A- I 47-79
Raymond Cardinal, chef, Edward Morin, Charles
Cowan, Romeo Morin, Alex Peacock et Alphonse
Thomas, conseillers de la bande Enoch des Indiens
de Stony Plain, pour leur propre compte et pour
celui de la bande Enoch de la réserve n° 135 des
Indiens de Stony Plain, et la bande Enoch de la
réserve n° 135 des Indiens de Stony Plain
(Appelants)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, les juges Heald et Urie, le juge
suppléant MacKay—Toronto, 11 janvier; Ottawa,
22 février 1980.
Indiens — Cession de terres indiennes — La cession fut
décidée à la majorité des voix exprimées à l'assemblée, mais
non à la majorité de tous ceux qui avaient droit de vote — Il
échet d'examiner si la Loi des sauvages requiert le consente-
ment de la majorité de ceux qui votent ou la majorité de ceux
qui ont droit de vote — Loi des sauvages, S.R.C. 1906, c. 81,
art. 49(1).
Appel formé contre un jugement de la Division de première
instance statuant sur une question préliminaire de droit. Dans
une action en matière de cession de terres indiennes, la Cour de
céans a ordonné que deux questions soient tranchées à titre de
questions préliminaires. Il s'agit en premier lieu d'examiner si
le paragraphe 49(1) de la Loi des sauvages requiert le consen-
tement de la majorité de l'assemblée ou la majorité de ceux qui
avaient droit de vote. Au moment du scrutin tenu en mai 1908
par la bande pour se prononcer sur la cession, la bande comp-
tait de trente à trente-trois membres ayant droit de vote et, sur
les vingt-six qui ont voté, quatorze ont donné leur consente-
ment. En réponse à cette question, le juge de première instance
a conclu que la cession n'était pas nulle. C'est cette conclusion
qui fait l'objet du présent appel. Le juge de première instance a
répondu par l'affirmative à la seconde question, savoir si le
paragraphe 49(3) requérait une attestation par plusieurs chefs,
et sa décision y relative n'est pas en cause.
Arrêt (le juge Heald dissident): l'appel est rejeté. Le juge de
première instance a eu raison de conclure que le conseil ou
l'assemblée qui doit être convoqué en vertu du paragraphe
49(1) est un conseil ou une assemblée de la bande. Il ne s'agit
pas d'un conseil ou d'une assemblée composé uniquement des
adultes de sexe masculin de la bande, mais bien d'une assem
blée de la bande tout entière dont seuls les adultes de sexe
masculin sont admissibles à voter. Celle des interprétations
suggérées par l'avocat des appelants qu'il faut retenir est
celle-ci: cet article prévoit que la cession doit être décidée à la
majorité de l'assemblée à laquelle doit assister la majorité de
ceux qui ont droit de vote, ce dernier impératif étant celui du
quorum implicitement prévu. En common law, lorsqu'un orga-
nisme est composé d'un nombre indéterminé de personnes, les
votants sont réputés constituer le quorum nécessaire et la
décision de la majorité de ces derniers est réputée la décision de
l'organisme. L'assentiment exigé en vertu du paragraphe 49(1)
était l'assentiment de la bande et non l'assentiment des seuls
adultes de sexe masculin. Leur nombre était, au sens de la
common law, plutôt indéfini que défini. Une majorité de ces
personnes était présente à l'assemblée ou au conseil; il est clair
qu'il y avait quorum. Une majorité de ce quorum a donné son
accord à la cession. La décision de cette majorité était celle de
la bande.
Le juge Heald dissident: H faut répondre à la première
question par l'affirmative puisque les personnes qui, d'après le
procès-verbal du vote, ont voté en faveur de la cession ne
représentaient pas la majorité des membres adultes de sexe
masculin de la bande Enoch, ainsi que le prévoit le paragraphe
49(1) de la Loi des sauvages. Pour dégager l'intention du
législateur à propos du paragraphe 49(1), le juge de première
instance n'a attaché aucune importance à la ponctuation qui y
figure. Il y a lieu de souligner que la disposition relative à la
majorité est séparée par une virgule de la disposition relative à
l'assemblée. La présence de la virgule et d'autres signes de
ponctuation confirme l'argument des appelants, savoir que
l'assentiment prévu au paragraphe 49(1) doit être le fait de la
majorité des membres adultes de sexe masculin de la bande et
que cet assentiment doit être obtenu à une assemblée de la
bande convoquée à cette fin. Il échet de donner au paragraphe
49(1) une interprétation littérale. Le paragraphe 49(1) prévoit
l'assentiment de la majorité et non un vote majoritaire pour
approuver la cession. Si l'on prenait les mots employés au
paragraphe 49(l) dans leur contexte global, selon leur sens
courant et en conformité avec l'esprit et l'objet de la Loi, et
avec l'intention du législateur qui entendait assurer à ces
bandes la meilleure protection, l'interprétation que faisaient
valoir les appelants était celle qu'il fallait retenir.
Arrêts approuvés: Glass Bottle Blowers' Association of the
United States and Canada c. Dominion Glass Co. Ltd.
[1943] O.W.N. 652; Knowles c. Zoological Society of
London [1959] 2 All E.R. 595.
APPEL.
AVOCATS:
B. G. Nemetz et T. C. Semenuk pour les
appelants.
L. P. Chambers et B. Barnard pour l'intimée.
PROCUREURS:
MacPherson & Company, Calgary, pour les
appelants.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce gui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD (dissident): Il s'agit en l'espèce
d'un appel formé contre un jugement de la Divi
sion de première instance [ [ 1980] 1 C.F. 149]
statuant sur une question préliminaire de droit.
Par ordonnance rendue le 9 novembre 1978 avec le
consentement des parties, la Cour de céans a
ordonné que les questions suivantes soient tran-
chées à titre de questions préliminaires dans l'af-
faire en instance:
[TRADUCTION] 1. La cession du 13 mai 1908 par la bande
Enoch était-elle nulle alors que les personnes inscrites sur la
liste électorale comme étant en faveur de la cession, tout en
représentant la majorité des personnes réputées avoir voté, ne
représentaient pas la majorité des hommes de la bande Enoch
ayant atteint l'âge de vingt et un ans révolus conformément au
paragraphe 49(1) de la Loi des sauvages, S.R.C. 1906, c. 49?
2. L'attestation donnée sous forme d'affidavit le 13 mai 1908
par un seul chef de la bande Enoch, déclarant que l'abandon et
la cession ont été consentis par la bande, suffisait-elle à répon-
dre aux exigences du paragraphe 49(3) de la Loi des sauvages,
S.R.C. 1906, c. 49?
