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A-685-79
P. R. Andrews (Appelant) c.
G. Gail Brent, la Commission des relations de travail dans la Fonction publique et le procureur général du Canada (Intimés)
Cour d'appel, le juge en chef Thurlow, les juges Urie et Ryan—Ottawa, 16 et 28 mai 1980.
Fonction publique Relations de travail Appel de la décision par laquelle la Division de première instance a accordé un bref de prohibition interdisant à l'arbitre d'ins- truire l'affaire L'appelant a été impliqué dans un accident qui a causé des dommages à un véhicule appartenant à la Couronne L'enquête a établi que l'accident était imputable à la seule négligence de l'appelant, et une partie de la perte a été réclamée à ce dernier conformément à la Loi Le conseil du Trésor a recommandé un prélèvement sur le salaire de l'appelant; ce dernier a alors déposé un grief qui a échoué; il a renvoyé par la suite l'affaire à l'arbitrage L'arbitre s'est déclarée compétente, mais le juge de première instance en a jugé autrement La question est de savoir si la mesure de recouvrement, de la part de l'employeur, d'une partie de la perte constituait une mesure disciplinaire entraînant une peine pécuniaire au sens de l'art. 91(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35, art. 90, 91(1)b) Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, c. F-10, art. 6, 95(1) Décret sur les réclamations relatives à la Défense nationale, 1970, DORS/70-427, art. 11, 12, 13, 15, 16(3), 17(1)b),(2) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, art. 18.
Un véhicule appartenant à la Couronne et conduit par l'appe- lant dans l'exercice de ses fonctions fut endommagé dans un accident. Par la suite, une enquête à laquelle l'appelant ne fut ni entendu ni appelé permit d'établir que l'accident était uni- quement à la négligence de l'appelant. Une demande de remboursement fut signifiée à l'appelant et celui-ci fut invité à donner les raisons pour lesquelles la somme réclamée ne devrait pas, en application du Décret sur les réclamations relatives à la Défense nationale, 1970, être déduite de son salaire. L'appelant ayant refusé de s'exécuter, le sous-procureur général conclut qu'il était débiteur envers la Couronne, au sens du paragraphe 95(1) de la Loi sur l'administration financière, et le conseil du Trésor ordonna que la somme due soit déduite du salaire de l'appelant. Ce dernier déposa alors un grief qui échoua et qu'il soumit par la suite à l'arbitrage. L'arbitre jugea que la mesure attaquée tombait sous le coup de l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique et qu'elle avait compétence pour connaître de l'affaire. Le juge de première instance conclut le contraire et accorda un bref de prohibition lui interdisant d'instruire l'affaire. La question est de savoir si la mesure attaquée entraînait une peine pécuniaire.
Arrêt: l'appel est rejeté. Il s'agit d'un cas la Couronne a recouru à la mesure administrative prévue par la loi en vue de recouvrer une dette civile dont, aux yeux de la Couronne, un
employé s'est rendu débiteur envers elle du fait de sa négligence et de recouvrer cette dette par voie de prélèvement sur le salaire de l'intéressé. Le montant de la dette une fois établi conformé- ment à la procédure ne constitue pas une peine. Il n'a nullement le caractère d'une sanction. Il s'agit simplement d'une somme exigible que la Couronne revendique. La responsabilité défini- tive de l'appelant quant au montant en cause n'est encore qu'une prétention. L'obligation de l'appelant n'existera que lorsqu'elle aura été établie par un tribunal compétent soit dans une action en recouvrement de la perte subie par la Couronne, soit dans une action en recouvrement de salaire intentée par l'appelant. Cette mesure n'entraîne pas une peine pécuniaire ou une peine quelconque. L'avocat de l'appelant a insisté sur la nature et l'objet de la Loi et sollicité la Cour de l'interpréter largement, de façon à accorder à l'appelant le droit de saisir l'arbitre de la question en litige. Dans les cas visés à l'alinéa 91(1)b), il s'agit de mesures punitives pour les infractions aux règles régissant le travail de l'employé. En adoptant l'article 91, le Parlement n'a pas conféré le pouvoir de trancher les litiges portant sur cette responsabilité aux arbitres nommés en vertu de la Loi, mais aux tribunaux de droit commun compétents en la matière.
