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A-411-78
Uranerz Exploration and Mining Limited (Demanderesse)
c.
Le Conseil canadien des relations du travail, International Union of Operating Engineers, Hoisting and Portable and Stationary, Local 870 et United Steel Workers of America (Intimés)
Cour d'appel, les juges Heald et Ryan et le juge suppléant Kelly—Toronto, le 26 janvier; Ottawa, le 8 juin 1979.
Examen judiciaire Relations du travail Accréditation syndicale L'unité de négociation déterminée, le premier scrutin de représentation donnait le choix entre deux syndicats et la non-représentation syndicale Ni l'un ni l'autre syndi- cat n'obtenait la majorité mais l'option de non-représentation syndicale recueillait le moins de voix Le second scrutin de représentation ne donnait plus à choisir qu'entre les deux syndicats Il échet d'examiner s'il y a lieu d'examiner et d'annuler la décision du Conseil canadien des relations du travail qui a ordonné l'accréditation du syndicat ayant recueilli la majorité lors du second scrutin Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 118i), 122(1), 126, 128(1),(2) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 28(1)a).
Demande fondée sur l'article 28 et tendant à faire examiner et annuler une décision du Conseil canadien des relations du travail. Deux syndicats, les Opérateurs de machines lourdes et les Métallurgistes, demandaient à représenter une unité de négociation qui n'avait pas encore d'agent négociateur et qui comprenait, à part quelques exclusions, tous les employés d'une exploitation minière de Saskatchewan. Le Conseil a ordonné que les bulletins de vote donnent aux votants le choix entre les Opérateurs de machines lourdes, les Métallurgistes et la non- représentation syndicale. Ni l'un ni l'autre syndicat n'a obtenu la majorité absolue, le troisième choix ayant recueilli le moins de votes. Lors d'un second scrutin de représentation il ne s'agissait plus que de choisir entre les Opérateurs de machines lourdes et les Métallurgistes, ces derniers ont obtenu la majo- rité des voix exprimées. Le Conseil a rendu l'ordonnance entre- prise pour accréditer les Métallurgistes comme agent négocia- teur du groupe.
Arrêt (le juge Ryan dissident): la demande est accueillie. Nulle disposition de l'article 1 l 8i) modifié n'autorise le Conseil à ignorer les dispositions de l'article 128(2). L'article 118i) confère au Conseil certains pouvoirs pour ordonner un scrutin ou des scrutins supplémentaires de représentation. L'article 128(2) ne confère nullement le pouvoir d'ordonner ces scrutins, mais définit la manière dont ils doivent être organisés. L'article 128(2) ne s'applique qu'aux scrutins aucun autre syndicat n'est déjà l'agent négociateur, et prévoit que le bulletin de vote permet à l'employé d'indiquer son désir de n'être représenté par aucun syndicat. En ignorant les prescriptions de cet article et en ordonnant un scrutin de représentation différent de celui qui y est prévu, le Conseil s'est investi de pouvoirs qu'il n'avait pas. A titre de condition préalable de l'accréditation par le Conseil, il
faut que la majorité des employés appartenant à l'unité de négociation expriment le désir de se faire représenter par le Syndicat intimé. En violant l'article 128(2) et en privant les employés du choix entre un syndicat donné et la non-représen- tation syndicale, le Conseil a posé la mauvaise question et a fondé l'accréditation sur la réponse faite par les employés à cette mauvaise question. La question correcte n'ayant jamais été posée aux employés, il est impossible de savoir quelle était véritablement leur volonté. La conclusion du Conseil que la majorité des employés voulaient être représentés par le Syndi- cat intimé ne repose donc sur rien.
Le juge Ryan (dissident): L'erreur devrait être caractérisée comme une erreur de droit, une erreur d'interprétation de la Loi commise par le Conseil dans sa décision d'accréditation, décision qu'il lui appartenait de prendre en application de l'article 126 du Code canadien du travail. A ce titre, cette erreur n'est pas susceptible d'examen judiciaire sous le régime de l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale. En limitant le contrôle judiciaire aux cas prévus à l'alinéa 28(1)a), le paragraphe 122(1) du Code canadien du travail y soustrait toute erreur de droit commise par le Conseil dans une décision qu'il était habilité à prendre. C'est une erreur de droit qu'il a commise en l'espèce, et cette erreur échappe à la compétence de la Cour.
