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A-170-79
Le commissaire des brevets et le ministre de la Consommation et des Corporations (Appelants) (Intimés)
c.
Goodyear Tire & Rubber Company (Intimée) (Requérante)
Cour d'appel, les juges Pratte, Ryan et Le Dain— Ottawa, les 26 et 30 mars 1979.
Brevets Dessin industriel Brefs de prérogative Mandamus Appel de la décision de la Division de première instance qui a accueilli la demande de mandamus pour ordon- ner l'enregistrement d'un dessin sous le régime de la Loi sur les dessins industriels La demande de mandamus avait été introduite après que l'examinateur eut demandé des renseigne- ments supplémentaires et refusé de retirer cette requête Le juge de première instance a accueilli l'argument selon lequel l'enregistrement ne pouvait être refusé que si le dessin en cause était identique à un autre dessin déjà enregistré ou lui ressem- blait au point qu'il puisse y avoir confusion Il s'agit de savoir s'il y avait lieu de rejeter la demande de mandamus Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, c. I-8, art. 3, 4, 5, 6, 7.
Il s'agit de l'appel d'un jugement de la Division de première instance qui a ordonné la délivrance d'un bref de mandamus enjoignant aux deux appelants, responsables de l'application de la Loi sur les dessins industriels, d'enregistrer le dessin de l'intimée conformément à cette loi «à moins qu'ils, conjointe- ment ou individuellement, ne jugent que ledit dessin est identi- que à un autre déjà enregistré ou qu'il y ressemble au point qu'il puisse y avoir confusion.» Un examinateur du bureau du commissaire des brevets avait demandé à l'intimée des rensei- gnements supplémentaires avant de se prononcer sur l'enregis- trement et avait refusé de retirer cette demande de renseigne- ments. Le juge de première instance a accueilli la thèse de l'intimée selon laquelle l'enregistrement ne pouvait être refusé que si le dessin était identique ou quasi identique à un autre dessin déjà enregistré.
Arrêt: l'appel est accueilli.
Le juge Pratte: En demandant un mandamus contre les appelants, l'intimée visait l'exécution d'une obligation que l'ar- ticle 6 de la Loi imposait au Ministre. L'obligation visée à cet article ne porte toutefois que sur les dessins industriels qui sont les seuls enregistrables sous le régime de la Loi; elle ne vise pas tout dessin qui pourrait être déposé aux fins d'enregistrement. Lorsqu'il y a demande d'enregistrement d'un dessin, le Ministre doit établir tout d'abord s'il s'agit d'un dessin industriel et, ensuite, s'il s'agit d'un dessin industriel qu'il est requis par l'article 6 d'enregistrer. Les questions que l'examinateur posait à l'intimée avaient pour but d'obtenir des renseignements lui permettant d'établir si le dessin de l'intimée était un dessin industriel, attendu qu'un dessin non ornemental n'était pas un dessin industriel au sens de la Loi. Un dessin qui n'est pas un dessin industriel en raison de son caractère purement utilitaire,
n'est pas un dessin tombant «sous le coup des dispositions de la présente Partie». Le Ministre peut refuser l'enregistrement d'un dessin de cette espèce.
Et le juge Le Dain: Les critères du dessin enregistrable ont été définis par la jurisprudence qui les a déduits de la Loi. La Loi ne visait pas à obliger le Ministre à enregistrer des dessins qui, à son avis, ne sont pas des dessins au sens des décisions judiciaires qui traitent des critères d'enregistrement. Il ne s'agit pas pour le Ministre d'appliquer de façon mécanique les impé- ratifs formels et explicites de la Loi, mais de faire preuve d'un certain jugement pour décider de ce qui est enregistrable, à la lumière des précédents jurisprudentiels. Il s'agit d'un pouvoir de refus que le Ministre peut exercer selon qu'il le juge à propos, et ce pouvoir sous-entend nécessairement le pouvoir ou le droit du Ministre de d'assurer par un examen qu'un dessin est enregistrable. L'appel au gouverneur en conseil n'est pas le seul recours ouvert au requérant dont la demande d'enregistre- ment a été rejetée. Attendu que les derniers mots de l'article 22 de la Loi sur les dessins industriels donnent compétence pour radier l'enregistrement d'un dessin qu'il n'y a pas lieu d'enregis- trer, ceux qui précèdent donnent compétence pour ordonner l'enregistrement qui a été refusé pour le même motif.
