T-2749-78
Franz Giacomelli Colet (Demandeur)
c.
La Reine, David L. Hierlihy, Lavinia D. Finni-
gan, Frank Easton, Henry L. (Gail) Jensan
(Défendeurs)
Division de première instance, le juge Collier—
Vancouver, les 15 et 18 janvier; Ottawa, le 21
février 1979.
Pratique — Requête en radiation des plaidoiries — Accueil
de la requête en radiation, mais rejet de la demande, faite par
voie de requête, d'ordonnance interdisant au demandeur d'en-
gager, sauf autorisation, quelque procédure devant la Cour —
Il y aurait lieu d'introduire la deuxième requête par voie
d'acte introductif d'instance ou d'action, car la requête n'a rien
à voir avec le litige entre les parties et est par conséquent
irrecevable en la forme — D'ailleurs, la Loi sur la Cour
fédérale ne donne pas à la Cour compétence pour rendre
l'ordonnance demandée.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Le demandeur n'était pas représenté.
H. J. Wruck pour la défenderesse la Reine.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse la Reine.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Le demandeur habite Prince
Rupert (Colombie-Britannique). Le litige est sur-
venu à l'occasion d'une des nombreuses actions que
ledit demandeur a engagées contre Sa Majesté la
Reine et contre d'autres défendeurs. Je ne puis
résumer la déclaration du demandeur et les con
clusions qu'il recherche. Les actes de procédure
sont incompréhensibles.
La défenderesse, Sa Majesté la Reine (du chef
du Canada) ci-après appelée «la Couronne», a
présenté une requête en l'espèce. Elle conclut
comme suit:
[TRADUCTION] ... conformément à la Règle 5 de la Cour
fédérale et à l'article 84 du Supreme Court Act of British
Columbia, S.R.C.-B. 1960, chap. 374, que le demandeur, Franz
Giacomelli Colet, ne pourra ouvrir aucune instance judiciaire
sans autorisation de la Cour, que ce soit sous ce nom ou sous
tout autre nom, contre Sa Majesté la Reine en la Cour fédérale
du Canada, le demandeur ayant régulièrement engagé, et per
sisté à engager, sans aucun motif raisonnable, des instances
judiciaires vexatoires contre Sa Majesté la Reine, en la Cour
fédérale du Canada, Division de première instance; et ordonne
la radiation de la déclaration produite ci-dessus conformément
à la Règle 419 de la Cour fédérale parce qu'elle ne révèle
aucune cause raisonnable d'action, qu'elle n'est pas essentielle
et qu'elle est redondante, scandaleuse, futile ou vexatoire,
qu'elle peut causer préjudice, gêner ou retarder l'instruction
régulière de l'action et qu'elle constitue par ailleurs un abus des
voies de droit de la Cour, ou pour un des motifs qui précèdent,
et ce avec dépens.
J'ai autorisé la Couronne à supprimer aux lignes
six et sept ci-dessus, les mots:
[TRADUCTION] contre Sa Majesté la Reine en la Cour
fédérale du Canada.
La Couronne a produit deux affidavits. Il ressort
de ces deux -actes que le demandeur, sous divers
noms, a engagé devant la Cour, à compter de
1971, plus de 90 actions. Soixante-seize ont été
radiées à un moment ou à un autre sur le fonde-
ment de la Règle 419.
Le demandeur s'est vu interdire d'ester, sauf
avec autorisation, devant les Cours suprêmes d'Al-
berta et de Colombie-Britannique.
Le demandeur n'a pas comparu à l'audience de
la présente requête.
A la clôture de la plaidoirie de la Couronne, j'ai
dit que la requête serait rejetée pour deux motifs,
qui ultérieurement seraient donnés par écrit. Les
voici.
Le premier moyen de rejet est d'ordre
procédural.
Par voie d'une requête qui fait l'objet de la
présente instance, la Couronne cherche à obtenir
une ordonnance qui interdirait au demandeur d'en-
gager quelque procédure judiciaire que ce soit
devant la présente Cour (sauf avec autorisation).
La requête est fondée sur la Règle 319(1) que
voici:
Règle 319. (I) Lorsqu'il est permis de faire une demande à la
Cour, à un juge ou un protonotaire, la demande doit être faite
par voie de requête.
La Couronne justifie le choix de cette façon de
faire, plutôt que le dépôt d'une demande introduc-
tive d'instance séparée ou d'une action pour juge-
ment déclaratoire, en invoquant la Règle 5 de la
Cour fédérale et l'article 84 de la Supreme Court
Act de la Colombie-Britannique) J'en reproduis
ici les dispositions:
Règle S. Dans toute procédure devant la Cour, lorsque se pose
une question non autrement visée par une disposition d'une loi
du Parlement du Canada ni par une règle ou ordonnance
générale de la Cour (hormis la présente règle), la Cour déter-
minera (soit sur requête préliminaire sollicitant des instruc
tions, soit après la survenance de l'événement si aucune requête
de ce genre n'a été formulée) la pratique et la procédure à
suivre pour cette question par analogie
a) avec les autres dispositions des présentes Règles, ou
b) avec la pratique et la procédure en vigueur pour des
procédures semblables devant les tribunaux de la province à
laquelle se rapporte plus particulièrement l'objet des
procédures;
selon ce qui, de l'avis de la Cour, convient le mieux en l'espèce.