Arrêt appliqué: Metropolitan Life Insurance Co. c. Inter national Union of Operating Engineers, Local 796 [ 1970] R.C.S. 425. Arrêt approuvé: Re Toronto Newspaper Guild, Local 87, American Newspaper Guild (C.I.O.) and Globe Printing Co. [1952] O.R. 345. Distinction faite avec les arrêts: Union internationale des employés des services, local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association [1975] 1 R.C.S. 382; Le Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau-Brunswick [1979] 2 R.C.S. 227.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
D. K. MacPherson, c.r. pour la demanderesse. G. Taylor, c.r. et P. Alan Francis pour l'in- timé le Conseil canadien des relations du travail.
L. Ingle pour l'intimé United Steel Workers of America.
PROCUREURS:
MacPherson, Leslie & Tyerman, Regina, pour la demanderesse.
Goldenberg, Taylor, Randall, Buckwold & Halstead, Saskatoon, pour l'intimé le Conseil canadien des relations du travail.
United Steel Workers of America, Toronto, pour son propre compte.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: La présente requête est fondée sur l'article 28. Elle vise à faire examiner et annu- ler une décision du Conseil canadien des relations du travail rendue le 2 août 1978, et dans laquelle le Conseil a ordonné l'accréditation des United Steel Workers of America (ci-après désignés par le terme les Métallurgistes) en qualité d'agent négo- ciateur d'un groupe d'employés de la demande- resse, comme exposé plus amplement dans cette décision.
Les faits pertinents ne sont pas contestés. Les voici. Le 17 octobre 1977, l'International Union of Operating Engineers, Hoisting and Portable and Stationary, Local 870 (ci-après désignée par l'ex- pression les Opérateurs de machines lourdes) ont sollicité du Conseil leur accréditation comme agent négociateur pour un groupe d'employés de la demanderesse qui assure le fonctionnement, la réparation et l'entretien de certains matériels dans la province de Saskatchewan. Le 7 novembre 1977, les Métallurgistes ont demandé au Conseil leur accréditation pour un groupe d'employés qui com- prenait, entre autres, le groupe pour lequel les Opérateurs de machines lourdes avaient fait leur demande. Le 28 décembre 1977, les Métallurgistes ont demandé l'autorisation d'intervenir dans la demande des Opérateurs de machines lourdes. Le 10 janvier 1978, le Conseil a accordé aux Métal- lurgistes la qualité d'intervenant.
En mars 1978, le Conseil a rejeté la demande d'accréditation des Opérateurs de machines lour- des en raison du caractère inadéquat de l'unité de négociation proposée, en demandant les proposi tions des parties concernant l'unité de négociation convenable. Le 24 avril 1978, le Conseil a prescrit un scrutin de représentation dans un groupe com- prenant tous les employés de la demanderesse à son entreprise d'extraction d'uranium de Key Lake, en Saskatchewan, y compris les employés d'entrepôt, mais à l'exclusion des employés de bureau, des techniciens, des professionnels, des préposés à la sécurité et des «contremaîtres et de tous leurs supérieurs hiérarchiques". Les instruc tions du Conseil étaient que les bulletins de vote devaient donner aux votants le choix entre:
a) Être représenté par les Opérateurs de machi nes lourdes;
b) Être représenté par les Métallurgistes;
c) Ou n'être représenté par aucun de ces deux syndicats.
Le résultat de ce vote a été le suivant:
Représentation par les Métallurgistes-18 votes
Représentation par les Opérateurs de machines lourdes-11 votes
Aucune représentation par ces deux syndicats- 10 votes.