APPEL. AVOCATS:
H. Erlichman et Leslie Holland pour les appelants (intimés).
D. F. Sim, c.r. et John Glacera pour l'intimée (requérante).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour les appelants (intimés).
Donald F. Sim, c.r., Toronto, pour l'intimée (requérante).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit en l'espèce de l'appel d'un jugement de la Division de première instance R1979] 1979] 2 C.F. 401] ordonnant la délivrance d'un bref de mandamus enjoignant aux deux appelants, responsables de l'application de la Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, c. I-8, d'enregis- trer conformément à cette loi le dessin que l'inti- mée a présenté [TRADUCTION] «à moins qu'ils, conjointement ou individuellement, ne jugent que ledit dessin est identique à un autre déjà enregistré ou qu'il y ressemble au point qu'il puisse y avoir confusion.»
Le 14 juin 1978 l'intimée demanda, sur le fonde- ment de la Loi sur les dessins industriels', l'enre- gistrement du dessin d'un pneumatique. Un exami- nateur, fonctionnaire du bureau du commissaire des brevets étudia la demande et, le 6 juillet 1978, écrivit à la requérante ce qui suit:
[TRADUCTION] La demande précitée en est maintenant au stade de l'examen.
Les demandes relatives à un dessin industriel qui, pour un objet donné, ne comporte que des caractéristiques fonctionnelles ou utilitaires, et qui ne recèle aucun aspect ornemental évident, ne peuvent être enregistrées.
D'après ce que révèlent les esquisses, le dessin pourrait n'avoir qu'une fonction utilitaire sans aspect ornemental. Afin d'aider l'examinateur, on demande à la requérante de répondre aux questions suivantes de façon à pouvoir déterminer adéquate- ment si le dessin est purement fonctionnel ou s'il comporte un aspect ornemental en autorisant l'enregistrement.
1. Quel est l'objet de chacun des éléments du dessin?
' Les articles 3 à 7 de la Loi doivent être pris en compte en l'espèce; les voici:
3. Le Ministre doit faire tenir un livre appelé registre des dessins industriels, pour l'enregistrement de ces dessins.
4. Le propriétaire qui demande l'enregistrement d'un dessin doit en remettre au Ministre une esquisse et une description, en double, avec une déclaration portant que, à sa connaissance, personne autre que lui ne faisait usage de ce dessin lorsqu'il en a fait le choix.
5. Après qu'il a reçu le droit prescrit à cet égard par la présente loi, le Ministre fait examiner le dessin dont le propriétaire demande l'enregistrement, pour constater s'il ressemble à quelque autre dessin déjà enregistré.
6. Si le Ministre trouve que le dessin n'est identique à aucun autre dessin déjà enregistré ou qu'il n'y ressemble pas au point qu'il puisse y avoir confusion, il le fait enregistrer; et il remet au propriétaire un double de l'esquisse et de la description en même temps que le certificat prescrit par la présente Partie; mais le Ministre peut refuser, sauf appel au gouverneur en conseil, d'enregistrer les dessins qui ne lui paraissent pas tomber sous le coup des dispositions de la présente Partie, ou tout dessin contraire à la morale ou à l'ordre public.
7. (1) Sur le double de l'esquisse et de la description, rendu à la personne qui fait enregistrer, est donné un certifi- cat, signé par le Ministre ou par le commissaire des brevets, énonçant que ce dessin a été régulièrement enregistré confor- mément à la présente loi.
