A-647-79
Le procureur général du Canada (Requérant)
c.
Valmont Gauthier (Intimé)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain, le juge
suppléant Hyde—Québec, 25 mars; Ottawa, 13
juin 1980.
Examen judiciaire — Relations du travail — L'employé,
qui n'était pas soumis à une convention collective, a été
congédié après plus de douze mois de service — Renvoi à
l'arbitrage — L'arbitre fit droit à la plainte de l'intimé et
ordonna à l'employeur de le réintégrer dans son emploi —
Demande d'examen et d'annulation de la décision de l'arbitre
— Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 27(3),
61.5 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), c. 10,
art. 28.
L'intimé était un employé du Conseil des ports nationaux
lorsqu'il fut congédié après plus de douze mois de service. Ses
conditions de travail n'étant pas régies par une convention
collective, il porta plainte en la façon prévue à l'article 61.5 du
Code canadien du travail. L'affaire fut renvoyée à un arbitre
qui jugea que l'intimé avait été renvoyé illégalement puisque le
fonctionnaire qui l'avait remercié de ses services n'avait pas le
pouvoir de le congédier. L'arbitre ordonna au Conseil des ports
nationaux de le réintégrer dans son emploi. Par cette demande
fondée sur l'article 28, le requérant attaque la décision de
l'arbitre pour les trois motifs suivants: (1) l'intimé n'était pas
un employé auquel s'appliquait la Division V.7 de la Partie III
du Code, du fait qu'il avait remplacé le directeur du port, qu'il
se trouvait être ainsi un «directeur» au sens de l'article 27(4) du
Code et qu'il ne pouvait se prévaloir de l'article 61.5 pour
porter plainte; (2) l'arbitre n'avait pas le pouvoir de se pronon-
cer sur la légalité du congédiement; il pouvait seulement déci-
der si ce congédiement était injuste; et (3) l'arbitre a excédé sa
compétence en jugeant que le congédiement constituait une
peine trop sévère et en ordonnant la réintégration de l'intimé.
L'avocat du requérant invoque l'affaire Port Arthur Shipbuild
ing Co. c. Arthurs dans laquelle la Cour suprême du Canada a
jugé qu'un arbitre avait excédé sa compétence en décidant que
l'employé en faute devait être suspendu temporairement de ses
fonctions et non congédié.
Arrêt: la requête est accueillie. La Cour a compétence pour
réviser la décision de l'arbitre pour excès de compétence,
nonobstant l'article 61.5(10) qui prévoit que toute ordonnance
de l'arbitre est définitive et ne peut être révisée par un tribunal.
En ce qui concerne le premier moyen invoqué par le requérant,
l'arbitre n'a commis aucune erreur de droit en concluant qu'il
avait compétence pour entendre la plainte de l'intimé, au motif
que celui-ci avait conservé sa position d'agent administratif
principal lorsqu'il remplaçait temporairement le directeur et
que le mot «directeur» dans l'article 27(4) n'est pas utilisé dans
un sens large, qui inclurait toute personne participant à la
direction, mais dans un sens plus étroit. Le second moyen du
requérant est cependant fondé. Le seul rôle d'un arbitre, sui-
vant l'article 61.5, est de déterminer si le plaignant a raison de
considérer qu'il a été injustement traité en étant congédié.
L'arbitre a excédé sa compétence en statuant sur la légalité du
congédiement. Il n'est pas nécessaire d'étudier le dernier moyen
du requérant puisqu'il s'attaque à une décision qui n'a pas été
prononcée: l'arbitre n'a pas décidé qu'il fallait remplacer le
congédiement de l'intimé par une peine moins sévère comme
dans l'affaire Port Arthur Shipbuilding; il a seulement conclu
que l'intimé avait été illégalement congédié et devait être
réintégré dans son emploi. Par ailleurs, depuis l'arrêt The
Newfoundland Association of Public Employees c. Le procu-
reur général de Terre-Neuve, l'arrêt Port Arthur Shipbuilding
n'a peut-être plus l'autorité que lui prête le requérant.