Le 19 juin 1978, le Conseil a ordonné de procéder, auprès du même groupe d'employés, à un second scrutin de représentation le choix ne serait qu'entre les Opérateurs de machines lourdes et les Métallurgistes. Au cours de ce vote, 28 bulletins étaient pour les Métallurgistes et 7 pour les Opéra- teurs de machines lourdes. L'ensemble des bulle tins valables déposés (35) représentait 63.6% des 55 personnes ayant droit de voter. Le 2 août 1978, le Conseil rendait la décision ci-attaquée accrédi- tant les Métallurgistes comme agent négociateur pour le groupe en question après avoir constaté, sur la foi du deuxième scrutin de représentation, que la majorité des employés du groupe souhai- taient que les Métallurgistes les représentent.
La demanderesse, en se fondant sur l'article 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, attaque la décision d'accré- ditation du 2 août 1978, en alléguant que le Con- seil a soit excédé, soit refusé d'exercer sa compé- tence et qu'il n'a pas observé un principe du droit naturel. La demanderesse s'appuie surtout à cet égard sur les dispositions de l'article 128(2) du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1. Le texte de l'article 128, qui s'applique à la présente demande dans sa totalité, est le suivant:
128. (I) Lorsque le Conseil ordonne la tenue d'un scrutin de représentation au sein d'une unité, il doit
a) définir quels sont les employés qui ont droit de vote; et
b) prendre les dispositions et donner les instructions qu'il estime nécessaires à la bonne conduite du scrutin, notamment en ce qui concerne la préparation des bulletins de vote, la manière de voter, le dépouillement du scrutin, la garde et le scellage des urnes.
(2) Lorsqu'il ordonne la tenue d'un scrutin de représentation en rapport avec une demande d'un syndicat visant l'accrédita- tion de celui-ci à titre d'agent négociateur d'une unité qu'aucun autre syndicat ne représente à ce titre, le Conseil doit veiller à ce que tout bulletin de vote soit conçu de façon qu'un employé
puisse y indiquer qu'il ne veut être représenté par aucun syndicat nommément désigné sur les bulletins de vote.
La demanderesse soutient qu'en prescrivant le deuxième scrutin de représentation, le Conseil n'a pas satisfait à la condition suivant laquelle les bulletins de vote à utiliser dans ce scrutin devaient permettre aux employés d'indiquer qu'ils ne dési- raient être représentés par aucun des syndicats mentionnés sur lesdits bulletins, et que par consé- quent, s'agissant d'une unité pour laquelle aucun autre syndicat n'était à l'époque l'agent négocia- teur, les dispositions de l'article 128(2) ont été clairement enfreintes.
Dans ses motifs, le Conseil a déclaré avoir pres- crit le deuxième scrutin, les employés n'avaient le choix qu'entre les Opérateurs de machines lour- des et les Métallurgistes, en application des dispo sitions de l'article 118i) modifié du Code. Cette partie des motifs du Conseil figure à la page 158 du volume 1 du dossier d'appel, son texte est le suivant:
[TRADUCTION] La combinaison de l'abrogation de l'article 128(3) et de la modification de l'article 118i) permettra au Conseil de présenter aux employés, lors d'un deuxième scrutin, le choix que le Conseil aurait préféré accorder dans le cas de CJRC Radio Capitale Ltée. Ceci est conforme à la pratique des conseils de relations de travail et à la politique législative provinciale en la matière (par exemple la The Labour Relations Act, S.R.O. 1970, c. 232, art. 92(6)). C'est conforme égale- ment à ce qu'attendaient les parties et à l'esprit du Code.