(2) Ce certificat doit indiquer la date de l'enregistrement, y compris le jour, le mois et l'année de son inscription sur le registre approprié, le nom et l'adresse du propriétaire enre- gistré, le numéro du dessin, et le numéro ou la lettre qui a servi pour coter l'enregistrement ou pour y correspondre.
(3) En l'absence de preuve contraire, ledit certificat est une attestation suffisante du dessin, de l'originalité du dessin, du nom du propriétaire, du fait que la personne dite proprié- taire est propriétaire, de la date et de l'expiration de l'enre- gistrement, et de l'observation de la présente loi.
2. Identifier le cas échéant les caractéristiques ornementales que comporterait le dessin en sus de celles nécessaires aux fins auxquelles il est destiné.
3. L'objet possède-t-il des avantages utilitaires que n'au- raient pas ceux antérieurement destinés aux mêmes fins? Si oui, quels sont-ils?
4. La forme de l'objet en facilite-t-elle la fabrication ou l'utilisation?
5. Y a-t-il eu demande ou attribution de brevet concernant l'objet en question? Si oui, en fournir des copies (demeure- ront confidentielles en cas de demande pendante de brevet).
6. Existe-t-il de la documentation ou de la publicité concer- nant l'objet? Si oui, la fournir.
La procédure d'enregistrement dudit dessin demeurera pen- dante tant que des réponses satisfaisantes aux questions ci-des- sus n'auront pas été données et qu'il n'aura pas été démontré que le dessin comporte des caractéristiques ornementales en sus des caractéristiques nécessaires à sa fonction.
Si aucune réponse ne nous est parvenue le 8 janvier 1979 la demande sera classée.
Le 30 octobre 1978, les procureurs de l'intimée écrivirent au commissaire des brevets pour lui demander de retirer la demande de renseignements supplémentaires que, faisaient-ils valoir, le fonc- tionnaire examinateur n'était pas autorisé à faire puisque sa seule obligation, d'après la Loi, était de décider si le dessin dont on demandait l'enregistre- ment «n' [était] pas identique à aucun autre dessin déjà enregistré ou ... n'y [ressemblait] pas au point qu'il puisse y avoir confusion».
L'examinateur rejeta les prétentions de l'intimée et réitéra sa demande de renseignements supplé- mentaires. L'intimée demanda alors le bref de mandamus que lui a accordé le jugement dont appel.
Il faudrait souligner à ce stade-ci que ce que l'intimée reproche à l'examinateur n'est pas que celui-ci aurait refusé de décider, à la lumière des documents qui lui avaient été soumis, si oui ou non il enregistrerait le dessin, ni que la validité d'enre- gistrement d'un dessin ne pouvait être fonction de son caractère purement utilitaire. 2 L'intimée pré- tend simplement que l'examinateur ne pouvait pré- tendre avoir le droit de refuser d'enregistrer son dessin simplement parce qu'il était uniquement utilitaire et ne comportait aucun aspect ornemen-
2 L'avocat de l'intimée a expressément reconnu au cours de l'audition de l'appel que l'enregistrement d'un dessin purement utilitaire ne comportant aucun aspect ornemental est invalide.
tal. D'après l'intimée le seul motif pour lequel on puisse refuser d'enregistrer un dessin, ce serait qu'il est identique ou quasi identique à un autre dessin déjà enregistré. Le juge de première ins tance a reconnu cette position fondée pour les motifs qu'il a exprimés comme suit [aux pages 404 et 405]:
Ce qu'il s'agit de savoir c'est si cette loi autorise le Ministre à décider si le dessin peut ou non être enregistré et s'il a fait l'objet d'une publication il y a plus d'un an. A mon avis, il n'est pas autorisé à ce faire. En tout cas on ne l'y oblige pas expressément.
