A-290-79
Charles Esperanto Monfort (Requérant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(Intimé)
Cour d'appel, les juges Heald et Ryan et le juge
suppléant Kelly—Toronto, le 26 juillet; Ottawa,
le 4 septembre 1979.
Examen judiciaire — Immigration — Ordonnance d'expul-
sion Enquête tenue à la suite d'un rapport alléguant que le
requérant n'était pas un véritable visiteur — Au cours de
l'enquête, ajournement accordé au requérant afin de retenir les
services d'un avocat — Il échet d'examiner si, en ordonnant
l'expulsion du requérant, l'agent d'immigration supérieur s'est
conformé aux exigences d'équité en matière de procédure — Il
échet d'examiner si, avant d'ordonner la tenue de l'enquête,
l'agent d'immigration supérieur aurait dei informer le requé-
rant qu'il avait le droit de retenir les services d'un avocat —
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 20(1),
23(3) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c.
10, art. 28.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
G. W. Bell pour le requérant.
G. R. Garton pour l'intimé.
PROCUREURS:
Parkdale Community Legal Services,
Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: La présente demande, fondée
sur l'article 28, tend à faire ,examiner et annuler
l'ordonnance d'expulsion rendue contre le requé-
rant.
Celui-ci, un citoyen haïtien, présenta le 20 avril
1979, l'aéroport international de Toronto, une
demande d'autorisation de séjourner au Canada à
titre de visiteur. A la même date, un agent d'immi-
gration établit, en application des dispositions de
l'article 20(1) de la Loi sur l'immigration de 1976,
S.C. 1976-77, c. 52,' un rapport alléguant que le
requérant n'était pas un véritable visiteur. Celui-ci
fut alors mis en détention. Le rapport susmen-
tionné fut ensuite examiné par un agent d'immi-
gration supérieur qui, en vertu de l'article 23(3)a)
de la Loi sur l'immigration de 1976', ordonna de
prolonger la détention du requérant, et, en vertu de
l'article 23(3)c) de cette même Loi, fit tenir une
enquête. L'enquête s'ouvrit le 21 avril 1979 et, à
cette occasion, le requérant déclara que si on ne lui
permettait pas [TRADUCTION] «de circuler libre-
ment», il retournerait dans son pays. L'arbitre
chargé de l'enquête lui accorda un ajournement
pour lui permettre de retenir les services d'un
conseil, mais n'autorisa point son élargissement.
L'enquête se poursuivit les 24 et 25 avril 1979.
4 d C:Adt`
Le premier argument que le conseil fait valoir
en faveur du requérant est qu'un arbitre n'est
compétent pour mener une enquête à l'égard d'une
personne cherchant à entrer au Canada, que si un
agent d'immigration supérieur a au préalable
rendu une décision valable en vertu de l'article
23(3)c) ou d) de la Loi concernée. Je suis d'accord
avec cette affirmation, la présente Cour ayant
I L'article 20(I) de la Loi sur l'immigration de 1976 est ainsi
rédigé:
20. (I) L'agent d'immigration qui, après examen d'une
personne, estime que lui accorder l'admission ou la permis
sion d'entrer au Canada irait ou pourrait aller à l'encontre de
la présente loi ou des règlements, peut mettre ou, par ordon-
nance, faire mettre ladite personne en détention et doit
a) sous réserve du paragraphe (2), signaler dans un rap
port écrit, cette personne à un agent d'immigration supé-
rieur; ou
b) autoriser ladite personne à quitter le Canada immédia-
tement.
L'article 23(3) de la Loi sur l'immigration de 1976 est ainsi
conçu:
23....
(3) L'agent d'immigration supérieur qui n'accorde pas à
une personne la permission d'entrer au Canada en vertu de
l'article 22 ni ne lui accorde l'admission ou l'autorisation
d'entrer au Canada en vertu du paragraphe (I) ou (2), peut
a) la détenir ou donner l'ordre de la détenir, ou
b) la mettre en liberté sous réserve des conditions qu'il
juge appropriées aux circonstances, notamment du dépôt
d'un gage raisonnable ou d'un bon de garantie d'exécution
et doit
c) sous réserve du paragraphe (4), faire tenir, dès que les
circonstances le permettent, une enquête sur ladite per-
sonne, ou
d) l'autoriser à quitter le Canada immédiatement.
statué en ce sens dans une affaire Saini c. Le
ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion.'
