A-411-78
Uranerz Exploration and Mining Limited
(Demanderesse)
c.
Le Conseil canadien des relations du travail,
International Union of Operating Engineers,
Hoisting and Portable and Stationary, Local 870
et United Steel Workers of America (Intimés)
Cour d'appel, les juges Heald et Ryan et le juge
suppléant Kelly—Toronto, le 26 janvier; Ottawa,
le 8 juin 1979.
Examen judiciaire — Relations du travail — Accréditation
syndicale — L'unité de négociation déterminée, le premier
scrutin de représentation donnait le choix entre deux syndicats
et la non-représentation syndicale — Ni l'un ni l'autre syndi-
cat n'obtenait la majorité mais l'option de non-représentation
syndicale recueillait le moins de voix — Le second scrutin de
représentation ne donnait plus à choisir qu'entre les deux
syndicats — Il échet d'examiner s'il y a lieu d'examiner et
d'annuler la décision du Conseil canadien des relations du
travail qui a ordonné l'accréditation du syndicat ayant
recueilli la majorité lors du second scrutin — Code canadien
du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 118i), 122(1), 126,
128(1),(2) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.),
c. 10, art. 28(1)a).
Demande fondée sur l'article 28 et tendant à faire examiner
et annuler une décision du Conseil canadien des relations du
travail. Deux syndicats, les Opérateurs de machines lourdes et
les Métallurgistes, demandaient à représenter une unité de
négociation qui n'avait pas encore d'agent négociateur et qui
comprenait, à part quelques exclusions, tous les employés d'une
exploitation minière de Saskatchewan. Le Conseil a ordonné
que les bulletins de vote donnent aux votants le choix entre les
Opérateurs de machines lourdes, les Métallurgistes et la non-
représentation syndicale. Ni l'un ni l'autre syndicat n'a obtenu
la majorité absolue, le troisième choix ayant recueilli le moins
de votes. Lors d'un second scrutin de représentation où il ne
s'agissait plus que de choisir entre les Opérateurs de machines
lourdes et les Métallurgistes, ces derniers ont obtenu la majo-
rité des voix exprimées. Le Conseil a rendu l'ordonnance entre-
prise pour accréditer les Métallurgistes comme agent négocia-
teur du groupe.
Arrêt (le juge Ryan dissident): la demande est accueillie.
Nulle disposition de l'article 1 l 8i) modifié n'autorise le Conseil
à ignorer les dispositions de l'article 128(2). L'article 118i)
confère au Conseil certains pouvoirs pour ordonner un scrutin
ou des scrutins supplémentaires de représentation. L'article
128(2) ne confère nullement le pouvoir d'ordonner ces scrutins,
mais définit la manière dont ils doivent être organisés. L'article
128(2) ne s'applique qu'aux scrutins où aucun autre syndicat
n'est déjà l'agent négociateur, et prévoit que le bulletin de vote
permet à l'employé d'indiquer son désir de n'être représenté par
aucun syndicat. En ignorant les prescriptions de cet article et en
ordonnant un scrutin de représentation différent de celui qui y
est prévu, le Conseil s'est investi de pouvoirs qu'il n'avait pas. A
titre de condition préalable de l'accréditation par le Conseil, il
faut que la majorité des employés appartenant à l'unité de
négociation expriment le désir de se faire représenter par le
Syndicat intimé. En violant l'article 128(2) et en privant les
employés du choix entre un syndicat donné et la non-représen-
tation syndicale, le Conseil a posé la mauvaise question et a
fondé l'accréditation sur la réponse faite par les employés à
cette mauvaise question. La question correcte n'ayant jamais
été posée aux employés, il est impossible de savoir quelle était
véritablement leur volonté. La conclusion du Conseil que la
majorité des employés voulaient être représentés par le Syndi-
cat intimé ne repose donc sur rien.
Le juge Ryan (dissident): L'erreur devrait être caractérisée
comme une erreur de droit, une erreur d'interprétation de la
Loi commise par le Conseil dans sa décision d'accréditation,
décision qu'il lui appartenait de prendre en application de
l'article 126 du Code canadien du travail. A ce titre, cette
erreur n'est pas susceptible d'examen judiciaire sous le régime
de l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale. En limitant
le contrôle judiciaire aux cas prévus à l'alinéa 28(1)a), le
paragraphe 122(1) du Code canadien du travail y soustrait
toute erreur de droit commise par le Conseil dans une décision
qu'il était habilité à prendre. C'est une erreur de droit qu'il a
commise en l'espèce, et cette erreur échappe à la compétence de
la Cour.
