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A-497-79
L'Association canadienne des amputés de guerre (Requérante)
c.
Le Conseil de révision des pensions (Intimé)
Cour d'appel, les juges Urie et Ryan, le juge suppléant Kerr—Ottawa, 18 décembre 1979 et 25 janvier 1980.
Examen judiciaire Demande d'examen et d'annulation de la décision du Conseil de révision des pensions qui a interprété l'art. 57 de la Loi sur les pensions de façon à exclure de la détermination de l'allocation d'incapacité exceptionnelle, toute fraction d'invalidité ne faisant pas déjà l'objet d'une pension II échet d'examiner si le Conseil a commis une erreur de droit Loi sur les pensions, S.R.C. 1970, c. P-7, art. 12(1),(3.2), 57, 81.1 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, art. 28.
Demande fondée sur l'article 28 pour l'examen et l'annula- tion de la décision du Conseil de révision des pensions par laquelle, en application de l'article 81.1 de la Loi sur les pensions, celui-ci a donné son interprétation de l'article 57 de cette Loi à la requête de la requérante. La requérante pose la question de savoir si, pour la détermination de l'allocation d'incapacité exceptionnelle, le Conseil a commis une erreur de droit en interprétant l'article 57 de cette Loi de façon à exclure toute fraction d'invalidité ne faisant pas déjà l'objet d'une pension ou, en d'autres termes, s'il a commis une erreur de droit en concluant que seules les fractions de l'invalidité ouvrant droit à pension peuvent servir à déterminer s'il y a incapacité exceptionnelle au sens de l'article 57.
Arrêt: la demande fondée sur l'article 28 est accueillie. L'article 1.1 de la Loi prévoit que celle-ci doit être libéralement interprétée afin qu'il puisse être satisfait à l'obligation du peuple canadien et du gouvernement du Canada d'indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou qui sont décédés par suite de service militaire. L'article 12 prévoit l'allocation d'une pension proportionnelle ou supplémentaire dans les cas la Commission canadienne des pensions conclut qu'il y a aggravation en cours de service militaire de l'affection ou de l'invalidité existant avant l'enrôlement. Le paragraphe 12(3.2) autorise la Commission à accorder une pension supplé- mentaire proportionnelle pour une invalidité supplémentaire résultant d'une invalidité antérieure ouvrant déjà droit à pen sion. L'annexe A prévoit les différentes catégories de pensions numérotées de 1 à 20. Chaque catégorie comprend une échelle de degrés d'invalidité qu'on peut trouver par référence à la table des invalidités établie par la Commission en application de l'article 26(2). Il ressort de l'article 57(1)a) que si un membre des forces touche une pension dont le montant est indiqué à la catégorie 1 de l'annexe A, c.-à-d. 98-100%, il a rempli du même coup la première condition nécessaire à son admissibilité à l'allocation d'incapacité exceptionnelle. C'est la difficulté qu'il y a à interpréter l'alinéa b) qui est à l'origine de la demande en l'espèce. La requérante soutient que, pour déterminer s'il y a incapacité exceptionnelle lorsque l'intéressé a atteint le niveau de la catégorie 1 de l'annexe A, il n'est
nullement nécessaire de tenir compte des éléments qui compo- sent sa pension; une fois établi le rapport de cause à effet entre l'invalidité pour laquelle un requérant reçoit une pension et le degré d'incapacité qu'il fait valoir, il faut tenir compte de l'incapacité tout entière pour instruire la demande d'allocation d'incapacité exceptionnelle, lors même que l'une ou plusieurs des invalidités pour lesquelles l'intéressé reçoit une pension ont fait l'objet d'une pension partielle ou supplémentaire. L'avocat de l'intimé soutient qu'il ressort de la Loi que seule donne lieu à pension une blessure ou une maladie subie au cours du service militaire ou une aggravation, au cours de ce service, d'une blessure ou maladie antérieure à l'enrôlement. On peut inter- préter l'article 57 de deux façons. Dans ces conditions, il faut chercher le but ou l'esprit de la Loi, si cela peut se faire à partir de ses propres termes. L'article 57 représente une dérogation délibérée au principe qui régit l'allocation des pensions. Il ne prévoit pas l'allocation d'une «pension» supplémentaire, mais le versement d'une «allocation» si certaines conditions sont rem- plies. Rien n'y indique que cette allocation ne vise que les invalidités susceptibles de pension, ni, dans le même ordre d'idées, n'exclut de la détermination de l'«incapacité exception- nelle» la fraction d'incapacité imputable à la blessure ou à la maladie non susceptible de pension. Pour déterminer s'il y a incapacité exceptionnelle, la Commission doit tenir compte des facteurs visés à l'article 57(2), mais elle n'y est pas limitée. C'est donc une erreur de droit que d'interpréter le paragraphe (2) comme imposant une telle restriction.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
Brian N. Forbes pour la requérante.
