T-4922-78
Elder's Beverages (1975) Ltd. (Appelante)
c.
Le registraire des marques de commerce (Intimé)
Division de première instance, le juge Cattanach—
Ottawa, les 18 et 23 avril 1979.
Marques de commerce — L'appelante avait demandé l'en-
registrement du nom «ELDER'S. comme marque de commerce
d'une boisson non alcoolisée — Le registraire a refusé l'en-
registrement au motif que «ELDER'S» n'était principalement
que le nom de famille d'un particulier — « ELDER» est à la fois
un nom de famille et un nom commun — Appel contre la
décision du registraire pour erreur sur le fait et erreur de droit
— Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10,
art. 12(1)a), 36(1)b).
L'appelante attaque la décision du registraire des marques de
commerce qui a rejeté, en application de l'article 36(1)b) de la
Loi sur les marques de commerce, la demande de l'appelante
visant à faire enregistrer le mot «ELDER'S» comme marque de
commerce de boissons non alcoolisées. Ce nom avait été utilisé
par l'appelante et par ses prédécesseurs depuis 1921. Le regis-
traire n'a pas accédé à la demande d'enregistrement au motif
que ce mot n'était principalement que le nom de famille d'un
particulier et n'était pas enregistrable en raison de l'article
12(1)a) de la Loi sur les marques de commerce. Le motif
d'appel est que le registraire a commis une erreur sur le fait et
une erreur de droit en concluant que le mot «ELDER'S» n'était
principalement que le nom de famille d'un particulier au sens
de l'article 12(1)a).
Arrêt: l'appel est accueilli. «ELDER» est à la fois un nom de
famille et un nom commun ayant plusieurs significations
d'après les dictionnaires; il n'est pas «que» le nom de famille
d'un particulier. Les deux caractéristiques du mot «ELDER»
revêtent la même importance et, en conséquence, on ne peut
dire qu'il s'agit «principalement» d'un nom de famille. Une
personne d'intelligence moyenne et ayant fait des études nor-
males en anglais ne verrait pas dans le mot «ELDER» un nom de
famille davantage qu'un nom commun, ou vice versa.
Arrêts examinés: Le Registraire des Marques de Com
merce c. Coles Book Stores Ltd. [1974] R.C.S. 438;
Standard Oil Co. c. Le Registraire des Marques de Com
merce [1968] 2 R.C.E. 523.
APPEL.
AVOCATS:
John S. Macera et Andrew K. Jarzyna pour
l'appelante.
David T. Sgayias pour l'intimé.
PROCUREURS:
Macera & Jarzyna, Ottawa, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE CATTANACH: L'appelante avait
demandé au registraire des marques de commerce
d'enregistrer comme marque de commerce de bois-
sons non alcoolisées le nom «ELDER'S» tel qu'il
avait été utilisé par l'appelante et par ses prédéces-
seurs depuis 1921.
Le registraire n'a pas accédé à la demande
d'enregistrement au motif que ce mot n'était prin-
cipalement qu'un nom de famille appartenant à un
particulier et, de ce fait, ne pouvait être enregistré
en raison de l'article 12(1)a) de la Loi sur les
marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, qui
porte:
12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de com
merce est enregistrable si elle ne constitue pas
a) un mot n'étant principalement que le nom ou le nom de
famille d'un particulier vivant ou qui est décédé dans les
trente années précédentes;
Par suite de cette conclusion, le registraire était
tenu par l'article 36(1)b) de rejeter la demande
d'enregistrement, ce qui a donné lieu au présent
appel.
Selon l'appelante, le registraire a commis une
erreur de droit et une erreur sur le fait en con-
cluant que le mot «ELDER'S» n'était principalement
que le nom de famille d'un particulier au sens de
l'article 12(1)a). Le motif invoqué n'était pas que
le mot «ELDER'S» n'avait pas perdu sa signification
d'origine par suite d'un long usage qui lui eût
donné un sens différent ou secondaire, propre à
distinguer les marchandises de l'appelante.