REMARQUE: La référence ci-dessus au c. 49 est
une erreur. La Loi des sauvages est
en fait le c. 81 des S.R.C. 1906.
Le savant juge de première instance a répondu à la
deuxième question par l'affirmative et sa décision
y relative n'est pas en cause. En réponse à la
première question, il a conclu que la cession effec-
tuée le 13 mai 1908 par la bande Enoch n'était pas
nulle, et c'est cette conclusion qui fait l'objet du
présent appel.
En première instance, les parties ont déposé
l'exposé conjoint des faits ci-après:
[TRADUCTION] EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS
1. Le 9 novembre 1978, la Cour d'appel fédérale a ordonné que
les questions 1 et 2 de la Partie II de la demande en date du 4
mars 1977 de la défenderesse soient tranchées à titre de ques
tions préliminaires dans la présente action.
2. Par demande conjointe en date du 13 décembre 1978, les
parties ont requis la Cour de fixer la date et le lieu de
l'instruction.
3. Aux fins de cette instruction, les parties conviennent des
faits suivants:
a) Le 8 mai 1908, la bande indienne Enoch comptait de 30 à
33 hommes âgés de 21 ans révolus et habilités à voter sur la
cession de terrains faisant partie de la réserve, conformément
à l'article 49(1) de la Loi des sauvages, S.R.C. 1906, c.8I.
b) Vingt-six hommes de la bande indienne Enoch, âgés de 21
ans révolus, ont soit consenti à la cession des terrains en
cause, soit été inscrits comme s'y opposant.
c) Quatorze hommes de la bande indienne Enoch, âgés de 21
ans révolus et habilités à voter conformément à l'article
49(I) de la Loi des sauvages, S.R.C. 1906, c.81, ont consenti
à la cession du 13 mai 1908.
d) A l'issue du vote, un affidavit faisant foi de la cession fut
dressé par un seul chef de la bande indienne Enoch, confor-
mément à l'article 49(1) de la Loi des sauvages, S.R.C.
1906, c.81. Des photocopies de l'acte de cession et de l'affida-
vit sont annexées au présent document comme pièces «A» et
«B» respectivement.
4. Les parties sont en désaccord sur la question de savoir s'il y
a eu réellement le 13 mai 1908 une assemblée des hommes de la
bande des Indiens Enoch âgés de 21 ans révolus, convoquée
pour voter sur ladite cession, et si le vote a eu lieu effectivement
au cours de cette assemblée, conformément à l'article 49(1) de
la Loi des sauvages, S.R.C. 1906, c.81.
5. Toutefois, les parties demandent qu'il plaise à la Cour de se
prononcer sur ces questions en présumant que cette assemblée
et ce vote ont effectivement eu lieu.
La réponse à la première question ci-dessus re-
quiert une interprétation des dispositions de l'arti-
cle 49 de la Loi des sauvages, S.R.C. 1906, c. 81.
Cet article porte:
49. Sauf les restrictions autrement établies par la présente
Partie, nulle cession et nul abandon d'une réserve ou d'une
partie de réserve à l'usage d'une bande, ou de tout sauvage
individuel, n'est valide ni obligatoire, à moins que la cession ou
l'abandon ne soit ratifié par la majorité des hommes de la
bande qui ont atteint l'âge de vingt et un ans révolus, à une
assemblée ou à un conseil convoqué à cette fin conformément
aux usages de la bande, et tenu en présence du surintendant
général, ou d'un fonctionnaire régulièrement autorisé par le
gouverneur en conseil ou par le surintendant général à y
assister.
2. Nul sauvage ne peut voter ni assister à ce conseil s'il ne
réside habituellement sur la réserve en question ou près de cette
réserve, et s'il n'y a un intérêt.
3. Le fait que la cession ou l'abandon a été consenti par la
bande à ce conseil ou assemblée doit être attesté sous serment,
par le surintendant général ou par le fonctionnaire autorisé par
lui à assister à ce conseil ou assemblée, et par l'un des chefs ou
des anciens qui y a assisté et y a droit de vote, devant un juge
d'une cour supérieure, cour de comté ou de district, ou devant
un magistrat stipendiaire ou un juge de paix, ou, dans le cas de
réserves dans les provinces du Manitoba, de la Saskatchewan
ou d'Alberta ou dans les territoires, devant le commissaire des
sauvages, et dans le cas de réserves dans la Colombie-Britanni-
que, devant le surintendant visiteur des sauvages de la Colom-
bie-Britannique, ou, dans l'un ou dans l'autre cas, devant
quelque autre personne ou employé à ce spécialement autorisé
par le gouverneur en conseil.
4. Après que ce consentement a été ainsi attesté, la cession
ou l'abandon est soumis au gouverneur en conseil, pour qu'il
l'accepte ou le refuse.
Plus particulièrement, une interprétation du para-
graphe (1) de l'article 49 s'impose étant donné les
faits dont les parties sont convenues.
Voici l'interprétation qu'a donnée de ce paragra-
phe le savant juge de première instance (vol. 6,
dossier d'appel, à la page 845 [aux pages 160 et
161 des motifs du jugement] ):
L'assentiment exigé en vertu du paragraphe 49(1) était
l'assentiment de la bande Enoch et non l'assentiment des seuls
adultes de sexe masculin de cette bande. Ces derniers étaient
les seules personnes de la bande admissibles à voter et bien
qu'ils ne fussent pas nombreux en 1908, leur nombre était, au
sens de la common law, plutôt indéfini que défini. Une majorité
de ces personnes était présente à l'assemblée ou au conseil
convoqué le 13 mai 1908. Il est donc clair qu'il y avait quorum;
il est possible que le quorum aurait pu être constitué par un
nombre moindre de personnes que la majorité d'entre elles,
mais je n'ai pas à trancher cette question. Une majorité de ce
quorum a donné son accord à la cession. La décision de cette
majorité était celle de la bande. Étant posée sous une forme
négative, la première question emporte une réponse négative.
La cession n'était donc pas nulle du fait que, tout en ayant été
ratifiée par une majorité des adultes de sexe masculin au
conseil ou à l'assemblée, elle ne l'a pas été par la majorité de
tous les adultes de sexe masculin de la bande Enoch.