W. L. Nisbet, c.r. et T. R. Giles pour l'intimé.
PROCUREURS:
Adam, Forbes, Singer, Ottawa, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Il s'agit en l'espèce d'une demande fondée sur l'article 28 pour l'examen et l'annulation de la décision du Conseil de révision des pensions par laquelle, en application de l'arti- cle 81.1 de la Loi sur les pensions, S.R.C. 1970, c. P-7 modifiée, celui-ci a donné son interprétation de l'article 57 de la Loi à la requête de la requérante.
Dans son arrêt L'Association canadienne des amputés de guerre c. Le Conseil de révision des pensions', la Cour de céans a jugé que les déci- sions interprétatives de ce genre du Conseil étaient assujetties au contrôle judiciaire prévu par l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10.
Voici ce que prévoient les paragraphes applica- bles de l'article 57 de la Loi sur les pensions:
57. (1) En plus de toute autre allocation ou pension accor- dée en vertu de la présente loi, un membre des forces qui
a) touche une pension indiquée à la catégorie I de l'annexe A, et
b) souffre d'une incapacité exceptionnelle qui est la consé- quence d'une telle invalidité ou qui a été totalement ou partiellement causée par celle-ci,
a droit à une allocation de huit cents dollars par an au moins et de deux mille quatre cents dollars par an au plus, dont le montant est fixé par la Commission.
(2) Sans restreindre la portée générale de l'alinéa (1)b), pour déterminer si l'incapacité dont est frappé un membre des forces est exceptionnelle, il doit être tenu compte de la mesure l'invalidité pour laquelle le membre reçoit une pension l'a laissé dans un état d'impotence ou dans un état de souffrance et de malaise continus, a entraîné la perte de jouissance de la vie ou a réduit sa longévité probable.
Quoique dans son mémoire, la requérante ait soulevé divers points, j'estime qu'ils peuvent se ramener à l'unique point litigieux invoqué au mémoire de l'intimé, savoir si, pour la détermina- tion de l'allocation d'incapacité exceptionnelle, le Conseil de révision des pensions a commis une erreur de droit en interprétant l'article 57 de la Loi sur les pensions de façon à exclure toute fraction d'invalidité ne faisant pas déjà l'objet d'une pen sion. Le dernier point soulevé par la requérante pose en ces termes la question dont elle saisit la Cour:
[TRADUCTION] la validité de la décision rendue en l'espèce par le Conseil de révision des pensions selon laquelle seules les fractions de l'invalidité ouvrant droit à pension peuvent servir à déterminer s'il y a incapacité exceptionnelle au sens de l'article 57.
Pour bien saisir le litige, il faut pénétrer l'esprit de la Loi. Il convient de noter tout d'abord qu'il s'agit d'une «Loi prévoyant des pensions pour cer- tains membres des ... forces navales, des forces de l'armée et des forces aériennes du Canada ou à l'égard de ces membres.»
L'article 1.1 porte:
' [1975] C.F. 447.
1.1 Les dispositions de la présente loi doivent être libérale- ment interprétées afin qu'il puisse être satisfait à l'obligation reconnue du peuple canadien et du gouvernement du Canada d'indemniser les membres des forces qui sont devenus invalides ou sont décédés par suite de service militaire, ainsi que les personnes à leur charge.
L'article 12 de la Loi prévoit l'allocation de pensions; en particulier, son article 12(1)a) 2 pré- voit la pension proportionnelle ou supplémentaire dans les cas la Commission canadienne des pensions (ci-après dénommée la Commission) con- clut qu'il y a aggravation en cours de service militaire de l'affection ou de l'invalidité existant avant l'enrôlement. La méthode adoptée pour déterminer l'aggravation consiste à évaluer l'inva- lidité globale et à accorder une pension proportion- nelle reflétant le degré de l'invalidité imputable au service militaire. L'article 12(3.2) 3 autorise la Commission à accorder une pension supplémen- taire proportionnelle pour une invalidité supplé- mentaire résultant d'une invalidité antérieure ouvrant déjà droit à pension. Dans ces conditions, la Commission conclut que l'invalidité supplémen- taire n'est qu'en partie le résultat de l'invalidité pour laquelle l'intéressé reçoit une pension.
