A-170-79
Le commissaire des brevets et le ministre de la
Consommation et des Corporations (Appelants)
(Intimés)
c.
Goodyear Tire & Rubber Company (Intimée)
(Requérante)
Cour d'appel, les juges Pratte, Ryan et Le Dain—
Ottawa, les 26 et 30 mars 1979.
Brevets — Dessin industriel — Brefs de prérogative —
Mandamus — Appel de la décision de la Division de première
instance qui a accueilli la demande de mandamus pour ordon-
ner l'enregistrement d'un dessin sous le régime de la Loi sur
les dessins industriels — La demande de mandamus avait été
introduite après que l'examinateur eut demandé des renseigne-
ments supplémentaires et refusé de retirer cette requête — Le
juge de première instance a accueilli l'argument selon lequel
l'enregistrement ne pouvait être refusé que si le dessin en cause
était identique à un autre dessin déjà enregistré ou lui ressem-
blait au point qu'il puisse y avoir confusion — Il s'agit de
savoir s'il y avait lieu de rejeter la demande de mandamus —
Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, c. I-8, art. 3, 4, 5,
6, 7.
Il s'agit de l'appel d'un jugement de la Division de première
instance qui a ordonné la délivrance d'un bref de mandamus
enjoignant aux deux appelants, responsables de l'application de
la Loi sur les dessins industriels, d'enregistrer le dessin de
l'intimée conformément à cette loi «à moins qu'ils, conjointe-
ment ou individuellement, ne jugent que ledit dessin est identi-
que à un autre déjà enregistré ou qu'il y ressemble au point
qu'il puisse y avoir confusion.» Un examinateur du bureau du
commissaire des brevets avait demandé à l'intimée des rensei-
gnements supplémentaires avant de se prononcer sur l'enregis-
trement et avait refusé de retirer cette demande de renseigne-
ments. Le juge de première instance a accueilli la thèse de
l'intimée selon laquelle l'enregistrement ne pouvait être refusé
que si le dessin était identique ou quasi identique à un autre
dessin déjà enregistré.
Arrêt: l'appel est accueilli.
Le juge Pratte: En demandant un mandamus contre les
appelants, l'intimée visait l'exécution d'une obligation que l'ar-
ticle 6 de la Loi imposait au Ministre. L'obligation visée à cet
article ne porte toutefois que sur les dessins industriels qui sont
les seuls enregistrables sous le régime de la Loi; elle ne vise pas
tout dessin qui pourrait être déposé aux fins d'enregistrement.
Lorsqu'il y a demande d'enregistrement d'un dessin, le Ministre
doit établir tout d'abord s'il s'agit d'un dessin industriel et,
ensuite, s'il s'agit d'un dessin industriel qu'il est requis par
l'article 6 d'enregistrer. Les questions que l'examinateur posait
à l'intimée avaient pour but d'obtenir des renseignements lui
permettant d'établir si le dessin de l'intimée était un dessin
industriel, attendu qu'un dessin non ornemental n'était pas un
dessin industriel au sens de la Loi. Un dessin qui n'est pas un
dessin industriel en raison de son caractère purement utilitaire,
n'est pas un dessin tombant «sous le coup des dispositions de la
présente Partie». Le Ministre peut refuser l'enregistrement d'un
dessin de cette espèce.
Et le juge Le Dain: Les critères du dessin enregistrable ont
été définis par la jurisprudence qui les a déduits de la Loi. La
Loi ne visait pas à obliger le Ministre à enregistrer des dessins
qui, à son avis, ne sont pas des dessins au sens des décisions
judiciaires qui traitent des critères d'enregistrement. Il ne s'agit
pas pour le Ministre d'appliquer de façon mécanique les impé-
ratifs formels et explicites de la Loi, mais de faire preuve d'un
certain jugement pour décider de ce qui est enregistrable, à la
lumière des précédents jurisprudentiels. Il s'agit d'un pouvoir
de refus que le Ministre peut exercer selon qu'il le juge à
propos, et ce pouvoir sous-entend nécessairement le pouvoir ou
le droit du Ministre de d'assurer par un examen qu'un dessin
est enregistrable. L'appel au gouverneur en conseil n'est pas le
seul recours ouvert au requérant dont la demande d'enregistre-
ment a été rejetée. Attendu que les derniers mots de l'article 22
de la Loi sur les dessins industriels donnent compétence pour
radier l'enregistrement d'un dessin qu'il n'y a pas lieu d'enregis-
trer, ceux qui précèdent donnent compétence pour ordonner
l'enregistrement qui a été refusé pour le même motif.
