A-558-79
La Reine (Appelante)
c.
Sovereign Seat Cover Mfg. Limited et Fingerhut
International Limited (Intimées)
Cour d'appel, les juges Urie et Ryan, le juge
suppléant Kerr—Ottawa, 19 décembre 1979 et 11
février 1980.
Pratique — Requête en radiation des plaidoiries — Appel
contre la décision du juge de première instance qui a ordonné
la radiation de la déclaration par ce motif que l'action était
fondée sur une obligation contractuelle et non sur la loi
fédérale — Cette action visait à recouvrer des fonds versés à
titre de subvention au développement après que les défenderes-
ses eurent manqué aux conditions prévues — Il échet d'exami-
ner si l'action se fonde sur une obligation contractuelle ou sur
la loi fédérale — Appel accueilli — Règle 419 de la Cour
fédérale — Loi sur les subventions au développement régional,
S.R.C. 1970, c. R-3, modifiée par S.R.C. 1970 (2° Supp.), c.
25, art. 4, 5, 6, 10 — Règlement sur les subventions au
développement régional, DORS/69-398, modifié par DORS/
71-51, art. 7, 15, 16.
Appel formé contre le jugement portant accueil de la requête
introduite par les intimées en radiation de la déclaration par ce
motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action. L'action initiale a
été intentée par la Couronne en vue de recouvrer une subven-
tion après que les défenderesses eurent manqué aux conditions
de la subvention et eurent, de ce fait, contrevenu aux articles 15
et 16 du Règlement sur les subventions au développement
régional. L'offre de la Couronne prévoyait que le montant de la
subvention serait fonction du coût d'immobilisation approuvé
du développement envisagé et du nombre d'emplois créés en
moyenne au cours de la deuxième et de la troisième année après
la date de la mise en exploitation commerciale, emplois qui, de
l'avis du Ministre, auraient été créés directement par le nouvel
établissement. Les défenderesses ont accepté l'offre de la Cou-
ronne, mais n'en ont pas respecté les conditions. Elles n'ont pas
remboursé la subvention non plus. Le juge de première instance
a ordonné la radiation de la déclaration après avoir conclu qu'il
n'y avait pas obligation découlant de la loi. Il échet d'examiner
en l'espèce si l'action de la Couronne est fondée sur la loi
fédérale ou sur une obligation contractuelle.
Arrêt: l'appel est accueilli. Le droit à la subvention découle
des dispositions de la Loi, en particulier de l'article 10. De
même, le droit de la Couronne au recouvrement de la somme
réclamée en l'espèce est fondé sur les articles 15 et 16 du
Règlement, lesquels sont applicables à titre de texte réglemen-
taire et non du fait de leur incorporation dans le contrat
intervenu entre la Couronne et les défenderesses. Quand bien
même, à l'examen des documents pertinents, on découvrirait
des éléments contractuels dans l'offre et l'acceptation, la récla-
mation faite par la demanderesse en l'espèce, telle qu'elle est
établie par la déclaration, est fondée sur les articles applicables
du Règlement. Il s'ensuit que la réclamation est fondée sur un
règlement fédéral, donc sur une loi fédérale, et relève de ce fait
de la compétence de la Cour fédérale. Les articles applicables
du Règlement prévoient expressément l'obligation de rembour-
sement.
Arrêt appliqué: R. c. Rhine [1979] 2 C.F. 651.
APPEL.
AVOCATS:
T. L. James pour l'appelante.
G. E. Fisk pour les intimées.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les
intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: Le présent appel attaque un
jugement de la Division de première instance* qui,
le 11 septembre 1979, a accueilli, conformément à
l'alinéa 419(1)a) des Règles de la Cour fédérale',
la requête introduite par les intimées (défenderes-
ses en première instance), en radiation de la décla-
ration en cause au motif que cette dernière ne
révélait aucune cause d'action, décision qui relève
parfaitement de la compétence de la Cour
fédérale.
L'action intentée par la Couronne vise à recou-
vrer 80 p. 100 d'une subvention au développement,
versée le 7 mars 1974 ou vers cette date aux
défenderesses, en vertu de la Loi sur les subven-
tions au développement régionale et du Règlement
sur les subventions au développement régional («le
Règlement») 3 . La réclamation est fondée sur le
reproche fait aux défenderesses de ne pas s'être
conformées aux conditions de la subvention et par
* [Non publié—Éd.]