Arrêt appliqué: Metropolitan Life Insurance Co. c. Inter
national Union of Operating Engineers, Local 796 [ 1970]
R.C.S. 425. Arrêt approuvé: Re Toronto Newspaper
Guild, Local 87, American Newspaper Guild (C.I.O.) and
Globe Printing Co. [1952] O.R. 345. Distinction faite avec
les arrêts: Union internationale des employés des services,
local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association
[1975] 1 R.C.S. 382; Le Syndicat canadien de la Fonction
publique, section locale 963 c. La Société des alcools du
Nouveau-Brunswick [1979] 2 R.C.S. 227.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
D. K. MacPherson, c.r. pour la demanderesse.
G. Taylor, c.r. et P. Alan Francis pour l'in-
timé le Conseil canadien des relations du
travail.
L. Ingle pour l'intimé United Steel Workers
of America.
PROCUREURS:
MacPherson, Leslie & Tyerman, Regina,
pour la demanderesse.
Goldenberg, Taylor, Randall, Buckwold &
Halstead, Saskatoon, pour l'intimé le Conseil
canadien des relations du travail.
United Steel Workers of America, Toronto,
pour son propre compte.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: La présente requête est fondée
sur l'article 28. Elle vise à faire examiner et annu-
ler une décision du Conseil canadien des relations
du travail rendue le 2 août 1978, et dans laquelle
le Conseil a ordonné l'accréditation des United
Steel Workers of America (ci-après désignés par le
terme les Métallurgistes) en qualité d'agent négo-
ciateur d'un groupe d'employés de la demande-
resse, comme exposé plus amplement dans cette
décision.
Les faits pertinents ne sont pas contestés. Les
voici. Le 17 octobre 1977, l'International Union of
Operating Engineers, Hoisting and Portable and
Stationary, Local 870 (ci-après désignée par l'ex-
pression les Opérateurs de machines lourdes) ont
sollicité du Conseil leur accréditation comme
agent négociateur pour un groupe d'employés de la
demanderesse qui assure le fonctionnement, la
réparation et l'entretien de certains matériels dans
la province de Saskatchewan. Le 7 novembre 1977,
les Métallurgistes ont demandé au Conseil leur
accréditation pour un groupe d'employés qui com-
prenait, entre autres, le groupe pour lequel les
Opérateurs de machines lourdes avaient fait leur
demande. Le 28 décembre 1977, les Métallurgistes
ont demandé l'autorisation d'intervenir dans la
demande des Opérateurs de machines lourdes. Le
10 janvier 1978, le Conseil a accordé aux Métal-
lurgistes la qualité d'intervenant.
En mars 1978, le Conseil a rejeté la demande
d'accréditation des Opérateurs de machines lour-
des en raison du caractère inadéquat de l'unité de
négociation proposée, en demandant les proposi
tions des parties concernant l'unité de négociation
convenable. Le 24 avril 1978, le Conseil a prescrit
un scrutin de représentation dans un groupe com-
prenant tous les employés de la demanderesse à
son entreprise d'extraction d'uranium de Key
Lake, en Saskatchewan, y compris les employés
d'entrepôt, mais à l'exclusion des employés de
bureau, des techniciens, des professionnels, des
préposés à la sécurité et des «contremaîtres et de
tous leurs supérieurs hiérarchiques". Les instruc
tions du Conseil étaient que les bulletins de vote
devaient donner aux votants le choix entre:
a) Être représenté par les Opérateurs de machi
nes lourdes;
b) Être représenté par les Métallurgistes;
c) Ou n'être représenté par aucun de ces deux
syndicats.
Le résultat de ce vote a été le suivant:
Représentation par les Métallurgistes-18 votes
Représentation par les Opérateurs de machines
lourdes-11 votes
Aucune représentation par ces deux syndicats-
10 votes.