APPEL.
AVOCATS:
H. Erlichman et Leslie Holland pour les
appelants (intimés).
D. F. Sim, c.r. et John Glacera pour l'intimée
(requérante).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
les appelants (intimés).
Donald F. Sim, c.r., Toronto, pour l'intimée
(requérante).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit en l'espèce de l'appel
d'un jugement de la Division de première instance
R1979] 1979] 2 C.F. 401] ordonnant la délivrance d'un
bref de mandamus enjoignant aux deux appelants,
responsables de l'application de la Loi sur les
dessins industriels, S.R.C. 1970, c. I-8, d'enregis-
trer conformément à cette loi le dessin que l'inti-
mée a présenté [TRADUCTION] «à moins qu'ils,
conjointement ou individuellement, ne jugent que
ledit dessin est identique à un autre déjà enregistré
ou qu'il y ressemble au point qu'il puisse y avoir
confusion.»
Le 14 juin 1978 l'intimée demanda, sur le fonde-
ment de la Loi sur les dessins industriels', l'enre-
gistrement du dessin d'un pneumatique. Un exami-
nateur, fonctionnaire du bureau du commissaire
des brevets étudia la demande et, le 6 juillet 1978,
écrivit à la requérante ce qui suit:
[TRADUCTION] La demande précitée en est maintenant au
stade de l'examen.
Les demandes relatives à un dessin industriel qui, pour un objet
donné, ne comporte que des caractéristiques fonctionnelles ou
utilitaires, et qui ne recèle aucun aspect ornemental évident, ne
peuvent être enregistrées.
D'après ce que révèlent les esquisses, le dessin pourrait n'avoir
qu'une fonction utilitaire sans aspect ornemental. Afin d'aider
l'examinateur, on demande à la requérante de répondre aux
questions suivantes de façon à pouvoir déterminer adéquate-
ment si le dessin est purement fonctionnel ou s'il comporte un
aspect ornemental en autorisant l'enregistrement.
1. Quel est l'objet de chacun des éléments du dessin?
' Les articles 3 à 7 de la Loi doivent être pris en compte en
l'espèce; les voici:
3. Le Ministre doit faire tenir un livre appelé registre des
dessins industriels, pour l'enregistrement de ces dessins.
4. Le propriétaire qui demande l'enregistrement d'un
dessin doit en remettre au Ministre une esquisse et une
description, en double, avec une déclaration portant que, à sa
connaissance, personne autre que lui ne faisait usage de ce
dessin lorsqu'il en a fait le choix.
5. Après qu'il a reçu le droit prescrit à cet égard par la
présente loi, le Ministre fait examiner le dessin dont le
propriétaire demande l'enregistrement, pour constater s'il
ressemble à quelque autre dessin déjà enregistré.
6. Si le Ministre trouve que le dessin n'est identique à
aucun autre dessin déjà enregistré ou qu'il n'y ressemble pas
au point qu'il puisse y avoir confusion, il le fait enregistrer; et
il remet au propriétaire un double de l'esquisse et de la
description en même temps que le certificat prescrit par la
présente Partie; mais le Ministre peut refuser, sauf appel au
gouverneur en conseil, d'enregistrer les dessins qui ne lui
paraissent pas tomber sous le coup des dispositions de la
présente Partie, ou tout dessin contraire à la morale ou à
l'ordre public.
7. (1) Sur le double de l'esquisse et de la description,
rendu à la personne qui fait enregistrer, est donné un certifi-
cat, signé par le Ministre ou par le commissaire des brevets,
énonçant que ce dessin a été régulièrement enregistré confor-
mément à la présente loi.
(2) Ce certificat doit indiquer la date de l'enregistrement,
y compris le jour, le mois et l'année de son inscription sur le
registre approprié, le nom et l'adresse du propriétaire enre-
gistré, le numéro du dessin, et le numéro ou la lettre qui a
servi pour coter l'enregistrement ou pour y correspondre.