Selon la Loi, un membre des forces (défini à l'article 2(1) comme étant une personne qui a servi dans les Forces canadiennes ou dans les forces navales, les forces de l'armée ou les forces aérien- nes du Canada ou de Terre-Neuve depuis le com mencement de la première guerre mondiale) peut
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12. (1) En ce qui concerne le service militaire accompli pendant la première guerre mondiale ou pendant la seconde guerre mondiale, et sous réserve de l'exception contenue au paragraphe (2),
a) des pensions sont accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux énoncés dans l'annexe A, lorsque la blessure ou maladie ou son aggravation ayant occasionné l'invalidité au sujet de laquelle la demande de pension est faite, s'est produite au cours de ce service mili- taire ou y est attribuable;
3
12....
(3.2) Outre toute pension accordée en vertu du présent article, une pension doit être accordée, sur demande, à un membre des forces qui
a) touche une pension d'invalidité, et
b) est frappé d'une invalidité supplémentaire résultant, en tout ou partie, de cette invalidité,
conformément aux taux indiqués à l'annexe A, relativement au degré d'invalidité supplémentaire qui résulte de l'invalidité pour laquelle il touche une pension.
recevoir jusqu'à une pension de 100 p. 100, selon le degré de son invalidité estimé conformément à l'article 26 de la Loi. L'annexe A visée à l'alinéa a) de l'article 12(1) susmentionné prévoit les diffé- rentes catégories de pensions numérotées de 1 à 20. Chaque catégorie comprend une échelle de degrés d'invalidité qu'on peut trouver par réfé- rence à la table des invalidités établie par la Commission en application de l'article 26(2) de la Loi 4 . Pour chaque catégorie, un pourcentage en chiffres ronds constitue le taux annuel de pension. Ainsi, d'après l'annexe A, la catégorie 1 comporte une échelle d'invalidités allant de 98 100 p. 100, pour lesquelles le taux annuel de pension est de 100 p. 100.
Cette brève analyse de la Loi nous permet de nous pencher sur le point litigieux dont la Cour est saisie, savoir l'interprétation correcte de l'article 57 de la Loi.
Il ressort de l'alinéa a) du paragraphe (1) de cet article que si un membre des forces touche une pension dont le montant est indiqué à la catégorie 1 de l'annexe A, le montant prévu pour les invali- dités de 98 100 p. 100, il a rempli du même coup la première condition nécessaire à son admissibilité à l'allocation d'incapacité exceptionnelle. La diffi culté réside dans l'interprétation de l'alinéa b) de l'article 57(1).
La politique poursuivie par la Commission à la lumière de son interprétation de cet article se dégage d'une lettre adressée le 10 novembre 1978 par son président au secrétaire de l'association requérante. Cette lettre, versée au dossier, se lit ndtamment:
[TRADUCTION] Selon la politique actuellement poursuivie par la Commission, seule une invalidité susceptible de pension peut entrer en ligne de compte lorsqu'il s'agit de déterminer dans quelle mesure cette invalidité contribue à l'incapacité excep- tionnelle de l'intéressé.
C'est cette politique même que la requérante a contestée lorsqu'elle s'est fondée sur l'article 81.1 pour demander l'interprétation de l'article 57 de la
a
26....
(2) L'estimation du degré d'invalidité doit être basée sur les instructions et sur une table des invalidités, que doit préparer la Commission pour la gouverne des médecins et des chirurgiens qui font les examens médicaux aux fins de pension.
Loi, et c'est l'interprétation donnée par le Conseil à la suite de cette requête qui a été attaquée par la présente demande fondée sur l'article 28.