Il me semble se dégager de cette partie des motifs du Conseil, que celui-ci interprète l'article 1180 modifié du Code comme lui permettant d'ignorer les dispositions de l'article 128(2) du Code dans les circonstances de la présente cause. Ledit article 118i), modifié, est ainsi rédigé:
118. Le Conseil a, relativement à toute procédure engagée devant lui, pouvoir
i) d'ordonner, en tout temps avant que le Conseil n'ait rendu sa décision finale,
(i) qu'un scrutin de représentation ou un scrutin de repré- sentation supplémentaire soit tenu parmi les employés touchés par la procédure dans tous les cas le Conseil estime qu'une telle mesure l'aiderait à décider toute ques tion qui a été soulevée ou est susceptible de l'être au cours des procédures, qu'un tel scrutin de représentation soit ou non prévu ailleurs dans la présente Partie, et
(ii) que les bulletins de vote déposés au cours de tout scrutin de représentation tenu sur les ordres du Conseil conformément au sous-alinéa (i) ou à toute autre disposi tion de la présente Partie soient conservés dans des urnes
de scrutin scellées et que le scrutin ne soit pas dépouillé, sauf conformément aux ordres du Conseil;
A mon avis, et avec tout le respect que je dois au Conseil, je n'aperçois rien dans l'article 118i) modifié qui lui permette d'ignorer les dispositions précitées de l'article 128(2). Ledit article 118i) confère au Conseil certains pouvoirs d'ordonner un scrutin ou des scrutins supplémentaires de repré- sentation. L'article 128(2) ne confère aucun pou- voir d'ordonner de tels scrutins, mais définit plutôt la manière dont ces scrutins doivent être organisés. Le texte de l'article 128 traite des modalités des scrutins de représentation et s'applique lorsque le Conseil a ordonné la tenue d'un scrutin de repré- sentation. Le texte du paragraphe (2) de cet article ne s'applique pas à tous les scrutins mais seule- ment à ceux, comme dans le cas présent, il n'y a pas d'autre syndicat comme agent négociateur. Dans une telle occurrence, il est obligatoire que le bulletin de vote permette à l'employé d'indiquer son désir de n'être représenté par aucun des syndi- cats concernés. Il me semble que ce soit l'esprit du Code. J'estime que rien ne permettait de croire que les onze employés ayant accordé leur vote aux Opérateurs de machines lourdes, sachant désor- mais que ceux-ci étaient minoritaires, voteraient dans le même sens au second tour. Il n'est pas impossible que les onze employés eussent préféré, si les bulletins leur avaient permis un tel choix, ne voter pour aucun syndicat plutôt que pour les Métallurgistes. Si tel avait été le cas, et en suppo- sant que tous les autres eussent voté dans le même sens que la première fois, le second tour aurait abouti à un vote majoritaire contre les deux syndi- cats. Bien certainement le but de l'article 128(2) est d'accorder aux employés cette troisième option, afin de respecter leur liberté de choix.
D'autre part, il me semble que prétendre que l'article 128(2) ne s'applique pas à un «scrutin de représentation supplémentaire» revient à soutenir, en fait, qu'un «scrutin de représentation supplé- mentaire» n'est pas «un scrutin de représentation» au sens de l'article 128(2). Une telle interprétation des dispositions concernées ne me paraît pas fondée. Les dispositions de l'article 128(2) s'appli- quent obligatoirement à tout scrutin de représenta- tion qui s'y trouve visé. Et le fait pour le Conseil, d'ignorer les prescriptions de cet article en ordon- nant un scrutin de représentation différent de celui
qui y est prévu revenait à s'investir de pouvoirs qu'il n'avait pas.
J'en conclus donc à une erreur du Conseil dans sa manière de procéder en l'espèce. Cela toutefois ne règle pas définitivement la question. L'avocat du Conseil fait en effet valoir que même dans l'hypothèse d'une erreur de procédure de la part du Conseil, il s'agirait d'une erreur de droit judiciaire, et que par conséquent elle n'ouvrirait pas droit à contrôle puisque les dispositions de l'article 122(1) du Code canadien du travail limitent les pouvoirs de la présente Cour de réviser les ordres du Conseil aux cas qui sont couverts par l'article 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale'. Dans son mémoire, le Conseil exprime cette position comme suit:
[TRADUCTION] 15. Il est respectueusement avancé par le Con- seil intimé, qu'en interprétant les dispositions du Code canadien du travail le Conseil remplit une mission à lui confiée par la Loi. Cette mission n'est pas confiée à cette Cour. Si l'interpré- tation de la Loi fait intervenir une question de droit, il appar- tient au Conseil de la trancher. Même si, de l'avis de la Cour, le Conseil a commis une erreur dans l'adoption d'une telle déci- sion, il s'agissait d'une question pour laquelle le Parlement a confié compétence exclusive au Conseil, et qui par conséquent n'est pas soumise au pouvoir de contrôle judiciaire.