Arrêts mentionnés: United Electrical, Radio & Machine Workers, Local 524, re Canadian General Electric Co., Ltd. 5 Lab. Arb. Cas. 1939; Le procureur général du Canada c. Grégoire [1978] 2 C.F. 11.
APPEL. AVOCATS:
M. W. Wright, c.r. pour l'appelant. B. R. Evernden pour les intimés.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Le litige dans le présent appel porte sur la question de savoir si la mesure prise pour le compte de la Couronne en vue du recouvrement d'une partie de la perte que l'appelant, un fonctionnaire de la Couronne, a causée du fait de sa négligence dans l'exercice de ses fonctions, constitue une «mesure disciplinaire entraînant ... une peine pécuniaire» au sens de
l'alinéa 91(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-35.' Dans l'affirmative, l'appelant pouvait ren- voyer son grief à l'arbitrage. 2 L'arbitre a décidé qu'il s'agissait d'une mesure disciplinaire entraî- nant une peine pécuniaire et conclu à sa compé- tence. Toutefois, sur une requête introduite en application de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, la Division de première instance en a jugé autrement et a accordé un bref de prohibition. 3 Ce jugement fait l'objet du présent appel.
L'employeur prit la mesure en question â la suite d'un accident d'automobile dans lequel fut impliqué l'appelant alors qu'il conduisait un véhi- cule appartenant à la Couronne et qu'il était au service du ministère de la Défense nationale. Cet accident causa pour $1,357.29 de dommages au véhicule.
A l'époque en cause était en vigueur le Décret sur les réclamations relatives à la Défense natio- nale, 1970 4 , pris par le conseil du Trésor en appli cation de l'article 6 de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, c. F-10. Le décret pré- voyait une procédure administrative relative aux réclamations contre la Couronne et à celles que la Couronne peut avoir contre des officiers, des mili- taires et des fonctionnaires au service du ministère de la Défense nationale, que ces réclamations soient nées ou non à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. En cas de réclamation par la Cou- ronne, la procédure aboutit à une demande de remboursement de la totalité ou d'une partie de la perte subie. Le décret contenait les dispositions suivantes:
' 91. (1) Lorsqu'un employé a présenté un grief jusqu'au dernier palier de la procédure applicable aux griefs inclusive- ment, au sujet
a) de l'interprétation ou de l'application, en ce qui le con- cerne, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale, ou
b) d'une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la suspension ou une peine pécuniaire,
et que son grief n'a pas été réglé d'une manière satisfaisante pour lui, il peut renvoyer le grief à l'arbitrage.
2 A l'audience, l'appelant s'est désisté de la prétention, conte- nue dans son mémoire, selon laquelle l'arbitre avait compétence en application de l'alinéa 91(1)a).
3 [1980] 1 C.F. 833.
4 DORS/70-427.
RÉCLAMATIONS CONTRE DES FONCTIONNAIRES, DES OFFICIERS ET DES HOMMES QUI AGISSENT DANS LES LIMITES DE LEURS FONCTIONS
15. Lorsque l'opinion donnée par une autorité mentionnée à l'article 12 énonce que
a) la Couronne a une réclamation à faire valoir contre un fonctionnaire, un officier ou un homme
(i) à la suite de la mort d'un fonctionnaire, d'un officier ou d'un homme, ou de blessures à un fonctionnaire, un offi- cier ou un homme, ou
(ii) dans le cas d'un fonctionnaire, à la suite de la perte de biens publics ou du dommage à des biens publics qui sont sous le contrôle ou l'administration du Ministère,
b) que la réclamation découle d'un incident impliquant la négligence du fonctionnaire, de l'officier ou de l'homme alors qu'il agissait dans les limites de ses fonctions, et
c) que sa négligence n'était pas une négligence mineure,
une demande de paiement doit être faite au fonctionnaire, à l'officier ou à l'homme sur la même base et dans la même proportion, eu égard au montant en cause, que celles établies à la partie V.