La difficulté survient lorsque celui qui demande une pension d'incapacité exceptionnelle a atteint le niveau de pension de la catégorie 1 par addition de diverses allocations pour certaines invalidités dont l'une ou plusieurs ont été peut-être accordées à titre partiel ou supplémentaire. A titre d'illustra- tion, la requérante a avancé dans son mémoire l'hypothèse plusieurs affections ou invalidités ont donné cumulativement lieu à une pension de la catégorie 1 de l'annexe A de la Loi. Pour faciliter les calculs, l'exemple de la requérante a été légère- ment modifié selon les suggestions de l'avocat de l'intimé, comme suit:
1) Amputation de la jambe gauche au-dessous du
genou (imputable au service militaire) 70%
2) Blessure par arme à feu au niveau du genou droit
(imputable au service militaire) 10%
3) Ostéo-arthrite lombaire (1/5 résultant de l'am-
putation de la jambe gauche, art. 12(3.2)) 20%
4) Blessure au niveau de l'épaule droite (1/5 résul- tant de l'amputation de la jambe gauche, art. 12
(3.2)) 5%
5) Blessure au niveau de la cheville droite (1/5
résultant de l'amputation de la jambe gauche) 5%
Alors que dans l'examen ci-dessus, l'invalidité peut atteindre et même dépasser 110 p. 100, il ressort des articles 12 et 26 que la pension d'invali- dité ne peut jamais dépasser le taux indiqué à la catégorie 1 de l'annexe A de la Loi. Il convient de noter en outre que, pour saisir la politique de la Commission et l'interprétation qu'a donnée le Con- seil de révision des pensions de l'article 57, les fractions non susceptibles de pension des invalidi- tés 3), 4) et 5), savoir les 4/5 de 100 p. 100 de l'invalidité 3) et les 4/5 de 25 p. 100 des invalidités 4) et 5), s'élèvent à 120 p. 100. L'intimé prétend que seule la fraction ouvrant déjà droit à pension de l'invalidité entre en ligne de compte pour déter- miner s'il y a incapacité exceptionnelle et qu'en vertu de la Loi, aucune allocation ne peut être accordée pour la fraction non susceptible de pension.
De son côté, la requérante soutient que, pour déterminer s'il y a incapacité exceptionnelle lors- que l'intéressé a atteint le niveau de la catégorie 1
de l'annexe A, il n'est nullement nécessaire de tenir compte des éléments qui composent sa pen sion. La requérante est d'avis que [TRADUCTION] «une fois établi en tout ou en partie un rapport de cause à effet entre l'invalidité ou les invalidités pour lesquelles un requérant reçoit une pension et le degré d'incapacité qu'il fait valoir, la Commis sion canadienne des pensions doit tenir compte de l'incapacité tout entière pour instruire la demande d'allocation d'incapacité exceptionnelle, lors même que l'une ou plusieurs des invalidités pour lesquel- les l'intéressé reçoit une pension ont fait l'objet d'une pension partielle ou supplémentaire».
Le Conseil de révision des pensions a statué sur ces prétentions en ces termes:
Selon le requérant, la seconde interprétation possible recon- naît les prémisses selon lesquelles le degré d'incapacité est exceptionnel dans la mesure il est lié à l'invalidité pour laquelle le membre des forces touche une pension. Elle recon- naît également que l'expression une «telle invalidité» aux fins de l'alinéa 57(1)b) a trait à l'invalidité pour laquelle le membre des forces touche une pension, comme on l'a déterminé lors d'une interprétation antérieure (I-15).
Le requérant allègue qu'en ce qui concerne le pensionné de la catégorie 1, lorsqu'on a établi un lien de cause à effet entre l'incapacité exceptionnelle d'un membre et une partie d'une invalidité ouvrant droit à une pension, le degré de l'incapacité exceptionnelle doit être fondé sur l'invalidité tout entière.
Lorsqu'on suppose qu'après avoir établi le lien de cause à effet entre une invalidité qui ouvre partiellement droit à une pension et l'incapacité et qu'il faut tenir compte de l'invalidité tout entière en déterminant la nature exceptionnelle de l'inca- pacité, on suppose donc que le membre touche une pension à l'égard de l'invalidité tout entière.
À maintes reprises au cours de l'audition, on a fait allusion à la diminution, à la dévaluation ou à la mise à part du droit à pension de l'ancien combattant. De nouveau, cela indique que le membre touche une pension à l'égard de l'invalidité tout entière. Les termes pertinents sont les suivants:
Alinéa 57(1)a) pensionné de la
catégorie 1 (annexe A)
Alinéa 57(1)b) telle invalidité
Paragraphe 57(2) invalidité pour laquelle il touche une
pension.
Il est à noter que le terme «invalidité» est utilisé conformé- ment à l'annexe A de la Loi sur les pensions et qu'il a un sens précis dans ce contexte. Il signifie la perte ou l'amoindrissement de la faculté de vouloir et de faire normalement des actes d'ordre physique ou mental à la suite d'une blessure, d'une affection ou de son aggravation.
