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T-5970-78
A. M. Smith & Company Limited (Demanderesse) c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh— Halifax, 16 mai; Ottawa, 23 mai 1980.
Couronne Indemnisation Perte d'achalandage à la suite de l'établissement de l'Office canadien du poisson salé La question est de savoir si la demande d'indemnité de la demanderesse est périmée en vertu de l'art. 2 de The Statute of Limitations de la Nouvelle-Écosse Il échet d'examiner si la demande est fondée sur un «contrat formel. ou sur une «dépossession de biens» The Statute of Limitations, S.R.N.-É. 1967, c. 168, art. 2(1)c),e) Loi sur le poisson salé, S.R.C. 1970 (1ef Supp.), c. 37, Partie III Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 38.
La demanderesse, qui possédait et exploitait une entreprise d'exportation de poisson en Nouvelle-Écosse, réclame, sur le fondement de l'arrêt rendu par la Cour suprême le 22 juin 1978 dans l'affaire Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine, indemnisa- tion pour la dépossession de son achalandage. Par suite de la création en 1970 de l'Office canadien du poisson salé en vertu de la Loi sur le poisson salé, les activités de la demanderesse devinrent inutiles et, vers la fin de 1971, elle mit fin à son entreprise d'exportation de poisson et perdit l'achalandage y attaché. La question se pose de savoir si la demande d'indem- nité de la demanderesse est périmée en vertu de l'article 2 de The Statute of Limitations de la Nouvelle-Écosse. S'appuyant sur l'alinéa 2(1)c) de la Loi, qui prévoit une prescription de vingt ans, la demanderesse fait valoir que son action est, conformément audit alinéa, fondée sur «un cautionnement ou autre contrat formel» («a bond or other specialty»), donc sur «une obligation découlant d'une loi». La défenderesse prétend qu'il s'agit d'une action en dépossession de biens fondée sur l'alinéa 2(1)e) de la Loi (qui prévoit une prescription de six ans) et, par conséquent, maintenant prescrite. Se fondant sur l'historique de The Statute of Limitations de la Nouvelle- Écosse, la demanderesse soutient subsidiairement que les mots «actions en dépossession ou en conversion de biens» de l'alinéa 2(1)e) n'ont jamais été destinés à s'appliquer aux actions nées d'une perte d'achalandage découlant d'une intervention législa- tive dans les affaires commerciales.
Arrêt: l'action est prescrite. Pour ce qui est du premier argument de la demanderesse, la Loi sur le poisson salé n'impose à la Couronne aucune obligation d'indemnisation. Toutefois, l'arrêt Manitoba Fisheries Limited de la Cour suprême, qui a confirmé l'existence d'un recours puisque la loi n'a pas expressément écarté le droit d'indemnisation, s'applique en l'espèce. Le recours de la demanderesse n'est pas fondé sur la loi («on the statute») et n'est donc pas fondé sur un contrat formel («on a specialty»), mais dérive simplement de la loi. Pour ce qui est du deuxième argument de la demanderesse, la règle fondamentale d'interprétation des lois est qu'elles doivent être interprétées littéralement en conformité des mots utilisés dans le texte. Il n'y a pas lieu de faire l'historique du texte considéré ou de tenter de déterminer ce qu'était l'intention du législateur lors de l'adoption de celui-ci. L'interprétation litté-
rale de l'alinéa 2(1)e) ne pose aucune difficulté et ne conduit à aucune situation dure, absurde ou contraire au bon sens. Bien que la défenderesse n'ait pas matériellement dépossédé la demanderesse de ses biens, la Cour suprême ayant décidé que l'achalandage constituait un bien, la demanderesse est en droit d'être indemnisée par la défenderesse. Dès lors, le cas qui nous intéresse tombe bien sous le coup de l'alinéa 2(1)e) et de sa prescription de six ans.
Arrêt appliqué: Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine [1979] 1 R.C.S. 101. Arrêts mentionnés: Cork and Bandon Railway Co. c. Goode (1853) 13 C.B. 826; Thom- son c. Lord Clanmorris [1900] 1 Ch. 718. Arrêt examiné: Dominion Distillery Products Co. Ltd. c. Le Roi [1937] R.C.É. 145 confirmé par [1938] R.C.S. 458.