A mon avis, l'interdiction frappant l'enregistre-
ment d'un simple nom de famille comme marque
de commerce s'explique par le fait que si un nom
de famille peut servir à distinguer les marchandi-
ses de l'ensemble des personnes ayant le même
nom des marchandises d'autres personnes ayant
des noms différents, il ne distingue pas les mar-
chandises d'un requérant des marchandises d'au-
tres personnes portant le même nom de famille.
Dans Le Registraire des Marques de Commerce
c. Coles Book Stores Ltd. [1974] R.C.S. 438, le
juge Judson a souligné qu'avant l'adoption en 1953
de l'article 12(1)a) de la Loi sur les marques de
commerce, l'expression «primarily merely» (rendue
en français par «n'étant principalement que») ne
figurait pas dans le texte de loi en vigueur et
qu'elle a été introduite exprès pour préciser la
portée des mots «le nom ou le nom de famille» et
pour remédier à la rigidité de la loi antérieure en
matière d'enregistrement. Il a rappelé également
que l'expression «primarily merely» qui apparais-
sait dans la version anglaise (et rendue par l'ex-
pression «n'étant principalement que» dans la ver
sion française) avait été tirée de la Trade-Marks
Act des Etats-Unis de 1946.
Cette mesure vise à prévenir la possibilité que
des noms communs, tels que «wall», «castle», «bu-
tcher», «moon», «green», «birch», «swap», «drake»,
«porter», «gosling» et «sparrow» (voir Swallow
Raincoats Ld.'s Application (1947) 64 R.P.C. 92),
et j'en passe, qui sont tous des noms de famille
courants, puissent être enregistrés comme marques
de commerce sans qu'il soit établi s'ils ont acquis
un caractère distinctif, alors que d'autres person-
nes portant un nom de famille qui est très rare et
qui n'est pas un nom commun se verraient refuser
l'enregistrement.
Selon le juge Judson, il est essentiel que l'exa-
men de l'enregistrabilité d'un mot soit fondé sur
les mots nouvellement introduits: «primarily
merely» (n'étant principalement que). Il a ajouté
qu'il s'agissait là de termes d'usage courant, et a
posé la question à trancher: «Le mot n'a-t-il
comme sens principal (premier) (primordial) (pre-
mier en importance) que (simplement) (rien de
plus) la désignation d'un nom de famille?»
Dans Standard Oil Co. c. Le Registraire des
Marques de Commerce [1968] 2 R.C.É. 523 le
président Jackett (aujourd'hui juge en chef) a
analysé la signification de l'expression «n'étant
principalement que» telle qu'elle qualifiait les mots
«le nom ou le nom de famille d'un particulier
vivant» à l'article 12(1)a) de la Loi sur les mar-
ques de commerce.
Il s'agissait de l'enregistrement du mot «FIOR»,
sigle formé des initiales des mots anglais suivants:
«fluid iron ore reduction». Ce mot n'est pas un
nom commun mais il figure comme nom de famille
dans deux annuaires municipaux au Canada.
Par conséquent, le président Jackett a conclu de
la preuve administrée que le sigle [TRADUCTION]
«`FIOR' était `un mot qui constitue ... le nom de
famille d'un particulier vivant'» et que la question
à trancher était de savoir si le sigle «FIOR» «n'était
principalement que» ce nom de famille.
Pour l'appelante, «FIOR» était un mot qu'elle
avait inventé pour servir de marque de commerce,
d'où il s'ensuit que «FIOR» n'était pas («simple-
ment» ou «rien de plus» pour reprendre les termes
employés par le juge Judson dans l'affaire Coles
(supra)) qu'un nom de famille d'une personne
vivante, car il avait une existence propre, ayant été
inventé par l'appelante.
Le président Jackett s'est ensuite penché sur la
question de savoir si «FIOR» était «principalement»
le nom de famille d'une personne vivante. C'est en
ces termes qu'il a formulé la question:
[TRADUCTION] «FIOR» est-il au premier chef un nom de
famille, ou est-il principalement ou également un nom inventé
pour servir de marque de commerce?