Le 19 juin 1978, le Conseil a ordonné de procéder,
auprès du même groupe d'employés, à un second
scrutin de représentation où le choix ne serait
qu'entre les Opérateurs de machines lourdes et les
Métallurgistes. Au cours de ce vote, 28 bulletins
étaient pour les Métallurgistes et 7 pour les Opéra-
teurs de machines lourdes. L'ensemble des bulle
tins valables déposés (35) représentait 63.6% des
55 personnes ayant droit de voter. Le 2 août 1978,
le Conseil rendait la décision ci-attaquée accrédi-
tant les Métallurgistes comme agent négociateur
pour le groupe en question après avoir constaté,
sur la foi du deuxième scrutin de représentation,
que la majorité des employés du groupe souhai-
taient que les Métallurgistes les représentent.
La demanderesse, en se fondant sur l'article
28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2' Supp.), c. 10, attaque la décision d'accré-
ditation du 2 août 1978, en alléguant que le Con-
seil a soit excédé, soit refusé d'exercer sa compé-
tence et qu'il n'a pas observé un principe du droit
naturel. La demanderesse s'appuie surtout à cet
égard sur les dispositions de l'article 128(2) du
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1. Le
texte de l'article 128, qui s'applique à la présente
demande dans sa totalité, est le suivant:
128. (I) Lorsque le Conseil ordonne la tenue d'un scrutin de
représentation au sein d'une unité, il doit
a) définir quels sont les employés qui ont droit de vote; et
b) prendre les dispositions et donner les instructions qu'il
estime nécessaires à la bonne conduite du scrutin, notamment
en ce qui concerne la préparation des bulletins de vote, la
manière de voter, le dépouillement du scrutin, la garde et le
scellage des urnes.
(2) Lorsqu'il ordonne la tenue d'un scrutin de représentation
en rapport avec une demande d'un syndicat visant l'accrédita-
tion de celui-ci à titre d'agent négociateur d'une unité qu'aucun
autre syndicat ne représente à ce titre, le Conseil doit veiller à
ce que tout bulletin de vote soit conçu de façon qu'un employé
puisse y indiquer qu'il ne veut être représenté par aucun
syndicat nommément désigné sur les bulletins de vote.
La demanderesse soutient qu'en prescrivant le
deuxième scrutin de représentation, le Conseil n'a
pas satisfait à la condition suivant laquelle les
bulletins de vote à utiliser dans ce scrutin devaient
permettre aux employés d'indiquer qu'ils ne dési-
raient être représentés par aucun des syndicats
mentionnés sur lesdits bulletins, et que par consé-
quent, s'agissant d'une unité pour laquelle aucun
autre syndicat n'était à l'époque l'agent négocia-
teur, les dispositions de l'article 128(2) ont été
clairement enfreintes.
Dans ses motifs, le Conseil a déclaré avoir pres-
crit le deuxième scrutin, où les employés n'avaient
le choix qu'entre les Opérateurs de machines lour-
des et les Métallurgistes, en application des dispo
sitions de l'article 118i) modifié du Code. Cette
partie des motifs du Conseil figure à la page 158
du volume 1 du dossier d'appel, son texte est le
suivant:
[TRADUCTION] La combinaison de l'abrogation de l'article
128(3) et de la modification de l'article 118i) permettra au
Conseil de présenter aux employés, lors d'un deuxième scrutin,
le choix que le Conseil aurait préféré accorder dans le cas de
CJRC Radio Capitale Ltée. Ceci est conforme à la pratique des
conseils de relations de travail et à la politique législative
provinciale en la matière (par exemple la The Labour Relations
Act, S.R.O. 1970, c. 232, art. 92(6)). C'est conforme égale-
ment à ce qu'attendaient les parties et à l'esprit du Code.
Il me semble se dégager de cette partie des
motifs du Conseil, que celui-ci interprète l'article
1180 modifié du Code comme lui permettant
d'ignorer les dispositions de l'article 128(2) du
Code dans les circonstances de la présente cause.