ACTION. AVOCATS:
K. E. Eaton, c.r. et D. Pink pour la demanderesse.
Eileen M. Thomas, c.r. et H. Gordon pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Kitz, Matheson, Green & Maclsaac, Halifax, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La présente action ainsi que l'action T-118-79 Zwicker & Company, Limited c. La Reine [[1980] 2 C.F. 159], fondées sur la Règle 474(2) de la présente Cour, tendent à obte- nir une décision préliminaire sur un point de droit qui est le même dans les deux actions. Les points litigieux dans les deux affaires sont identiques. Voici la question qui a été posée à la Cour:
[TRADUCTION] Est-ce que la réclamation de la demande- resse est périmée en vertu des dispositions de l'article 2 de la Statute of Limitations, S.R.N.-E. 1967, chapitre 168?
Les alinéas c) et e) du paragraphe (1) dudit article 2, qui donnent lieu aux présents litiges, sont ainsi rédigés:
[TRADUCTION] 2 (1) Les actions dont il est fait mention dans le présent article doivent être engagées dans le délai prévu pour chacune, savoir:
c) pour les actions en recouvrement du loyer prévu par un bail, les actions fondées sur un cautionnement ou autre
contrat formel et les actions en exécution d'un jugement ou d'un engagement, dans les vingt ans de la date la cause d'action a pris naissance ou du prononcé du jugement;
e) sous réserve des exceptions prévues à la présente loi, toutes actions fondées sur un prêt ou un contrat ordinaire, exprès ou tacite, ou en recouvrement de dommages-intérêts découlant d'un contrat ordinaire, ou en recouvrement de deniers faisant l'objet d'une saisie-exécution; toutes actions en réparation de dommages directs aux meubles ou aux immeubles; actions en dépossession ou en conversion de biens meubles ou immeu- bles; actions en diffamation, en abus de procédures et en arrestation illégale, en séduction, en adultère, et toutes autres actions qui eussent pu autrefois être intentées sous forme d'action délictuelle de trespass on the case, dans les six ans de la date la cause d'action a pris naissance.
La question a été soulevée dans un exposé con joint des points litigieux et des faits. Les deux sociétés demanderesses ont été constituées dans la province de Nouvelle-Écosse et leur siège social y est situé. L'action de la A. M. Smith & Company Limited a été introduite le 21 décembre 1978 et celle de la Zwicker & Company, Limited le 4 janvier 1979, mais n'est pas la question. Dans les deux actions, le sous-procureur général du Canada a, au nom de la défenderesse, déposé le 28 février 1979 une défense écrite invoquant l'article 2 de The Statute of Limitations de la Nouvelle- Écosse. Les faits sont exposés dans les paragraphes (2) à (9) de l'exposé conjoint des points litigieux et des faits et sont identiques dans les deux cas, sauf que, au paragraphe (7), il est dit que le montant dont le versement à la demanderesse A. M. Smith & Company Limited a été autorisé est de $60,000, alors que dans le cas de la Zwicker & Company, Limited il est de $46,000. Ces paragraphes sont ainsi conçus:
[TRADUCTION] 2. Il est en outre convenu que ces points de droit seront tranchés sur la base des faits suivants:
(1) La demanderesse est une société qui a été constituée dans la province de Nouvelle-Écosse et qui a son siège social à Lunenburg, dans cette même province.
(2) Jusqu'en 1971, la demanderesse possédait et exploitait une entreprise d'exportation de poisson. Dans le cadre de ses activités, elle achetait à Terre-Neuve du poisson préparé au sel qu'elle emmagasinait, préparait et traitait en Nouvelle- Écosse pour le revendre ensuite à des acheteurs dans les autres provinces du Canada et à l'extérieur du Canada.
(3) Le 25 mars 1970, la Loi sur le poisson salé (ci-après appelée la «Loi») a institué l'Office canadien du poisson salé (ci-après appelé l'«Office») et a déclaré celui-ci mandataire de la défenderesse aux fins de la Loi.