L'avocat des appelants soutient que pour cette
conclusion, le savant juge de première instance a
commis une erreur. Selon les appelants, le juge de
première instance n'a attaché aucune importance à
la ponctuation de l'article 49, tout en accueillant
leur argument qu'il fallait en tenir compte pour
dégager l'intention du législateur à propos de cet
article. Ils font grand cas du fait que la disposition
relative à la majorité soit séparée par une virgule
de la disposition relative à l'assemblée. Ils soutien-
nent que l'emploi de ce signe à cet endroit et la
présence d'autres signes de ponctuation dans ce
paragraphe confirment leur argument, savoir que
l'assentiment prévu à l'article 49(1) doit être le
fait de la majorité des adultes de sexe masculin de
la bande et que cet assentiment doit être obtenu à
une assemblée de la bande convoquée à cette fin.
Ils soutiennent que le savant juge de première
instance n'a pas tenu compte de la virgule placée
entre les deux membres de phrase en question et y
a substitué le mot «présents», ce qui a donné lieu à
une mauvaise interprétation de l'article 49(1).
J'accueille cet argument de l'avocat des appe-
lants. Dans Maxwell on The Interpretation of
Statutes', on lit:
[TRADUCTION] Il découle du principe général d'interpréta-
tion littérale qu'on ne doit rien ajouter ni soustraire à une loi, à
moins qu'il n'existe des raisons légitimes de conclure que la loi
vise quelque chose qu'elle a omis de formuler.
De son côté, lord Chancelier Loreburn a déclaré
dans Vickers, Sons & Maxim, Ltd. c. Evans 2 :
I 12e éd., à la page 33.
2 [ 1910] A.C. 444, à la page 445.
[TRADUCTION] ... il ne nous appartient pas de prêter à une loi
du Parlement des mots qui n'y sont pas, à moins que le contexte
même de la loi ne nous y oblige.
A mon avis, il découle d'une interprétation littérale
de l'article 49(1) que la cession ou l'abandon
valide de tout ou partie d'une réserve est soumis
aux conditions suivantes:
a) la cession ou l'abandon doit recueillir le con-
sentement de la majorité des membres de sexe
masculin de la bande qui ont vingt et un ans
révolus; et
b) ce consentement doit être donné à une
assemblée ou à un conseil de la bande convoqué
à cette fin conformément aux règles de la bande
et tenu en présence du surintendant général des
affaires des Sauvages ou d'un fonctionnaire
régulièrement autorisé par le surintendant géné-
ral à y assister.
A mon avis, cette interprétation se justifie du fait
que l'article 49(1) prévoit l'assentiment de la
majorité et non un vote majoritaire.
Je conviens avec l'avocat des appelants que le
législateur, en prévoyant l'assentiment de la majo-
rité, a imposé une condition plus stricte que celle
du vote majoritaire. Ce point s'illustre parfaite-
ment par l'hypothèse qu'il nous propose: tous ceux
qui avaient droit de vote (qu'ils fussent 30, 31, 32
ou 33 comme en l'espèce) étaient présents à l'as-
semblée et, lors du scrutin, cinq d'entre eux seule-
ment consentirent à la cession; cependant que les
vingt-cinq autres s'abstenaient de voter ou d'expri-
mer leur opinion. Dans ce cas, la question a été
prise par suite d'un vote majoritaire au cours d'une
assemblée à laquelle participait la majorité de ceux
qui avaient droit de vote, mais elle n'a même pas
recueilli l'assentiment de la majorité des partici
pants. La possibilité d'un tel résultat corrobore
l'interprétation selon laquelle, le législateur visait,
par l'article 49(1), obliger la Couronne à obtenir
l'assentiment positif de la majorité des membres
adultes de sexe masculin de la bande, et non un
simple vote majoritaire, puisque ce vote pourrait
très bien être celui de la majorité d'un très petit
nombre de membres ayant droit de vote. A mon
avis, cette interprétation trouve aussi sa justifica
tion dans le libellé du paragraphe (3) de l'article
49, lequel porte notamment:
49....
3. Le fait que la cession ou l'abandon a été consenti par la
bande à ce conseil ou assemblée.... [C'est moi qui souligne.]
Il ressort de ce libellé que l'assentiment prescrit
par le paragraphe (1) de l'article 49 est celui de la
bande tout entière et non celui de l'assemblée. La
condition relative à l'assemblée est distincte de
celle de l'assentiment requis; elle ne vise qu'à
indiquer le lieu où cet assentiment doit être donné.
Si le législateur avait voulu poser pour condition la
majorité de l'assemblée, le paragraphe (3) eût été
formulé comme suit: «Le fait que la cession ou
l'abandon a été consenti par le conseil ou l'assem-
blée ...». Ceci n'étant pas le cas du paragraphe
(3), je dois accueillir l'interprétation que font
valoir les appelants.
A ce stade, il convient d'analyser l'esprit de la
Loi des sauvages de 1906 et d'étudier ensuite les
dispositions de l'article 49(1) dans ce contexte.
Une «bande» se définit notamment comme un
corps de sauvages qui possède une réserve ou des
terres des sauvages en commun, dont le titre légal
est attribué à la Couronne, ou qui y est intéressé.
Une «réserve» se définit notamment comme toute
étendue de terre mise à part, par traité ou autre-
ment, pour l'usage ou le profit d'une bande parti-
culière de sauvages, dont le titre légal est attribué
à la Couronne. «Réserve» comprend aussi «... les
arbres, le bois, la terre, la pierre, les minéraux, les
métaux, ou autres choses de valeur qui se trouvent
à la surface ou à l'intérieur du sol». L'administra-
tion des terres de réserve appartenait à la Cou-
ronne. Par l'entremise des agents des sauvages, la
Couronne exerçait des pouvoirs considérables sur
les Indiens aux fins d'éducation de leurs enfants.