Le libellé du paragraphe 57(2) stipule qu'en déterminant si l'incapacité est exceptionnelle, il faut tenir compte de l'invali-
dité résultant de la blessure, de l'affection ou de son aggrava tion pour laquelle le membre touche une pension.
Il s'ensuit donc qu'un membre qui touche une pension à l'égard d'une aggravation estimée à un cinquième ne touche pas une pension à l'égard d'une invalidité qui n'est pas liée au service, mais à l'égard d'une aggravation de l'invalidité. L'ex- pression «telle invalidité» qui se trouve au paragraphe (1) concerne l'invalidité qui fait de l'ancien combattant un pen- sionné de la catégorie 1 et l'invalidité pour laquelle il touche une pension n'est pas une invalidité qui n'est pas liée au service, mais une aggravation de celle-ci. Si le membre est un pensionné de la catégorie 1, en raison de l'aggravation d'affections qui ne sont pas liées au service, il touche une pension à l'égard de l'aggravation de ces affections et le paragraphe 57(2) précise qu'il doit être tenu compte de la mesure l'aggravation a contribué à l'incapacité. Le libellé du paragraphe 57(2) a donc son sens premier et correspond entièrement à l'esprit de la Loi. En vertu de l'article 26, seul le degré d'aggravation est évalué. Il en va de même pour le paragraphe 12(3.2) lorsque le droit à pension a été reconnu à l'égard d'une aggravation. En l'occur- rence on accorde une compensation secondaire à l'égard de l'aggravation. De la même façon, l'alinéa 12(1)c) stipule caté- goriquement: «Aucune pension ne doit être payée pour une invalidité ou une affection entraînant incapacité qui, à l'époque il est devenu membre des forces, était évidente ou a été consignée lors d'un examen médical avant l'enrôlement».
On a soulevé la possibilité d'une contradiction entre l'inter- prétation de l'article 57 telle que formulée par la Commission canadienne des pensions et le libellé de l'article 26.1. L'article 26.1 exige avant tout que le membre des forces soit un pen- sionné. Il peut faire partie de n'importe laquelle des 20 catégo- ries de pensionnés. On a tranché cette question dans l'interpré- tation I-16 (1976 RACRP 1). L'article 57 stipule que l'ancien combattant doit être pensionné de la catégorie 1. L'exigence fondamentale est la même: dans les deux cas, il doit être pensionné. La seule différence ne réside que dans l'une de deux exigences distinctes et n'entraîne aucune contradiction.
La troisième interprétation, celle de la Commission cana- dienne des pensions, sur laquelle est fondée sa politique est la suivante: il doit être tenu compte de la mesure à laquelle l'affection a contribué à l'incapacité exceptionnelle du membre dans la mesure elle ouvre droit à pension. D'après le Conseil et compte tenu de ce qui a été dit, c'est cette interprétation qui est juste.
Disons tout d'abord que le Conseil a commis une erreur manifeste en concluant que pour interpréter les paragraphes (1) et (2) de l'article 57, il faut tenir compte en premier lieu de la condition prévue au paragraphe (2) et que [TRADUCTION] «c'est seulement après que l'incapacité exceptionnelle a été établie que le paragraphe (1) peut prendre effet.» Une telle interprétation restreint la portée d'application du paragraphe (2), qui porte «Sans restreindre la portée générale de l'alinéa (1)b)
A mon avis, l'interprétation faite par le Conseil du paragraphe (2) ne pourrait se justifier qu'abs- traction faite de ces mots, ce qui ne peut se faire puisqu'ils sont d'une importance capitale. Ces mots signifient entre autres que le paragraphe ne doit pas restreindre le champ d'application du terme «incapacité exceptionnelle», car ce serait restrein- dre la généralité, la [TRADUCTION] «portée» du paragraphe (1)b). En fait, ces mots font ressortir l'intention du législateur qui a voulu prévoir que pour déterminer s'il y a incapacité exceptionnelle, certains critères objectifs doivent entrer en ligne de compte. Toutefois, ces critères ne doivent pas s'in- terpréter comme restreignant la condition générale prévue au paragraphe (1)b), à savoir que l'incapa- cité exceptionnelle doit être déterminée selon tout critère approprié. Le paragraphe (2) vise à préciser qu'on doit tenir compte de tout ce qui précède et aussi d'autres facteurs pertinents pour la détermi- nation de l'incapacité exceptionnelle.