(4) La Partie III de la Loi fait interdiction à la demanderesse de continuer d'acheter du poisson salé à Terre-Neuve et de le
transporter en Nouvelle-Écosse sans licence de l'Office, licence que la demanderesse n'a jamais obtenue.
(5) Le gouverneur en conseil tient de la Loi le pouvoir d'exempter la demanderesse de l'application de la Partie III, mais il ne l'a pas fait.
(6) La Loi autorise le ministre responsable, avec l'approba- tion du gouverneur en conseil, à conclure, au nom du gouver- nement du Canada, un accord avec le gouvernement de la Nouvelle-Écosse prévoyant le paiement par la province d'une indemnité aux propriétaires d'établissements ou de matériel servant à l'emmagasinage, au traitement ou à la préparation du poisson pour le marché, lorsque ces établissements ou ce matériel étaient appelés à, ou susceptibles de, devenir super- flus du fait d'activités que la Partie III de la Loi autorisait l'Office à exercer. Mais la province de Nouvelle-Écosse a refusé de conclure un tel accord.
(7) Par lettre en date du 7 septembre 1971, le ministre des Pêches a informé la demanderesse que le gouvernement du Canada avait autorisé le versement à celle-ci à titre gracieux, de la somme de $60,000' pour la perte de son entreprise résultant de l'entrée en vigueur de la Loi; la demanderesse a par la suite reçu cette somme.
(8) Du fait que l'Office ne lui a délivré aucune licence et que le gouverneur en conseil ne l'a pas exemptée de l'application de la Partie III de la Loi, la demanderesse a, vers la fin de 1971, cessé d'exploiter son entreprise d'exportation de pois- son et a perdu l'achalandage de cette entreprise.
(9) Le 3 octobre 1978, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l'affaire Manitoba Fisheries Limited c. La Reine (1978) 23 N.R. 159 2 et une copie des motifs de jugement prononcés au nom de la Cour par le juge Ritchie est annexée au présent exposé.
Les deux parties admettent que la Loi sur le poisson salé 3 , qui s'applique dans les présentes actions, n'est pas sensiblement différente dans ses effets de la Loi sur la commercialisation du pois- son d'eau douce 4 , qui s'appliquait dans l'affaire Manitoba Fisheries Limited. Dans l'affaire Mani- toba Fisheries Limited, l'action intentée par la demanderesse pour faire déclarer qu'elle avait droit à une indemnité pour la perte subie en raison de ladite Loi a été rejetée tant en première ins tance que devant la Cour d'appel fédérale, bien qu'il ait été reconnu que la mise en œuvre de la Loi avait forcé les appelantes à cesser leurs activi- tés commerciales et que les autorités fédérales, qui
' $46,000 dans l'affaire Zwicker & Company, Limited c. La Reine.
2 Le renvoi tel que publié à [1979] 1 R.C.S. 101 est utilisé dans ces motifs.
3 S.R.C. 1970 (1°" Supp.), c. 37.
4 S.R.C. 1970, c. F-13.
étaient responsables de cette situation, ne leur avaient pas versé de juste indemnité. Les tribunaux inférieurs ont statué que même si la Loi concernée avait eu pour effet d'anéantir l'achalandage de l'appelante, on ne pouvait dire que la Couronne fédérale ou l'Office lui avait pris ce dernier. La Cour suprême a statué que la Loi en question et l'Office qu'elle avait institué avaient eu pour effet de priver l'appelante de l'achalandage attaché à son entreprise en activité et avaient, à toutes fins utiles, rendu inutiles ses biens corporels, et que l'achalandage constituait un bien pour la perte duquel l'appelante n'avait jamais été indemnisée. Rien dans la Loi n'autorisant à déposséder quel- qu'un d'un tel bien sans verser d'indemnité et la Cour ayant conclu qu'il y avait effectivement eu dépossession, il fut statué que celle-ci n'était pas autorisée vu la règle qui veut que [TRADUCTION] «sauf si ses termes l'exigent, une loi ne doit pas être interprétée de manière à déposséder une per- sonne de ses biens sans indemnisation» (lord Atkin- son, dans l'arrêt Le procureur général c. De Key- ser's Royal Hotel Ltd. [1920] A.C. 508).