Quant à l'opinion et à la demande de paiement dont il est fait mention dans l'article précédent, les articles 11, 12 et 13 portaient que:
Opinion
11. Une opinion doit être obtenue à l'égard d'une réclamation par la Couronne mentionnée au paragraphe 10(2), savoir
a) si la Couronne a droit à une réclamation;
b) si la Couronne a légalement droit de recouvrer la totalité des dommages qu'elle a subis; et
c) l'opinion obtenue à l'égard de l'alinéa b) étant négative, quel est le montant de dommages que la Couronne a légale- ment droit d'exiger, en tenant compte des dommages récla- més et, s'il y a lieu, du partage de la responsabilité avec un fonctionnaire, un officier ou toute personne qui peut être impliqué.
Autorité pour donner les opinions
12. L'opinion mentionnée à l'article 11 est donnée
a) par une autorité locale,
(i) lorsque le montant des dommages en cause ne dépasse pas mille dollars, ou
(ii) lorsque plus d'une réclamation découle du même inci dent et que le montant global des dommages en cause ne dépasse pas deux mille dollars;
b) par le juge-avocat général,
(i) lorsque le montant des dommages en cause ne dépasse pas cinq mille dollars, ou
(ii) lorsque plus d'une réclamation découle du même inci dent et que le montant global des dommages en cause ne dépasse pas huit mille dollars;
c) par le sous-procureur général du Canada, lorsque le montant des dommages en cause dépasse les limites établies à l'alinéa b).
Demande de paiement
13. (1) Lorsqu'une opinion énonce que la Couronne a un droit de réclamation, une demande de paiement doit être faite par le Ministère pour un montant qui ne doit pas être inférieur à celui auquel la Couronne a légalement droit.
(2) Lorsque le paiement mentionné au paragraphe (1) n'est pas effectué dans un délai raisonnable, l'affaire doit être sou- mise au juge-avocat général ou au sous-procureur général du Canada, selon le cas, pour qu'il y soit donné suite.
En vertu de la Partie V, le montant à rembour- ser dans le cas de dommages excédant $500 et découlant de la négligence d'un fonctionnaire dans la conduite d'un véhicule motorisé était de $125 ou le cinquième du montant en cause, en prenant le montant le plus élevé, celui-ci ne pouvant cepen- dant pas dépasser $250. En application du para- graphe 16(2), le conseil du Trésor pouvait ordon- ner qu'un montant inférieur au montant prescrit soit exigé ou qu'aucun montant ne soit exigé. Le paragraphe 16(3) prévoyait ceci:
16....
(3) Une demande de remboursement en vertu du présent article doit être faite et appuyée de la manière suivante:
a) une demande écrite est adressée au fonctionnaire, à l'officier ou à l'homme par les autorités administratives concernées, comprenant, s'il y a lieu, un énoncé des motifs pour lesquels sa négligence est jugée n'être pas une négli- gence mineure.
b) lorsqu'un fonctionnaire néglige de prendre des dispositions en vue d'effectuer le paiement dans un délai de trente jours, l'affaire doit, sauf instruction contraire du Ministre, être soumise au sous-procureur général du Canada, afin d'obtenir son avis quant aux mesures à prendre pour assurer le paiement;
c) lorsque la demande est adressée à un officier ou un homme, elle doit exiger qu'il expose, dans un délai de sept jours à compter de sa réception, les raisons pour lesquelles déduction du montant de la demande ne devrait pas être faite sur son compte de solde;
L'article 17 de la Partie VI portait que:
17. (1) Lorsque se produit un fait ayant pour résultat
b) la perte de biens publics ou des dommages à des biens publics qui relèvent du contrôle et de l'administration du Ministère;
le Commandant de l'unité ou de l'établissement de défense concerné doit faire procéder immédiatement à une enquête.
(2) L'enquête mentionnée au paragraphe (1) doit être menée de la façon que le juge-avocat général indique par des directives générales ou spéciales, et peut se poursuivre de concert avec
toute enquête exigée par les règlements établis en vertu de la Loi sur la Défense nationale.
