T-3372-77
Karen Annette Lawson et Paul Eugene Rioux
(Demandeurs)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Ottawa, les 6, 7 et 8 février 1980.
Douanes — Confiscation — Camionnette et remorque à
sellette d'attelage confisquées à la frontière — Remorque
acquise aux États-Unis — Le demandeur tirait la remorque
affublée de plaques de commerçant du Québec Interrogé
par un douanier, le demandeur Rioux, avant de dire la vérité,
a déclaré que la remorque avait été achetée à Ottawa — Il
échet d'examiner s'il y a lieu de lever la confiscation — Loi
sur les douanes, S.R.C. 1970, c. C-40, art. 2(1), 18, 180(1),
183(1) — Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, c.
F-10, art. 17.
Les demandeurs demandent à la Cour de lever la confisca
tion, opérée en vertu de la Loi sur les douanes, d'une camion-
nette et d'une remorque à sellette d'attelage. La camionnette
était immatriculée au Québec au nom de Rioux qui est cana-
dien. Les demandeurs avaient l'intention de faire immatriculer
au nom de Lawson, la remorque qui avait été acquise dans
l'État de New York, aux États-Unis. Lawson était américaine.
Le bureau d'immatriculation de New York étant fermé, le
demandeur Rioux a posé son jeu de plaques de commerçant du
Québec sur la remorque, a apprêté cette dernière pour qu'elle
eût l'air usagée puis s'est dirigé vers la frontière. Rioux a
indiqué à la douane qu'il n'avait pas grand-chose à déclarer.
Interrogé sur la remorque, il a menti en affirmant qu'elle était
de fabrication canadienne et qu'il l'avait achetée à Ottawa. A
un moment donné, Rioux a décidé de dire la vérité. Les deux
véhicules furent confisqués. Le propriétaire put récupérer sa
camionnette en versant un cautionnement qui, à $500 près, lui
a été finalement restitué. La remorque demeure confisquée in
rem.
Arrêt: l'action est rejetée. La Cour doit examiner dans la
preuve tous les motifs en vertu desquels les marchandises
auraient pu être confisquées. Elle ne peut restreindre son
examen aux motifs énoncés de la confiscation. Elle doit toute-
fois se limiter à déterminer si les marchandises étaient en fait et
en droit passibles de confiscation. Le pouvoir de lever une
confiscation appartient au gouverneur en conseil; la Cour peut
seulement ordonner la restitution des marchandises ou déclarer
qu'elles demeurent confisquées. La remorque était un «effet»
dont les demandeurs avaient «la charge ou garde». L'obligation
de faire une déclaration écrite incombe à la personne qui arrive
au Canada. Si elle dit qu'elle n'a rien à déclarer, ou si peu que
le douanier ne lui demande pas de faire une déclaration écrite,
elle ne peut ensuite se disculper en disant qu'elle n'a pas eu la
possibilité de le faire. De même elle ne peut prétendre qu'elle
n'avait pas l'obligation de répondre véridiquement aux ques
tions sur les marchandises qui auraient dû faire l'objet d'une
déclaration écrite. La camionnette et la remorque ont été
confisquées du fait de la déclaration mensongère, faite en
violation de l'article 18 de la Loi sur les douanes. Peu importe
que le demandeur soit revenu sur son mensonge avant même
que les véhicules ne fussent confisqués, la confiscation étant
déclenchée par la perpétration et au moment même de l'infrac-
tion. Les dommages-intérêts réclamés par les demandeurs pour
perte d'usage et dépréciation de la remorque n'étaient étayés
par aucune preuve.
Arrêts mentionnés: R. c. Bureau [1949] R.C.S. 367; R. c.
Krakowec [1932] R.C.S. 134.
ACTION.
AVOCATS:
Henri O. Saint-Jacques, c.r., pour les
demandeurs.
Arnold S. Fradkin pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Saint-Jacques & Saint-Jacques, Ottawa,
pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: La présente action découle
de la confiscation, en vertu de la Loi sur les
douanes', d'une camionnette et d'une remorque à
sellette d'attelage opérée à la douane de Cornwall
(Ontario) vers 23h le lundi 25 octobre 1976.
Durant toutes les périodes considérées le deman-
deur Rioux, citoyen canadien, et la demanderesse
Lawson, américaine, vivaient en concubinage,
comme nous le verrons'plus loin.