Le juge Ritchie, qui rendait le jugement de la Cour, a déclaré à la page 110:
Une fois admis que la perte de l'achalandage de l'entreprise de l'appelante, à la suite de l'entrée en vigueur de la Loi et de la création de l'Office, est la perte d'un bien et que cet achalan- dage a été acquis par un organisme fédéral de par la force d'une loi, il faut à mon avis conclure que l'appelante a été privée d'un bien que le gouvernement a acquis.
Bien que dans les présentes actions les demande- resses appuient leurs demandes d'indemnité sur le même fondement, on ne saurait dire que leurs réclamations ont pris naissance le jour de la déci- sion de la Cour suprême, soit le 22 juin 1978. Une telle décision ne fait que déterminer dans quel sens le droit doit être interprété. Qu'une telle décision ait amené le demandeur à se rendre compte qu'il disposait d'un droit d'action ou qu'elle n'ait que confirmé le bien-fondé de ses prétentions, préten- tions qu'avaient rejetées les juridictions inférieu- res, on ne saurait dire que cette décision a donné naissance à ce droit. En l'espèce, le droit à indem- nité des demanderesses pour la dépossession de leur achalandage doit être considéré comme ayant toujours existé à partir du moment de cette dépos- session, laquelle découle de l'adoption de la Loi sur le poisson salé et du fait qu'aucune licence n'a été
délivrée aux demanderesses pour que celles-ci con- tinuent d'exercer leurs activités. C'est à cette date que le droit d'action a pris naissance et si les procédures n'ont pas été engagées dans le délai imparti par The Statute of Limitations, elles de- vront être considérées comme prescrites en dépit de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Manitoba Fisheries Limited. Puisqu'il a été reconnu que la cessation de l'entreprise d'ex- portation de poisson des deux demanderesses et la perte de leur achalandage ont eu lieu vers la fin de 1971, les deux actions sont prescrites si la prescrip tion de six ans prévue à l'article 2(1)e) de The Statute of Limitations de la Nouvelle-Ecosse (pré- citée) s'applique. Par contre, si c'est l'article 2(1)c) qui s'applique, ainsi que le soutiennent les demanderesses, le délai est de vingt ans et les actions ont été engagées en temps utile. Les demanderesses prétendent subsidiairement que si ni l'un ni l'autre des deux alinéas ne s'applique et que si l'on ne peut non plus fonder la prescription sur aucun autre article de la Loi, les actions concernées sont imprescriptibles.
Il est acquis que c'est The Statute of Limita tions de la Nouvelle-Écosse qui s'applique dans les deux actions du fait de l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale s .
Pour statuer sur le point de droit soulevé, la Cour a eu l'avantage de pouvoir se fonder sur les observations élaborées présentées par écrit par les avocats des deux parties ainsi que sur les débats.
Les demanderesses soutiennent principalement que les présentes actions sont fondées sur «un cautionnement ou autre contrat formel) («a bond or other specialty») conformément à l'alinéa c). Elles font valoir qu'un «contrat formel» («spe- cialty») s'entend d'un «contrat sous le sceau du débiteur» («contract under seal»), par exemple un cautionnement ou une hypothèque et qu'une «créance fondée sur un contrat formels) («specialty debt») est une obligation prévue par un tel contrat. Un «contrat formel» peut aussi être une obligation découlant d'une loi (voir Stroud's Judicial Dictio nary, 4e édition, vol. 5, p. 2592). Comme il n'y a manifestement eu aucun contrat sous le sceau du débiteur en l'espèce, les demanderesses sont for cées de soutenir que leurs réclamations sont fon-