Néanmoins, cette erreur n'invalide pas à elle seule l'interprétation donnée par le Conseil de l'article 57(1). La difficulté d'interprétation de la disposition réside dans le libellé quelque peu obscur de l'alinéa b). Les mots «une telle invali- dité» figurant à la fin de la phrase n'ont rien pour antécédent. Les deux parties conviennent qu'ils se rapportent aux invalidités de la catégorie 1 de l'annexe A telle qu'elle est visée à l'alinéa a) de cet article et, à mon avis, cette interprétation est judicieuse.
Toutefois, la difficulté n'est pas résolue pour autant. Comme je l'ai déjà indiqué, une pension d'invalidité à 100 p. 100 peut se composer d'une ou de plusieurs pensions partielles tenant à l'aggrava- tion d'affections qui n'étaient pas entièrement imputables au service militaire ou qui n'étaient que partiellement la séquelle d'affections contrac- tées au cours du service militaire. La requérante prétend qu'une fois la pension accordée à 100 p. 100, on n'a pas à tenir compte des diverses affec tions qui composent l'invalidité ouvrant droit à la pension de 100 p. 100 pour déterminer si l'inté- ressé a droit à une allocation d'incapacité excep- tionnelle en vertu de l'article 57. La requérante soutient que cette intention du législateur se dégage de l'emploi dans cet article du mot «incapa- cité» au lieu d'«invalidité» et du mot «allocation» au lieu de «pension», ces paires de mots étant
employées à des fins précises dans les autres arti cles de la Loi. Elle fait encore valoir qu'un requé- rant qui demande une allocation d'incapacité exceptionnelle doit prouver à la Commission en premier lieu qu'il est un pensionné de la catégorie 1 et en second lieu, que l'incapacité exceptionnelle invoquée est imputable en tout ou en partie aux affections pour lesquelles il touche une pension de la catégorie 1.
De son côté, l'avocat de l'intimé soutient qu'il ressort de la Loi que seule donne lieu à pension
une blessure ou une maladie subie au cours du service militaire ou une aggravation, au cours de ce service, d'une blessure ou maladie antérieure à l'enrôlement. A l'appui de cette thèse, il invoque l'article 12(1) et (2) et en particulier l'article 26(1). Voici les conclusions de son mémoire:
[TRADUCTION] 11. L'article 57 n'accorde pas une indemnité supplémentaire à tout pensionné qui souffre d'incapacité exceptionnelle. Un membre des forces peut toucher une pension de moins de 100 p. 100 bien qu'il souffre d'une incapacité exceptionnelle occasionnée par des affections ouvrant déjà droit à pleine pension et à pension partielle. L'article 57 ne s'applique pas aux personnes de cette catégorie même si leur invalidité ouvrant droit à pension peut atteindre 90 p. 100 et a pu contribuer en grande partie à son incapacité. Il est donc clair que l'article 57 prévoit pour les intéressés une pension supplémentaire qui dépasse celle fixée à l'annexe A de la Loi.
12. a) Pour avoir droit à une allocation d'incapacité exception- nelle, l'intéressé doit:
i) être titulaire d'une pension de la catégorie 1;
ii) souffrir d'une incapacité exceptionnelle qui est la conséquence ou une séquelle de l'invalidité pour laquelle il touche une pension de la catégorie 1.
b) Pour déterminer s'il y a incapacité exceptionnelle, la Commission doit déterminer dans quelle mesure l'invali- dité pour laquelle le membre reçoit une pension l'a laissé dans un état d'impotence ou dans un état de souffrance et de malaise continus, dans quelle mesure elle a entraîné la perte de jouissance de la vie ou a réduit sa longévité probable.
13. Il ressort des premiers mots du paragraphe 57(2) que les facteurs énumérés à l'alinéa b) ne sont pas les seuls à prendre en considération par la Commission lorsqu'elle détermine s'il y a incapacité exceptionnelle. Ces mots ne permettent pas à eux seuls de conclure que la Commission doit prendre en considération toute invalidité ou toute fraction n'ouvrant pas déjà droit à pension qui ne soit pas imputable au service militaire.
Il ressort des mots «incapacité exceptionnelle qui est la conséquence d'une telle invalidité ou qui a été totalement ou partiellement causée ...A figurant à l'alinéa b) que l'incapacité exceptionnelle peut être la conséquence de
l'invalidité pour laquelle une pension de la catégorie 1 a été accordée ou a été «partiellement» causée par celle-ci. Ces mots ne doivent pas s'interpréter comme signifiant que la fraction ou le degré d'invalidité n'ouvrant pas droit à pension doit entrer en ligne de compte pour déterminer s'il y a incapacité exceptionnelle.
