A-685-79
P. R. Andrews (Appelant)
c.
G. Gail Brent, la Commission des relations de
travail dans la Fonction publique et le procureur
général du Canada (Intimés)
Cour d'appel, le juge en chef Thurlow, les juges
Urie et Ryan—Ottawa, 16 et 28 mai 1980.
Fonction publique — Relations de travail — Appel de la
décision par laquelle la Division de première instance a
accordé un bref de prohibition interdisant à l'arbitre d'ins-
truire l'affaire — L'appelant a été impliqué dans un accident
qui a causé des dommages à un véhicule appartenant à la
Couronne — L'enquête a établi que l'accident était imputable
à la seule négligence de l'appelant, et une partie de la perte a
été réclamée à ce dernier conformément à la Loi — Le conseil
du Trésor a recommandé un prélèvement sur le salaire de
l'appelant; ce dernier a alors déposé un grief qui a échoué; il a
renvoyé par la suite l'affaire à l'arbitrage — L'arbitre s'est
déclarée compétente, mais le juge de première instance en a
jugé autrement — La question est de savoir si la mesure de
recouvrement, de la part de l'employeur, d'une partie de la
perte constituait une mesure disciplinaire entraînant une peine
pécuniaire au sens de l'art. 91(1)b) de la Loi sur les relations
de travail dans la Fonction publique — Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art.
90, 91(1)b) — Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970,
c. F-10, art. 6, 95(1) — Décret sur les réclamations relatives à
la Défense nationale, 1970, DORS/70-427, art. 11, 12, 13, 15,
16(3), 17(1)b),(2) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e
Supp.), c. 10, art. 18.
Un véhicule appartenant à la Couronne et conduit par l'appe-
lant dans l'exercice de ses fonctions fut endommagé dans un
accident. Par la suite, une enquête à laquelle l'appelant ne fut
ni entendu ni appelé permit d'établir que l'accident était uni-
quement dû à la négligence de l'appelant. Une demande de
remboursement fut signifiée à l'appelant et celui-ci fut invité à
donner les raisons pour lesquelles la somme réclamée ne devrait
pas, en application du Décret sur les réclamations relatives à la
Défense nationale, 1970, être déduite de son salaire. L'appelant
ayant refusé de s'exécuter, le sous-procureur général conclut
qu'il était débiteur envers la Couronne, au sens du paragraphe
95(1) de la Loi sur l'administration financière, et le conseil du
Trésor ordonna que la somme due soit déduite du salaire de
l'appelant. Ce dernier déposa alors un grief qui échoua et qu'il
soumit par la suite à l'arbitrage. L'arbitre jugea que la mesure
attaquée tombait sous le coup de l'article 91 de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique et qu'elle avait
compétence pour connaître de l'affaire. Le juge de première
instance conclut le contraire et accorda un bref de prohibition
lui interdisant d'instruire l'affaire. La question est de savoir si
la mesure attaquée entraînait une peine pécuniaire.
Arrêt: l'appel est rejeté. Il s'agit d'un cas où la Couronne a
recouru à la mesure administrative prévue par la loi en vue de
recouvrer une dette civile dont, aux yeux de la Couronne, un
employé s'est rendu débiteur envers elle du fait de sa négligence
et de recouvrer cette dette par voie de prélèvement sur le salaire
de l'intéressé. Le montant de la dette une fois établi conformé-
ment à la procédure ne constitue pas une peine. Il n'a nullement
le caractère d'une sanction. Il s'agit simplement d'une somme
exigible que la Couronne revendique. La responsabilité défini-
tive de l'appelant quant au montant en cause n'est encore
qu'une prétention. L'obligation de l'appelant n'existera que
lorsqu'elle aura été établie par un tribunal compétent soit dans
une action en recouvrement de la perte subie par la Couronne,
soit dans une action en recouvrement de salaire intentée par
l'appelant. Cette mesure n'entraîne pas une peine pécuniaire ou
une peine quelconque. L'avocat de l'appelant a insisté sur la
nature et l'objet de la Loi et sollicité la Cour de l'interpréter
largement, de façon à accorder à l'appelant le droit de saisir
l'arbitre de la question en litige. Dans les cas visés à l'alinéa
91(1)b), il s'agit de mesures punitives pour les infractions aux
règles régissant le travail de l'employé. En adoptant l'article 91,
le Parlement n'a pas conféré le pouvoir de trancher les litiges
portant sur cette responsabilité aux arbitres nommés en vertu
de la Loi, mais aux tribunaux de droit commun compétents en
la matière.