' L'alinéa 419(1)a) des Règles de la Cour fédérale porte:
Règle 419. (1) La Cour pourra, à tout stade d'une action
ordonner la radiation de tout ou partie d'une plaidoirie avec
ou sans permission d'amendement, au motif
a) qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action ou
de défense, selon le cas,
et elle peut ordonner que l'action soit suspendue ou rejetée ou
qu'un jugement soit enregistré en conséquence.
2 S.R.C. 1970, c. R-3, modifiée.
3 DORS/69-398, modifié par DORS/71-51.
conséquent d'avoir contrevenu aux articles 15 et 16
du Règlement.
Le savant juge de première instance estimait
que la subvention avait été versée en vertu d'un
contrat intervenu entre les parties, à la suite de
l'acceptation par les défenderesses d'une offre
écrite de la demanderesse. Il a conclu que l'obliga-
tion de remboursement des défenderesses, si obli
gation il y avait, tenait à ce contrat et non à la loi
fédérale ou à son règlement d'application. A son
avis, la Loi [TRADUCTION] «... prévoit les condi
tions préalables à la passation d'un contrat entre
les parties ainsi que certaines stipulations qui doi-
vent y figurer, mais elle ne prévoit pas l'obligation
en cause. Il s'ensuit que si cette obligation découle
de la Loi, elle n'est ni créée ni imposée par la Loi;
on ne saurait donc parler d'une obligation créée
par la loi fédérale ou fondée sur elle.» Après avoir
tiré cette conclusion, il a radié la déclaration en se
fondant sur l'arrêt McNamara Construction
(Western) Ltd. c. La Reine 4 .
Il échet d'examiner en l'espèce si l'action en
recouvrement de la Couronne peut se fonder sur la
Loi et le Règlement sur les subventions au déve-
loppement régional ou si elle ne peut avoir qu'un
fondement contractuel.
A cette fin, il y a lieu de reprendre en détail
certaines allégations contenues dans la déclaration.
D'après l'appelante, la défenderesse Sovereign
Seat Cover Mfg. Limited («Sovereign Seat Cover»)
a fait, dès décembre 1971, une demande de sub-
vention au développement. A la suite des négocia-
tions engagées à ce sujet, Sovereign Seat Cover a
accepté le 3 mars 1972 une offre écrite de subven-
tion faite au nom du ministre de l'Expansion éco-
nomique régionale. Eu égard cependant aux cir-
constances dont fait état la déclaration, les parties
ont déclaré cette offre nulle et de nul effet.
Le 1 °r février 1974, la Couronne aurait fait une
autre offre écrite, cette fois-ci aux deux défende-
resses, Sovereign Seat Cover et Fingerhut Interna
tional Limited. Cette offre prévoyait que le mon-
tant de la subvention au développement serait
4 [1977] 2 R.C.S. 654.
fonction du coût d'immobilisation approuvé du
développement envisagé et du nombre d'emplois
créés en moyenne au cours de la deuxième et de la
troisième année après la date de la mise en exploi
tation commerciale, emplois qui, de l'avis du
Ministre, auraient été créés directement par le
nouvel établissement. Le 24 février 1974, les
défenderesses ont accepté cette nouvelle offre.
Toujours selon l'appelante, un chèque de $109,-
280 a été envoyé aux défenderesses le 7 mars 1974
représentant 80 p. 100 du montant estimatif de la
subvention. Je présume que ce paiement a été
effectué en exécution de l'obligation du Ministre
prévue à l'article 10 de la Lois.