[TRADUCTION] 84. La Cour qui, sur demande de tout justi-
ciable, fondée sur le présent article, est convaincue que quelque
justiciable a régulièrement, et avec persistance, sans motif
raisonnable, ouvert des instances vexatoires devant la Cour
suprême ou toute autre juridiction, contre le même défendeur
ou contre des défendeurs différents, peut, après l'avoir entendu
ou lui avoir donné la -possibilité de se faire entendre, lui
interdire d'ouvrir des procédures judiciaires devant quelque
juridiction que ce soit, à moins qu'elle ne l'y autorise.
L'avocat de la Couronne prétend que c'est
l'usage en Colombie-Britannique, dans des cas de
ce genre, de procéder par voie de «demande».
Devant la présente Cour, une fois une action enga
gée, toute demande se fait par voie de requête; la
procédure suivie par la Couronne en l'espèce serait
donc autorisée.
Je ne suis pas d'accord. C'est là un pas qu'on ne
saurait franchir, même en tenant compte de la
règle des lacunes.
La Couronne veut ici enlever au demandeur ce
qui est accordé à tous de plein droit: le droit
d'ester, sans avoir d'autorisation à obtenir, devant
la présente Cour. Il me semble que la procédure à
suivre pour en arriver à une telle décision doit se
fonder sur une instance, circonscrite à ce sujet
seul, entre la Couronne et le demandeur. La
requête dont je suis saisi en l'espèce n'a rien à voir
avec le litige entre les parties (si l'on suppose que
le demandeur avait une cause raisonnable d'ac-
tion).
' S.R.C.-B. 1960, c. 374, modifié par S.C.-B. 1967, c. 53, art.
3 et S.C.-B. 1976, c. 33, art. 148.
Si la Cour avait le pouvoir de rendre l'ordon-
nance demandée, ce serait un acte introductif
d'instance ou une action que devrait engager la
Couronne contre le demandeur. Les parties
auraient alors droit à toute la procédure préalable
au procès, envisagée par les Règles de Cour. Si la
demande était accueillie, le jugement rendu serait
opposable in rem au demandeur dans tout litige
actuel ou futur. Une ordonnance ou une déclara-
tion en l'espèce présente ne saurait à mon avis
avoir cet effet de droit.
De plus, je ne vois pas comment une ordonnance
rendue en l'espèce contre le demandeur pourrait
être exécutée dans les autres espèces actuellement
pendantes ou dans toute autre action éventuelle-
ment engagée.
Le second motif de rejet est qu'à mon avis, la
Cour n'a pas pouvoir pour rendre l'ordonnance
demandée.
L'avocat du demandeur invoque une fois encore
la règle des lacunes et l'article 84 de la Supreme
Court Act de la Colombie-Britannique. Je n'ad-
mets pas la prétention voulant que l'article 84
constitue «la pratique et la procédure en vigueur
pour des procédures semblables» en Colombie-Bri-
tannique. Cet article ne porte pas, je pense, sur la
pratique et la procédure. Il traite des règles de
fond. La jurisprudence que l'avocat du demandeur
a citée 2 reconnaît à un tribunal le droit et la
compétence implicites de surseoir à toute procé-
dure qui serait un abus des voies de droit, ouvertes
devant lui, ou de la rejeter, indépendamment de
toute règle de pratique expresse comme la Règle
419 de la Cour. Mais aucune de ces espèces n'éta-
blit qu'un tribunal ait le droit, en l'absence de
quelque compétence expressément attribuée, d'in-
terdire au préalable à un justiciable non autorisé à
cet effet d'ester devant elle.
La compétence de la Cour pour rendre l'ordon-
nance demandée doit, à mon avis, être conférée par
une loi. Seul le législateur peut édicter des règles
de fond et autoriser une juridiction à interdire à un
justiciable d'engager une action. La Loi sur la
2 Le procureur général c. Vernazza [1960] A.C. 965 (C.L.).
Royal Typewriter Agency c. Perry [1928] 3 W.W.R. 173.
Marconi Wireless Telegraph Company of Canada, Limited c.
Canadian Car and Foundry Company, Limited (1918) 18
R.C.É. 241. Lord Kinnaird c. Field [1905] 2 Ch. 306. Grepe c.
Loam (1888) 37 Ch.D. 168.
Cour fédérale ne prévoit rien de semblable à l'arti-
cle 84 de la Loi de la Colombie-Britannique 3 .
J'ajouterai ceci. Si j'avais jugé que la Cour avait
compétence pour faire droit aux conclusions
demandées, j'aurais, vu la preuve produite devant
moi, rendu l'ordonnance demandée.
La Couronne a toutefois droit à l'ordonnance
subsidiaire demandée. L'action que le demandeur
a engagée contre la défenderesse Sa Majesté la
Reine est donc, conformément à la Règle 419,
rejetée avec dépens.
3 Pour des pouvoirs statutaires semblables, voir:
En Alberta, la The Judicature Act, S.R.A. 1970, c. 193, art.
22.1 (adoptée par S.A. 1975, c. 43, art. 3(5)).
En Angleterre, la Supreme Court of Judicature (Consolida-
tion) Act, 1925, 15 & 16 Geo. 5, art. 51.
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