Il s'est proposé d'appliquer la norme d'apprécia-
tion suivante:
[TRADUCTION] quelle serait, de l'avis de l'intimé ou de la Cour,
selon le cas, la réaction du grand public canadien à ce mot?
Ayant appliqué cette formule, voici ce qu'il
conclut:
[TRADUCTION] Ma conclusion est qu'au Canada, il y a autant,
sinon davantage, de chances que pour une personne d'intelli-
gence moyenne ayant fait des études normales en anglais ou en
français, ce mot fasse penser à une marque de fabrique ou de
commerce qu'il fasse penser à un nom de famille (c'est-à-dire
un nom de famille d'un ou de plusieurs particuliers).
Il a résumé le principe appliqué dans cette note
en bas de page:
[TRADUCTION] Si les deux caractéristiques (nom de famille et
mot inventé) sont d'égale importance, on ne peut dire que le
mot «n'est principalement qu'» un nom de famille.
Si l'on rejetait cette méthode d'approche,
comme l'a fait le juge Kekewich dans In re The
Magnolia Metal Company's Trade Marks (1897)
14 R.P.C. 265, aux pages 269 et 270, propos
d'un problème semblable et ayant trait à des noms
de lieux, tout ce qu'il resterait à faire pour inter-
dire définitivement l'enregistrement d'une marque
de commerce serait de chercher sans arrêt et de
trouver sur terre une personne dont le nom de
famille serait identique à la marque en cause.
Le président Jackett a également souligné qu'en
matière de marques de commerce, il y avait trois
genres de mots: noms communs, noms propres et
mots inventés.
L'affaire dont il était saisi portait sur un nom de
famille et un mot inventé.
Dans Le Registraire des Marques de Commerce
c. Coles Book Stores Ltd., il y avait conflit entre
un nom de famille et un nom commun. Il ressortait
des preuves administrées que «coLEs» était un nom
de famille. Cependant, on pouvait voir dans les
dictionnaires courants que le mot «cule», dont le
pluriel est «coles», désignait une espèce de chou.
De même une consultation persévérante des dic-
tionnaires courants pourrait fort bien révéler qu'un
nom de famille peut tout aussi bien être un nom
commun comme c'est le cas de la plupart des noms
de famille, ce qui rendrait superflue l'interdiction
frappant l'enregistrement des noms de famille,
n'eût été l'adoption de la méthode appliquée dans
l'arrêt Magnolia et n'eût été l'importance qu'il
convient d'accorder à l'expression «n'étant prin-
cipalement que» de l'article 12(1)a).
Le juge Judson, rendant l'arrêt de la Cour
suprême du Canada, a souligné que les sens attri-
bués par les dictionnaires au mot «cole» étaient
rares et en grande partie surannés.
Il n'était pas d'accord avec le juge de première
instance qui avait conclu que la principale carac-
téristique du mot «COLEs» est d'être «à la fois un
nom de personne et un mot du dictionnaire».
Cependant, il a appliqué la formule proposée par
le président Jackett dans Standard Oil pour con-
clure [à la page 440]:
En l'espèce, je puis uniquement conclure qu'au Canada une
personne d'intelligence moyenne ayant fait des études normales
en anglais ou en français réagirait immédiatement à la marque
de commerce «Coles» en pensant à un nom de famille et ne
saurait probablement pas que ce terme figure dans les
dictionnaires.
En l'espèce, les faits de la cause sont à mi-che-
min entre les deux antipodes que sont les affaires
Standard Oil et Coles.
L'intimé a établi en l'espèce, ainsi qu'il y était
habilité, que la consultation des annuaires télé-
phoniques de 21 villes importantes du Canada
avait révélé l'existence de 354 personnes portant le
nom de famille «ELDER».
Donc, le mot «ELDER» est un nom de famille.