Ledit article 118i), modifié, est ainsi rédigé:
118. Le Conseil a, relativement à toute procédure engagée
devant lui, pouvoir
i) d'ordonner, en tout temps avant que le Conseil n'ait rendu
sa décision finale,
(i) qu'un scrutin de représentation ou un scrutin de repré-
sentation supplémentaire soit tenu parmi les employés
touchés par la procédure dans tous les cas où le Conseil
estime qu'une telle mesure l'aiderait à décider toute ques
tion qui a été soulevée ou est susceptible de l'être au cours
des procédures, qu'un tel scrutin de représentation soit ou
non prévu ailleurs dans la présente Partie, et
(ii) que les bulletins de vote déposés au cours de tout
scrutin de représentation tenu sur les ordres du Conseil
conformément au sous-alinéa (i) ou à toute autre disposi
tion de la présente Partie soient conservés dans des urnes
de scrutin scellées et que le scrutin ne soit pas dépouillé,
sauf conformément aux ordres du Conseil;
A mon avis, et avec tout le respect que je dois au
Conseil, je n'aperçois rien dans l'article 118i)
modifié qui lui permette d'ignorer les dispositions
précitées de l'article 128(2). Ledit article 118i)
confère au Conseil certains pouvoirs d'ordonner un
scrutin ou des scrutins supplémentaires de repré-
sentation. L'article 128(2) ne confère aucun pou-
voir d'ordonner de tels scrutins, mais définit plutôt
la manière dont ces scrutins doivent être organisés.
Le texte de l'article 128 traite des modalités des
scrutins de représentation et s'applique lorsque le
Conseil a ordonné la tenue d'un scrutin de repré-
sentation. Le texte du paragraphe (2) de cet article
ne s'applique pas à tous les scrutins mais seule-
ment à ceux, comme dans le cas présent, où il n'y a
pas d'autre syndicat comme agent négociateur.
Dans une telle occurrence, il est obligatoire que le
bulletin de vote permette à l'employé d'indiquer
son désir de n'être représenté par aucun des syndi-
cats concernés. Il me semble que ce soit là l'esprit
du Code. J'estime que rien ne permettait de croire
que les onze employés ayant accordé leur vote aux
Opérateurs de machines lourdes, sachant désor-
mais que ceux-ci étaient minoritaires, voteraient
dans le même sens au second tour. Il n'est pas
impossible que les onze employés eussent préféré,
si les bulletins leur avaient permis un tel choix, ne
voter pour aucun syndicat plutôt que pour les
Métallurgistes. Si tel avait été le cas, et en suppo-
sant que tous les autres eussent voté dans le même
sens que la première fois, le second tour aurait
abouti à un vote majoritaire contre les deux syndi-
cats. Bien certainement le but de l'article 128(2)
est d'accorder aux employés cette troisième option,
afin de respecter leur liberté de choix.
D'autre part, il me semble que prétendre que
l'article 128(2) ne s'applique pas à un «scrutin de
représentation supplémentaire» revient à soutenir,
en fait, qu'un «scrutin de représentation supplé-
mentaire» n'est pas «un scrutin de représentation»
au sens de l'article 128(2). Une telle interprétation
des dispositions concernées ne me paraît pas
fondée. Les dispositions de l'article 128(2) s'appli-
quent obligatoirement à tout scrutin de représenta-
tion qui s'y trouve visé. Et le fait pour le Conseil,
d'ignorer les prescriptions de cet article en ordon-
nant un scrutin de représentation différent de celui
qui y est prévu revenait à s'investir de pouvoirs
qu'il n'avait pas.
J'en conclus donc à une erreur du Conseil dans
sa manière de procéder en l'espèce. Cela toutefois
ne règle pas définitivement la question. L'avocat
du Conseil fait en effet valoir que même dans
l'hypothèse d'une erreur de procédure de la part du
Conseil, il s'agirait d'une erreur de droit judiciaire,
et que par conséquent elle n'ouvrirait pas droit à
contrôle puisque les dispositions de l'article 122(1)
du Code canadien du travail limitent les pouvoirs
de la présente Cour de réviser les ordres du Conseil
aux cas qui sont couverts par l'article 28(1)a) de la
Loi sur la Cour fédérale'. Dans son mémoire, le
Conseil exprime cette position comme suit:
[TRADUCTION] 15. Il est respectueusement avancé par le Con-
seil intimé, qu'en interprétant les dispositions du Code canadien
du travail le Conseil remplit une mission à lui confiée par la
Loi. Cette mission n'est pas confiée à cette Cour. Si l'interpré-
tation de la Loi fait intervenir une question de droit, il appar-
tient au Conseil de la trancher. Même si, de l'avis de la Cour, le
Conseil a commis une erreur dans l'adoption d'une telle déci-
sion, il s'agissait d'une question pour laquelle le Parlement a
confié compétence exclusive au Conseil, et qui par conséquent
n'est pas soumise au pouvoir de contrôle judiciaire.