Arrêts mentionnés: United Electrical, Radio & Machine
Workers, Local 524, re Canadian General Electric Co.,
Ltd. 5 Lab. Arb. Cas. 1939; Le procureur général du
Canada c. Grégoire [1978] 2 C.F. 11.
APPEL.
AVOCATS:
M. W. Wright, c.r. pour l'appelant.
B. R. Evernden pour les intimés.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg,
O'Grady, Morin, Ottawa, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Le litige dans le
présent appel porte sur la question de savoir si la
mesure prise pour le compte de la Couronne en vue
du recouvrement d'une partie de la perte que
l'appelant, un fonctionnaire de la Couronne, a
causée du fait de sa négligence dans l'exercice de
ses fonctions, constitue une «mesure disciplinaire
entraînant ... une peine pécuniaire» au sens de
l'alinéa 91(1)b) de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c.
P-35.' Dans l'affirmative, l'appelant pouvait ren-
voyer son grief à l'arbitrage. 2 L'arbitre a décidé
qu'il s'agissait d'une mesure disciplinaire entraî-
nant une peine pécuniaire et conclu à sa compé-
tence. Toutefois, sur une requête introduite en
application de l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, la Division
de première instance en a jugé autrement et a
accordé un bref de prohibition. 3 Ce jugement fait
l'objet du présent appel.
L'employeur prit la mesure en question â la
suite d'un accident d'automobile dans lequel fut
impliqué l'appelant alors qu'il conduisait un véhi-
cule appartenant à la Couronne et qu'il était au
service du ministère de la Défense nationale. Cet
accident causa pour $1,357.29 de dommages au
véhicule.
•
A l'époque en cause était en vigueur le Décret
sur les réclamations relatives à la Défense natio-
nale, 1970 4 , pris par le conseil du Trésor en appli
cation de l'article 6 de la Loi sur l'administration
financière, S.R.C. 1970, c. F-10. Le décret pré-
voyait une procédure administrative relative aux
réclamations contre la Couronne et à celles que la
Couronne peut avoir contre des officiers, des mili-
taires et des fonctionnaires au service du ministère
de la Défense nationale, que ces réclamations
soient nées ou non à l'occasion de l'exercice de
leurs fonctions. En cas de réclamation par la Cou-
ronne, la procédure aboutit à une demande de
remboursement de la totalité ou d'une partie de la
perte subie. Le décret contenait les dispositions
suivantes:
' 91. (1) Lorsqu'un employé a présenté un grief jusqu'au
dernier palier de la procédure applicable aux griefs inclusive-
ment, au sujet
a) de l'interprétation ou de l'application, en ce qui le con-
cerne, d'une disposition d'une convention collective ou d'une
décision arbitrale, ou
b) d'une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la
suspension ou une peine pécuniaire,
et que son grief n'a pas été réglé d'une manière satisfaisante
pour lui, il peut renvoyer le grief à l'arbitrage.
2 A l'audience, l'appelant s'est désisté de la prétention, conte-
nue dans son mémoire, selon laquelle l'arbitre avait compétence
en application de l'alinéa 91(1)a).
3 [1980] 1 C.F. 833.
4 DORS/70-427.
RÉCLAMATIONS CONTRE DES FONCTIONNAIRES, DES
OFFICIERS ET DES HOMMES QUI AGISSENT DANS LES LIMITES
DE LEURS FONCTIONS
15. Lorsque l'opinion donnée par une autorité mentionnée à
l'article 12 énonce que
a) la Couronne a une réclamation à faire valoir contre un
fonctionnaire, un officier ou un homme
(i) à la suite de la mort d'un fonctionnaire, d'un officier ou
d'un homme, ou de blessures à un fonctionnaire, un offi-
cier ou un homme, ou
(ii) dans le cas d'un fonctionnaire, à la suite de la perte de
biens publics ou du dommage à des biens publics qui sont
sous le contrôle ou l'administration du Ministère,
b) que la réclamation découle d'un incident impliquant la
négligence du fonctionnaire, de l'officier ou de l'homme alors
qu'il agissait dans les limites de ses fonctions, et
c) que sa négligence n'était pas une négligence mineure,
une demande de paiement doit être faite au fonctionnaire, à
l'officier ou à l'homme sur la même base et dans la même
proportion, eu égard au montant en cause, que celles établies à
la partie V.
