T-1299-79
Associates Corporation of North America
(Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Ottawa, 8 et 10 janvier 1980.
Impôt sur le revenu — Non-résidents — Droits de garantie
de remboursement de dettes payés à la compagnie non rési-
dante par sa filiale canadienne — Droits de garantie réputés
«intérêts» et imposables par application des art. 212(1)b) et
214(15)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu — Incompatibilité
avec les dispositions de la Convention relative à l'impôt entre
le Canada et les États-Unis qui exonère les «bénéfices indus-
triels et commerciaux» — Cotisation annulée — Loi de l'im-
pôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 212(1)b),
214(15)a), modifié par S.C. 1974-75-76, c. 26, art. 119(2) —
Loi de 1943 sur la Convention relative à l'impôt entre le
Canada et les Etats-Unis d'Amérique, S.C. 1943-44, c. 21, art.
2, 3, articles I, II, XXII.
Arrêt suivi: Bennett c. Le ministre du Revenu national
[1949] R.C.S. 287.
ACTION.
AVOCATS:
B. Verchere et S. Kerr pour la demanderesse.
J. Power, c.r. et G. Jorre pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Verchere & Eddy, Toronto, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Le litige consiste à déter-
miner si des versements faits à la demanderesse, et
réputés constituer un paiement d'intérêt suivant
l'alinéa 214(15)a) de la Loi de l'impôt sur le
revenu', sont, dans les circonstances de l'espèce,
exonérés d'impôt, sous le régime de cette Loi, par
la Loi de 1943 sur la Convention relative à l'impôt
entre le Canada et les Etats-Unis d'Amérique 2 .
Les faits ne sont pas contestés. La preuve est
' S.C. 1970-71-72, c. 63, modifié par S.C. 1974-75-76, c. 26,
art. 119(2).
2 S.C. 1943-44, c. 21.
composée des documents transmis au greffe de la
Cour par le ministre du Revenu national confor-
mément au paragraphe 176(2) de la Loi de l'impôt
sur le revenu, et d'un exposé conjoint des faits.
Le montant litigieux, soit $440,019.39, repré-
sente 15 p. 100 des droits de garantie gagnés par la
demanderesse au Canada entre le 18 novembre
1974, date d'entrée en vigueur du paragraphe
214(15), et le 31 décembre 1976. Les cotisations
ont été faites conformément à la Partie XIII de la
Loi de l'impôt sur le revenu, dont le paragraphe
214(15) fait partie intégrante.
Voici le texte de l'exposé conjoint des faits:
[TRADUCTION] LES PARTIES AUX PRÉSENTES, en plus des
documents convenus et ci-joints, reconnaissent les faits énoncés
ci-après, aux seules fins de l'espèce et à condition que ces faits
ne puissent être invoqués contre l'une d'elles à quelque autre
occasion et par quelque autre personne que les parties
elles-mêmes.
1. La demanderesse est une société résidant aux États-Unis
et constituée sous le régime de la loi de l'État du Delaware,
l'un des États des États-Unis d'Amérique.
2. Pendant les années civiles 1974, 1975 et 1976, la deman-
deresse n'avait aucun établissement stable au Canada.
3. Pendant les années civiles 1974, 1975 et 1976, la deman-
deresse exploitait une entreprise aux États-Unis d'Amérique.
4. Associates Acceptance Company Limited est une société
résidant au Canada et constituée sous le régime de la loi
canadienne. (Elle exerce maintenant ses activités sous la
dénomination d'Associates Capital Corporation, suite à un
changement de dénomination intervenu le 29 avril 1977.)
5. Pendant les années civiles 1974, 1975 et 1976, la deman-
deresse était propriétaire exclusif de toutes les actions d'As-
sociates Acceptance Company Limited.
6. Pendant les années civiles 1974, 1975 et 1976, la deman-
deresse, dans le cadre de ses activités et conformément à des
accords écrits conclus entre elle et Associates Acceptance
Company Limited, accords datés du l" janvier 1970 et du ler
janvier 1976 et dont copie constitue les annexes A et B des
présentes, fournissait des garanties de remboursement pour
tous les billets et obligations émis par Associates Acceptance
Company Limited. Ci-joint, en annexe C, une formule
d'effet.