Le transfert d'un Indien ne pouvait se faire d'une
bande à une autre qu'avec l'approbation de la
Couronne. Avec l'approbation de la Couronne, les
Indiens pouvaient obtenir un certificat d'occupa-
tion d'une parcelle de terre ne dépassant pas 160
acres. A tout moment, ce certificat pouvait être
annulé; mais, tant qu'il subsistait, il assurait au
détenteur, à l'exclusion de tous autres, la posses
sion légale des terres y désignées. La capacité des
Indiens de disposer de leurs biens par testament
était soumise à des restrictions. Il appartenait à la
Couronne de nommer les tuteurs ou de les révo-
quer pour en nommer d'autres pour les mineurs
orphelins de père. Les Indiens ne pouvaient vendre
leurs récoltes aux non-Indiens sans le consente-
ment du surintendant général des affaires des Sau-
vages. La Couronne exerçait un contrôle absolu
sur l'exploitation des bois sur la réserve. Il appar-
tenait à la Couronne de décider s'il fallait intro-
duire un système d'élection des chefs et conseillers
dans une réserve donnée: tout chef pouvait être
déposé par elle et les modalités électorales devaient
être approuvées par la Couronne. L'émancipation
était certes prévue par la Loi, mais les modalités
en étaient difficiles et compliquées. Lors de leur
émancipation, les Indiens pouvaient se voir délivrer
un certificat d'occupation pour le terrain qu'ils
occupaient, mais tout transfert subséquent était
assujetti à l'approbation de la Couronne. De fortes
peines étaient prévues pour ceux qui achetaient des
produits d'une réserve ou d'un Indien de réserve
sans l'approbation de la Couronne. La vente de
l'alcool aux Indiens était interdite.
Examinons maintenant l'article 49. Cet article
se trouve dans la partie de la Loi qui contient les
articles 47 51 inclusivement et qui a pour sous-
titre «Abandon et confiscation des terres dans les
réserves». En lisant attentivement ces articles, je
suis persuadé qu'en les adoptant, le législateur
visait tout d'abord à protéger les terres de la
réserve contre tout transfert ou aliénation au détri-
ment des Indiens qui s'étaient vu . accorder les
droits d'occupation et, dans certains cas, de pro-
priété, en vertu des autres articles de la Loi. La
plupart de ces articles commencent par une inter
diction, puis prévoient des exceptions. La Cour
suprême du Canada a eu à interpréter l'article 51
de la Loi dans St. Ann's Island Shooting and
Fishing Club Limited c. Le Roi'. A ce propos, le
juge Rand s'est prononcé en ces termes à la page
219:
[TRADUCTION] Je conviens cependant que l'art. 51 requiert
un ordre du gouverneur en conseil pour valider une concession
de terre indienne. Le libellé de la loi consacre le principe acquis
que les autochtones sont, en fait, des pupilles de l'État, dont la
subsistance et le bien-être, constituent une obligation politique
du niveau le plus élevé. Pour cette raison, tout acte qui affecte
leurs privilèges doit être marqué au coin de l'approbation
gouvernementale, et le gouverneur en conseil commettrait un
excès de pouvoir s'il déléguait cette responsabilité au surinten-
dant général.
L'interprétation donnée par le juge Rand du libellé
de la loi est parfaitement judicieuse. En vertu de la
3 [1950] R.C.S. 211.
loi, nos Canadiens autochtones étaient de fait des
pupilles de l'État et leur subsistance et leur bien-
être, tout en étant une «obligation politique du
niveau le plus élevé», étaient aux fins mêmes de
cette obligation, soigneusement protégés par de
nombreuses dispositions légales. Dans ce contexte,
je suis fermement convaincu que si les mots
employés à l'article 49(1) n'étaient pas suscepti-
bles d'une signification claire et non équivoque et
(à mon avis, comme je l'ai indiqué plus haut, leur
signification est évidente et non équivoque), il nous
incomberait dès lors de les interpréter de façon
restrictive afin de protéger la majorité des mem-
bres de la bande contre les actes inconsidérés d'une
minorité qui pourraient entraîner la cession de la
réserve tout entière. Un tel résultat pourrait bien
avoir des conséquences catastrophiques pour la
majorité des Indiens vivant dans la réserve. Je ne
crois pas que le législateur eût toléré qu'une telle
éventualité se produise.
Dans sa plaidoirie, l'avocat des appelants fait
état de trois interprétations possibles de l'article
49(1):
1. Cet article prévoit que la cession doit être
décidée à la majorité de l'assemblée à laquelle
doit participer la majorité de ceux qui ont droit
de vote, ce dernier impératif étant celui du
quorum implicitement prévu par cet article.
2. Cet article ne requiert que la majorité de
ceux qui ont droit de vote et qui participent à
l'assemblée, auquel cas la cession d'une réserve
tout entière pourrait être votée par deux partici
pants qualifiés à une assemblée de trois
personnes.
3. Cet article prévoit que la cession doit être
approuvée à la majorité de ceux qui ont droit de
vote.
La troisième interprétation que fait valoir l'avocat
des appelants me paraît celle qui convient.
Le savant juge de première instance semble
avoir choisi la première interprétation, sans pour
autant écarter la deuxième. A mon avis, la
deuxième interprétation est complètement dérai-
sonnable et contraire à l'intention du législateur.
Par les motifs susmentionnés, je crois que la pre-
mière est aussi contraire à l'intention du législa-
teur. En outre, comme je l'ai indiqué plus haut,
cette interprétation requiert la substitution du mot
«présents>» à la virgule dans cet article.
Mes conclusions s'éclairent encore à la lumière
des autres dispositions relatives au scrutin, savoir
les articles 17, 166, 167, 183 et 189 de la Loi.
L'article 17, qui décrit la procédure à suivre
lorsqu'un Indien d'une bande est admis dans une
autre, prévoit l'admission «... par la majorité des
votes d'une bande ou du conseil d'une bande ...».
Il convient de souligner que l'article prévoit le
«vote» et non un «assentiment».
L'article 166 traite de l'élection de chefs et
impose les mêmes conditions de vote que l'article
49. Il prévoit en outre: «.. . le vote de la majorité
de ces membres dans un conseil ou une assemblée
de la bande . ..». Ici encore, il est question de
«vote» et non d'«assentiment». L'intérêt de l'article
166 tient encore aux cas où il s'applique: «Lors de
l'élection d'un chef ou de chefs, ou de la délibéra-
tion de quelque consentement ordinaire à donner
Par une bande en vertu de la présente loi ...».
(C'est moi qui souligne.) L'emploi de ce mot sous-
entend que dans les autres articles et dans les
autres situations qui relèvent de la Partie I de la
Loi, un consentement spécial ou extraordinaire est
nécessaire.
L'article 167 qui traite des modalités d'action
d'une bande dotée d'un conseil de chefs ou de
conseillers, porte: «... tout consentement ordinaire
à donner par la bande peut être donné par le vote
de la majorité de ces chefs ou conseillers, à un
conseil convoqué ...». Encore une fois, il est ques
tion de «vote» et non d'«assentiment», et encore une
fois, il est question de «tout consentement
ordinaire».