Les deux parties admettent qu'à la suite de l'accident, il y eut une enquête officielle, à laquelle l'appelant ne fut ni entendu ni appelé. A l'issue de cette enquête, le lieutenant-colonel Murphy, direc- teur juridique (réclamations) du bureau du juge- avocat général, conclut dans son rapport que l'ap- pelant avait fait preuve, au moment de l'accident, d'une [TRADUCTION] «négligence qui n'est pas mineure» dans la conduite du véhicule concerné et que cette négligence était la seule cause de l'acci- dent. Par la suite, en application de l'article 16 précité, une demande de remboursement de $250, pour une partie du coût des réparations qu'avait payées Sa Majesté, fut signifiée à l'appelant. Ce dernier y était aussi invité à exposer les raisons pour lesquelles cette somme ne devrait pas être déduite de son salaire.
En réponse à la demande, l'appelant écrivit deux lettres dans lesquelles il contestait les conclusions du rapport du lieutenant-colonel Murphy. Il se plaignait aussi de ce qu'il n'avait pas été entendu ou appelé lors de l'enquête tenue par le bureau du juge-avocat général et sollicitait la tenue d'une audition officielle pour faire toute la lumière sur la situation.
Malgré la réponse et la requête de l'appelant, le directeur juridique (réclamations) confirma les conclusions du rapport de l'enquête et lui demanda de rembourser volontairement $250. L'appelant refusant de s'exécuter, on sollicita le sous-procu- reur général de donner son avis sur la question de savoir si l'appelant était débiteur de la Couronne pour cette somme au sens du paragraphe 95(1) de la Loi sur l'administration financière. Le sous-pro- cureur général exprima l'avis que, à la lumière des renseignements fournis, l'appelant était débiteur de la Couronne pour la somme de $250 au sens du paragraphe susmentionné. Suite à quoi le conseil du Trésor ordonna que cette somme soit déduite du salaire de l'appelant.
En vertu de l'article 90 de la Loi sur les rela tions de travail dans la Fonction publique, l'appe- lant déposa un grief contestant «la demande de remboursement» dont il faisait l'objet. Après avoir
épuisé la procédure de règlement des griefs sans succès, il renvoya son grief à l'arbitrage en vertu de l'article 91 de cette Loi. Le grief, tel qu'il est formulé, ne fait nullement état de ce que la mesure prise était «une mesure disciplinaire entraînant ... une peine pécuniaire», mais, dans une lettre jointe au renvoi à l'arbitrage, il est déclaré que: [TRA- DUCTION] «Le présent grief s'attaque à une mesure disciplinaire». 5 Les parties furent alors avi- sées que l'employeur contesterait la compétence de l'arbitre aux motifs que l'employeur n'avait pris aucune mesure disciplinaire contre l'appelant et que, par conséquent, le grief ne pouvait être ren- voyé à l'arbitrage en vertu de l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publi- que. A l'issue d'une audition sur cette contestation, l'arbitre conclut que la mesure prise par l'em- ployeur tombait sous le coup de l'article 91 et se déclara compétente.
A l'époque en cause, il existait un National Defence Code of Employee Discipline étaient prévues certaines infractions, notamment la négli- gence dans l'exécution de fonctions, et les sanc tions de ces infractions, sanctions comprenant notamment la suspension et le congédiement. Tou- tefois, aucune peine pécuniaire n'y était prévue. Les deux parties admettent qu'en l'espèce, ces dispositions, prises en vertu de la Loi sur l'admi- nistration financière, n'ont pas été invoquées contre l'appelant.
Si je comprends bien, la décision de l'arbitre repose sur le fait qu'elle estime que la page 44 du dossier) la réclamation de $250 devant être déduite du salaire de l'appelant est une mesure disciplinaire puisqu'elle a été prise à la suite d'un prétendu [TRADUCTION] «agissement coupable» de la part de l'appelant ayant entraîné une peine pécuniaire (de $250) au sens de l'alinéa 91(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique.