7. En contrepartie de cette garantie de remboursement, la
demanderesse recevait des droits de garantie égaux à 1' p.
100 des montants garantis, ce pourcentage ayant été réduit à
1 p. 100 par l'accord du 1' janvier 1976 mentionné au
paragraphe 6 ci-dessus.
8. Pendant les années civiles 1974, 1975 et 1976, la deman-
deresse a reçu d'Associates Acceptance Company Limited,
respectivement, les montants de $1,284,684, $1,404,489 et
$1,311,114, titre de droits de garantie, ces montants étant
des recettes provenant de l'exercice par la demanderesse de
ses activités.
9. Pendant les années civiles 1974, 1975 et 1976, la deman-
deresse n'a mis aucune somme d'argent à la disposition
d'Associates Acceptance Company Limited.
10. Pendant les années civiles 1974, 1975 et 1976, Associates
Acceptance Company Limited a payé toutes ses dettes
garanties par la demanderesse. Celle-ci n'a jamais été requise
de verser quelque somme en vertu de sa garantie, et elle n'a
effectivement versé aucune somme en vertu de ladite
garantie.
Il n'est pas nécessaire de reproduire ici une partie
quelconque des annexes. Il faut toutefois signaler
que les droits de garantie étaient calculés sur une
base trimestrielle, au taux annuel prescrit et
d'après le montant moyen quotidien des dettes
garanties impayées pendant le trimestre, et qu'ils
étaient payables le dernier jour ouvrable de
l'année.
Les droits de garantie sont bien assujettis à
l'alinéa 214(15)a).
214... .
(15) Aux fins de la présente Partie,
a) lorsqu'une personne non résidante a conclu une entente
aux termes de laquelle elle consent à garantir le rembourse-
ment, en tout ou en partie, du principal d'une obligation,
d'un billet, d'un mortgage, d'une hypothèque ou d'un titre
semblable d'une personne résidant au Canada, toute somme
versée ou créditée en contrepartie de la garantie est réputée
être un paiement d'intérêt sur cette obligation; et
Ces droits sont imposables aux termes de l'alinéa
212(1)b).
212. (1) Toute personne non résidante doit payer un impôt
sur le revenu de 25% sur toute somme qu'une personne résidant
au Canada lui paie ou porte à son crédit, ou est réputée en
vertu de la Partie I lui payer ou porter à son crédit, au titre ou
en paiement intégral ou partiel
b) d'intérêts, sauf
Aucune des exceptions prévues n'est applicable en
l'espèce. Sans la Convention relative à l'impôt
entre le Canada et les États-Unis, ces droits de
garantie seraient certainement imposables entre les
mains de la demanderesse, comme intérêt. Confor-
mément au paragraphe 10(3) des Règles de 1971
concernant l'application de l'impôt sur le revenu
[S.C. 1970-71-72, c. 63, Part III] et à l'article XI
de la Convention, le taux applicable est de 15 p.
100 et non de 25 p. 100.
Les articles 2 et 3 de la Loi ratifiant la Conven
tion sont ainsi conçus:
2. La Convention et le Protocole conclus entre le Canada et
les Etats-Unis d'Amérique, énoncés à l'Annexe de la présente
loi, sont par les présentes ratifiés et déclarés avoir force de loi
au Canada.
3. En cas d'incompatibilité entre les dispositions de la pré-
sente loi ou les stipulations de ladite Convention et dudit
Protocole et l'application de toute autre loi, les dispositions de
la présente loi et les stipulations de la Convention et du
Protocole l'emportent, dans la mesure de cette incompatibilité.
Et voici les dispositions pertinentes de la
Convention:
ARTICLE I
Toute entreprise de l'un des Etats contractants n'est impo-
sable par l'autre Etat contractant en raison de ses bénéfices
industriels et commerciaux que pour la part de ces bénéfices
imputables, aux termes de la présente Convention, à l'établisse-
ment stable qu'elle exploite dans ce dernier Etat.