Quant à l'opinion et à la demande de paiement
dont il est fait mention dans l'article précédent, les
articles 11, 12 et 13 portaient que:
Opinion
11. Une opinion doit être obtenue à l'égard d'une réclamation
par la Couronne mentionnée au paragraphe 10(2), savoir
a) si la Couronne a droit à une réclamation;
b) si la Couronne a légalement droit de recouvrer la totalité
des dommages qu'elle a subis; et
c) l'opinion obtenue à l'égard de l'alinéa b) étant négative,
quel est le montant de dommages que la Couronne a légale-
ment droit d'exiger, en tenant compte des dommages récla-
més et, s'il y a lieu, du partage de la responsabilité avec un
fonctionnaire, un officier ou toute personne qui peut être
impliqué.
Autorité pour donner les opinions
12. L'opinion mentionnée à l'article 11 est donnée
a) par une autorité locale,
(i) lorsque le montant des dommages en cause ne dépasse
pas mille dollars, ou
(ii) lorsque plus d'une réclamation découle du même inci
dent et que le montant global des dommages en cause ne
dépasse pas deux mille dollars;
b) par le juge-avocat général,
(i) lorsque le montant des dommages en cause ne dépasse
pas cinq mille dollars, ou
(ii) lorsque plus d'une réclamation découle du même inci
dent et que le montant global des dommages en cause ne
dépasse pas huit mille dollars;
c) par le sous-procureur général du Canada, lorsque le
montant des dommages en cause dépasse les limites établies à
l'alinéa b).
Demande de paiement
13. (1) Lorsqu'une opinion énonce que la Couronne a un
droit de réclamation, une demande de paiement doit être faite
par le Ministère pour un montant qui ne doit pas être inférieur
à celui auquel la Couronne a légalement droit.
(2) Lorsque le paiement mentionné au paragraphe (1) n'est
pas effectué dans un délai raisonnable, l'affaire doit être sou-
mise au juge-avocat général ou au sous-procureur général du
Canada, selon le cas, pour qu'il y soit donné suite.
En vertu de la Partie V, le montant à rembour-
ser dans le cas de dommages excédant $500 et
découlant de la négligence d'un fonctionnaire dans
la conduite d'un véhicule motorisé était de $125 ou
le cinquième du montant en cause, en prenant le
montant le plus élevé, celui-ci ne pouvant cepen-
dant pas dépasser $250. En application du para-
graphe 16(2), le conseil du Trésor pouvait ordon-
ner qu'un montant inférieur au montant prescrit
soit exigé ou qu'aucun montant ne soit exigé. Le
paragraphe 16(3) prévoyait ceci:
16....
(3) Une demande de remboursement en vertu du présent
article doit être faite et appuyée de la manière suivante:
a) une demande écrite est adressée au fonctionnaire, à
l'officier ou à l'homme par les autorités administratives
concernées, comprenant, s'il y a lieu, un énoncé des motifs
pour lesquels sa négligence est jugée n'être pas une négli-
gence mineure.
b) lorsqu'un fonctionnaire néglige de prendre des dispositions
en vue d'effectuer le paiement dans un délai de trente jours,
l'affaire doit, sauf instruction contraire du Ministre, être
soumise au sous-procureur général du Canada, afin d'obtenir
son avis quant aux mesures à prendre pour assurer le
paiement;
c) lorsque la demande est adressée à un officier ou un
homme, elle doit exiger qu'il expose, dans un délai de sept
jours à compter de sa réception, les raisons pour lesquelles
déduction du montant de la demande ne devrait pas être faite
sur son compte de solde;
L'article 17 de la Partie VI portait que:
17. (1) Lorsque se produit un fait ayant pour résultat
b) la perte de biens publics ou des dommages à des biens
publics qui relèvent du contrôle et de l'administration du
Ministère;
le Commandant de l'unité ou de l'établissement de défense
concerné doit faire procéder immédiatement à une enquête.
(2) L'enquête mentionnée au paragraphe (1) doit être menée
de la façon que le juge-avocat général indique par des directives
générales ou spéciales, et peut se poursuivre de concert avec
toute enquête exigée par les règlements établis en vertu de la
Loi sur la Défense nationale.