Passons maintenant aux articles 183 et 189 les-
quels figurent tous deux à la Partie II de la Loi qui
porte sur l'avancement des Indiens. Il s'agit d'ac-
corder aux bandes qui, de l'avis du gouverneur en
conseil, sont prêtes, une part plus active dans leurs
affaires et dans l'administration de leurs propres
intérêts. Les articles 182 et 183 traitent de l'élec-
tion des membres du conseil. L'article 183 prévoit
à propos de l'élection des conseillers que «... le
sauvage ... qui a ... le plus grand nombre de
votes des électeurs ... en est le conseiller ...». Il
est intéressant de noter que, lorsque le législateur
entendait prévoir qu'il suffisait de la majorité des
votants pour décider d'une question, il n'avait
aucun mal à trouver les mots propres à expliciter
cette condition. Examinons maintenant l'article
189 qui porte sur la procédure à suivre aux assem
blées des conseils de bande. Cet article porte:
189. Chaque conseiller présent a droit de vote sur toute
question à décider par le conseil, et cette question est décidée à
la majorité des voix, le conseiller chef votant comme conseiller
et ayant aussi voix prépondérante lorsque d'ailleurs les voix
sont également partagées.
2. Quatre conseillers forment quorum pour l'expédition de
toute affaire.
Il s'ensuit qu'à l'égard des délibérations des con-
seils de bande, même dans le cas des «bandes
évoluées» faisant l'objet de la Partie II, le législa-
teur prévoit que les deux tiers du nombre total des
conseillers (dont le maximum était six conformé-
ment aux articles 176 et 181) forment le quorum
nécessaire pour l'expédition des affaires courantes
de la bande et que les décisions ou résolutions
doivent être prises à la majorité de ce quorum, soit
la moitié du nombre total des conseillers. L'article
189 donne un parfait exemple de formulation
claire et non équivoque qui, à mon avis, eût pu se
prêter à l'interprétation qu'a donnée de l'article
49(1) le savant juge de première instance et qu'a
fait valoir l'intimée.
Je conviens avec l'avocat des appelants qu'il ne
pouvait être dans l'intention du législateur d'exi-
ger, pour une question aussi fondamentale, que le
démembrement d'une réserve tout entière, une
majorité plus faible que celle requise pour décider
d'une affaire courante à l'assemblée du conseil
d'une «bande évoluée» visée à la Partie II de la Loi.
A mon avis, la méthode propre d'interpréter un
article de loi a été définie en quelques mots par E.
A. Driedger, c.r., dans son ouvrage The Construc
tion of Statutes, comme suit à la page 67:
[TRADUCTION] De nos jours, un seul principe ou méthode
prévaut pour l'interprétation d'une loi: les mots doivent être
interprétés selon le contexte, dans leur acception logique cou-
rante en conformité avec l'esprit et l'objet de la loi et l'intention
du législateur. Ce principe a été repris maintes fois par les juges
de notre époque. Dans Victoria City c. Bishop of Vancouver
Island ([1921] A.C. 384, à la page 387) lord Atkinson l'a
exposé en ces termes:
Dans l'interprétation des lois, les mots doivent être interpré-
tés selon leur sens logique courant, à moins que quelque
chose dans le contexte, ou dans l'objet visé par la loi où ils
figurent, ou encore dans les circonstances où ils sont
employés n'indiquent qu'ils ont été employés dans un sens
spécial et différent de leur acception courante.
En appliquant cette méthode, j'ai conclu que si
l'on prenait les mots employés à l'article 49(1)
dans leur contexte global, selon leur sens courant
et en conformité avec l'esprit et l'objet de la Loi, et
avec l'intention du législateur, l'interprétation que
faisaient valoir les appelants était celle qu'il fallait
retenir, alors même qu'elle requérait la majorité
absolue de ceux qui avaient droit de vote. Le
démembrement de tout ou partie d'une réserve est
une question importante qui entraînerait de graves
conséquences non seulement pour ceux qui ont
droit de vote, mais aussi pour tous les membres de
la bande. Je pense que par l'article 49(1), le
législateur entendait assurer à ces bandes la meil-
leure protection.
Par ces motifs, j'accueillerais l'appel avec
dépens et répondrais à la première question par
l'affirmative, puisque les personnes qui, d'après le
procès-verbal du vote, ont voté en faveur de la
cession, ne représentaient pas la majorité des
membres adultes de sexe masculin de la bande
Enoch, ainsi que le prévoit le paragraphe (1) de
l'article 49 de la Loi des sauvages, S.R.C. 1906,
c. 81.
* *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: J'ai eu l'avantage de prendre
connaissance des motifs de jugement prononcés
par le juge Heald. Je regrette de ne pouvoir sous-
crire à ses conclusions ni, par conséquent, à la suite
qu'il entend réserver au présent appel.
Il n'y a pas lieu de rappeler les faits de la cause
puisque le juge Heald les a exposés en détail dans
ses motifs.
Les deux parties conviennent que le juge de
première instance a eu raison de conclure [à la
page 158], par les motifs qu'il a exposés en détail,
que «le conseil ou l'assemblée qui doit être convo-
guée en vertu du paragraphe 49(1) 4 [de la Loi des
sauvages] est un conseil ou une assemblée de la
bande. Il ne s'agit pas d'un conseil ou d'une assem
blée composée uniquement des adultes de sexe
masculin de la bande, mais bien d'une assemblée
de la bande tout entière dont seuls les adultes de
sexe masculin sont admissibles à voter.» Ce qui est
en cause, c'est son interprétation du passage sui-
vant de l'article 49(1):
... ratifié par la majorité des hommes de la bande qui ont
atteint l'âge de vingt et un ans révolus, à une assemblée ou à un
conseil convoqué à cette fin ....
Comme l'a rappelé le juge Heald, l'avocat des
appelants estimait que ce passage se prêtait à trois
interprétations possibles:
1. Cet article prévoit que la cession doit être déci-
dée à la majorité de l'assemblée à laquelle doit
participer la majorité de ceux qui ont droit de vote,
ce dernier impératif étant celui du quorum implici-
tement prévu par cet article.
2. Cet article ne requiert que la majorité de ceux
qui ont droit de vote et qui participent à l'assem-
blée, auquel cas la cession d'une réserve tout
entière pourrait être votée par deux participants
qualifiés à une assemblée de trois personnes.
3. Cet article prévoit que la cession doit être
approuvée à la majorité de ceux qui ont droit de
vote.