Pour déterminer si le Conseil a commis une
erreur de droit échappant au pouvoir de contrôle
de la présente Cour, ou s'il a outrepassé sa compé-
tence, auquel cas la présente Cour aurait le pou-
voir d'intervenir, le jugement de la Cour suprême
du Canada dans l'affaire Metropolitan Life Insur
ance Company c. International Union of Operating
Engineers, Local 796 2 est, à mon avis, d'une très
grande utilité. Dans cette affaire, le syndicat avait
tenté d'obtenir son accréditation comme agent
négociateur de tous les employés (avec certaines
exceptions) au sein de la division des immeubles de
la Metropolitan Life à Ottawa. La société s'était
opposée à la demande au motif que les statuts de
ce Syndicat pouvaient seulement s'interpréter
comme excluant de l'adhésion au Syndicat les
personnes réclamées pour accréditation par le Syn-
dicat. Le Conseil avait rejeté l'argument de la
société et appliqué une politique de son cru pour
' A mon avis, la seule partie de l'article 28(1)a) qui serait
éventuellement applicable aux circonstances de la présente
cause, est celle qui donne compétence à la Cour dans les cas où
le tribunal a excédé ou refusé d'exercer sa compétence.
2 [1970] R.C.S. 425.
résoudre la question de savoir si un employé était
membre d'un syndicat. Cette politique permettait
à toute personne d'être considérée membre moyen-
nant une simple demande d'adhésion et le verse-
ment d'un droit d'adhésion d'au moins $1 ou de
cotisations mensuelles. La Cour suprême du
Canada a jugé qu'avant d'être habilité à accueillir
la demande d'accréditation du Syndicat, le Conseil
devait avoir l'assurance que plus de 55% des
employés de l'unité de négociation étaient mem-
bres du Syndicat. Si le Conseil avait vérifié ce
point, la Cour n'aurait pu contrôler sa décision,
bien qu'il semble qu'en la prenant, le Conseil ait
commis des erreurs de fait et de droit. Au lieu
d'agir ainsi, le Conseil a entrepris de rechercher si,
pour ce qui était du nombre d'employés requis, les
conditions qu'il avait fixées de son propre chef
étaient remplies. En procédant de la sorte, le Con-
seil, omettant de résoudre la question qui lui était
confiée a résolu à la place celle qu'il ne le lui était
pas et, par conséquent, a outrepassé les bornes de
sa compétence'. En prononçant le jugement de la
Cour, le juge en chef Cartwright a cité, en y
souscrivant, les paroles de conclusion du juge en
chef de l'Ontario Robertson dans l'affaire Re
Toronto Newspaper Guild, Local 87, American
Newspaper Guild (C.I.O.) and Globe Printing
Company ([1952] O.R. 345, la page 365) où
celui-ci déclarait:
[TRADUCTION] En d'autres termes, le Conseil a accordé
l'accréditation au demandeur sans vérifier au préalable si
celui-ci remplissait les conditions requises, enfreignant ainsi une
importante limitation de la compétence du Conseil.
A mon avis, le raisonnement suivi dans les deux
espèces ci-dessus s'applique à la présente affaire.
Le pouvoir du Conseil d'accréditer l'intimé repose
sur l'article 126 du Code canadien du travail, dont
le texte est le suivant:
126. Lorsque le Conseil
a) a reçu d'un syndicat une demande d'accréditation à titre
d'agent négociateur d'une unité,
b) a déterminé l'unité qui constitue une unité de négociation
habile à négocier collectivement, et
c) est convaincu qu'à la date du dépôt de la demande, ou de
toute autre date que le Conseil estime convenir, la majorité
Le résumé ci-dessus des faits pertinents et du jugement de
la Cour suprême du Canada dans l'affaire Metropolitan Life
sont largement extraits du jugement du juge Dickson dans son
renvoi à cette espèce, dans l'affaire Union internationale des
employés des services, local no. 333 c. Nipawin District Staff
Nurses Association [1975] 1 R.C.S. 382, aux pages 389 et 390.
des employés de l'unité veut que le syndicat les représente à
titre d'agent négociateur,
il doit, sous réserve des autres dispositions de la présente Partie,
accréditer ce syndicat à titre d'agent négociateur de l'unité de
négociation.