Le conseil fait en outre valoir que toute per-
sonne investie d'un pouvoir de décision par un
texte de loi est tenue d'agir équitablement lors-
qu'elle l'exerce, faute de quoi sa décision est sus
ceptible de contrôle judiciaire et d'annulation. A
l'appui de cet argument, le conseil invoque entre
autres les arrêts rendus récemment par la Cour
suprême du Canada dans les affaires Nicholson 4 et
Coopers and Lybrand'. Le conseil soutient que, en
l'espèce, [TRADUCTION] «aucune preuve présentée
à l'enquête ne permettant de conclure que la déci-
sion de l'agent d'immigration satisfaisait aux exi-
gences d'équité découlant d'une bonne interpréta-
tion de la loi, l'enquête tenue à la suite de cette
décision était illégale, car elle est intervenue sans
qu'ait été vérifié si une condition essentielle avait
été respectée, à savoir si une décision valable avait
été rendue en vertu de l'article 23(3) de la Loi.» 6
Un examen attentif du dossier m'a convaincu
que l'agent d'immigration supérieur s'est en l'es-
pèce conformé à toutes les exigences d'équité
imposées par la jurisprudence. Il appert des pages
10, 11 et 12 du rapport d'enquête que l'agent
d'immigration supérieur savait qu'en vertu de l'ar-
ticle 23(3) de la Loi, il avait le choix entre faire
procéder à une enquête ou permettre au requérant
de quitter immédiatement le Canada; qu'il a expli-
qué au requérant la possibilité de retirer sa
demande d'admission au Canada et les conséquen-
ces du retrait ou du maintien de cette demande;
qu'il a donné au requérant la possibilité de retirer
volontairement sa demande, que le requérant
paraissait très bien comprendre ce qui se passait et
que celui-ci lui a fait savoir qu'il préférait la tenue
d'une enquête à un départ volontaire.
Le conseil du requérant prétend toutefois que
l'agent d'immigration supérieur aurait dû, avant
3 N° du greffe: A-6l-78—Jugement rendu le 26 avril 1978.
4 Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Com
missioners of Police [ 1979] 1 R.C.S. 311.
5 M.R.N. c. Coopers and Lybrand [1979] 1 R.C.S. 495.
e Cette citation est tirée du paragraphe 23 du mémoire des
points à plaider du requérant.
de faire procéder à une enquête en vertu de l'arti-
cle 23(3), informer le requérant du droit qu'il avait
de retenir les services d'un conseil. En matière de'
droit aux services d'un conséil, les seules disposi
tions précises sont celles de l'article 30 de la Loi et
des articles 27 à 39 inclusivement de son Règle-
ment d'application. Les dispositions tant de la Loi
que du Règlement ne portent que sur le droit de
retenir les services d'un conseil au cours d'une
enquête tenue en vertu de la Loi. Aucune disposi
tion particulière n'accorde le droit de se faire
assister par un conseil lors des procédures par
lesquelles l'agent d'immigration supérieur statue
en vertu de l'article 23(3). Je n'estime pas non plus
que l'on puisse affirmer qu'une telle obligation
découle du devoir qu'avait l'agent d'immigration
supérieur d'agir équitablement envers le requé-
rant.' Comme lord Denning l'a affirmé dans
Regina c. Gaming Board for Great Britain': [TRA-
DUCTION] «Il est impossible de définir d'une
manière rigide à quel moment les principes de
justice naturelle doivent s'appliquer et quelle doit
être leur étendue. Tout dépend des circonstances.»
Dans cette affaire, lord Denning fait référence à la
décision rendue par lord Parker, juge en chef, dans
In re H. K. (Un mineur) 9 . Il s'agit d'une affaire
d'immigration où celui-ci a déclaré: [TRADUC-
TION] «... même si un agent d'immigration
n'exerce pas un pouvoir judiciaire ou quasi judi-
ciaire, il doit permettre à l'immigrant de tenter de
lui prouver qu'il rencontre les exigences du para-
graphe concerné, et à cet effet, l'informer de sa
première impression afin que l'immigrant puisse le
détromper. Selon moi, la question n'est pas d'agir
ou d'être requis d'agir comme un tribunal, mais
plutôt d'agir équitablement.»
Compte tenu, à la fois, de la nature du pouvoir
qu'a exercé l'agent d'immigration supérieur en
vertu de l'article 23(3) de la Loi et de l'économie
générale de celle-ci, il faudrait selon moi, pour
exiger dudit agent qu'il ne rende de décision en
vertu de l'article 23(3) qu'après avoir informé
l'immigrant de son droit d'être assisté d'un conseil
lors du prononcé de cette décision, que la Loi et le
Règlement contiennent des dispositions expresses à
' Comparer: Maynard c. Osmond [1976] 3 W.L.R. 711, lord
Denning M.R., aux pages 718 et 719; et Fraser c. Mudge
[1975] 1 W.L.R. 1132.
" [1970] 2 Q.B. 417, la page 430.
9 [1967] 2 Q.B. 617, la page 630.
cet effet. Une telle exigence aurait pour effet
d'entraîner la tenue d'une autre «mini-enquête» ou
«enquête initiale» qui serait peut-être aussi longue
et complexe que celle prévue par la Loi et le
Règlement. Je ne crois pas à l'existence d'une telle
exigence. Il me semble que la seule obligation qui
incombe à l'agent d'immigration supérieur est
d'expliquer au requérant la nature des procédures
prévues à l'article 23(3) ainsi que le choix que
celui-ci laisse aux agents d'immigration supérieur.
Comme il a été dit précédemment, cette procédure
a été suivie en l'espèce, et le requérant a en outre
eu la possibilité, quoiqu'il ait refusé de s'en préva-
loir, de retirer sa demande. Par conséquent, je
conclus, en me fondant sur les faits de l'espèce, que
l'obligation d'équité des procédures a été respectée.
Je rejette donc la demande présentée en vertu de
l'article 28.
* * *
LE JUGE RYAN y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY y a souscrit.
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