Pour déterminer si le Conseil a commis une erreur de droit échappant au pouvoir de contrôle de la présente Cour, ou s'il a outrepassé sa compé- tence, auquel cas la présente Cour aurait le pou- voir d'intervenir, le jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Metropolitan Life Insur ance Company c. International Union of Operating Engineers, Local 796 2 est, à mon avis, d'une très grande utilité. Dans cette affaire, le syndicat avait tenté d'obtenir son accréditation comme agent négociateur de tous les employés (avec certaines exceptions) au sein de la division des immeubles de la Metropolitan Life à Ottawa. La société s'était opposée à la demande au motif que les statuts de ce Syndicat pouvaient seulement s'interpréter comme excluant de l'adhésion au Syndicat les personnes réclamées pour accréditation par le Syn- dicat. Le Conseil avait rejeté l'argument de la société et appliqué une politique de son cru pour
' A mon avis, la seule partie de l'article 28(1)a) qui serait éventuellement applicable aux circonstances de la présente cause, est celle qui donne compétence à la Cour dans les cas le tribunal a excédé ou refusé d'exercer sa compétence.
2 [1970] R.C.S. 425.
résoudre la question de savoir si un employé était membre d'un syndicat. Cette politique permettait à toute personne d'être considérée membre moyen- nant une simple demande d'adhésion et le verse- ment d'un droit d'adhésion d'au moins $1 ou de cotisations mensuelles. La Cour suprême du Canada a jugé qu'avant d'être habilité à accueillir la demande d'accréditation du Syndicat, le Conseil devait avoir l'assurance que plus de 55% des employés de l'unité de négociation étaient mem- bres du Syndicat. Si le Conseil avait vérifié ce point, la Cour n'aurait pu contrôler sa décision, bien qu'il semble qu'en la prenant, le Conseil ait commis des erreurs de fait et de droit. Au lieu d'agir ainsi, le Conseil a entrepris de rechercher si, pour ce qui était du nombre d'employés requis, les conditions qu'il avait fixées de son propre chef étaient remplies. En procédant de la sorte, le Con- seil, omettant de résoudre la question qui lui était confiée a résolu à la place celle qu'il ne le lui était pas et, par conséquent, a outrepassé les bornes de sa compétence'. En prononçant le jugement de la Cour, le juge en chef Cartwright a cité, en y souscrivant, les paroles de conclusion du juge en chef de l'Ontario Robertson dans l'affaire Re Toronto Newspaper Guild, Local 87, American Newspaper Guild (C.I.O.) and Globe Printing Company ([1952] O.R. 345, la page 365) celui-ci déclarait:
[TRADUCTION] En d'autres termes, le Conseil a accordé l'accréditation au demandeur sans vérifier au préalable si celui-ci remplissait les conditions requises, enfreignant ainsi une importante limitation de la compétence du Conseil.
A mon avis, le raisonnement suivi dans les deux espèces ci-dessus s'applique à la présente affaire. Le pouvoir du Conseil d'accréditer l'intimé repose sur l'article 126 du Code canadien du travail, dont le texte est le suivant:
126. Lorsque le Conseil
a) a reçu d'un syndicat une demande d'accréditation à titre d'agent négociateur d'une unité,
b) a déterminé l'unité qui constitue une unité de négociation habile à négocier collectivement, et
c) est convaincu qu'à la date du dépôt de la demande, ou de toute autre date que le Conseil estime convenir, la majorité
Le résumé ci-dessus des faits pertinents et du jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Metropolitan Life sont largement extraits du jugement du juge Dickson dans son renvoi à cette espèce, dans l'affaire Union internationale des employés des services, local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association [1975] 1 R.C.S. 382, aux pages 389 et 390.
des employés de l'unité veut que le syndicat les représente à titre d'agent négociateur,
il doit, sous réserve des autres dispositions de la présente Partie, accréditer ce syndicat à titre d'agent négociateur de l'unité de négociation.