(3) En l'absence de preuve contraire, ledit certificat est
une attestation suffisante du dessin, de l'originalité du dessin,
du nom du propriétaire, du fait que la personne dite proprié-
taire est propriétaire, de la date et de l'expiration de l'enre-
gistrement, et de l'observation de la présente loi.
2. Identifier le cas échéant les caractéristiques ornementales
que comporterait le dessin en sus de celles nécessaires aux
fins auxquelles il est destiné.
3. L'objet possède-t-il des avantages utilitaires que n'au-
raient pas ceux antérieurement destinés aux mêmes fins? Si
oui, quels sont-ils?
4. La forme de l'objet en facilite-t-elle la fabrication ou
l'utilisation?
5. Y a-t-il eu demande ou attribution de brevet concernant
l'objet en question? Si oui, en fournir des copies (demeure-
ront confidentielles en cas de demande pendante de brevet).
6. Existe-t-il de la documentation ou de la publicité concer-
nant l'objet? Si oui, la fournir.
La procédure d'enregistrement dudit dessin demeurera pen-
dante tant que des réponses satisfaisantes aux questions ci-des-
sus n'auront pas été données et qu'il n'aura pas été démontré
que le dessin comporte des caractéristiques ornementales en sus
des caractéristiques nécessaires à sa fonction.
Si aucune réponse ne nous est parvenue le 8 janvier 1979 la
demande sera classée.
Le 30 octobre 1978, les procureurs de l'intimée
écrivirent au commissaire des brevets pour lui
demander de retirer la demande de renseignements
supplémentaires que, faisaient-ils valoir, le fonc-
tionnaire examinateur n'était pas autorisé à faire
puisque sa seule obligation, d'après la Loi, était de
décider si le dessin dont on demandait l'enregistre-
ment «n' [était] pas identique à aucun autre dessin
déjà enregistré ou ... n'y [ressemblait] pas au
point qu'il puisse y avoir confusion».
L'examinateur rejeta les prétentions de l'intimée
et réitéra sa demande de renseignements supplé-
mentaires. L'intimée demanda alors le bref de
mandamus que lui a accordé le jugement dont
appel.
Il faudrait souligner à ce stade-ci que ce que
l'intimée reproche à l'examinateur n'est pas que
celui-ci aurait refusé de décider, à la lumière des
documents qui lui avaient été soumis, si oui ou non
il enregistrerait le dessin, ni que la validité d'enre-
gistrement d'un dessin ne pouvait être fonction de
son caractère purement utilitaire. 2 L'intimée pré-
tend simplement que l'examinateur ne pouvait pré-
tendre avoir le droit de refuser d'enregistrer son
dessin simplement parce qu'il était uniquement
utilitaire et ne comportait aucun aspect ornemen-
2 L'avocat de l'intimée a expressément reconnu au cours de
l'audition de l'appel que l'enregistrement d'un dessin purement
utilitaire ne comportant aucun aspect ornemental est invalide.
tal. D'après l'intimée le seul motif pour lequel on
puisse refuser d'enregistrer un dessin, ce serait
qu'il est identique ou quasi identique à un autre
dessin déjà enregistré. Le juge de première ins
tance a reconnu cette position fondée pour les
motifs qu'il a exprimés comme suit [aux pages 404
et 405]:
Ce qu'il s'agit de savoir c'est si cette loi autorise le Ministre à
décider si le dessin peut ou non être enregistré et s'il a fait
l'objet d'une publication il y a plus d'un an. A mon avis, il n'est
pas autorisé à ce faire. En tout cas on ne l'y oblige pas
expressément.
Si le Ministre refuse l'enregistrement, l'article 6 permet d'en
appeler au gouverneur en conseil. S'il enregistre un dessin qui,
pour quelque raison, n'aurait pas dû l'être, c'est à la présente
cour que l'article 22 attribue compétence de radier l'inscription.
Je pense qu'il est manifeste qu'il faille préférer que des ques
tions comme celle de savoir si un dessin peut ou non faire
l'objet d'un enregistrement, ou s'il a ou non été rendu public, et
à quelle date, soient laissées à un for traditionnel. Sans préten-
dre que cela ne peut se faire, je me demande par quel méca-
nisme le gouverneur en conseil pourrait bien connaître d'un
appel, semblable, par exemple, à l'affaire Cimon, si par exem-
ple, le Ministre avait décidé que le dessin du sofa en litige ne
pouvait être enregistré.