Distinction faite avec l'arrêt: Port Arthur Shipbuilding
Co. c. Arthurs [1969] R.C.S. 85. Arrêt mentionné: New-
foundland Association of Public Employees c. Le procu-
reur général de la province de Terre-Neuve [1978] 1
R.C.S. 524.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
Jean-Marc Aubry pour le requérant.
Charles-Henri Desrosiers pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le
requérant.
Desrosiers & Boucher, Sept-Îles, pour l'in-
timé.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE PRATTE: Cette demande faite en vertu
de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, est dirigée contre la
décision d'un arbitre en vertu de la Division V.7 de
la Partie III du Code canadien du travail, S.R.C.
1970, c. L-1)
La Division V.7 est intitulée «Congédiement injuste». Elle
ne contient qu'un seul article, l'article 61.5, qui prévoit un
mécanisme suivant lequel l'employé dont les conditions de
travail ne sont pas régies par une convention collective peut,
dans le cas où il prétend avoir été congédié injustement,
soumettre sa plainte à l'arbitrage. Il suffit de reproduire ici
quelques-uns des quinze paragraphes de cet article:
61.5 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), une
personne
a) qui a terminé douze mois consécutifs d'emploi continu
au service d'un employeur, et
b) qui ne fait pas partie d'un groupe d'employés soumis à
une convention collective
peut formuler par écrit une plainte auprès d'un inspecteur
dans le cas où elle a été congédiée d'une façon qu'elle
considère injuste.
L'intimé était un employé du Conseil des ports
nationaux à Sept- îles lorsqu'il fut congédié, le 17
avril 1979. Il avait plus de 12 mois de service et ses
conditions de travail n'étaient pas régies par une
convention collective. Jugeant avoir été injuste-
ment congédié, il porta plainte en la façon prévue
à l'article 61.5. L'affaire fut renvoyée à un arbitre
qui jugea que l'intimé avait été renvoyé illégale-
ment puisque le fonctionnaire qui l'avait remercié
de ses services n'avait pas le pouvoir de le congé-
dier. L'arbitre fit donc droit à la plainte de l'intimé
et ordonna au Conseil des ports nationaux de le
réintégrer dans son emploi. C'est cette décision que
le requérant attaque aujourd'hui.
(4) La personne congédiée visée au paragraphe (1) ou un
inspecteur peut demander par écrit à l'employeur de lui faire
connaître au moyen d'une déclaration écrite les motifs du
congédiement, et l'employeur est alors tenu de fournir cette
déclaration à la personne qui le demande dans les quinze
jours qui suivent la demande.
(5) Dés qu'une plainte en vertu du paragraphe (1) a été
reçue, un inspecteur doit s'efforcer d'aider les parties à régler
la plainte ou désigner un autre inspecteur dans ce but et,
dans le cas où la plainte n'a pas été réglée dans un délai que
l'inspecteur chargé de la régler juge raisonnable d'après les
circonstances, et si la personne qui a formulé la plainte
réclame par écrit le renvoi de l'affaire à un arbitre en vertu
du paragraphe (6), l'inspecteur doit
a) informer le Ministre de l'échec de son intervention; et
b) transmettre au Ministre la plainte présentée en vertu du
paragraphe (1), jointe de toute déclaration écrite exposant
les motifs du congédiement conformément au paragraphe
(4) ainsi que les autres documents ou déclarations perti-
nents qu'il a en sa possession.
(6) Le Ministre peut, dès qu'il a reçu le rapport conformé-
ment au paragraphe (5), désigner en qualité d'arbitre la
personne qu'il juge appropriée pour entendre l'affaire en
question et en décider; il peut, en outre, renvoyer la plainte à
l'arbitre avec la déclaration écrite donnant les motifs du
congédiement qui fut remise conformément au paragraphe
(4).