Les deux parties admettent qu'à la suite de
l'accident, il y eut une enquête officielle, à laquelle
l'appelant ne fut ni entendu ni appelé. A l'issue de
cette enquête, le lieutenant-colonel Murphy, direc-
teur juridique (réclamations) du bureau du juge-
avocat général, conclut dans son rapport que l'ap-
pelant avait fait preuve, au moment de l'accident,
d'une [TRADUCTION] «négligence qui n'est pas
mineure» dans la conduite du véhicule concerné et
que cette négligence était la seule cause de l'acci-
dent. Par la suite, en application de l'article 16
précité, une demande de remboursement de $250,
pour une partie du coût des réparations qu'avait
payées Sa Majesté, fut signifiée à l'appelant. Ce
dernier y était aussi invité à exposer les raisons
pour lesquelles cette somme ne devrait pas être
déduite de son salaire.
En réponse à la demande, l'appelant écrivit deux
lettres dans lesquelles il contestait les conclusions
du rapport du lieutenant-colonel Murphy. Il se
plaignait aussi de ce qu'il n'avait pas été entendu
ou appelé lors de l'enquête tenue par le bureau du
juge-avocat général et sollicitait la tenue d'une
audition officielle pour faire toute la lumière sur la
situation.
Malgré la réponse et la requête de l'appelant, le
directeur juridique (réclamations) confirma les
conclusions du rapport de l'enquête et lui demanda
de rembourser volontairement $250. L'appelant
refusant de s'exécuter, on sollicita le sous-procu-
reur général de donner son avis sur la question de
savoir si l'appelant était débiteur de la Couronne
pour cette somme au sens du paragraphe 95(1) de
la Loi sur l'administration financière. Le sous-pro-
cureur général exprima l'avis que, à la lumière des
renseignements fournis, l'appelant était débiteur
de la Couronne pour la somme de $250 au sens du
paragraphe susmentionné. Suite à quoi le conseil
du Trésor ordonna que cette somme soit déduite
du salaire de l'appelant.
En vertu de l'article 90 de la Loi sur les rela
tions de travail dans la Fonction publique, l'appe-
lant déposa un grief contestant «la demande de
remboursement» dont il faisait l'objet. Après avoir
épuisé la procédure de règlement des griefs sans
succès, il renvoya son grief à l'arbitrage en vertu
de l'article 91 de cette Loi. Le grief, tel qu'il est
formulé, ne fait nullement état de ce que la mesure
prise était «une mesure disciplinaire entraînant ...
une peine pécuniaire», mais, dans une lettre jointe
au renvoi à l'arbitrage, il est déclaré que: [TRA-
DUCTION] «Le présent grief s'attaque à une
mesure disciplinaire». 5 Les parties furent alors avi-
sées que l'employeur contesterait la compétence de
l'arbitre aux motifs que l'employeur n'avait pris
aucune mesure disciplinaire contre l'appelant et
que, par conséquent, le grief ne pouvait être ren-
voyé à l'arbitrage en vertu de l'article 91 de la Loi
sur les relations de travail dans la Fonction publi-
que. A l'issue d'une audition sur cette contestation,
l'arbitre conclut que la mesure prise par l'em-
ployeur tombait sous le coup de l'article 91 et se
déclara compétente.
A l'époque en cause, il existait un National
Defence Code of Employee Discipline où étaient
prévues certaines infractions, notamment la négli-
gence dans l'exécution de fonctions, et les sanc
tions de ces infractions, sanctions comprenant
notamment la suspension et le congédiement. Tou-
tefois, aucune peine pécuniaire n'y était prévue.
Les deux parties admettent qu'en l'espèce, ces
dispositions, prises en vertu de la Loi sur l'admi-
nistration financière, n'ont pas été invoquées
contre l'appelant.
Si je comprends bien, la décision de l'arbitre
repose sur le fait qu'elle estime que (à la page 44
du dossier) la réclamation de $250 devant être
déduite du salaire de l'appelant est une mesure
disciplinaire puisqu'elle a été prise à la suite d'un
prétendu [TRADUCTION] «agissement coupable» de
la part de l'appelant ayant entraîné une peine
pécuniaire (de $250) au sens de l'alinéa 91(1)b) de
la Loi sur les relations de travail dans la Fonction
publique.