5 S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10.
dées sur «une obligation découlant d'une loi». En dehors du fait qu'on pourrait prétendre que, en associant «contrat formel» («specialty») à «caution- nement» («bond»), l'alinéa c) de la Loi a voulu indiquer qu'il s'agissait de contrats formels sem- blables au cautionnement—c'est-à-dire de «con- trats sous le sceau du débiteur»—et non d'obliga- tions découlant d'une loi, la défenderesse soutient que, pour qu'une obligation résulte d'une loi, il faut qu'elle ait été créée par une disposition expresse de celle-ci. Les demanderesses invoquent l'affaire The Cork and Bandon Railway Co. c. Goode 6 , mais comme le souligne la défenderesse, s'il a été statué qu'une action en recouvrement d'une dette à l'égard d'une responsabilité qui prend sa source dans une loi est une action fondée sur un «contrat formel» («specialty»), ce jugement distin- gue toutefois ce cas de celui une loi autorise l'exercice d'un recours qui ne constitue pas pour autant une action fondée sur la loi, et n'est donc pas une action fondée sur un «contrat formel». La défenderesse a invoqué l'affaire Thomson c. Lord Clanmorris 7 dans laquelle, à la page 728, le lord juge Vaughan Williams a distingué entre l'action qu'autorise une loi et l'action fondée sur une loi. Dans le premier cas, il s'agirait d'une action «on the case» et dans le second, d'une action fondée sur la loi («on the statute») ou sur l'obligation y éta- blie. L'affaire Dominion Distillery Products Com pany Limited c. Le Roi» présente un intérêt parti- culier. Il y avait été allégué que la demande de remboursement des taxes versées sur des marchan- dises exportées du pays, remboursement qui était en l'occurrence prévu par la loi établissant la taxe considérée, était une action fondée sur la loi. Néanmoins, après examen, il a été décidé qu'il s'agissait d'une «action for monies had and re ceived» et non d'une «action on a specialty». Cette action a été confirmée en pourvoi devant la Cour suprême du Canada', il a été décidé que l'ac- tion résultant de la loi était une «action for monies had and received» et non une «action on a spe cialty». L'avocat de la défenderesse soutient que, dans ces affaires, ces distinctions ont été invoquées en raison de l'existence de délais de prescription semblables à ceux que prévoit The Statute of Limitations de la Nouvelle-Ecosse.
6 (1853) 13 C.B. 826.
7 [ 1900] 1 Ch. 718.
8 [1937] R.C.É. 145.
9 [1938] R.C.S. 458.
La Loi sur le poisson salé n'impose à la Cou- ronne aucune obligation d'indemnisation. La défenderesse prétend qu'il s'agit d'une action en indemnisation fondée sur la common law et déri- vant de la loi; il ne s'agit pas d'une action fondée sur la loi et, par conséquent, pas d'une action fondée sur un contrat formel. L'avocat des deman- deresses prétend qu'il n'y avait pas de recours de common law. La décision de la Cour suprême dans l'affaire Manitoba Fisheries Limited a toutefois confirmé l'existence d'un recours, puisque la loi n'a pas expressément écarté le droit d'indemnisation. J'en arrive à la conclusion que le recours des demanderesses n'est pas fondé sur la loi («on the statute») et n'est donc pas fondé sur un contrat formel («on a specialty»), mais dérive simplement de la loi, comme a jugé la Cour suprême.
La défenderesse prétend qu'il s'agit d'une action en dépossession de biens fondée sur l'alinéa e) et, par conséquent, maintenant prescrite.