Ainsi, à mon avis, être convaincu que la majorité des employés de l'unité de négociation voulaient que le Syndicat intimé les représente était bien une condition préalable à l'octroi par le Conseil de l'accréditation. Dans un effort pour déterminer la volonté de la majorité des employés, il a ordonné un scrutin de représentation, mais en le faisant, il a enfreint les dispositions de l'article 128(2) du Code en ne donnant pas aux employés la possibilité de rejeter en bloc les syndicats en lice. En réalité, le Conseil a posé aux employés une fausse question, et a accordé l'accréditation sur le fondement des réponses fournies par les employés à cette fausse question. La question correcte n'ayant jamais été posée aux employés, il est impossible de savoir quelle était leur volonté authentique. La décision du Conseil que la majorité des employés voulaient être représentés par le Syndicat intimé ne repose donc sur rien. Le Conseil a agi de manière sembla- ble au Conseil dans l'affaire Globe Printing (supra) en accréditant sans avoir au préalable convenablement vérifié si le Syndicat remplissait les conditions requises «enfreignant ainsi une importante limitation de la compétence du Conseil.»
Il a été fait allusion tant par l'avocat de la demanderesse que par celui du Conseil au juge- ment de la Cour suprême dans l'affaire Nipawin District Staff Nurses susmentionnée. A mon avis les circonstances de cette espèce sont différentes de celles de la présente affaire. Dans cette espèce le Conseil avait tranché la question dont il avait été saisi, à savoir si l'association concernée était un syndicat aux termes de la The Trade Union Act, 1972, S.S. 1972, c. 137. Cela l'avait cependant forcé de déterminer si ladite association était au sens de la The Trade Union Act, 1972 une organi sation dominée par l'employeur. Le Conseil avait tranché les deux questions, mais il fut allégué qu'il avait toutefois incorrectement interprété et appli- qué certaines dispositions de la Loi, outrepassant ainsi sa compétence. Le juge Dickson, qui a rédigé le jugement de la Cour, a rejeté ses arguments en
décidant que le Conseil n'avait ni négligé d'appli- quer ni volontairement ignoré les dispositions per- tinentes de la The Trade Union Act, 1972, et par conséquent n'avait pas outrepassé sa compétence. Dans la présente affaire, le Conseil a par contre soit négligé de respecter, soit ignoré les dispositions de l'article 128(2) du Code ce qui, à mon avis, est une «erreur de compétence» que la présente Cour est habilitée à redresser en vertu de l'article 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale. A mon avis l'extrait ci-après du jugement du juge Dickson 4 s'applique parfaitement à la présente affaire:
Il ne peut y avoir de doute qu'un tribunal «statutaire» ne peut pas, impunément, faire abstraction des conditions requises par la loi qui l'a créé, et trancher les questions à sa guise. S'il le fait, il déborde le cadre de ses pouvoirs, manque de remplir son devoir envers le public et s'écarte d'une façon d'agir légalement permise. Une intervention judiciaire est alors non seulement admissible, mais l'intérêt public l'exige. Mais si la Commission agit de bonne foi et si sa décision peut rationnellement s'ap- puyer sur une interprétation qu'on peut raisonnablement consi- dérer comme étayée par la législation pertinente, alors la Cour n'interviendra pas.
Je suis d'avis qu'ici le Conseil a effectivement «fait abstraction des conditions requises par la loi qui l'a créé» et qu'il ne s'agit pas ici d'un cas dans lequel la décision du Conseil «peut rationnellement s'ap- puyer sur une interprétation qu'on peut raisonna- blement considérer comme étayée par la législation pertinente».