Le certificat délivré lors de l'enregistrement constitue une
présomption, non une preuve concluante, qu'on s'est conformé à
la Loi. L'enregistrement est valide pour dix ans au plus. Enfin
l'article 28 dispose que:
28. Quand un dessin industriel, dont l'enregistrement est
demandé aux termes de la présente loi, n'est pas enregistré,
tous les droits versés au Ministre pour l'enregistrement sont
remis au requérant ou à son agent, moins la somme de deux
dollars, qui sont retenus pour couvrir les frais de bureau.
Le Parlement a estimé que $2 suffiraient à indemniser le
bureau du Ministre des dépenses engagées pour traiter une
demande subséquemment refusée. Même en tenant compte de
l'inflation c'était là fort peu de chose.
Toute l'économie de la Loi va à l'encontre de l'hypothèse
voulant que le Ministre ait l'obligation de procéder à une
enquête approfondie et exhaustive, donc coûteuse, avant de
répondre à une demande. Le législateur a voulu qu'il limite sa
recherche aux domaines que visent expressément les articles 4,
5 et 6. Les questions que l'examinateur a posées n'ont rien à
voir avec les matières que doit examiner le Ministre pour
décider si le requérant a ou non droit à l'enregistrement de son
dessin.
Je dois dire, à mon grand regret, que ces motifs
ne m'ont pas convaincu. Je pencherais plutôt pour
accorder l'appel et rejeter la demande de manda-
mus de l'intimée.
Lorsqu'elle a demandé un mandamus à l'encon-
tre des appelants, l'intimée cherchait à faire exécu-
ter l'obligation que l'article 6 de la Loi impose au
Ministre, article dont voici la première partie:
6. Si le Ministre trouve que le dessin n'est identique à aucun
autre dessin déjà enregistré ou qu'il n'y ressemble pas au point
qu'il puisse y avoir confusion, il le fait enregistrer;
L'obligation qu'impose cet article toutefois ne
porte que sur les dessins industriels, lesquels sont
les seuls dessins qu'on puisse enregistrer en vertu
de cette loi (voir l'article 3); elle ne vise pas tout
dessin qui pourrait être présenté pour enregistre-
ment. Lorsqu'une demande d'enregistrement d'un
dessin est faite, le Ministre doit, à mon avis,
décider d'abord s'il s'agit d'un dessin industriel et,
après seulement, s'il s'agit d'un dessin industriel
que l'article 6 lui impose d'enregistrer. Si je com-
prends bien les questions que pose l'examinateur à
l'intimée, elles ont pour but d'obtenir des rensei-
gnements qui lui permettront de décider si son
dessin constitue un dessin industriel puisque, à
mon avis, un dessin qui n'a pas une fonction
ornementale pour un objet n'est pas un dessin
industriel au sens de cette loi. 3
C'est ce que confirme la disposition finale de
l'article 6; elle autorise expressément le Ministre à:
... refuser, sauf appel au gouverneur en conseil, d'enregistrer
les dessins qui ne lui paraissent pas tomber sous le coup des
dispositions de la présente Partie, ou tout dessin contraire à la
morale ou à l'ordre public. 4
Un dessin qui n'est pas, en raison de son caractère
purement utilitaire, un dessin industriel n'est pas
un dessin tombant «sous le coup des dispositions de
la présente Partie». Il s'ensuit que le Ministre peut
refuser l'enregistrement d'un dessin de cette
espèce.
Pour ces motifs j'accorderais l'appel, réforme-
rais le jugement de première instance et rejetterais
la demande de l'intimée avec dépens en première
comme en la présente instance.
* * *
3 Voir Cimon Limited c. Bench Made Furniture Corp. [1965]
1 R.C.É. 811, aux pages 830 et suiv.
° Cette portion de l'article 6 provient d'une loi, antérieure à
la confédération, de l'ancienne Province du Canada, le chapitre
21 des Statuts du Canada, 1861. Voici son article 27:
27. Le dit secrétaire pourra refuser d'enregistrer tels des-
sins qui ne lui paraîtront pas tomber sous les dispositions du
présent acte, comme une chose non destinée à être appliquée
à un objet fabriqué, mais à servir d'enveloppe, étiquette ou
couvert dans lesquels un article pourrait être exposé en vente,
ou si le dessin est contraire à la morale publique ou à l'ordre,
sauf le droit d'appel au gouverneur en conseil.