M. Rioux exploitait autrefois une entreprise
composée d'un garage et d'un commerce de voitu-
res d'occasion jusqu'à ce qu'il la vende en septem-
bre 1976. Elle était située à Kazabazua, au
Québec, où il possédait également une maison. Il
était aussi propriétaire d'une ferme près de Planta-
genet, en Ontario, sur laquelle se trouvait une
«maison mobile». Mme Lawson a vécu avec lui à ces
deux endroits pendant des périodes pouvant aller
jusqu'à plusieurs mois. Elle a également vécu avec
sa mère et sa fille à Chittenango, dans l'État de
New York. M. Rioux a vécu avec elle à cet endroit
pendant de courtes périodes.
Rioux était propriétaire d'une maison mobile
immatriculée dans l'État de New York au nom de
Lawson. Elle avait été achetée à un commerçant à
S.R.C. 1970, c. C-40.
Chittenango en juin 1976. Ils l'amenèrent au
Canada deux fois avant de s'en servir pour un
voyage en Floride à l'été 1976. Ayant eu des
problèmes avec leur maison mobile, ils obtinrent
l'appui d'un organisme de protection du consom-
mateur de l'État de New York et le commerçant
fut forcé de la reprendre. Ce dernier ne pouvant
rembourser le prix d'achat, il fut convenu que
Rioux recevrait $4,000 et la remorque en cause.
Au cours d'une fin de semaine, Rioux se rendit
avec la camionnette en cause à Chittenango et le
lundi 25 octobre, le travail de modification com-
mençait. La camionnette était immatriculée au
nom de Rioux dans la province de Québec. Une
remorque sellette d'attelage n'est pas tirée au
moyen d'une barre de traction comme une remor-
que ordinaire; plutôt, comme pour les grosses
«semi-remorques», une plaque à l'avant de la
remorque est accrochée à une plaque, adaptée pour
la remorquer, se trouvant dans la caisse de la
camionnette. A cause de certaines particularités de
la structure de la camionnette, ce travail, qui
n'aurait dû prendre qu'une heure ou deux, prit
toute la journée. Le bureau d'immatriculation de
l'État de New York, situé à quelque 20 milles de
Chittenango, avait fermé ses portes avant qu'ils
n'aient pu donner suite à leur intention de faire
immatriculer la remorque au nom de Lawson.
Rioux avait dans sa camionnette un jeu de plaques
de commerçant du Québec. Il posa l'une des deux
plaques sur la remorque. Ils mirent quelques arti
cles usagés dans la remorque pour qu'elle ait l'air
utilisée et, Rioux au volant de la camionnette,
Lawson à ses côtés, la remorque à la traîne, ils se
dirigèrent vers la frontière.
Rioux avait vendu son commerce pour prendre
sa retraite et comptait s'établir avec Lawson à
Emporia, en Virginie, localité qu'il avait souvent
traversée dans ses voyages entre le Canada et la
Floride. Elle était bien située, à peu près à mi-che-
min entre les autres endroits où ils avaient l'inten-
tion de séjourner au cours de sa retraite, soit au
Nord, la région d'Ottawa et Chittenango et, au
Sud, la Floride. Rioux voulait acheter une petite
ferme dans cette localité et en avait déjà visité
quelques-unes. Il avait hâte de retourner à Empo
ria et d'y acheter une propriété. Rioux a effective-
ment acheté une ferme de 4 acres près d'Emporia
le 19 novembre 1976. Il l'a vendue le 30 juin 1978
après être revenu vivre à Ottawa. Lawson habite
toujours Emporia. Ils ne vivent plus ensemble.
En revenant au Canada le 25 octobre, les
demandeurs avaient l'intention de passer prendre
leurs effets personnels à Plantagenet et à Kazaba-
zua pour se rendre immédiatement après à Empo
ria. Ils n'entendaient rester au Canada qu'un jour
ou deux.
Lorsqu'ils arrivèrent aux douanes canadiennes,
un préposé s'approcha du côté du conducteur et
parla à Rioux. Lawson demeura silencieuse durant
toute la période pertinente. Quelle qu'ait pu être
précisément la conversation, Rioux n'indiqua pas
que Lawson n'était pas canadienne. Peut-être la
question ne lui fut-elle pas posée directement. On
lui demanda s'il avait quelque chose à déclarer. Il
n'indiqua qu'une boîte de cigares dans l'habitacle
de la camionnette. On lui demanda des précisions
au sujet de la remorque. Il dit qu'elle était cana-
dienne. On lui demanda où il l'avait achetée. Il
répondit: à Ottawa, chez Travel-Mor, rue Bank.