Mon collègue Heald a conclu que la troisième
interprétation était celle qu'il fallait retenir. De
son côté, le juge de première instance semblait
accepter la première interprétation sans écarter
pour autant l'applicabilité de la deuxième interpré-
tation en d'autres circonstances.
Sauf le respect que je dois à l'avis contraire du
juge Heald, je ne saurais convenir que la première
interprétation ci-dessus du passage applicable de
4 49. Sauf les restrictions autrement établies par la présente
Partie, nulle cession et nul abandon d'une réserve ou d'une
partie de réserve à l'usage d'une bande, ou de tout sauvage
individuel, n'est valide ni obligatoire, à moins que la cession ou
l'abandon ne soit ratifié par la majorité des hommes de la
bande qui ont atteint l'âge de vingt et un ans révolus, à une
assemblée ou à un conseil convoqué à cette fin conformément
aux usages de la bande, et tenu en présence du surintendant
général, ou d'un fonctionnaire régulièrement autorisé par le
gouverneur en conseil ou par le surintendant général à y
assister.
cet article requiert la substitution du mot «pré-
sents» à la virgule qui suit le mot «révolus». Ma
conclusion est dictée par l'emploi du mot «à» après
la virgule. Cette préposition indique la position
dans un lieu, un lieu fixe et défini. Dans le con-
texte de l'article, ce «lieu» s'entend d'une «assem-
blée». Cette assemblée est impérative. Une «assem-
blée» obligatoire suppose la participation de deux
personnes au moins. 5 Le membre de phrase qui
précède les mots «à une assemblée» indique le
nombre de personnes dont la présence est requise à
l'assemblée; il ne s'agit pas de deux ou de plusieurs
personnes, mais de la majorité des hommes de la
bande qui ont vingt et un ans révolus. A mon avis,
la présence ou l'absence de la virgule entre les
membres de phrase n'éclaircit ni n'obscurcit le
sens de cet article. De même, l'insertion du mot
«présents» n'ajouterait rien à la compréhension de
cet article et serait superflu car comme je l'ai
montré, la formulation en est déjà claire et non
équivoque. Il en ressort qu'une majorité des adul-
tes de sexe masculin de la bande est le quorum
requis à une assemblée ou à un conseil de la bande
lorsqu'il s'agit de consentir à la cession ou à
l'abandon de tout ou partie d'une réserve.
L'interprétation ci-dessus est conforme aux fins
poursuivies par la Loi, telles que les ont rappelées
dans leurs motifs respectifs le juge de première
instance et mon collègue Heald. Il est inutile de
répéter leur analyse des dispositions de la Loi qui
permettent d'en dégager l'esprit et les objectifs.
Il convient de noter toutefois, à mon avis, que
l'article 166, qui se trouve aussi dans la Partie I de
la Loi, et qui prévoit les modalités d'élection de
chefs et de délibération en matière de consente-
ment ordinaire à donner par une bande, emploie à
peu près le même langage que l'article 49(1), y
compris [dans la version anglaise], une virgule à la
même place. Il en est de même pour l'article 167.
Voici ce qu'on trouve notamment à l'article 166:
... et le vote de la majorité de ces membres dans un conseil ou
une assemblée de la bande, convoquée selon ses usages ....
5 Sharp c. Dawes (1876-77) 2 Q.B.D. 26, le juge en chef
Coleridge, à la p. 29.
Dans cet article, les membres qui votent sont les
mêmes qu'à l'article 49(1), savoir «des hommes de
la bande qui ont atteint l'âge de vingt et un ans
révolus». Dans ce contexte, il est indéniable que le
vote doit être le fait de la majorité des adultes de
sexe masculin participant à l'assemblée.
Tout comme le juge de première instance, je ne
vois pas en quoi les articles de la Partie II de la Loi
que cite l'avocat des appelants, nommément les
articles 183 et 189, puissent servir à éclaircir le
sens de l'article 49(1), puisqu'ils sont couchés dans
des termes tout à fait différents. On ne saurait
écarter la règle d'interprétation normale selon
laquelle les membres de phrase ou les mots doivent
être interprétés conformément à la logique et à la
grammaire, en invoquant des membres de phrase
et des mots différents qui se trouvent dans d'autres
parties de la Loi, à moins que l'interprétation selon
la norme grammaticale n'aille à l'encontre de la
Loi ou ne conduise à résultat manifestement
absurde. Il n'appert pas que ce soit le cas en
l'espèce. Ce qui est clair, c'est que le législateur a
employé dans la Partie II un langage différent de
celui de la Partie I; toutefois, je ne pense pas qu'on
puisse en tirer une conclusion qui permette d'inter-
préter un article de la Partie I par référence à
d'autres articles de la Partie II, laquelle porte sur
l'«Avancement des sauvages».
Il ressort de l'exposé conjoint des faits que la
bande Enoch comprenait de 30 33 membres de
sexe masculin qui avaient vingt et un ans révolus et
qui avaient droit de vote à la date du 8 mai 1908.
Sur ce nombre, 26 assistèrent à l'assemblée du 13
mai 1908 et 14 d'entre eux consentirent à la
cession. Il y a lieu toutefois de noter que les parties
sont en désaccord sur la question de savoir si cette
assemblée a eu lieu effectivement. A supposer,
comme demande en a été faite à la Cour, que cette
assemblée a eu lieu, les 14 membres qui ont con-
senti à la cession représentaient plus que la moitié
de la majorité des membres adultes de sexe mascu-
lin présents à l'assemblée. Il échet dès lors d'exa-
miner quelle majorité est requise par l'article
49(1) de la Loi pour valider la cession de tout ou
partie de la réserve. A cette fin, il faut se fonder
sur le droit applicable aux divers types d'organisa-
tions en matière de scrutin.
Dans ses motifs de jugement, le savant juge de
première instance s'est fondé sur ce qui lui parais-
sait la common law en ces termes [aux pages 159
et 160]:
Ce qui est aujourd'hui l'article 21 de la Loi d'interprétation
(S.R.C. 1970, c. 1-23) n'était pas en vigueur en 1908. Toute-
fois, il existe des règles de common law qui traitent des
questions de quorum et de majorité.
Dans le cas des sociétés dont la charte ne renferme aucune
disposition spéciale contraire, la common law fait une distinc
tion entre les sociétés composées d'un nombre défini de person-
nes et celles composées d'un nombre indéfini de personnes.