Voici deux autres allégations qui figurent aux
paragraphes 15 et 16 de la déclaration:
[TRADUCTION] 15. Vers le mois de février 1977, la demande-
resse s'est aperçue que les défenderesses ou l'une d'entre elles
avaient, antérieurement au 31 octobre 1976 et sans l'en aviser,
abandonné la fabrication d'aspirateurs et d'édredons et avaient
par conséquent cessé d'utiliser l'actif admissible inclus dans le
coût d'immobilisation approuvé ayant servi à calculer le mon-
tant de la subvention au développement, que par ailleurs elles
5 Voici le libellé de l'article 10 de la Loi sur les subventions
au développement régional:
10. Lorsque le Ministre est convaincu qu'a été mis en
exploitation commerciale un établissement pour l'implanta-
tion duquel ou un établissement agrandi ou modernisé pour
l'agrandissement ou la modernisation duquel a été autorisée
une subvention au développement, dont le montant était
fondé
a) sur le coût d'immobilisation approuvé de l'implantation,
de l'agrandissement ou de la modernisation de l'établisse-
ment, ou
b) sur le coût d'immobilisation approuvé de l'implantation
ou de l'agrandissement de l'établissement et sur le nombre
des emplois créés directement dans l'entreprise,
il doit payer au requérant, à valoir sur cette subvention au
développement, un montant ne dépassant pas 80% du mon-
tant estimatif de la subvention tel qu'il le détermine; et le
reste doit être réglé au moyen de versements et dans le délai
que prescrivent les règlements, lequel délai ne doit pas
dépasser
c) 30 mois à compter du jour de la mise en exploitation
commerciale de l'établissement ou de l'établissement
agrandi ou modernisé, dans un cas auquel s'applique l'ali-
néa a) et ne s'applique pas l'alinéa b), ou
d) 42 mois à compter du jour de la mise en exploitation
commerciale de l'établissement ou de l'établissement
agrandi, dans un cas auquel s'applique l'alinéa b).
n'avaient pas créé, au cours de la deuxième et de la troisième
année qui suivaient la date de mise en exploitation commerciale
de l'établissement, les 43 emplois prévus pour ces nouveaux
produits et ce, en contravention des articles 15 et 16 du
Règlement d'application de la Loi sur les subventions au déve-
loppement régional.
16. La demanderesse a exigé le remboursement du montant
total de la subvention versé en vertu de la Loi et du Règlement
mais jusqu'à présent, les défenderesses ont omis ou refusé de
s'exécuter.
Les articles 15 et 16 du Règlement portent:
15. (1) Toute subvention au développement à l'égard d'un
établissement est assujettie à la condition suivante:
a) si, au cours des 24 mois qui suivent la date de la mise en
exploitation commerciale de l'établissement, dans le cas d'un
établissement à l'égard duquel la subvention au développe-
ment est fondée uniquement sur le coût d'immobilisation
approuvée, ou
b) si, au cours des 36 mois qui suivent la date de la mise en
exploitation commerciale d'un établissement, dans le cas d'un
établissement à l'égard duquel la subvention au développe-
ment est fondée partiellement sur le nombre d'emplois créés
dans l'entreprise,
l'actif admissible inclus dans le coût d'immobilisation approuvé
ayant servi à calculer le montant de la subvention au développe-
ment, cesse d'être utilisé dans l'établissement, le requérant doit,
à moins que le Ministre ne décide qu'il était inévitable que le
requérant cesse de l'utiliser, rembourser à Sa Majesté une
partie de la subvention au développement correspondant, de
l'avis du Ministre, à la proportion dans laquelle se trouve le
coût d'immobilisation approuvé de l'actif admissible qui a cessé
d'être utilisé dans l'établissement, par rapport au coût total
d'immobilisation approuvé.
(2) Le requérant doit
a) aviser immédiatement le Ministre dès qu'il cesse d'utiliser
l'actif admissible dans les circonstances décrites au paragra-
phe (1), et
b) rembourser tout montant qu'il doit remettre conformé-
ment au paragraphe (1), dans les quatre mois de la date où
l'actif admissible a cessé d'être utilisé.
16. Si, au cours des deuxième et troisième années qui suivent
la date de la mise en exploitation commerciale d'un établisse-
ment à l'égard duquel est payée une subvention au développe-
ment fondée partiellement sur le nombre d'emplois créés dans
l'entreprise, le nombre d'emplois directement créés dans l'entre-
prise est inférieur au nombre estimatif d'emplois sur lequel sont
fondés les paiements à valoir sur la subvention au développe-
ment, le requérant doit rembourser à Sa Majesté le montant
versé au titre de la subvention au développement qui correspond
au nombre d'emplois qui n'ont pas par là été créés.
Le but de la Loi sur les subventions au dévelop-
pement régional s'explique par son titre intégral:
Loi prévoyant des subventions au développement pour favoriser
les possibilités d'emploi productif dans les régions du Canada
où des mesures spéciales sont nécessaires pour promouvoir
l'expansion économique et le relèvement social.