Il est incontestable qu'on doit envisager la loi dans son ensemble dans l'interprétation d'un arti cle particulier. A cet égard, dans un arrêt récent de la Cour suprême du Canada, La Reine c. Compagnie Immobilière BCN Limitée,' le juge Pratte s'est prononcé en ces termes:
Lord Herschell a formulé, dans l'arrêt Colquhoun v. Brooks ((1889), 14 A.C. 493), l'une des règles cardinales d'interpréta- tion d'un texte législatif; il a écrit à la p. 506:
[TRADUCTION] En outre, nous avons indiscutablement le droit et, en réalité, le devoir d'interpréter une disposition législative en tenant compte de toutes les autres dispositions de la loi qui précisent l'intention du législateur et tendent à montrer qu'une disposition ne doit pas recevoir la même interprétation que si elle était considérée isolément et indé- pendamment du reste.
Dans l'arrêt Canada Sugar Refining Company, Limited v.
The Queen ([1898] A.C. 735), lord Davey a déclaré à la p. 741: [TRADUCTION] ... Chaque article d'une loi doit s'interpréter en regard du contexte et des autres articles de la loi de sorte que, dans la mesure du possible, l'ensemble de la loi ou des lois connexes forme un tout logique.
Dans un arrêt antérieur de la Cour suprême, McBratney c. McBratney 6 , le juge Duff (juge puîné à l'époque) a énoncé en ces termes la règle d'interprétation:
[TRADUCTION] Bien entendu, devant une loi susceptible de deux interprétations opposées, on doit en chercher le but ou l'esprit si cela peut se faire à partir de sa formulation; et si l'on y trouve quelque intention maîtresse ou quelque principe direc- teur exprès ou même tacite, l'interprétation qui y répond alors le mieux doit l'emporter sur celle qui, quoiqu'elle soit conforme à la lettre du texte législatif, va à l'encontre de son esprit; comme l'a montré lord Selborne dans Caledonian Railway Co. c. North British Railway Co. (6 App. Cas. 114), quand il y a contradiction entre l'esprit et la lettre de la loi, c'est l'esprit de la loi qui l'emporte. Cet esprit, on peut le dégager du libellé même de la loi. Voir Cox c. Hakes (15 App. Cas. 506, à la page 517); Eastman Co. c. Comptroller General ([1898] A.C. 571, à la page 575).
Comme l'a soutenu l'avocat de la requérante, on peut, bien entendu, interpréter l'article 57 de deux
5 [1979] 1 R.C.S. 865, la page 872.
6 (1919) 59 R.C.S. 550, à la page 561.
façons. Dans ces conditions, il faut chercher le but ou l'esprit de la Loi, si cela peut se faire à partir de ses propres termes. Je pense qu'on peut dégager l'esprit de la Loi sur les pensions qui nous inté- resse en l'espèce. J'ai déjà mentionné plus haut les principaux articles, auxquels j'ajoute seulement la définition des mots «invalidité» et «pension» à l'arti- cle 2, que voici:
2. (1) ...
«invalidité» signifie la perte ou l'amoindrissement de la faculté de vouloir et de faire normalement des actes d'ordre physique ou mental;
«pension» signifie une pension payable en vertu de la présente loi en raison du décès ou de l'invalidité d'un membre des forces et s'entend également d'une pension supplémentaire, d'une pension temporaire ou d'un paiement définitif payable en vertu de la présente loi à un membre des forces ou à son égard;
La Loi ne définit ni le mot «incapacité» ni le mot «allocation», lesquels occupent une place en vue dans l'article 57.
Il ressort des articles 12(1), 12(2) et 12(3.2) que des pensions sont accordées aux membres des forces lorsque la blessure ou maladie ou son aggra vation ayant occasionné l'invalidité susceptible de pension a été subie au cours du service accompli pendant la première ou la seconde guerre mondiale ou y est imputable. Comme je l'ai fait remarquer plus haut, l'article 26 veille à ce que les pensions d'invalidité soient accordées selon le degré d'invali- dité résultant de cette blessure, de cette maladie ou de leur aggravation. Ainsi, le but est de s'assurer que des pensions sont accordées seulement à l'égard de la partie d'invalidité imputable au ser vice militaire. En outre, l'article prévoit l'alloca- tion de pensions à l'égard de diverses invalidités occasionnées par la blessure ou maladie entière- ment imputable au service militaire et à l'égard de la partie d'invalidité résultant de l'aggravation d'une affection antérieure à l'enrôlement, laquelle aggravation est imputable au service militaire, ou de l'aggravation d'une affection occasionnée en partie par la blessure ou la maladie subie au cours du service militaire. L'hypothèse donnée plus haut illustre bien ce genre de combinaison d'invalidités.