Lorsque le nombre de personnes est défini, comme dans le cas
d'une société ecclésiastique composée d'un doyen et de douze
chanoines, le quorum pour fins de décision est formé d'une
majorité de ces personnes et les décisions ainsi prises sont
réputées celles de ladite société (D' Hascard c. D' Somany
(1663) 89 E.R. 380). Toutefois, lorsque le nombre des membres
est indéfini, comme dans le cas d'un conseil municipal composé
d'un maire, de douze échevins et d'un nombre indéterminé de
citoyens, les personnes réunies en assemblée, bien que ne repré-
sentant pas la majorité de toutes les personnes concernées,
forment quorum et les décisions prises par la majorité de ces
personnes réunies en assemblée sont réputées les décisions du
conseil municipal (R. c. Varlo, Mayor of - Portsmouth (1775)
98 E.R. 1068). Dans le cas d'organismes non constitués, lors-
qu'il s'agit de déléguer à des personnes désignées des fonctions
à caractère public, toutes les personnes concernées participent
au processus décisionnel mais la décision de la majorité est
réputée la décision de l'organisme (Grindley c. Barker (1798)
126 E.R. 875). Toutefois, lorsqu'un tel organisme est composé
d'un nombre indéterminé de personnes comme, par exemple,
une conférence ecclésiastique générale, les votants sont réputés
constituer le quorum nécessaire et la décision de, la majorité de
ces derniers est réputée la décision de l'organisme (liter c.
Howe (1897) 23 Ont. App. 256). Par voie de conséquence, la
common law considère les abstentionnistes comme des person-
nes qui ne sont ni en faveur ni contre les mesures et elles les
empêchent, du seul fait de leur abstention, de contrecarrer le
désir de l'organisme, qu'il s'agisse ou non d'une société, tel que
ce désir a été exprimé par une majorité des personnes qui, d'un
côté ou de l'autre, se sont intéressées au processus décisionnel.
Dans certains cas, la common law peut exiger que le quorum
d'un organisme non constitué, composé d'un nombre indéfini de
personnes, corresponde à la majorité de ce nombre indéfini de
personnes plutôt qu'à la majorité des personnes qui ont réelle-
ment voté. Cette thèse s'applique dans le domaine de la négo-
ciation collective où le désir [TRADUCTION] «d'une majorité des
employés» doit être établi (Glass Bottle Blowers' Association c.
Dominion Glass Co. Ltd. [1943] O.W.N. 652).
Voilà qui, à mon avis, illustre assez bien les
principes à dégager de la jurisprudence citée et
l'on ne gagnera rien à s'étendre là-dessus, sauf
deux remarques. La bande Enoch n'est certes pas
une personne morale; mais la Loi des sauvages
donne aux bandes indiennes une certaine autono-
mie, laquelle s'exerce soit par le vote des membres
ayant droit de vote, soit par l'entremise de leur
conseil, qui est doté de certains attributs gouverne-
mentaux d'une corporation municipale. S'il en est
ainsi, il ne me paraît pas déraisonnable de donner
aux mots tels que «majorité» le sens auquel ils
s'entendent dans ce contexte gouvernemental.
C'est pour cette raison que les principes invoqués
par la Division de première instance dans ses
motifs de jugement en matière d'administration
locale s'appliquent en l'espèce, ne serait-ce que
dans une certaine mesure. Toutefois, la plupart des
jurisprudences citées sont très anciennes. Peut-être
y a-t-il lieu de citer deux causes plus récentes,
d'autant plus qu'elles portent sur le nombre de voix
requises dans ce cas d'organisations non juridique-
ment constituées.
Dans Glass Bottle Blowers' Association of the
United States and Canada c. Dominion Glass Co.
Ltd. 6 , le tribunal des conflits de travail de l'Onta-
rio devait se prononcer sur un vote d'accréditation
visant à départager deux syndicats concurrents qui
cherchaient à représenter une unité de négociation.
Le procès-verbal de vote indiquait que, sur les 502
électeurs inscrits, 460 ont voté, 228 voix étant en
faveur d'un syndicat et 232, en faveur de l'autre.
L'extrait suivant des motifs de jugement du juge
d'appel Gillanders, aux pages 654 et suiv., nous
fait voir le problème et sa solution:
[TRADUCTION] Il est difficile de tirer la bonne conclusion
[en ce qui concerne la signification du vote]. Le par. 1 de l'art.
13 de la Loi porte:
Un agent négociateur qui entend représenter la majorité
des employés d'un employeur ou d'un groupe d'employés en
vue de négociations collectives peut demander au tribunal de
l'accréditer comme agent négociateur.
Le par. 2 prévoit qu'un employeur peut demander au tribunal
de «rendre une ordonnance désignant, le cas échéant, lequel des
agents négociateurs représente une majorité de ses employés ou
d'un groupe d'employés en vue de négociations collectives et est
en droit d'être accrédité comme agent négociateur.» Le par. 5
du même article prévoit que le tribunal peut «déclarer qu'un
agent négociateur représente une majorité des employés dans
cette unité, en indiquant les noms des personnes qui en ont été
régulièrement désignées ou élues comme représentants».
En ce qui concerne le scrutin en cause, il échet d'examiner si
le résultat montre que l'un des syndicats concurrents «repré-
sente une majorité des employés». La Loi prévoit expressément
qu'avant d'accorder l'accréditation, le tribunal doit décider que
l'agent «représente une majorité des employés», mais elle est
muette quant à la nature du vote qui autorise une telle
conclusion.
Tout d'abord, je penchais pour la thèse voulant que, avant de
conclure du scrutin qu'une organisation représente une majorité
6 [1943] O.W.N. 652.
des employés, on doive avoir constaté que la majorité de tous
les employés ayant droit de vote a voté pour cette organisation
et que rien d'autre ne puisse justifier une telle conclusion. Cette
thèse n'est pas sans mérite si l'on considère que, dés l'accrédita-
tion, les représentants de l'agent accrédité représentent tous les
employés de l'unité de négociation, et que l'employeur est tenu
de négocier avec eux au sujet de l'ensemble ou d'un groupe de
ses employés. Certains voient dans cette conception du vote la
seule qui permette de conclure que l'organisation qui demande
l'accréditation a satisfait à la norme imposée par le législateur.