Se fondant sur l'historique de The Statute of Limitations de la Nouvelle-Écosse, les demande- resses soutiennent subsidiairement que les mots «actions en dépossession ou en conversion de biens» de l'alinéa e) n'ont jamais été destinés à s'appli- quer aux actions nées d'une perte d'achalandage découlant d'une intervention législative dans les affaires commerciales. Il est allégué que la pre- mière «limitations statute» de la Nouvelle-Ecosse, (1738) 36 Geo. 3rd c. 24, prévoyait un délai de prescription de six ans pour toutes les «actions of trespass, detinue, trover and replevin for taking away of goods and cattle», s'inspirant ainsi de la Limitations Act anglaise de 1623. La même for mulation a été retenue dans la Limitations of Actions Act de la Nouvelle-Écosse, S.R.N.-E. 1884, c. 112, mais dans The Statute of Limita tions, S.R.N.-É. 1900, c. 167, les mots «detinue, trover and replevin» ont été remplacés par l'ac- tuelle expression «actions for the taking away or conversion of property» («actions en dépossession ou en conversion de biens»). L'avocat des deman- deresses fait valoir que ce changement était destiné à refléter les modifications apportées aux ancien- nes formes d'action par la Judicature Act, l'inten- tion étant d'atteindre par les mots «actions for the taking away ... of property» le même objet que les anciennes actions de «detinue» et de «replevin» et de remplacer l'ancienne action de «trouer» par le terme moderne de «conversion». L'avocat en vient
ensuite à l'«action for replevin», qui permettait à un demandeur d'obtenir des dommages-intérêts pour la dépossession illégale de ses biens, la pre- mière étape étant pour celui-ci d'obtenir la restitu tion des biens sur constitution d'un cautionnement garantissant qu'il maintiendrait sa demande en dommages-intérêts. Il fait remarquer que l'«action for detinue» était à l'origine une action pour inexé- cution d'un contrat de livraison d'un bien donné, ouverte seulement contre ceux qui étaient chargés de la livraison, et que, finalement, elle est devenue une action ouverte contre quiconque retient des biens appartenant à un autre, quel que soit le moyen par lequel il est entré en possession de ces biens. Mais aucune de ces notions ne s'applique à la présente action, puisque la défenderesse n'a jamais matériellement dépossédé les demanderes- ses de leurs biens. Poursuivant son raisonnement, l'avocat des demanderesses prétend que la cause d'action ne tombant pas sous le coup de l'article 2 de The Statute of Limitations de la Nouvelle- Écosse, puisque ni l'article 2(1)e) ni l'article 2(1)c) ne s'applique, et aucune autre disposition de cette même loi ne s'appliquant, l'action n'est pas prescrite.
Ce raisonnement n'emporte pas la conviction. La règle fondamentale d'interprétation des lois est qu'elles doivent être interprétées littéralement en conformité des mots utilisés dans le texte. Et à moins que des difficultés ne surgissent, il faut s'en tenir à cette règle sans faire l'historique du texte considéré et sans tenter de déterminer ce qu'était l'intention du législateur lors de l'adoption de celui-ci (voir Maxwell on the Interpretation of Statutes, 12e édition, pages 28 et suivantes). Max- well dit à la page 29:
[TRADUCTION] Lorsque le législateur formule une loi en termes clairs et non équivoques auxquels on ne peut donner plus d'un sens, il faut appliquer cette loi, quelque dur, absurde ou con- traire au bon sens que puisse être le résultat.
L'interprétation littérale de l'alinéa e) ne me pose aucune difficulté et ne conduit à aucune situation dure, absurde ou contraire au bon sens. Bien que la défenderesse n'ait pas matériellement dépossédé les demanderesses de leurs biens, la Cour suprême a décidé que l'achalandage constitue un bien et que les demanderesses sont en droit d'être indem- nisées par la défenderesse. Comme l'a déclaré le juge Ritchie dans le passage cité plus haut, «..
l'appelante a été privée d'un bien que le gouverne- ment a acquis». Dès lors, il me semble que le cas qui nous intéresse tombe bien sous le coup de l'article 2(1)e) de The Statute of Limitations de la Nouvelle-Écosse et de sa prescription de six ans. Comme dit Maxwell à la page 31:
[TRADUCTION] Une conséquence de la règle d'interprétation littérale est que les termes larges doivent être interprétés large- ment, quelque restreinte qu'ait été la portée des dispositions antérieures portant sur le même sujet.
Et comme dit encore Maxwell, à la page 29 cette fois:
[TRADUCTION] Il a été maintes fois décidé en common law que les lois sur la prescription («statutes of limitation») pré- voyant qu'une action ne peut plus être engagée après l'expira- tion d'un certain délai à partir de la naissance de la cause d'action rendent irrecevable l'action introduite après l'expira- tion du délai imparti, et ce même si la partie lésée n'a pas eu et n'a, à toutes fins utiles, pas pu avoir connaissance de la naissance de la cause d'action et même si l'auteur du méfait a frauduleusement dissimulé la naissance de la cause d'action jusqu'à l'expiration du délai prévu. La sévérité de ces décisions était évidente, mais le texte n'était susceptible d'aucune autre interprétation.
Je dois donc à regret conclure que les actions sont prescrites et qu'il doit être répondu par l'affir- mative à la question de droit soumise à la Cour.
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