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A-486-79
L'Association nationale des employés et techni- ciens en radiodiffusion, Armand Bergeron, Byron Lowe, Roch Sarrazin, Ones St. Amour, Jose Lalonde, Andre Villeneuve, Bernard Maguire, Robert Seychuk, Al Donovan, Richard Jamieson, Jacques Gilbert, Denis Meloche, Les Peers, Phil- lip Colborne, Rene Paquet, Michel Masse, Paul Thibeault (Appelants) (Défendeurs)
c.
La Reine du chef du Canada et le procureur géné- ral du Canada (Intimés) (Demandeurs)
Cour d'appel, les juges Pratte et Heald et le juge suppléant Kerr—Ottawa, les 13 et 20 novembre 1979.
Compétence Relations du travail Brefs de prérogative Injonction Appel contre une ordonnance de la Division de première instance qui a accordé une injonction provisoire interdisant aux appelants d'enfreindre l'art. 180(2) du Code canadien du travail Il échet d'examiner si la Division de première instance avait compétence pour accorder l'injonction Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 180(2), 182 tel que modifié par S.C. 1972, c. 18, art. 1 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 17(4), 23.
Appel contre une ordonnance de la Division de première instance qui a accordé une injonction provisoire interdisant aux appelants d'enfreindre l'article 180(2) du Code canadien du travail. C'est l'intimée la Reine qui a demandé l'injonction en alléguant qu'il y avait tout lieu de craindre que les opérations de la Société Radio-Canada ne fussent perturbées par une grève illégale de certains de ses employés. Les appelants invo- quent comme seul motif que la Division de première instance n'était pas compétente en la matière. Ils affirment que l'article 182 du Code canadien du travail donne au Conseil canadien des relations du travail compétence exclusive pour prendre des mesures visant à empêcher une infraction à l'article 180 de ce Code, et que ni la Loi sur la Cour fédérale ni les autres lois ne donnent à la Division de première instance compétence en la matière.
Arrêt: l'appel est accueilli.
Le juge Pratte: En modifiant le Code et en adoptant l'article 182, le Parlement n'a pas conféré une compétence exclusive au Conseil canadien des relations du travail. Rien dans le libellé de l'article 182 n'indique clairement l'intention du Parlement d'en- lever cette compétence aux cours qui l'exerçaient. La Division de première instance n'avait pas compétence en l'espèce, car l'article 17(4) qui, pris isolément, eût pu lui donner compé- tence, est modifié par l'article 23. Attendu qu'une action qui n'est pas entre sujets est une action entre une autorité publique et un sujet, la phrase «tant entre sujets qu'autrement» figurant à l'article 23 signifie: «tant entre sujets qu'entre Sa Majesté ou le procureur général ou une autre autorité publique et un sujet». Il s'ensuit que dans tous les cas énumérés à l'article 23, même dans ceux la Couronne (ou le procureur général) est deman-
deresse ou défenderesse, cette compétence est assujettie à la restriction prévue dans la dernière partie de cet article: «sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale». Lorsque la Couronne est demande- resse ou défenderesse, l'article 23 a pour effet, non pas d'éten- dre la compétence de la Cour, mais de limiter la compétence générale qu'elle tient de l'article 17(1) et (4). L'action des intimés, étant fondée sur l'article 180 du Code canadien des relations du travail, était visée par l'article 23, et le Conseil canadien des relations du travail est investi d'une compétence spéciale pour accorder une injonction visant à empêcher une violation de l'article 180 dans tous les cas l'employeur en fait la demande. Bien qu'en l'espèce, les requérants fussent Sa Majesté et le procureur général, il ressort de la déclaration qu'ils ont seulement agi au nom de la Société Radio-Canada, l'employeur.
Le juge suppléant Kerr: Comme le procureur général n'agis- sait pas de son propre chef en tant que gardien des droits publics garantis par la loi, il ne faut pas interpréter le présent jugement comme signifiant que la Division de première ins tance ne serait pas compétente pour accorder, à la demande du procureur général agissant comme gardien des droits publics garantis par la loi, une injonction contre une menace de viola tion de l'article 180 du Code canadien du travail dans des circonstances il n'existerait aucun autre recours pour régler l'affaire avant qu'il ne soit causé au public un sérieux préjudice.
APPEL. AVOCATS:
M. W. Wright, c.r. pour les appelants (défendeurs).
E. A. Bowie et L. S. Holland pour les intimés (demandeurs).
G. Henderson, c.r. pour le Conseil canadien des relations du travail.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour les appelants (défendeurs).
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés (demandeurs).