En accueillant la demande de prohibition, le juge de première instance a toutefois statué que la mesure prise par l'employeur n'était pas une mesure disciplinaire et n'avait pas entraîné une
5 Pas plus en première instance qu'en appel ne fut soulevée la question de savoir si l'appelant avait le droit de présenter son grief à l'arbitre comme portant sur une mesure disciplinaire.
peine pécuniaire, mais qu'il s'agissait simplement d'une procédure de recouvrement d'une dette due par l'appelant.
A mon avis, la façon la plus simple d'aborder la question consiste à déterminer si la mesure prise a entraîné «une peine pécuniaire». L'expression «mesure disciplinaire entraînant ... une peine pécuniaire» a clairement une portée plus restreinte que celle de l'expression «mesure entraînant une peine pécuniaire», et si on répond à la question posée par la négative, le débat est clos. Je n'insiste pas sur le fait que la procédure prévue au National Defence Code of Employee Discipline n'a pas été engagée ou invoquée. Si on l'avait invoquée et si elle avait abouti à une suspension, à un congédie- ment ou à quelque autre sanction de moindre importance, il s'agirait à l'évidence d'une mesure disciplinaire. Je tiendrais cette mesure comme mesure disciplinaire si ce que l'on a imposé à l'issue de l'enquête avait été une suspension ou un congédiement, quand bien même cette décision aurait pu être mal à propos.
Toutefois, rien de tel ne s'est produit en l'espèce. Il s'agit d'un cas la Couronne a recouru à la mesure administrative prévue par la loi en vue de recouvrer une dette civile dont, aux yeux de la Couronne, un employé s'est rendu débiteur envers elle du fait de sa négligence, et de recouvrer cette dette par voie de prélèvement sur le salaire de l'intéressé. Le montant de la dette une fois établi conformément à la procédure ne constitue pas, à mon avis, une peine. Il n'a nullement le caractère d'une sanction. Il s'agit d'une somme exigible que la Couronne revendique et qu'elle cherche à recou- vrer par voie de prélèvement sur le salaire de l'employé, conformément aux règlements applica- bles, qui doivent être considérés comme faisant partie intégrante des conditions d'engagement de l'employé. Pour la Couronne, il s'agit d'un moyen expéditif de recouvrer ce qu'elle prétend que l'em- ployé doit. Toutefois, ce moyen n'est pas plus expéditif que celui qu'un employé pourrait atten- dre d'un employeur dont les biens ont subi des dommages et qui est convaincu que ces dommages sont attribuables à la faute commise par l'employé dans l'exercice de ses fonctions. En l'espèce, l'avis de la réclamation, les motifs de celle-ci et le mon- tant demandé ont été signifiés à l'employé. Ce dernier a été invité à exposer, par écrit, les raisons
pour lesquelles le montant en cause ne devrait pas être déduit de son salaire. Il a en outre été prévenu qu'en l'absence de raisons jugées suffisantes, des mesures seraient prises pour déduire ce montant de son salaire. Dans sa réponse, l'appelant a contesté la procédure suivie, mais il n'a rien soulevé qui tende à prouver qu'il n'était pas responsable du dommage causé à la Couronne. L'affaire fut ensuite soumise au sous-procureur général en vue d'obtenir son opinion et, subséquemment, le conseil du Trésor autorisa la déduction du montant en cause du salaire de l'appelant. Jusque-là, je ne vois rien qui établisse définitivement la responsabilité de l'appelant quant au montant en cause. Il s'agit encore d'une prétention. Même si le montant est déduit, rien de définitif n'a été décidé. L'obligation pour l'appelant de verser le montant en cause n'existera que lorsque, à supposer qu'il n'y ait aucun accord là-dessus, sa responsabilité aura été établie par un tribunal compétent soit dans une action en recouvrement de la perte subie par la Couronne, soit dans une action en recouvrement de salaire intentée par l'appelant. A mon avis, cette mesure n'entraîne pas une peine pécuniaire ou une peine quelconque.