(8) L'arbitre doit examiner le caractère injuste du congé-
diement de la personne dont la plainte a été l'objet d'un
renvoi en vertu du paragraphe (6) et doit rendre une décision
et expédier une copie de sa décision et de ses motifs à chaque
partie ainsi qu'au Ministre.
(10) Toute ordonnance de l'arbitre désigné en vertu du
paragraphe (6) est définitive et ne peut être mise en question
devant un tribunal ni revisée par un tribunal.
L'avocat du requérant prétend que l'arbitre a
excédé sa compétence en décidant comme il l'a
fait, et, cela, pour les trois motifs suivants:
1. L'intimé n'était pas un employé auquel s'ap-
pliquait la Division V.7 de la Partie III du Code;
il ne pouvait donc porter plainte en vertu de
l'article 61.5 et l'arbitre n'avait pas le pouvoir de
statuer sur sa plainte;
2. l'arbitre n'avait pas le pouvoir de se pronon-
cer sur la légalité du congédiement de l'intimé; il
pouvait seulement décider si ce congédiement
était injuste;
3. l'arbitre a également excédé sa compétence
en jugeant que, bien que la conduite de l'intimé
ait été répréhensible, le congédiement cons-
tituait en l'espèce une peine trop sévère; l'avocat
du requérant a invoqué à ce sujet l'arrêt de la
Cour suprême du Canada dans l'affaire Port
Arthur Shipbuilding Co. c. Arthurs 2 où on a
décidé qu'un arbitre saisi d'un grief relatif au
congédiement d'un employé avait excédé sa
compétence en décidant que l'employé en faute
devait être suspendu temporairement de ses
fonctions et non congédié.
Deux remarques s'imposent au sujet de ce der-
nier moyen du requérant. La première, c'est que
l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Port
Arthur Shipbuilding n'a peut-être pas, depuis qu'a
été décidée l'affaire The Newfoundland Associa
tion of Public Employees c. Le procureur général
de la province de Terre-Neuve,' l'autorité que lui
prête le requérant. La seconde, c'est qu'il suffit de
lire la décision attaquée pour constater que l'arbi-
tre n'a pas décidé qu'il fallait remplacer le congé-
diement de l'intimé par une peine moins sévère; la
seule décision qu'a rendue l'arbitre, c'est que l'in-
timé avait été illégalement congédié et devait, à
cause de cela, être réintégré dans son emploi. Il ne
sera donc pas nécessaire, à cause de cela, d'étudier
le dernier moyen du requérant puisqu'il s'attaque à
une décision qui n'a pas été prononcée.
2 [1969] R.C.S. 85.
3 [1978] 1 R.C.S. 524.
Avant d'aller plus loin il faut, cependant, ouvrir
une nouvelle parenthèse pour dire que l'avocat de
l'intimé a mis en doute la compétence de la Cour
de réviser la décision attaquée. Il a invoqué le
paragraphe 61.5(10) suivant lequel:
61.5 ...
(10) Toute ordonnance de l'arbitre désigné en vertu du
paragraphe (6) est définitive et ne peut être mise en question
devant un tribunal ni revisée par un tribunal.
Comme cette disposition est entrée en vigueur le
1" juin 1978, longtemps après l'article 28 de la Loi
sur la Cour fédérale, l'avocat de l'intimé a pré-
tendu qu'elle faisait échec au pouvoir de révision
de la Cour en vertu de l'article 28. Pour répondre à
cet argument, il n'est pas nécessaire de se pronon-
cer sur la prétention formulée par l'avocat du
requérant à l'effet qu'il faut, pour exclure le pou-
voir de révision de la Cour en vertu de l'article 28,
un texte qui réfère expressément à ce pouvoir; il
suffit de rappeler qu'il est de jurisprudence cons-
tante que, malgré des dispositions législatives
comme le paragraphe 61.5(10), les Cours supé-
rieures conservent un droit de regard sur les déci-
sions des tribunaux inférieurs lorsque ceux-ci excè-
dent leur compétence. Or, ce que le requérant
reproche à l'arbitre c'est précisément d'avoir
excédé sa compétence en jugeant une affaire qu'il
n'avait pas le pouvoir de connaître et, en tout cas,
en décidant une question (la légalité du congédie-
ment) dont il n'était pas saisi.