La Cour suprême du Canada a depuis rendu jugement dans une affaire Le Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau-Brunswick 5 . L'action de la Commission dans la présente cause diffère essentiellement, à mon avis, de l'affaire examinée dans ce cas. Il s'agissait alors pour la Commission de déterminer les droits de l'em- ployeur aux termes de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics du Nouveau- Brunswick, L.R.N.-B. 1973, c. P-25 dans un litige entre un employeur et un syndicat. La Cour a estimé que les parties se trouvaient à bon droit devant la Commission; que la Commission devait décider si certains actes accomplis par l'employeur au cours d'une grève légale constituaient une viola tion des dispositions de l'article 102(3) de la Loi; que pour trancher cette question, la Commission devait interpréter l'article 102(3); et qu'en adop-
[1975] 1 R.C.S. 382, aux pages 388 et 389. 5 [1979] 2 R.C.S. 227.
tant l'une des diverses interprétations possibles de cet article, la Commission n'avait pas commis une erreur qui comme celle décrite dans l'affaire Nipawin District Staff Nurses (supra), ouvrait droit à contrôle de sa décision.
Dans l'affaire La Société des alcools du Nou- veau-Brunswick (supra), la Commission avait à juger des actes des parties, la marge de liberté dont elles disposaient était précisée dans la Loi et la Commission ne pouvait remplir sa mission sans déterminer d'abord la limite inférieure de la marge prévue par la Loi.
Dans la présente affaire, en décidant qu'il avait le droit d'ordonner un nouveau scrutin de repré- sentation sans observer les dispositions de l'article 128(2), le Conseil ne procédait plus à la solution d'une question pendante entre les parties, mais méprisait les obligations auxquelles le Parlement l'a assujetti.
Le Parlement a précisé dans la Loi ce que le Conseil devait faire dans les circonstances, et celui-ci ne pouvait, selon moi, se soustraire à ses obligations par une fausse interprétation de la Loi le régissant. C'est à tort qu'il a jugé n'avoir pas à se conformer aux dispositions de l'article 128(2). En procédant de la sorte, il a agi sans autorisation, c'est-à-dire en dehors des limites de sa compé- tence.
Par ailleurs, l'article que la Commission était appelé à interpréter dans l'affaire Nouveau- Brunswick (supra) était très mal rédigé et truffé d'ambiguïtés.
En abordant la question du bien-fondé des mesures prises par la Commission, le juge Dickson a dit à la page 237 du jugement:
La Commission a-t-elle interprété erronément les dispositions législatives de façon à entreprendre une enquête ou à répondre à une question dont elle n'était pas saisie? Autrement dit, l'interprétation de la Commission est-elle déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire?
Je ne vois vraiment pas comment on peut qualifier ainsi l'interprétation de la Commission. L'ambiguïté de l'al. 102(3)a) est reconnue et incontestable. Il n'y a pas une inter- prétation unique dont on puisse dire qu'elle soit la abonne».
a Voir le jugement de la Cour prononcé par le juge Dickson, à la page 230.
Je ne crois pas que cette affaire puisse être rapprochée de la présente. En l'espèce en effet, le Conseil a négligé ou s'est abstenu d'appliquer les dispositions de l'article 128(2), lesquelles sont clai- res et précises. Cette attitude répond nettement selon moi aux critères exposés dans l'affaire Nipa- win (supra) et repris dans l'affaire Nouveau- Brunswick (supra).
La Cour devant donc, selon moi, intervenir, j'admets la présente demande fondée sur l'article 28 et j'annule la décision du Conseil en date du 2 août 1978.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Je souscris.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE RYAN (dissident): J'ai eu l'avantage de lire les motifs du jugement prononcés par le juge Heald. Celui-ci a décrit les faits et dégagé les problèmes. Je souscris à son avis que le Conseil canadien des relations du travail a commis une erreur. Je voudrais toutefois caractériser cette erreur comme une erreur de droit, une erreur d'interprétation de la Loi commise par le Conseil dans l'élaboration de sa décision d'accréditer, déci- sion qu'il lui appartenait de prendre aux termes de l'article 126 du Code canadien du travail. La nature de cette erreur, à mon sens, n'ouvre pas droit à examen en vertu de l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale.