La distinction entre une mesure de ce genre et l'imposition d'une peine pécuniaire a été reconnue dans l'affaire United Electrical, Radio & Machine Workers, Local 524, re Canadian General Electric Co., Ltd. 6 , Bora Laskin, le président de la commission d'arbitrage (tel était alors son titre) a déclaré:
[TRADUCTION] II est important de reconnaître la différence entre une mesure disciplinaire entraînant une sanction qui ne représente pas une réparation ou une indemnisation de la perte subie par la compagnie et une mesure compensatrice visant à contrebalancer une perte causée par un employé. Se rangent dans cette dernière catégorie les décisions de quelques commis sions d'arbitrage qui ont reconnu à l'employeur le droit d'exiger que les travailleurs aux pièces refassent leur travail peu soigné en dehors des heures normales de travail. Quant à la négligence dont fait preuve un employé dans son travail, un employeur a, bien entendu, la faculté d'imposer une mesure disciplinaire n'ayant pas de caractère compensateur ou d'exiger que l'em- ployé remédie à la situation au moyen de dommages-intérêts ou de réparation. Qu'un employeur impose à la fois une mesure disciplinaire ayant le caractère d'une peine et une indemnisa- tion est une question à laquelle cette commission estime qu'elle n'a pas à répondre en l'espèce.
6 5 Lab. Arb. Cas. 1939, à la page 1942.
Cette distinction semble aussi implicite dans le raisonnement de cette Cour dans l'affaire Le pro- cureur général du Canada c. Grégoire', le juge en chef Jackett a déclaré:
Une chose est évidente. On n'a jamais accusé l'intimé pour n'avoir pas rendu compte de l'argent ou d'autres valeurs mobi- lières confiés à sa possession. En outre, il n'est pas évident que le prélèvement fait sur le salaire de l'intimé soit basé sur une négligence qu'il aurait commise dans l'exécution de ses fonc- tions. Au contraire, les faits constatés par l'arbitre rendraient invraisemblable une telle allégation.
L'avocat de l'appelant a insisté sur la nature et l'objet de la Loi et sollicité la Cour de l'interpréter largement, de façon à accorder à l'appelant le droit de saisir l'arbitre de la question en litige. Dans un cas douteux, il se peut qu'une telle mesure per- mette à l'auteur du grief d'obtenir satisfaction, mais je ne pense pas que l'utilité (si utilité il y a) de saisir un arbitre plutôt que le tribunal compé- tent d'un litige mineur comme celui en l'espèce permette d'étendre ce qui semble, d'après les textes, les limites du droit d'un plaignant de sou- mettre un litige à l'arbitrage et du pouvoir de l'arbitre de statuer sur le grief.
Le droit d'un employé de renvoyer son grief à l'arbitrage se limite aux plaintes concernant:
a) l'interprétation ou l'application, en ce qui le concerne, d'une disposition d'une convention col lective ou d'une décision arbitrale;
b) et l'imposition par un employeur, pour les infractions aux règles régissant l'employé, d'une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la suspension ou une peine pécuniaire.
Dans les cas visés en a), ce sont les droits du plaignant aux termes de la convention collective ou de la décision arbitrale qui sont en cause. Selon la Loi considérée dans son ensemble, les litiges rela- tifs à ces droits relèvent des tribunaux spéciaux institués par la Loi pour régler toute question litigieuse découlant de conventions collectives et de décisions arbitrales.
Dans les cas visés en b), il s'agit, à mon avis, de mesures punitives pour les infractions aux règles régissant le travail de l'employé. Ces cas relèvent
7 [1978] 2 C.F. 11, à la page 12.
également des tribunaux spéciaux.
Ces deux catégories de sujets sont vastes. Mais pour vastes qu'elles soient, à mon avis, elles n'en- globent pas et ne visent pas à englober les litiges relatifs à la responsabilité qu'aurait encourue un employé envers la Couronne à l'occasion de ses fonctions ou en dehors de celles-ci. Il me semble qu'en adoptant l'article 91, le Parlement n'a pas conféré le pouvoir de trancher les litiges portant sur cette responsabilité aux arbitres nommés en vertu de la Loi, mais aux tribunaux de droit commun compétents en la matière. A mon avis, il s'agit en l'espèce d'un tel litige.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
LE JUGE URIE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
* * *
LE JUGE RYAN: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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