Ainsi, à mon avis, être convaincu que la majorité
des employés de l'unité de négociation voulaient
que le Syndicat intimé les représente était bien une
condition préalable à l'octroi par le Conseil de
l'accréditation. Dans un effort pour déterminer la
volonté de la majorité des employés, il a ordonné
un scrutin de représentation, mais en le faisant, il a
enfreint les dispositions de l'article 128(2) du Code
en ne donnant pas aux employés la possibilité de
rejeter en bloc les syndicats en lice. En réalité, le
Conseil a posé aux employés une fausse question,
et a accordé l'accréditation sur le fondement des
réponses fournies par les employés à cette fausse
question. La question correcte n'ayant jamais été
posée aux employés, il est impossible de savoir
quelle était leur volonté authentique. La décision
du Conseil que la majorité des employés voulaient
être représentés par le Syndicat intimé ne repose
donc sur rien. Le Conseil a agi de manière sembla-
ble au Conseil dans l'affaire Globe Printing
(supra) en accréditant sans avoir au préalable
convenablement vérifié si le Syndicat remplissait
les conditions requises «enfreignant ainsi une
importante limitation de la compétence du
Conseil.»
Il a été fait allusion tant par l'avocat de la
demanderesse que par celui du Conseil au juge-
ment de la Cour suprême dans l'affaire Nipawin
District Staff Nurses susmentionnée. A mon avis
les circonstances de cette espèce sont différentes de
celles de la présente affaire. Dans cette espèce le
Conseil avait tranché la question dont il avait été
saisi, à savoir si l'association concernée était un
syndicat aux termes de la The Trade Union Act,
1972, S.S. 1972, c. 137. Cela l'avait cependant
forcé de déterminer si ladite association était au
sens de la The Trade Union Act, 1972 une organi
sation dominée par l'employeur. Le Conseil avait
tranché les deux questions, mais il fut allégué qu'il
avait toutefois incorrectement interprété et appli-
qué certaines dispositions de la Loi, outrepassant
ainsi sa compétence. Le juge Dickson, qui a rédigé
le jugement de la Cour, a rejeté ses arguments en
décidant que le Conseil n'avait ni négligé d'appli-
quer ni volontairement ignoré les dispositions per-
tinentes de la The Trade Union Act, 1972, et par
conséquent n'avait pas outrepassé sa compétence.
Dans la présente affaire, le Conseil a par contre
soit négligé de respecter, soit ignoré les dispositions
de l'article 128(2) du Code ce qui, à mon avis, est
une «erreur de compétence» que la présente Cour
est habilitée à redresser en vertu de l'article
28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale. A mon avis
l'extrait ci-après du jugement du juge Dickson 4
s'applique parfaitement à la présente affaire:
Il ne peut y avoir de doute qu'un tribunal «statutaire» ne peut
pas, impunément, faire abstraction des conditions requises par
la loi qui l'a créé, et trancher les questions à sa guise. S'il le
fait, il déborde le cadre de ses pouvoirs, manque de remplir son
devoir envers le public et s'écarte d'une façon d'agir légalement
permise. Une intervention judiciaire est alors non seulement
admissible, mais l'intérêt public l'exige. Mais si la Commission
agit de bonne foi et si sa décision peut rationnellement s'ap-
puyer sur une interprétation qu'on peut raisonnablement consi-
dérer comme étayée par la législation pertinente, alors la Cour
n'interviendra pas.
Je suis d'avis qu'ici le Conseil a effectivement «fait
abstraction des conditions requises par la loi qui l'a
créé» et qu'il ne s'agit pas ici d'un cas dans lequel
la décision du Conseil «peut rationnellement s'ap-
puyer sur une interprétation qu'on peut raisonna-
blement considérer comme étayée par la législation
pertinente».
La Cour suprême du Canada a depuis rendu
jugement dans une affaire Le Syndicat canadien
de la Fonction publique, section locale 963 c. La
Société des alcools du Nouveau-Brunswick 5 .
L'action de la Commission dans la présente cause
diffère essentiellement, à mon avis, de l'affaire
examinée dans ce cas. Il s'agissait alors pour la
Commission de déterminer les droits de l'em-
ployeur aux termes de la Loi relative aux relations
de travail dans les services publics du Nouveau-
Brunswick, L.R.N.-B. 1973, c. P-25 dans un litige
entre un employeur et un syndicat. La Cour a
estimé que les parties se trouvaient à bon droit
devant la Commission; que la Commission devait
décider si certains actes accomplis par l'employeur
au cours d'une grève légale constituaient une viola
tion des dispositions de l'article 102(3) de la Loi;
que pour trancher cette question, la Commission
devait interpréter l'article 102(3); et qu'en adop-
[1975] 1 R.C.S. 382, aux pages 388 et 389.