La Loi et le Règlement prévoient en détail
l'exercice par le ministre de l'Expansion économi-
que régionale du pouvoir d'autoriser l'octroi de
subventions aux requérants (article 4), fixent les
critères de détermination du montant de la subven-
tion principale, de la subvention secondaire et de la
subvention spéciale (article 5), déterminent le
montant maximum d'une subvention et autorisent
l'attribution d'une subvention inférieure à ce maxi
mum (article 6), et ordonnent au Ministre de
payer les subventions approuvées (article 10). La
Loi prévoit beaucoup d'autres détails du pro
gramme de subvention au développement régional;
il en est de même du Règlement.
L'article 7 du Règlement parle d'une «offre de
subvention au développement faite en vertu de la
Loi». Voici ce qui est manifestement prévu: après
avoir pris en considération une demande compte
tenu des dispositions de la Loi et du Règlement, le
Ministre peut faire une offre de subvention—une
aide pécuniaire—au requérant et il peut en fixer le
montant et les conditions conformément à la Loi et
au Règlement. Il est tout aussi manifeste que
l'octroi de la subvention dépend de l'acceptation
par le requérant des conditions de l'aide. Néan-
moins, cela ne veut pas dire que le droit du requé-
rant à la subvention revêt un caractère contractuel
lorsqu'il [TRADUCTION] «accepte l'offre». C'est de
la Loi et en particulier de l'article 10 que découle
ce droit.
De même, le droit de la Couronne au recouvre-
ment de la somme réclamée en l'espèce est fondé
sur les articles 15 et 16 susmentionnés du Règle-
ment, lesquels sont applicables à titre de texte
réglementaire et non du fait de leur incorporation
dans le contrat intervenu entre la Couronne et les
défenderesses. Quand bien même, à l'examen des
documents pertinents, on découvrirait des éléments
contractuels dans l'offre et l'acceptation, la récla-
mation faite par la demanderesse en l'espèce, telle
qu'elle est établie par la déclaration, est fondée sur
les articles applicables du Règlement.
Il s'ensuit que la réclamation, telle qu'elle est
soutenue dans la déclaration, est une réclamation
fondée sur un règlement fédéral, donc sur la loi
fédérale applicable. Sous ce rapport, la déclaration
est effectivement fondée sur une cause d'action
relevant de la compétence de la Cour fédérale 6 .
A mon avis, l'arrêt La Reine c. Rhine 7 de la
Cour de céans, invoqué par l'appelante, s'applique
parfaitement en l'espèce. Cette affaire portait sur
le remboursement, réclamé par la Couronne, d'un
paiement anticipé pour du grain des Prairies, que
le défendeur avait reçu en vertu de la Loi sur les
paiements anticipés pour le grain des Prairies'.
L'avocat du défendeur a soutenu que l'obligation
de rembourser découlait de l'engagement que le
défendeur était tenu par la Loi de donner avant de
recevoir le paiement anticipé et non de la Loi
elle-même. La Cour de céans a conclu cependant
que la Loi sur les paiements anticipés pour le
grain des Prairies devait être considérée comme
faisant partie intégrante d'un programme plus
vaste de mise en marché du grain des Prairies
prévu par la Loi sur la Commission canadienne du
blé 9 , et que l'obligation de remboursement avait sa
source dans la loi et non dans quelque promesse
contractuelle fondée sur l'engagement requis par la
loi. A mon avis, l'affaire en instance ne fait qu'il-
lustrer plus parfaitement encore un cas où la récla-
mation de la Couronne est fondée sur une obliga
tion qui découle de la loi fédérale. Les articles
applicables du Règlement prévoient expressément
l'obligation de remboursement.
Par ces motifs, je suis d'avis d'accueillir l'appel
avec dépens.
J'infirmerais le jugement dont appel et y substi-
tuerais un jugement rejetant avec dépens la
requête, en date du 5 septembre 1979, des défen-
deresses, en radiation de la déclaration.
* * *
LE JUGE URIE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Je souscris aux
motifs ci-dessus.
6 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10,
article 17.
[1979] 2 C.F. 651.
e S.R.C. 1970, c. P-18, dans sa forme modifiée.
9 S.R.C. 1970, c. C-12, dans sa forme modifiée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.