On lui demanda le certificat d'immatriculation. Il
ne l'avait pas. Le préposé demanda à visiter la
remorque. Les demandeurs sortirent de la camion-
nette.
Le témoignage de Rioux n'est pas très clair
quant au moment exact où il s'est décidé à dire la
vérité. Il a peut-être commencé à le faire avant que
le préposé n'entre dans la remorque. Ou peut-être
était-ce après que le préposé eut découvert le
certificat d'origine du fabricant. Selon moi, cela
n'a juridiquement aucune importance. Lorsque
Lawson sortit de la camionnette, on la fit entrer
dans le bureau de douane. Elle avait dans son sac à
main la demande d'immatriculation de l'État de
New York qui avait été remplie par le vendeur.
Les deux véhicules furent confisqués. Le pro-
priétaire put récupérer sa camionnette en versant
un cautionnement qui, à $500 près, lui a finale-
ment été restitué. La remorque demeure confis-
quée in rem.
Rioux ne me semble guère digne de foi. Les
éléments les plus importants de son témoignage
sont toutefois corroborés par sa stupidité mani-
feste. S'il tentait effectivement d'introduire en con-
trebande une remorque toute neuve au Canada, il
s'y est pris d'une façon tout à fait inepte. Si tel
avait été son but, je suis persuadé qu'il s'en serait
tenu à son plan original, c'est-à-dire qu'il aurait
profité de la citoyenneté et de la résidence améri-
caine de Lawson et aurait attendu au lendemain
pour tenter d'introduire la remorque au Canada
grâce à une immatriculation de l'État de New
York. Ce stratagème avait fonctionné deux fois
pour l'habitation mobile. Je crois qu'il était tout
simplement pressé de passer au Canada pour
mettre au plus tôt à exécution ses projets de
retraite. Il a utilisé frauduleusement les plaques de
commerçant du Québec et, ce faisant, a violé ou se
proposait de violer les lois de la route de plusieurs
juridictions. Il était tout à fait prêt à enfreindre la
loi et à mentir dans ce qu'il estimait être son
intérêt. Je ne crois toutefois pas qu'il ait eu l'inten-
tion d'introduire la remorque en contrebande au
Canada. Je doute qu'il ait seulement songé aux
conséquences douanières de ce qu'il allait faire. Il
a plutôt mis au point un stratagème pour éviter de
se faire prendre à violer les lois de la route, ceci
pour pouvoir respecter son horaire. Il s'est fait
prendre à son propre jeu.
Malheureusement pour les demandeurs, la peine
de confiscation est prévue autant pour le défaut de
se conformer aux exigences de l'article 18 de la Loi
sur les douanes que pour contrebande ou tentative
de contrebande.
18. Toute personne ayant la charge d'un véhicule, autre
qu'une voiture de chemin de fer, arrivant au Canada, comme
toute personne arrivant au Canada à pied ou autrement, doit
a) se rendre au bureau de douane le plus rapproché de
l'endroit où elle est arrivée au Canada, ou au poste du
préposé le plus rapproché de cet endroit si ce poste en est plus
rapproché qu'un bureau de douane;
b) avant d'en effectuer le déchargement ou d'en disposer de
quelque façon, faire connaître par écrit au receveur ou
préposé compétent, à ce bureau de douane ou à ce poste, tous
les effets dont elle a la charge ou garde ou dans le véhicule,
et les garnitures, équipements et accessoires du véhicule, et
tous animaux qui le traînent ainsi que leurs harnais et
attelages, de même que les quantités et les valeurs des effets,
équipements, accessoires, harnais et attelages en question; et
c) sur-le-champ répondre véridiquement à telles questions,
relatives aux articles mentionnés dans l'alinéa b), que lui
pose le receveur ou préposé compétent et faire à ce sujet une
déclaration en bonne forme ainsi que l'exige la loi.