5 [1979] 2 R.C.S. 227.
tant l'une des diverses interprétations possibles de
cet article, la Commission n'avait pas commis une
erreur qui comme celle décrite dans l'affaire
Nipawin District Staff Nurses (supra), ouvrait
droit à contrôle de sa décision.
Dans l'affaire La Société des alcools du Nou-
veau-Brunswick (supra), la Commission avait à
juger des actes des parties, la marge de liberté
dont elles disposaient était précisée dans la Loi et
la Commission ne pouvait remplir sa mission sans
déterminer d'abord la limite inférieure de la marge
prévue par la Loi.
Dans la présente affaire, en décidant qu'il avait
le droit d'ordonner un nouveau scrutin de repré-
sentation sans observer les dispositions de l'article
128(2), le Conseil ne procédait plus à la solution
d'une question pendante entre les parties, mais
méprisait les obligations auxquelles le Parlement
l'a assujetti.
Le Parlement a précisé dans la Loi ce que le
Conseil devait faire dans les circonstances, et
celui-ci ne pouvait, selon moi, se soustraire à ses
obligations par une fausse interprétation de la Loi
le régissant. C'est à tort qu'il a jugé n'avoir pas à
se conformer aux dispositions de l'article 128(2).
En procédant de la sorte, il a agi sans autorisation,
c'est-à-dire en dehors des limites de sa compé-
tence.
Par ailleurs, l'article que la Commission était
appelé à interpréter dans l'affaire Nouveau-
Brunswick (supra) était très mal rédigé et truffé
d'ambiguïtés.
En abordant la question du bien-fondé des
mesures prises par la Commission, le juge Dickson
a dit à la page 237 du jugement:
La Commission a-t-elle interprété erronément les dispositions
législatives de façon à entreprendre une enquête ou à répondre
à une question dont elle n'était pas saisie? Autrement dit,
l'interprétation de la Commission est-elle déraisonnable au
point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation
pertinente et d'exiger une intervention judiciaire?
Je ne vois vraiment pas comment on peut qualifier ainsi
l'interprétation de la Commission. L'ambiguïté de l'al.
102(3)a) est reconnue et incontestable. Il n'y a pas une inter-
prétation unique dont on puisse dire qu'elle soit la abonne».
a Voir le jugement de la Cour prononcé par le juge Dickson, à
la page 230.
Je ne crois pas que cette affaire puisse être
rapprochée de la présente. En l'espèce en effet, le
Conseil a négligé ou s'est abstenu d'appliquer les
dispositions de l'article 128(2), lesquelles sont clai-
res et précises. Cette attitude répond nettement
selon moi aux critères exposés dans l'affaire Nipa-
win (supra) et repris dans l'affaire Nouveau-
Brunswick (supra).
La Cour devant donc, selon moi, intervenir,
j'admets la présente demande fondée sur l'article
28 et j'annule la décision du Conseil en date du 2
août 1978.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Je souscris.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE RYAN (dissident): J'ai eu l'avantage
de lire les motifs du jugement prononcés par le
juge Heald. Celui-ci a décrit les faits et dégagé les
problèmes. Je souscris à son avis que le Conseil
canadien des relations du travail a commis une
erreur. Je voudrais toutefois caractériser cette
erreur comme une erreur de droit, une erreur
d'interprétation de la Loi commise par le Conseil
dans l'élaboration de sa décision d'accréditer, déci-
sion qu'il lui appartenait de prendre aux termes de
l'article 126 du Code canadien du travail. La
nature de cette erreur, à mon sens, n'ouvre pas
droit à examen en vertu de l'alinéa 28(1)a) de la
Loi sur la Cour fédérale.