Gowling & Henderson, Ottawa, pour le Con- seil canadien des relations du travail.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit de l'appel d'une ordonnance rendue par la Division de première instance [[1980] 1 C.F. 716] accordant une injonction provisoire réclamée par les intimés et interdisant aux appelants d'enfreindre l'article 180(2) du Code canadien du travail, S.R.C. 1970,
c. L-1 tel que modifié par S.C. 1972, c. 18, art. 1.'
Le 20 juillet 1979, Sa Majesté la Reine du chef du Canada a entamé une action devant la Division de première instance et déposé une déclaration alléguant, en bref, qu'il y avait tous les motifs de craindre que les opérations de la Société Radio- Canada ne soient perturbées par une grève illégale de certains de ses employés. Voici en quels termes était formulée la conclusion de cette déclaration.
[TRADUCTION] 12. Le sous-procureur général, au nom de la Société Radio-Canada, réclame ce qui suit:
a) d'une part, une injonction interdisant aux défendeurs et à toute autre personne ayant avis de l'ordonnance de cette Cour de participer à une grève illégale des techniciens au service de la Société Radio-Canada et de collaborer entre eux, par conseil ou complot, à ladite grève et, d'autre part, tout autre redressement injonctif que la Cour juge équitable; et
b) un jugement provisoire dans les termes susdits.
Le 21 juillet 1979, par suite d'une ordonnance du juge en chef adjoint, le procureur général du Canada s'est joint à l'action en qualité de demandeur.
A cette même date, les intimés (les demandeurs devant la Division de première instance) ont pré- senté une demande d'injonction provisoire interdi- sant aux défendeurs (les appelants en l'espèce) d'enfreindre l'article 180 du Code canadien du travail. Cette demande a été accordée par une ordonnance du juge en chef adjoint, contre laquelle le présent appel est interjeté.
Les appelants invoquent comme seul motif que la Division de première instance n'était pas compé- tente en la matière. Ils affirment qu'en vertu de l'article 182 du Code canadien du travail, seul le Conseil canadien des relations du travail a la compétence pour prendre des mesures visant à empêcher une personne d'enfreindre l'article 180 de ce Code. Ils ajoutent qu'en tout état de cause, ni la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), c. 10, ni les autres lois ne donnent compé-
Cette disposition se lit comme suit:
180....
(2) Nul employé ne doit participer à une grève, sauf
a) s'il est membre d'une unité de négociation pour laquelle une mise en demeure de négocier collectivement a été adressée en vertu de la présente Partie; et
b) si les conditions du paragraphe (1) ont été remplies pour l'unité de négociation dont il est membre.
tence à la Division de première instance pour prononcer une injonction dans les circonstances de l'espèce.
L'article 182 du Code canadien du travail a été adopté en 1978 [S.C. 1977-78, c. 27, art. 64]. En voici le libellé:
182. Lorsqu'un employeur prétend qu'un syndicat a déclaré ou autorisé une grève, ou que des employés ont participé, participent ou participeront vraisemblablement à une grève, et que cette grève a eu, a ou aurait pour effet d'entraîner la participation d'un employé à une grève en violation de la présente Partie, l'employeur peut demander au Conseil de déclarer que la grève était, est ou serait illégale et le Conseil peut, après avoir donné au syndicat ou aux employés la possibi- lité de se faire entendre au sujet de cette demande, faire une telle déclaration et, à la demande de l'emploÿeur,. rendre une ordonnance pour
a) enjoindre au syndicat de revenir sur sa décision de décla- rer ou d'autoriser une grève, et d'en informer sans délai les employés concernés;
b) interdire à tout employé de participer à la grève;
c) ordonner à tout employé qui participe à la grève d'accom- plir ses fonctions; et
d) sommer les dirigeants ou représentants d'un syndicat de porter sans délai à la connaissance de ceux de leurs membres que cela peut viser les interdictions ou les ordres établis en vertu des alinéas b) ou c).
Les appelants prétendent qu'en modifiant le Code et en adoptant l'article 182, le Parlement a conféré une compétence exclusive au Conseil canadien des relations du travail. Je ne suis pas d'accord. Jus- qu'à son adoption en 1978, la compétence d'inter- dire les grèves illégales par voie d'injonction était dévolue, sinon à la Cour fédérale, du moins aux cours supérieures des provinces. Je ne vois rien dans le libellé de l'article 182 qui indique claire- ment l'intention du Parlement de leur enlever cette compétence et, à mon sens: [TRADUCTION] «Il faut ... des termes exprès ou implicites très clairs pour déposséder les tribunaux ordinaires du pays de leur compétence ...» 2 .
La seule question à résoudre est donc la sui- vante: la Loi sur la Cour fédérale contient-elle des dispositions qui établissent la compétence de la Division de première instance en la matière? L'avocat des intimés répond par l'affirmative. Il
2 Lord Shaw of Dunfermline dans Toronto Railway Com pany c. Corporation of the City of Toronto [1920] A.C. 455, à la page 461.
soutient qu'en l'espèce la compétence de ladite Division découle de l'article 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale, en vertu duquel:
17....