En accueillant la demande de prohibition, le
juge de première instance a toutefois statué que la
mesure prise par l'employeur n'était pas une
mesure disciplinaire et n'avait pas entraîné une
5 Pas plus en première instance qu'en appel ne fut soulevée la
question de savoir si l'appelant avait le droit de présenter son
grief à l'arbitre comme portant sur une mesure disciplinaire.
peine pécuniaire, mais qu'il s'agissait simplement
d'une procédure de recouvrement d'une dette due
par l'appelant.
A mon avis, la façon la plus simple d'aborder la
question consiste à déterminer si la mesure prise a
entraîné «une peine pécuniaire». L'expression
«mesure disciplinaire entraînant ... une peine
pécuniaire» a clairement une portée plus restreinte
que celle de l'expression «mesure entraînant une
peine pécuniaire», et si on répond à la question
posée par la négative, le débat est clos. Je n'insiste
pas sur le fait que la procédure prévue au National
Defence Code of Employee Discipline n'a pas été
engagée ou invoquée. Si on l'avait invoquée et si
elle avait abouti à une suspension, à un congédie-
ment ou à quelque autre sanction de moindre
importance, il s'agirait à l'évidence d'une mesure
disciplinaire. Je tiendrais cette mesure comme
mesure disciplinaire si ce que l'on a imposé à
l'issue de l'enquête avait été une suspension ou un
congédiement, quand bien même cette décision
aurait pu être mal à propos.
Toutefois, rien de tel ne s'est produit en l'espèce.
Il s'agit d'un cas où la Couronne a recouru à la
mesure administrative prévue par la loi en vue de
recouvrer une dette civile dont, aux yeux de la
Couronne, un employé s'est rendu débiteur envers
elle du fait de sa négligence, et de recouvrer cette
dette par voie de prélèvement sur le salaire de
l'intéressé. Le montant de la dette une fois établi
conformément à la procédure ne constitue pas, à
mon avis, une peine. Il n'a nullement le caractère
d'une sanction. Il s'agit d'une somme exigible que
la Couronne revendique et qu'elle cherche à recou-
vrer par voie de prélèvement sur le salaire de
l'employé, conformément aux règlements applica-
bles, qui doivent être considérés comme faisant
partie intégrante des conditions d'engagement de
l'employé. Pour la Couronne, il s'agit d'un moyen
expéditif de recouvrer ce qu'elle prétend que l'em-
ployé doit. Toutefois, ce moyen n'est pas plus
expéditif que celui qu'un employé pourrait atten-
dre d'un employeur dont les biens ont subi des
dommages et qui est convaincu que ces dommages
sont attribuables à la faute commise par l'employé
dans l'exercice de ses fonctions. En l'espèce, l'avis
de la réclamation, les motifs de celle-ci et le mon-
tant demandé ont été signifiés à l'employé. Ce
dernier a été invité à exposer, par écrit, les raisons
pour lesquelles le montant en cause ne devrait pas
être déduit de son salaire. Il a en outre été prévenu
qu'en l'absence de raisons jugées suffisantes, des
mesures seraient prises pour déduire ce montant de
son salaire. Dans sa réponse, l'appelant a contesté
la procédure suivie, mais il n'a rien soulevé qui
tende à prouver qu'il n'était pas responsable du
dommage causé à la Couronne. L'affaire fut
ensuite soumise au sous-procureur général en vue
d'obtenir son opinion et, subséquemment, le conseil
du Trésor autorisa la déduction du montant en
cause du salaire de l'appelant. Jusque-là, je ne vois
rien qui établisse définitivement la responsabilité
de l'appelant quant au montant en cause. Il s'agit
encore d'une prétention. Même si le montant est
déduit, rien de définitif n'a été décidé. L'obligation
pour l'appelant de verser le montant en cause
n'existera que lorsque, à supposer qu'il n'y ait
aucun accord là-dessus, sa responsabilité aura été
établie par un tribunal compétent soit dans une
action en recouvrement de la perte subie par la
Couronne, soit dans une action en recouvrement de
salaire intentée par l'appelant. A mon avis, cette
mesure n'entraîne pas une peine pécuniaire ou une
peine quelconque.