ARTICLE II
Pour les fins de la présente Convention, l'expression «bénéfi-
ces industriels et commerciaux» ne vise pas le revenu qui se
présente sous la forme ... d'intérêts ....
Conformément à l'article XXII, le Protocole joint
est «réputé faire partie intégrante de la Conven
tion». Suivant le paragraphe 7b) de ce protocole:
7. ...
b) le terme «intérêt», en ladite Convention, vise le revenu
provenant d'effets portant intérêts, d'obligations des pou-
voirs publiques, d'hypothèques, d'obligations de sociétés
dûment constituées, de prêts, de dépôts et de comptes
courants;
Le Protocole ne donne pas du terme «intérêt»
une définition exhaustive. Mais ceci ne signifie pas
que le Canada peut, unilatéralement, y ajouter
d'autres catégories de revenu qui ne sont pas du
tout des intérêts.
Dans Bennett c. M.R.N. 3 , la Cour suprême du
Canada a justement examiné la question de la
nature des paiements faits par un débiteur aux
cautions de ses emprunts bancaires, sous le régime
de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans des
jugements distincts mais concordants, la Cour a
ainsi décidé:
[TRADUCTION] Les montants payés aux cautions ont été
décrits comme des intérêts dans les documents autorisant leur
versement, mais cette description est manifestement inexacte.
L'intérêt est versé par un débiteur à son créancier; le montant
payé à une tierce personne en contrepartie du cautionnement
d'un emprunt ne peut être considéré comme des intérêts."
'[1949] R.C.S. 287.
4 Le juge Locke, aux pages 289 et 290. Le juge en chef
Rinfret et le juge Kellock y ont souscrit.
Les versements faits par [sic] des cautions en question ne
l'ont pas été à titre d'intérêt pour une somme empruntée, mais
à titre de prix d'achat d'une garantie facilitant l'emprunt.'
Je partage l'avis de l'avocat de la défenderesse,
suivant lequel le terme «intérêt» n'est pas assez
large pour englober les droits de garantie litigieux.
Les droits de garantie versés à la demanderesse
ne constituent pas des intérêts au sens de la Con
vention relative à l'impôt entre le Canada et les
É.-U. L'alinéa 214(15)a) de la Loi de l'impôt sur
le revenu, les considérant comme des intérêts, est
incompatible avec la Convention. Conformément à
l'article 3 de la Loi qui rend cette convention
partie intégrante de la loi interne du Canada, cet
alinéa 214(15)a) n'est donc pas applicable aux
droits de garantie visés par la Convention. Les
droits litigieux font partie des bénéfices industriels
et commerciaux de la demanderesse, lesquels ne
sont pas imposables au Canada, puisque cette der-
nière est une entreprise américaine n'ayant pas
d'établissement stable au Canada.
Pour parer à l'observation que cette interpréta-
tion rendrait nul l'alinéa 214(15)a), je ferai remar-
quer que toutes les conventions en matière d'impôt
sur le revenu conclues par le Canada depuis 1974
donnent du terme «intérêt» une définition plus
large et fort susceptible d'être compatible avec cet
alinéa. Ainsi, à titre d'exemple, la Convention
Canada-France en matière d'impôt sur le revenu,
devenue loi interne du Canada depuis le 29 juillet
1976 6 , définit dans son article XI le terme «intérêt»
comme comprenant «tous autres produits assimilés
aux revenus de sommes prêtées par la législation
fiscale de l'État d'où proviennent les revenus».
Les cotisations seront annulées. La demande-
resse aura droit aux dépens.
5 Le juge Estey, aux pages 298 et 299. Lorsqu'on lit tout son
jugement, on s'aperçoit que le juge Estey s'est trompé ou qu'il y
a eu erreur typographique. Il s'agit de paiements aux cautions
et non de paiements faits par les cautions.
6 S.C. 1974-75-76, c. 104.
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