Dans cette affaire, le Conseil a toujours agi en application de l'alinéa 126c)' du Code canadien du travail. Il cherchait à déterminer si l'un des syndi- cats bénéficiait de la majorité au sein de l'unité de négociation, et se trouvait ainsi en droit d'être accrédité par le Conseil en qualité d'agent négocia-
' Le texte de l'alinéa 126c) du Code canadien du travail est
le suivant:
126. Lorsque le Conseil
c) est convaincu qu'à la date du dépôt de la demande, ou de toute autre date que le Conseil estime convenir, la majorité des employés de l'unité veut que le syndicat les représente à titre d'agent négociateur,
il doit, sous réserve des autres dispositions de la présente Partie, accréditer ce syndicat à titre d'agent négociateur de l'unité de négociation.
teur des employés de celle-ci. Le Conseil avait sans aucun doute compétence pour accomplir cette tâche. Et par ailleurs, l'alinéa 118p) du Code permet au Conseil, relativement à toute procédure dont il est saisi, et dans tous les domaines relevant de la partie du Code concernant les relations industrielles, de trancher toute question pouvant se poser à l'occasion de la procédure.
Le Conseil s'est livré, dans l'exercice de sa com- pétence, à une fausse interprétation des disposi tions applicables du Code canadien du travail, commettant ainsi une erreur de droit. Il a notam- ment interprété certaines modifications du Code, entrées en vigueur le 1" juin 1978, comme le dégageant de l'obligation que lui faisait, avant son abrogation, le paragraphe 128(3) du Code d'orga- niser un scrutin de représentation supplémentaire selon les modalités précisées dans ce paragraphe, et comme l'autorisant à organiser un scrutin de représentation supplémentaire en vertu de l'alinéa 118i) modifié en faisant abstraction des disposi tions du paragraphe 128(2). A la lecture de ses motifs, il semble que le Conseil ait été d'avis que l'obligation énoncée au paragraphe 128(2) avait été remplie avant la tenue du scrutin supplémen- taire du fait que le choix stipulé dans ce paragra- phe avait été offert lors du scrutin de représenta- tion non concluant organisé conformément à l'article 127. Je ne partage pas cet avis, mais je peux concevoir comment l'erreur a pu se produire en lisant le Code modifié à la lumière des modifi cations elles-mêmes.
En raison du paragraphe 122(1) " du Code cana- dien du travail, la présente Cour ne pourrait révi-
8 L'article 122 du Code canadien du travail est ainsi conçu:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la pré- sente Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et ne peut être remise en question devant un tribunal ni revisée par un tribunal, si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale.
(2) Sauf dans la mesure le paragraphe (1) le permet, aucune ordonnance, décision ou procédure du Conseil faite ou prise en vertu de l'autorité réelle ou présumée des disposi tions de la présente Partie
a) ne peuvent être mises en question, revisées, interdites ou restreintes, ou
b) ne peuvent faire l'objet de procédures devant un tribu nal soit sous la forme d'injonction, certiorari, prohibition ou quo warranto, soit autrement,
pour quelque motif y compris celui qu'elles outrepassent la juridiction du Conseil ou qu'au cours des procédures le Conseil a outrepassé ou perdu sa juridiction.
ser la décision d'accréditer le Conseil que pour les seuls motifs énoncés à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale. Le texte du paragraphe 28(1), lui-même divisé en trois alinéas, est le suivant:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com mission ou un autre tribunal fédéral eu à l'occasion de procédu- res devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion
' de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
En limitant le contrôle judiciaire aux cas prévus à l'alinéa a), le paragraphe 122(1) du Code cana- dien du travail y soustrait toute erreur de droit commise par le Conseil dans l'élaboration d'une décision qu'il était habilité à prendre. Dans l'es- pèce, l'erreur commise par le Conseil était de cette nature. Il s'agit d'une erreur de droit qu'il a com- mise dans la procédure d'accréditation. A mon sens, aux termes de l'article 122 du Code canadien du travail, une erreur de cette nature commise par le Conseil canadien des relations du travail échappe à la compétence de la présente Cour.
L'allégation, faite par la demanderesse, d'un déni de droit naturel n'a pas échappé à mon atten tion. Je ne la juge toutefois pas fondée.
Je rejette donc la demande.
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