La distinction entre une mesure de ce genre et
l'imposition d'une peine pécuniaire a été reconnue
dans l'affaire United Electrical, Radio & Machine
Workers, Local 524, re Canadian General Electric
Co., Ltd. 6 , où Bora Laskin, le président de la
commission d'arbitrage (tel était alors son titre) a
déclaré:
[TRADUCTION] II est important de reconnaître la différence
entre une mesure disciplinaire entraînant une sanction qui ne
représente pas une réparation ou une indemnisation de la perte
subie par la compagnie et une mesure compensatrice visant à
contrebalancer une perte causée par un employé. Se rangent
dans cette dernière catégorie les décisions de quelques commis
sions d'arbitrage qui ont reconnu à l'employeur le droit d'exiger
que les travailleurs aux pièces refassent leur travail peu soigné
en dehors des heures normales de travail. Quant à la négligence
dont fait preuve un employé dans son travail, un employeur a,
bien entendu, la faculté d'imposer une mesure disciplinaire
n'ayant pas de caractère compensateur ou d'exiger que l'em-
ployé remédie à la situation au moyen de dommages-intérêts ou
de réparation. Qu'un employeur impose à la fois une mesure
disciplinaire ayant le caractère d'une peine et une indemnisa-
tion est une question à laquelle cette commission estime qu'elle
n'a pas à répondre en l'espèce.
6 5 Lab. Arb. Cas. 1939, à la page 1942.
Cette distinction semble aussi implicite dans le
raisonnement de cette Cour dans l'affaire Le pro-
cureur général du Canada c. Grégoire', où le juge
en chef Jackett a déclaré:
Une chose est évidente. On n'a jamais accusé l'intimé pour
n'avoir pas rendu compte de l'argent ou d'autres valeurs mobi-
lières confiés à sa possession. En outre, il n'est pas évident que
le prélèvement fait sur le salaire de l'intimé soit basé sur une
négligence qu'il aurait commise dans l'exécution de ses fonc-
tions. Au contraire, les faits constatés par l'arbitre rendraient
invraisemblable une telle allégation.
L'avocat de l'appelant a insisté sur la nature et
l'objet de la Loi et sollicité la Cour de l'interpréter
largement, de façon à accorder à l'appelant le droit
de saisir l'arbitre de la question en litige. Dans un
cas douteux, il se peut qu'une telle mesure per-
mette à l'auteur du grief d'obtenir satisfaction,
mais je ne pense pas que l'utilité (si utilité il y a)
de saisir un arbitre plutôt que le tribunal compé-
tent d'un litige mineur comme celui en l'espèce
permette d'étendre ce qui semble, d'après les
textes, les limites du droit d'un plaignant de sou-
mettre un litige à l'arbitrage et du pouvoir de
l'arbitre de statuer sur le grief.
Le droit d'un employé de renvoyer son grief à
l'arbitrage se limite aux plaintes concernant:
a) l'interprétation ou l'application, en ce qui le
concerne, d'une disposition d'une convention col
lective ou d'une décision arbitrale;
b) et l'imposition par un employeur, pour les
infractions aux règles régissant l'employé, d'une
mesure disciplinaire entraînant le congédiement,
la suspension ou une peine pécuniaire.
Dans les cas visés en a), ce sont les droits du
plaignant aux termes de la convention collective ou
de la décision arbitrale qui sont en cause. Selon la
Loi considérée dans son ensemble, les litiges rela-
tifs à ces droits relèvent des tribunaux spéciaux
institués par la Loi pour régler toute question
litigieuse découlant de conventions collectives et de
décisions arbitrales.
Dans les cas visés en b), il s'agit, à mon avis, de
mesures punitives pour les infractions aux règles
régissant le travail de l'employé. Ces cas relèvent
7 [1978] 2 C.F. 11, à la page 12.
également des tribunaux spéciaux.
Ces deux catégories de sujets sont vastes. Mais
pour vastes qu'elles soient, à mon avis, elles n'en-
globent pas et ne visent pas à englober les litiges
relatifs à la responsabilité qu'aurait encourue un
employé envers la Couronne à l'occasion de ses
fonctions ou en dehors de celles-ci. Il me semble
qu'en adoptant l'article 91, le Parlement n'a pas
conféré le pouvoir de trancher les litiges portant
sur cette responsabilité aux arbitres nommés en
vertu de la Loi, mais aux tribunaux de droit
commun compétents en la matière. A mon avis, il
s'agit en l'espèce d'un tel litige.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
LE JUGE URIE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
* * *
LE JUGE RYAN: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.