Cette question se prête à une autre interprétation. Voici ce
que dit à ce sujet l'arrêt The Mayor, Constables and Company
of Merchants of the Staple of England c. The Governor and
Company of the Bank of England (1887), 21 Q.B.D. 160 la
p. 165:
Les actes d'une société sont ceux de la majorité des
associés qui la composent: Com. Dig. tit. Franchise, F. 11; et
à quelques mots près, c'est là la règle de common law d'après
33 Hen. VIII, c. 27. Cela veut dire qu'en l'absence d'usage
spécial, la majorité des associés constitue le quorum et que
l'acte ou la décision doit être pris à la majorité de ceux qui
participent à l'assemblée. Ce principe a été suivi dans Easter
Term, 1693: Hascard c. Somany, Freem. 504, cité dans
Viner's Abridgment tit. Corporations, G. 3, pl. 7; et dans
Rex c. Monday, Cowp. 530 la p. 538, lord Mansfield y
voyait une règle de droit établie.
Les unités de négociation régulièrement constituées d'em-
ployés comme les employés en cause ne sont pas des sociétés,
mais pour déterminer quels actes peuvent être considérés
comme ceux de l'unité, il semble logique que le même principe
s'applique, sous réserve, bien entendu, des dispositions légales
en vigueur.
Lorsque la majorité des employés admissibles à voter prend
part au scrutin et que la majorité des votants exprime le désir
de négocier par l'entremise d'un certain agent, on peut voir
dans ce vote la preuve prima facie de l'intention de la majorité
de ceux qui y ont pris part. Il s'ensuit qu'en l'absence de preuve
contraire, on peut conclure que l'agent ainsi choisi «représente
la majorité des employés».
Pour savoir de quelle façon il faut interpréter les dispositions
de la loi dont s'agit, il faut prendre en considération les
conditions et les conséquences de l'une ou de l'autre interpréta-
tion à adopter, si deux interprétations sont possibles. La liste
d'électeurs établie aux fins du scrutin est au mieux un critère
artificiel. Dans les nombreux cas où le personnel est soumis à
un mouvement et des fluctuations rapides, la liste des employés
arrêtée à une certaine date constituerait une bien pauvre liste
d'électeurs. Lorsqu'un vote est nécessaire, il faut y procéder
dans les meilleurs délais, tant pour la bonne tenue du scrutin
lui-même que pour éviter la prolongation inutile de toute
l'affaire. Si un vote positif de la majorité absolue de tous les
employés ayant droit de vote est la condition préalable de
l'accréditation, l'établissement de la liste des électeurs devient
d'autant plus important, peu importe que les employés se
présentent tous au vote ou non: et il y aurait même lieu de
prévoir le vote des employés provisoirement absents pour cause
de maladie, de vacances ou autre.
En outre, il ressort de l'expérience acquise en la matière par
le National War Labour Board des États-Unis qu'exiger le vote
de la majorité absolue des électeurs reviendrait, dans certains
cas, à accorder à l'indifférence d'une faible minorité une impor
tance qu'elle ne devrait pas avoir. D'autre part, si l'on considé-
rait le vote comme concluant et si l'on était disposé à accepter,
lorsque la majorité de tous les employés a voté, la décision de la
majorité des votants comme la voix du quorum tout entier, on
pourrait à juste titre soutenir qu'une majorité simple de la
majorité, c'est-à-dire 26 p. 100 de tous les employés, pourrait
choisir un agent négociateur.
Je suis d'avis que lorsque dans une unité de négociation, plus
de la moitié des employés ayant droit de vote participent au
vote, que plus de la moitié des votants expriment leur désir de
négocier par l'entremise d'un agent donné, on doit voir dans ce
vote la preuve prima facie que cet agent représente la majorité
des employés de cette unité de négociation.
Je souscris à ce raisonnement du juge d'appel
Gillanders qui assimile les principes dégagés des
anciennes causes à l'état actuel des relations du
travail où les conséquences d'un vote d'accrédita-
tion sont de première importance pour les mem-
bres d'une unité de négociation. De même, dans le
cas qui nous intéresse et où les Indiens jouissent,
en vertu de la Loi des sauvages, d'une autonomie
partielle en matière de propriété, l'article 49(1) a
mis en place une méthode logique, équitable et
pratique pour ce qui est de la cession des réserves
indiennes, tout en prévenant l'injustice inhérente
qui tiendrait au pouvoir de décision laissé entre les
mains de la simple majorité de ceux qui sont
présents à l'assemblée. Qui plus est, cette méthode
peut prévenir une autre catégorie d'injustice, telle
que l'a notée le juge d'appel en ces termes: «exiger
le vote de la majorité absolue des électeurs revien-
drait, dans certains cas, à accorder à l'indifférence
d'une faible minorité une importance qu'elle ne
devrait pas avoir.» Je ne saurais moi-même exposer
le principe de façon plus succincte.
Je mentionnerais brièvement une autre cause:
l'affaire Knowles c. Zoological Society of Lon-
don'. Dans cette affaire, les règlements de la
société prévoyaient l'adoption de nouveaux règle-
ments par voie d'avis donné à une assemblée géné-
rale ordinaire de membres et disposaient que le
projet serait adopté [TRADUCTION] «si la majorité
des membres ayant droit de vote» votait pour ce
projet. Sur la question de savoir si la majorité
7 [1959] 2 All E.R. 595.
requise par le règlement était la majorité de tous
les membres de la société, la Cour d'appel d'An-
gleterre a, d'après le sommaire, statué en ces
termes:
[TRADUCTION] Arrêt: les mots «majorité des membres ayant
droit de vote» figurant au c. 13, art. 3, s'entendaient de la
«majorité des membres présents à l'assemblée et admissibles à y
voter» puisqu'il s'agissait là d'une interprétation possible de ces
mots dans le contexte de l'art. 3 qui s'appliquait à une assem
blée ordinaire donnée, laquelle interprétation devait être adop-
tée pour éviter l'inconvénient (car il serait impossible de savoir
lesquels des membres étaient exclus du droit de suffrage en
raison de leur absence du pays ou inhabiles à voter pour
non-paiement de cotisations) et l'incompatibilité avec les statuts
(car les statuts complémentaires conféraient à la majorité des
trois quarts des membres présents à une assemblée le pouvoir
de modifier les dispositions des statuts qui étaient un document
bien plus important que les règlements).
Ni les faits de cette cause ni le raisonnement de
cette Cour ne s'appliquent tout à fait en l'espèce.
A mon avis, toutefois, cette affaire présente quel-
que intérêt, puisque cette Cour a appliqué aux
organisations non juridiquement constituées, les
règles de vote dégagées d'anciennes causes en
matière de sociétés constituées.
Par ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: Je souscris aux
motifs ci-dessus.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.