LE JUGE RYAN y a souscrit.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés â l'audience par
LE JUGE LE DAIN: Je pense aussi que l'appel
devrait être accordé pour les motifs qu'en a donnés
mon collègue Pratte mais, vu les hésitations que
j'ai eues à ainsi en décider, j'aimerais exposer
brièvement mes vues sur le litige.
L'examinateur avait demandé certains rensei-
gnements à la requérante au sujet de l'enregistre-
ment d'un dessin industriel afin d'établir «si le
dessin est purement utilitaire ou s'il comporte des
caractéristiques ornementales qui en autoriseraient
l'enregistrement». Et il a laissé entendre que si les
renseignements n'étaient pas fournis la demande
serait «classée». La requérante fait valoir somme
toute que la Loi sur les dessins industriels, S.R.C.
1970, c. I-8, n'autorise pas le Ministre à refuser
d'enregistrer un dessin parce qu'il serait purement
utilitaire et donc qu'il sortirait de sa compétence
légale en permettant à ce fonctionnaire de faire
une telle enquête. La requérante s'appuie particu-
lièrement, si je comprends bien le sens de son
argumentation, sur les articles 4, 5 et 6 de cette loi
pour déterminer ce que celle-ci envisage comme
examen à faire et comme facteurs que doit consi-
dérer le Ministre. L'article 4 demande que la
requérante dépose près le Ministre «une esquisse et
une description, en double, [du dessin] avec une
déclaration portant que, à sa connaissance, per-
sonne autre [qu'elle] ne faisait usage de ce dessin
lorsqu' [elle] en a fait le choix». L'article 5 dispose
que le Ministre «fait examiner le dessin dont le
propriétaire demande l'enregistrement, pour cons-
tater s'il ressemble à quelque autre dessin déjà
enregistré». L'article 6 prévoit que si le Ministre
«trouve que le dessin n'est identique à aucun autre
dessin déjà enregistré ou qu'il n'y ressemble pas au
point qu'il puisse y avoir confusion, il le fait enre-
gistrer ...». Invoquant ses dispositions la requé-
rante prétend que l'examen envisagé par la Loi et
l'obligation du Ministre se limitent à décider si le
dessin ressemble à quelque autre déjà enregistré.
Mais l'article 6 poursuit en disant que le Ministre
«peut refuser, sauf appel au gouverneur en conseil,
d'enregistrer les dessins qui ne lui paraissent pas
tomber sous le coup des dispositions de la présente
Partie, ou tout dessin contraire à la morale ou à
l'ordre public». La question me paraît donc être de
savoir si, par les mots «sous le coup des dispositions
de la présente Partie» on peut vouloir parler des
motifs invoqués par les tribunaux lorsqu'ils sta-
tuent qu'un dessin ne peut être enregistré.
Après beaucoup d'hésitation j'en suis venu à la
conclusion que c'est l'interprétation qui doit préva-
loir. La Loi ne définit pas ce qu'est un dessin
industriel mais le droit prétorien, interprétant son
texte, a imposé certaines exigences pour qu'un
enregistrement soit valide. Dans Clatworthy &
Son Limited c. Dale Display Fixtures Limited
[1929] R.C.S. 429, par exemple, la Cour suprême
du Canada a jugé que la disposition, maintenant
devenue l'article 7(3) de la Loi, voulait dire que
pour être enregistré un dessin devait être original.