A mon avis, l'article 57 représente une déroga- tion délibérée au principe qui régit l'allocation des pensions. Cet article ne prévoit pas l'allocation
d'une «pension» supplémentaire, mais le versement d'une «allocation» si certaines conditions sont rem- plies. Rien n'y indique que cette allocation ne vise que les invalidités susceptibles de pension ni, dans le même ordre d'idées, n'exclut de la détermination de «l'incapacité exceptionnelle» la partie d'incapa- cité imputable à la blessure ou à la maladie non susceptible de pension.
A mon avis, il ressort de la formulation de cet article que le législateur a voulu accorder une allocation aux anciens combattants pensionnés à 100 p. 100 s'ils peuvent établir que l'invalidité ou l'accumulation d'invalidités à l'égard desquelles ils reçoivent leur pension entraîne une incapacité exceptionnelle et que leur incapacité est la consé- quence de l'invalidité ou de l'accumulation d'inva- lidités ouvrant droit à pension ou a été totalement ou partiellement causée par celles-ci. Bien entendu, pour déterminer s'il y a incapacité excep- tionnelle, la Commission doit tenir compte des facteurs visés à l'article 57(2), mais elle n'y est pas limitée. C'est donc une erreur de droit que d'inter- préter le paragraphe (2) comme imposant une telle restriction.
Voilà qui n'est pas une interprétation forcée. Elle découle naturellement des termes employés, qui plus est, elle se dégage de la règle prévue à l'article 1.1 (indiquée plus haut) selon laquelle «Les dispositions de la présente loi doivent être libéralement interprétées . ..» pour les motifs y énoncés. Elle ne va pas non plus à l'encontre de la règle énoncée par le juge Duff dans l'arrêt McBratney c. McBratney susmentionné puisque de toute évidence, cette règle ne s'applique que sous réserve d'indication contraire. Comme je l'ai dit plus haut, il y a indication contraire en l'espèce car, à mon avis, l'article 57 déroge au principe qui régit l'allocation des pensions.
D'autre part, accueillir l'argument avancé par l'avocat de l'intimé reviendrait à donner au mot «partiellement» une interprétation artificielle, selon laquelle il faudrait faire abstraction de la partie d'invalidité n'ouvrant pas droit à pension lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a incapacité exception- nelle. Je ne crois pas que ces mots soient suscepti- bles d'une telle interprétation, laquelle requerrait que l'esprit de la Loi en matière d'allocation de pensions, savoir que celles-ci sont accordées pour
blessure ou maladie ou pour aggravation de bles- sure ou de maladie subie au cours du service militaire, l'emporte, lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a incapacité exceptionnelle, sur le libellé explicite de l'alinéa a) de l'article 57(1) qui exige seulement que l'intéressé soit un pensionné de la catégorie 1.
A mon avis, il est parfaitement logique de faire intervenir d'autres considérations pour déterminer s'il y a incapacité exceptionnelle. Lorsqu'un membre des forces reçoit une pension à 100 p. 100, peu importe la combinaison d'affections qui don- nent lieu à cette pension, l'intéressé a été rendu invalide par ces affections de façon exceptionnelle ou bien il ne l'a pas été du tout. Il lui suffira simplement de prouver le lien de cause à effet entre l'incapacité et la somme de ses affections, dont la fraction non susceptible de pension est déjà exclue. A mon avis, un cumul du processus d'ex- clusion irait à l'encontre du sens de cet article et de l'interprétation libérale de la Loi prévue à l'article 1.1. L'incapacité exceptionnelle s'entend égale- ment de celle qui résulte de l'aggravation d'une blessure ou maladie antérieure à l'enrôlement, ou qui est partiellement la séquelle d'une invalidité ouvrant droit à pension, cette dernière étant elle- même totalement imputable au service militaire.
Par ces motifs, je suis d'avis d'accueillir la demande fondée sur l'article 28, d'annuler la déci- sion en date du 23 juillet 1979 du Conseil de révision des pensions et d'ordonner que le Conseil interprète l'article 57 conformément aux présents motifs.
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LE JUGE RYAN: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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