ou l'inter-
diction de séjour de la personne
a) à qui le Ministre n'a pas reconnu le statut de réfugié au
sens de la Convention, si le délai pour demander le réexamen
de sa revendication prévu au paragraphe 70(1) est expiré; ou
b) à qui la Commission n'a pas reconnu le statut de réfugié
au sens de la Convention.
47. (1) L'agent d'immigration supérieur, informé que le
Ministre ou la Commission a reconnu, à la personne qui le
revendique, le statut de réfugié au sens de la Convention, doit
faire reprendre l'enquête soit par l'arbitre qui en était chargé,
soit par un autre arbitre qui détermine si la personne en cause
remplit les conditions prévues au paragraphe 4(2).
(2) L'arbitre doit prononcer le renvoi ou l'interdiction de
séjour du réfugié au sens de la Convention qui, selon lui, ne
remplit pas les conditions prévues au paragraphe 4(2).
48. (1) Est institué le comité consultatif sur le statut de
réfugié, chargé de conseiller le Ministre en matière de revendi-
cation du statut de réfugié au sens de la Convention.
(2) Le Ministre nomme, en qualité de membres du comité
consultatif sur le statut de réfugié, les personnes qu'il juge
qualifiées.
PARTIE IV
APPELS
Institution de la Commission
59. (1) Est instituée la Commission d'appel de l'immigra-
tion ayant compétence exclusive, en matière d'appels visés aux
articles 72, 73 et 79 et en matière de demande de réexamen
visée à l'article 70, pour entendre et juger sur des questions de
droit et de fait, y compris des questions de compétence, relati
ves à la confection d'une ordonnance de renvoi ou au rejet d'une
demande de droit d'établissement présentée par une personne
appartenant à la catégorie de la famille.
65. (I) La Commission est une cour d'archives; elle a un
sceau officiel dont l'authenticité est admise d'office.
(2) La Commission a, en ce qui concerne la présence, la
prestation de serment et l'interrogatoire des témoins, la produc
tion et l'examen des documents, l'exécution de ses ordonnances,
et toute autre question relevant de sa compétence, tous les
pouvoirs, droits et privilèges d'une cour supérieure d'archives et
peut notamment
a) adresser à toute personne une citation l'enjoignant à
comparaître aux date et lieu indiqués pour témoigner sur
toutes questions pertinentes à la contestation et dont elle a
connaissance, et à apporter et produire tout document, livre
ou écrit en sa possession ou sous sa responsabilité et se
rapportant à cette contestation;
b) faire prêter serment et interroger toute personne sous
serment; et
c) recevoir, au cours d'une audition, toute preuve supplémen-
taire qu'elle considère digne de foi et pertinente.
(3) La Commission peut et, sur demande de l'une des parties
à un appel visé aux articles 72 ou 73, elle doit faire part des
motifs de sa décision.
Demandes de réexamen et appels
70. (1) La personne qui a revendiqué le statut de réfugié au
sens de la Convention et à qui le Ministre a fait savoir par écrit,
conformément au paragraphe 45(5), qu'elle n'avait pas ce
statut, peut, dans le délai prescrit, présenter à la Commission
une demande de réexamen de sa revendication.
(2) Toute demande présentée à la Commission en vertu du
paragraphe (1) doit être accompagnée d'une copie de l'interro-
gatoire sous serment visé au paragraphe 45(1) et contenir ou
être accompagnée d'une déclaration sous serment du deman-
deur contena nt
a) le fondement de la demande;
b) un exposé suffisamment détaillé des faits sur lesquels
repose la demande;
e) un résumé suffisamment détaillé des renseignements et
des preuves que le demandeur se propose de fournir à l'audi-
tion; et
d) toutes observations que le demandeur estime pertinentes.
71. (1) La Commission, saisie d'une demande visée au para-
graphe 70(2), doit l'examiner sans délai. A la suite de cet
examen, la demande suivra son cours au cas où la Commission
estime que le demandeur pourra vraisemblablement en établir
le bien-fondé à l'audition; dans le cas contraire, aucune suite
n'y est donnée et la Commission doit décider que le demandeur
n'est pas un réfugié au sens de la Convention.
(3) La Commission, après s'être prononcée sur le statut du
demandeur, en informe par écrit le Ministre et le demandeur.
(4) La Commission peut et, à la requête du demandeur ou
du Ministre, doit motiver sa décision.
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