(4) La Division de première instance a compétence concur- rente en première instance
a) dans les procédures d'ordre civil dans lesquelles la Cou- ronne ou le procureur général du Canada demande redresse- ment; ...
La Cour suprême du Canada a décidé que l'article 17(4) n'est valide que dans la mesure il confère compétence à la Cour quand l'action de la Cou- ronne est fondée sur une loi fédérale existante 3 . Or, selon l'avocat des intimés, la disposition légis- lative fédérale applicable en l'espèce, c'est l'article 180 du Code canadien du travail.
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de détermi- ner si l'action des intimés est fondée sur une loi fédérale parce que, même en présumant que les intimés aient raison sur ce point, je suis néanmoins d'avis que la Division de première instance n'avait pas compétence en l'espèce. Pour les besoins de la discussion, je suis prêt à concéder que l'article 17(4), lu isolément, appuie la thèse de la compé- tence de la Cour. Toutefois, il ne faut pas le lire isolément et, à mon avis, l'article 23 modifie son effet 4 .
L'article 23 prévoit que, dans les cas qu'il énu- mère, la «Division de première instance a compé- tence concurrente en première instance, tant entre sujets qu'autrement ... sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.» Selon moi, comme l'alterna- tive à une action entre sujets est une action entre une autorité publique et un sujet, la phrase «tant entre sujets qu'autrement» signifie «tant entre
3 Voir McNamara Construction (Western) Limited c. La Reine [ 1977] 2 R.C.S. 654.
4 L'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale est rédigé dans les termes suivants:
23. La Division de première instance a compétence con- currente en première instance, tant entre sujets qu'autre- ment, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu d'une loi du Parlement du Canada ou autre- ment, en matière de lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est partie aux procédures, d'aéronauti- que ou d'ouvrages et entreprises reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province, sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
sujets qu'entre Sa Majesté ou le procureur général ou une autre autorité publique et un sujet». Il s'ensuit que dans tous les cas énumérés à l'article 23, même dans ceux la Couronne (ou le procu- reur général) est demanderesse ou défenderesse, la compétence de la Cour est sujette à la limite exprimée dans la dernière partie de cet article («sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale»). En d'autres termes, lorsque la Couronne est demande- resse ou défenderesse, l'article 23 a comme effet, non pas d'augmenter la compétence de la Cour, mais de limiter la compétence étendue que les paragraphes 17(1) et (4) lui confèrent.
En présumant que l'action des intimés est fondée sur l'article 180 du Code canadien du travail, je n'ai aucun mal à conclure qu'elle est visée par l'article 23 puisqu'elle se rapporte nette- ment à une affaire entrant dans l'un des sujets qui y sont énumérés, c'est-à-dire «ouvrages et entrepri- ses reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province». Ceci dit, je ne puis que conclure que la Division de première instance est compétente en la matière, «sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs Nit l'objet d'une attribution spéciale».
L'article 182 confère au Conseil canadien des relations du travail une compétence spéciale pour accorder une injonction visant à empêcher la viola tion de l'article 180 du Code canadien du travail dans tous les cas l'employeur présente une demande à cet effet. Peut-on dire qu'en l'espèce, le Conseil n'était pas compétent parce que les requé- rants étaient Sa Majesté et le procureur général? Je ne le pense pas. Il ressort de la déclaration que la Couronne et le procureur général ont simple- ment agi au nom de la Société Radio-Canada; il est clair que le procureur général n'a pas agi de son propre chef comme représentant de l'intérêt public. Pour cette raison, il s'agit ici d'un cas le Code confère une compétence spéciale au Conseil canadien des relations du travail et où, par consé- quent, la Division de première instance n'est pas compétente.
Pour ces motifs, j'accueille l'appel et annule l'ordonnance de la Division de première instance.
LE JUGE HEALD: Je souscris.
* * *
Ce gui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Je souscris aux motifs du jugement prononcés par le juge Pratte.
Je tiens à ajouter, peut-être inutilement, l'aver- tissement suivant. Comme, à notre avis, le procu- reur général n'agissait pas en l'espèce de son propre chef, c'est-à-dire en tant que gardien des droits publics garantis par la loi, il ne faut en aucune façon interpréter le présent jugement comme signifiant que la Division de première ins tance ne serait pas compétente pour accorder, à la demande du procureur général agissant alors comme gardien des droits publics garantis par la loi, une injonction contre une menace de violation de l'article 180 du Code canadien du travail dans des circonstances il n'existerait aucun autre recours pour régler l'affaire avant qu'il ne soit causé au public un sérieux préjudice.
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