L'appelante a établi que le mot «ELDER» revêtait
dans les dictionnaires, plusieurs significations dont
voici les trois principales:
(1) un arbuste;
(2)a) un aîné (habituellement au pluriel);
b) un membre d'un conseil des sages (employé aujourd'hui
surtout dans un contexte historique) et
(3) dans l'église presbytérienne, un ancien faisant partie du
conseil de fabrique.
Je ne crois pas que le mot «eider» soit réservé. à
l'église presbytérienne, mais que les autres sectes
s'en servent couramment pour désigner les
marguilliers.
Il s'ensuit que le mot «ELDER» n'est pas «que» le
nom de famille d'un particulier.
Il reste donc à déterminer s'il est «principale-
ment» un tel nom de famille.
A mon avis, les deux caractéristiques du mot
«ELDER», nom de famille et nom commun, revêtent
la même importance et en conséquence, on ne peut
dire qu'il s'agit «principalement» d'un nom de
famille.
Par conséquent, la seule conclusion que je puisse
formuler en l'espèce, c'est qu'une personne d'intel-
ligence moyenne et ayant fait des études normales
en anglais ne verrait pas dans le mot «ELDER» un
nom de famille davantage qu'un nom commun, ou
vice versa.
Par ces motifs, l'appel est accueilli et l'affaire
renvoyée au registraire afin qu'il prenne les mesu-
res qui s'imposent en conséquence.
L'appelante n'a pas conclu aux dépens contre le
registraire, en quoi elle a bien fait. Eu égard à la
nature de la charge et des fonctions du registraire,
je ne pense pas qu'il soit approprié ou conforme à
la pratique, telle que je la conçois, de le condamner
aux dépens. En conséquence, chaque partie sup-
portera ses propres frais.
L'avocat de l'appelante a également fait valoir
que le génitif «ELDER'S» n'était pas un nom de
famille.
En anglais moderne, le génitif (possessive case)
est une forme grammaticale indiquant le lien entre
la personne ou la chose désignée et la source ou le
possesseur, etc.
Le génitif du mot «ELDER», qu'il soit employé
comme nom de famille ou comme nom commun,
se forme par l'adjonction d'une apostrophe et de la
lettre «s».
Dans In re the Application of R. J. Lea Ld. to
Register a Trade Mark (1913) 30 R.P.C. 216, le
lord juge Buckley a affirmé catégoriquement que
le génitif d'un mot susceptible de servir de nom de
famille, n'était pas un nom de famille.
Voici ce qu'il a déclaré à la page 223:
[TRADUCTION] Une deuxième raison tient à ce que le mot dont
les requérants demandent l'enregistrement n'est pas un nom de
famille. Ce mot est «Boardman's». C'est un mot qui dé toute
évidence, est employé sous forme elliptique pour exprimer un
bien avec Boardman. Il se peut, par exemple, qu'il signifie
«fabriqué par Boardman» ou «vendu par Boardman» ou «fumé
par Boardman», ou «tabac de Boardman» ou enfin «mélange de
Boardman». Il s'agit d'une phrase elliptique où apparaît un nom
de famille.
L'avocat de l'intimé m'a proposé de conclure
que cette conclusion du lord juge Buckley était
erronée, dans cette cause qui était identique à
l'affaire en instance.
Étant donné la conclusion à laquelle je suis
parvenu par les motifs exposés ci-dessus, il n'est
pas nécessaire que je me prononce sur cette ques
tion; je ne le ferai donc pas. J'estime cependant
qu'il serait absurde de pouvoir contourner l'inter-
diction d'enregistrer comme marque de commerce
un mot qui est principalement un nom de famille
en ajoutant une apostrophe et la lettre «s».
En outre, l'emploi d'un nom de famille au géni-
tif est conforme à l'objectif d'une marque de com
merce qui est d'identifier les marchandises en
cause avec un commerçant donné pourvu qu'il n'y
ait pas interdiction d'enregistrement pour défaut
de caractéristique distinctive.
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