Dans cette affaire, le Conseil a toujours agi en
application de l'alinéa 126c)' du Code canadien du
travail. Il cherchait à déterminer si l'un des syndi-
cats bénéficiait de la majorité au sein de l'unité de
négociation, et se trouvait ainsi en droit d'être
accrédité par le Conseil en qualité d'agent négocia-
' Le texte de l'alinéa 126c) du Code canadien du travail est
le suivant:
126. Lorsque le Conseil
c) est convaincu qu'à la date du dépôt de la demande, ou
de toute autre date que le Conseil estime convenir, la
majorité des employés de l'unité veut que le syndicat les
représente à titre d'agent négociateur,
il doit, sous réserve des autres dispositions de la présente
Partie, accréditer ce syndicat à titre d'agent négociateur de
l'unité de négociation.
teur des employés de celle-ci. Le Conseil avait sans
aucun doute compétence pour accomplir cette
tâche. Et par ailleurs, l'alinéa 118p) du Code
permet au Conseil, relativement à toute procédure
dont il est saisi, et dans tous les domaines relevant
de la partie du Code concernant les relations
industrielles, de trancher toute question pouvant se
poser à l'occasion de la procédure.
Le Conseil s'est livré, dans l'exercice de sa com-
pétence, à une fausse interprétation des disposi
tions applicables du Code canadien du travail,
commettant ainsi une erreur de droit. Il a notam-
ment interprété certaines modifications du Code,
entrées en vigueur le 1" juin 1978, comme le
dégageant de l'obligation que lui faisait, avant son
abrogation, le paragraphe 128(3) du Code d'orga-
niser un scrutin de représentation supplémentaire
selon les modalités précisées dans ce paragraphe,
et comme l'autorisant à organiser un scrutin de
représentation supplémentaire en vertu de l'alinéa
118i) modifié en faisant abstraction des disposi
tions du paragraphe 128(2). A la lecture de ses
motifs, il semble que le Conseil ait été d'avis que
l'obligation énoncée au paragraphe 128(2) avait
été remplie avant la tenue du scrutin supplémen-
taire du fait que le choix stipulé dans ce paragra-
phe avait été offert lors du scrutin de représenta-
tion non concluant organisé conformément à
l'article 127. Je ne partage pas cet avis, mais je
peux concevoir comment l'erreur a pu se produire
en lisant le Code modifié à la lumière des modifi
cations elles-mêmes.
En raison du paragraphe 122(1) " du Code cana-
dien du travail, la présente Cour ne pourrait révi-
8 L'article 122 du Code canadien du travail est ainsi conçu:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la pré-
sente Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est
définitive et ne peut être remise en question devant un
tribunal ni revisée par un tribunal, si ce n'est conformément
à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale.
(2) Sauf dans la mesure où le paragraphe (1) le permet,
aucune ordonnance, décision ou procédure du Conseil faite
ou prise en vertu de l'autorité réelle ou présumée des disposi
tions de la présente Partie
a) ne peuvent être mises en question, revisées, interdites
ou restreintes, ou
b) ne peuvent faire l'objet de procédures devant un tribu
nal soit sous la forme d'injonction, certiorari, prohibition
ou quo warranto, soit autrement,
pour quelque motif y compris celui qu'elles outrepassent la
juridiction du Conseil ou qu'au cours des procédures le
Conseil a outrepassé ou perdu sa juridiction.
ser la décision d'accréditer le Conseil que pour les
seuls motifs énoncés à l'alinéa 28(1)a) de la Loi
sur la Cour fédérale. Le texte du paragraphe
28(1), lui-même divisé en trois alinéas, est le
suivant:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute
autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger
une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou
ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature
administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com
mission ou un autre tribunal fédéral eu à l'occasion de procédu-
res devant un office, une commission ou un autre tribunal
fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a
autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une
erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du
dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion
' de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans
tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
En limitant le contrôle judiciaire aux cas prévus
à l'alinéa a), le paragraphe 122(1) du Code cana-
dien du travail y soustrait toute erreur de droit
commise par le Conseil dans l'élaboration d'une
décision qu'il était habilité à prendre. Dans l'es-
pèce, l'erreur commise par le Conseil était de cette
nature. Il s'agit d'une erreur de droit qu'il a com-
mise dans la procédure d'accréditation. A mon
sens, aux termes de l'article 122 du Code canadien
du travail, une erreur de cette nature commise par
le Conseil canadien des relations du travail
échappe à la compétence de la présente Cour.
L'allégation, faite par la demanderesse, d'un
déni de droit naturel n'a pas échappé à mon atten
tion. Je ne la juge toutefois pas fondée.
Je rejette donc la demande.
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