Dans Cimon Limited c. Bench Made Furniture
Corporation [1965] 1 R.C.É. 811, la Cour de
l'Échiquier a statué que l'article 11 de la Loi
laissait entendre que pour être enregistré un dessin
devait avoir une fonction ornementale pour un
objet. Ces facteurs nécessaires pour qu'il y ait
enregistrement valide ont été déduits du texte de la
Loi et comme tels indiquent le genre de dessin que
visent les dispositions de sa Partie I, laquelle crée
le droit à l'enregistrement et la protection qu'il
accorde. Je ne puis penser que le législateur ait
voulu que le Ministre soit obligé d'enregistrer des
dessins qui à son avis n'en sont pas au sens donné à
ce terme par la jurisprudence lorsqu'elle parle de
ce qui peut ou non être enregistré. Par exemple, la
citation de l'affaire In re Clarke's Design [[1896]
2 Ch. 38, la page 42], apparaissant à la page 435
de l'arrêt Clatworthy parle des dessins [TRADUC-
TION] «qui ont échappé à la vigilance du contrô-
leur et ont été irrégulièrement enregistrés». Les
mots «qui ne lui paraissent pas» de l'article 6
laissent entendre que ce qu'on veut ce n'est pas
simplement l'application des exigences formelles,
expresses de la Loi, mais plutôt qu'on se serve de
son jugement pour décider de ce qui peut être
enregistré à la lumière de ce que dit le droit
prétorien. C'est un pouvoir de refus que le Minis-
tre peut ou non exercer lorsqu'il le juge à propos.
En tant que tel, il implique nécessairement à mon
avis le pouvoir ou le droit de vérifier par un
examen qu'un dessin peut ou non faire l'objet d'un
enregistrement.
On a beaucoup insisté au cours du débat sur la
disposition de l'article 6 qui parle d'un appel au
gouverneur en conseil comme si c'était là la seule
opposition possible à l'enregistrement qui ait été
envisagée. Quelque soit l'opinion que l'on a sur ce
qu'exigent les mots «tomber sous le coup des dispo
sitions de la présente Partie», un appel au gouver-
neur en conseil sur un sujet de cette espèce, consti-
tue un curieux recours à notre époque. Mais il
semble que l'on ait présumé que ce serait le seul
ouvert au requérant auquel on aurait refusé l'enre-
gistrement. Ce n'est pas ainsi que j'interprète cette
loi. Les mots «sauf appel au gouverneur en conseil»
créent certainement un droit d'appel mais il ne
s'agit pas d'un langage qui excluerait le recours
que prévoit l'article 22, ni même, qui ferait de cet
appel une condition nécessaire à son exercice. L'ar-
ticle 22 ouvre un recours devant la Cour fédérale
en cas d'«omission, sans cause suffisante, d'une
inscription sur le registre des dessins industriels»
ou pour, «quelque inscription faite sans cause suffi-
sante sur ce registre». Puisque cette dernière
expression manifestement confère compétence
pour radier l'enregistrement d'un dessin qui ne doit
pas l'être, je ne comprends pas pourquoi celle qui
précède ne pourrait attribuer compétence d'ordon-
ner l'enregistrement d'un dessin refusé pour ce
dernier motif justement. Il semble que la Cour de
l'Échiquier ait pris pour acquis dans Rose c. Com-
missaire des brevets [1935] R.C.É. 188, que le
recours prévu autrefois par l'article 45 de la Loi
des marques de commerce et dessins de fabrique,
S.R.C. 1927, c. 201, et maintenant par l'article 22,
était celui qu'il fallait engager en cas de refus
d'enregistrer, quoiqu'on ait jugé en l'espèce que le
recours ne pouvait être introduit par requête.
Au cours du débat, sans trop insister, on a aussi
souligné que l'article 14 exigeait qu'un dessin soit
enregistré dans l'année de sa publication au
Canada; ce serait là le genre de motif autorisant de
refuser d'enregistrer qu'envisageait l'article 6. Cet
argument ne me convainc pas. On peut, me sem-
ble-t-il, passer autant de temps à décider de refu-
ser d'enregistrer parce qu'un dessin ressemble à un
autre au point de pouvoir être confondu avec lui, et
à engager le recours découlant de ce refus, qu'à
décider la même chose parce qu'il s'agit d'un
dessin qui n'est pas un dessin industriel au sens de
cette loi.
En conclusion donc je suis d'avis qu'en deman-
dant à l'examinateur de vérifier si le dessin était
d'un ordre purement utilitaire ou s'il comportait
des caractéristiques ornementales autorisant son
enregistrement, le Ministre n'a pas outrepassé les
pouvoirs que lui attribue la Loi et il n'y a pas lieu à
mandamus pour le forcer à considérer la demande
d'enregistrement sans égard à cette question.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.