J'en reviens aux deux premiers moyens invoqués
par le requérant.
L'avocat du requérant a d'abord soutenu que
l'intimé ne pouvait pas se prévaloir de l'article 61.5
et, cela, parce que l'intimé était en fait «directeur»
du Port de Sept-Îles et parce que le paragraphe
27(4) du Code canadien du travail édicte que la
Division V.7, où se trouve l'article 61.5, ne s'appli-
que pas aux employés «qui sont directeurs.» 4
4 L'article 27 précise le champ d'application de la Partie III
du Code; il faut citer ici, afin d'en comparer le texte, les
paragraphes (3)a) et (4) de cet article:
27....
(3) La Division I ne s'applique ni aux employés ni à
l'égard des employés qui
a) sont directeurs ou surintendants ou participent à la
direction; ...
(4) La Division V.7 ne s'applique ni aux employés ni à
l'égard des employés qui sont directeurs.
L'intimé n'était pas le directeur du Port de
Sept-Îles. Sa fonction habituelle était celle d'agent
administratif principal. Encore que la preuve ne
soit pas bien claire sur ce point, il semble qu'il ait
été chargé de l'administration courante du Port; en
tout cas, il relevait immédiatement du Directeur
général du Port et devait le remplacer lorsqu'il
s'absentait. Peu de temps avant le congédiement de
l'intimé, le Directeur du Port, un monsieur Clou-
tier, fut suspendu de ses fonctions. L'intimé fut
donc appelé à le remplacer temporairement.
L'arbitre a d'abord décidé que l'intimé avait
conservé sa position d'agent administratif principal
lorsqu'il avait remplacé temporairement le Direc-
teur dont il n'avait d'ailleurs pas tous les pouvoirs.
Cela étant, l'arbitre affirma que c'est en ayant
égard aux fonctions de l'intimé comme agent
administratif principal qu'il fallait déterminer s'il
était ou n'était pas un «directeur» au sens du
paragraphe 27(4). L'arbitre exprima ensuite l'avis
que le mot «directeur» dans le paragraphe 27(4)
n'est pas utilisé dans un sens large, qui inclurait
toute personne participant à la direction, mais
dans un sens plus étroit. De tout cela il conclut que
l'intimé n'était pas un «directeur» au sens du para-
graphe 27(4).
Je dois dire que je ne décèle, dans cette argu
mentation, aucune erreur de droit. Et la preuve
relative aux fonctions de l'intimé me paraît si floue
et peu concluante que je ne peux dire que l'arbitre
s'est trompé en décidant qu'il avait compétence
pour juger la plainte de l'intimé.
Le second moyen du requérant, c'est que l'arbi-
tre a excédé sa compétence en se prononçant sur la
légalité du congédiement de l'intimé. Cet argu
ment me paraît fondé. Le seul rôle d'un arbitre,
suivant l'article 61.5, est de déterminer si le plai-
gnant a raison de considérer qu'il a été injustement
traité en étant congédié. L'arbitre, à mon sens,
excède sa compétence et décide une question dont
il n'est pas saisi s'il statue, comme l'a fait l'arbitre
en l'espèce, sur la légalité du congédiement.
Pour ces motifs, je ferais droit à la requête et je
renverrais l'affaire à l'arbitre pour qu'il décide si
l'intimé a été injustement congédié et pour qu'il
prononce, le cas échéant, selon qu'il le jugera à
propos, les ordonnances prévues au paragraphe
61.5(9).
* * *
LE JUGE LE DAIN: Je suis d'accord.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: Je partage l'avis de
M. le juge Pratte.
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