Aux fins de l'examen d'une demande de remise de
confiscation, la Cour doit examiner dans la preuve
tous les motifs en vertu desquels les marchandises
auraient pu être confisquées. Elle ne peut restrein-
dre son examen aux motifs énoncés de la confisca
tion. 2 La Cour doit toutefois se limiter à détermi-
ner si les marchandises étaient en fait et en droit
passibles de confiscation.' Le pouvoir de remettre
une confiscation appartient au gouverneur en con-
seil 4 ; la Cour peut seulement ordonner la restitu
tion des marchandises ou déclarer qu'elles demeu-
rent confisquées.
La remorque était un «effet» dont ils avaient «la
charge ou garde». L'avocat des demandeurs a
insisté sur le fait qu'ils n'ont pas eu la possibilité
de «faire connaître par écrit . .. tous les effets dont
[ils avaient] la charge ou garde», tel que prévu à
l'alinéa 18b), et prétend qu'en l'absence d'un tel
rapport écrit, l'exigence, prévue à l'alinéa 18c), de
«sur-le-champ répondre véridiquement» aux ques
tions posées par le préposé au sujet de la remorque
ne s'appliquait pas. Il ne peut être établi à cet
égard de distinction entre la présente espèce et
l'affaire Le Roi c. Bureau. L'obligation de faire un
rapport écrit incombe à la personne qui arrive au
Canada. Si elle dit qu'elle n'a rien à déclarer, ou si
peu que le préposé ne lui demande pas de faire une
déclaration écrite, elle ne peut ensuite se disculper
en disant qu'elle n'a pas eu la possibilité de le
faire. De même, elle ne peut prétendre qu'elle
n'avait pas l'obligation de répondre véridiquement
aux questions sur les marchandises qui auraient dû
être déclarées dans un tel rapport écrit.
La remorque a été confisquée en vertu du para-
graphe 180(1), lequel est ainsi rédigé:
180. (1) Lorsque la personne ayant la charge ou garde de
quelque article mentionné à l'alinéa 18b) a omis de se confor-
mer à l'une des exigences de l'article 18, tous les articles
mentionnés à l'alinéa b) susdit et dont ladite personne a la
charge ou garde, sont acquis légalement et peuvent être saisis et
traités en conséquence.
La camionnette a été confisquée en vertu du para-
graphe 183(1), qui est ainsi conçu:
183. (1) Tous les navires, avec leurs canons, palans, agrès,
apparaux et équipements, et les véhicules, harnais, gréements,
chevaux et bestiaux qui ont servi à importer, décharger, débar-
quer ou enlever ou à transporter subséquemment des effets
passibles de confiscation en vertu de la présente loi, doivent être
saisis et confisqués.
2 Le Roi c. Bureau [ 1949] R.C.S. 367, aux pages 385, 387 et
391.
3 Le Roi c. Krakowec [1932] R.C.S. 134, à la page 143.
4 Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, c. F-10,
art. 17.
La défenderesse pourrait invoquer le paragraphe
231(1), mais elle n'a pas besoin de le faire.
L'on a tenté d'établir que Rioux avait avoué ses
mensonges et dit la vérité au sujet de la remorque
avant que les effets ne soient déclarés confisqués.
C'est vrai en ce sens qu'il a probablement dit la
vérité avant que la confiscation ne soit annoncée.
La situation est toutefois très confuse quant à
savoir s'il a dit la vérité avant que le préposé ne la
découvre; mais tout cela n'a aucune importance.
La Loi prévoit ce qui suit:
2. (1) Dans la présente loi ou toute autre loi relative aux
douanes,
«saisi et confisqué», «passible de confiscation» ou toute autre
expression qui pourrait par elle-même impliquer la nécessité
d'un acte quelconque postérieur à l'infraction, en vue d'opé-
rer la confiscation, ne doit pas s'interpréter comme rendant
cet acte postérieur nécessaire, mais la confiscation résulte du
fait même de l'infraction à l'égard de laquelle la peine de
confiscation est imposée, à compter du moment où l'infrac-
tion est commise;
Selon la loi, la camionnette et la remorque ont été
confisquées au moment où les mensonges étaient
faits.
En plus de demander un jugement déclarant que
la confiscation de la camionnette et de la remorque
n'est pas valide, les demandeurs réclament des
dommages-intérêts pour perte d'usage et déprécia-
tion de la remorque. Absolument aucun élément de
preuve n'a été présenté à l'appui de cette demande
de redressement. Pour ce motif entre autres, cette
demande doit donc être rejetée.
JUGEMENT
L'action est rejeté avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.