Si le Ministre refuse l'enregistrement, l'article 6 permet d'en appeler au gouverneur en conseil. S'il enregistre un dessin qui, pour quelque raison, n'aurait pas l'être, c'est à la présente cour que l'article 22 attribue compétence de radier l'inscription. Je pense qu'il est manifeste qu'il faille préférer que des ques tions comme celle de savoir si un dessin peut ou non faire l'objet d'un enregistrement, ou s'il a ou non été rendu public, et à quelle date, soient laissées à un for traditionnel. Sans préten- dre que cela ne peut se faire, je me demande par quel méca- nisme le gouverneur en conseil pourrait bien connaître d'un appel, semblable, par exemple, à l'affaire Cimon, si par exem- ple, le Ministre avait décidé que le dessin du sofa en litige ne pouvait être enregistré.
Le certificat délivré lors de l'enregistrement constitue une présomption, non une preuve concluante, qu'on s'est conformé à la Loi. L'enregistrement est valide pour dix ans au plus. Enfin l'article 28 dispose que:
28. Quand un dessin industriel, dont l'enregistrement est demandé aux termes de la présente loi, n'est pas enregistré, tous les droits versés au Ministre pour l'enregistrement sont remis au requérant ou à son agent, moins la somme de deux dollars, qui sont retenus pour couvrir les frais de bureau.
Le Parlement a estimé que $2 suffiraient à indemniser le bureau du Ministre des dépenses engagées pour traiter une demande subséquemment refusée. Même en tenant compte de l'inflation c'était fort peu de chose.
Toute l'économie de la Loi va à l'encontre de l'hypothèse voulant que le Ministre ait l'obligation de procéder à une enquête approfondie et exhaustive, donc coûteuse, avant de répondre à une demande. Le législateur a voulu qu'il limite sa recherche aux domaines que visent expressément les articles 4, 5 et 6. Les questions que l'examinateur a posées n'ont rien à voir avec les matières que doit examiner le Ministre pour décider si le requérant a ou non droit à l'enregistrement de son dessin.
Je dois dire, à mon grand regret, que ces motifs ne m'ont pas convaincu. Je pencherais plutôt pour accorder l'appel et rejeter la demande de manda- mus de l'intimée.
Lorsqu'elle a demandé un mandamus à l'encon- tre des appelants, l'intimée cherchait à faire exécu- ter l'obligation que l'article 6 de la Loi impose au Ministre, article dont voici la première partie:
6. Si le Ministre trouve que le dessin n'est identique à aucun autre dessin déjà enregistré ou qu'il n'y ressemble pas au point qu'il puisse y avoir confusion, il le fait enregistrer;
L'obligation qu'impose cet article toutefois ne porte que sur les dessins industriels, lesquels sont les seuls dessins qu'on puisse enregistrer en vertu de cette loi (voir l'article 3); elle ne vise pas tout dessin qui pourrait être présenté pour enregistre- ment. Lorsqu'une demande d'enregistrement d'un dessin est faite, le Ministre doit, à mon avis, décider d'abord s'il s'agit d'un dessin industriel et, après seulement, s'il s'agit d'un dessin industriel que l'article 6 lui impose d'enregistrer. Si je com- prends bien les questions que pose l'examinateur à l'intimée, elles ont pour but d'obtenir des rensei- gnements qui lui permettront de décider si son dessin constitue un dessin industriel puisque, à mon avis, un dessin qui n'a pas une fonction ornementale pour un objet n'est pas un dessin industriel au sens de cette loi. 3
C'est ce que confirme la disposition finale de l'article 6; elle autorise expressément le Ministre à:
... refuser, sauf appel au gouverneur en conseil, d'enregistrer les dessins qui ne lui paraissent pas tomber sous le coup des dispositions de la présente Partie, ou tout dessin contraire à la morale ou à l'ordre public. 4
Un dessin qui n'est pas, en raison de son caractère purement utilitaire, un dessin industriel n'est pas un dessin tombant «sous le coup des dispositions de la présente Partie». Il s'ensuit que le Ministre peut refuser l'enregistrement d'un dessin de cette espèce.
Pour ces motifs j'accorderais l'appel, réforme- rais le jugement de première instance et rejetterais la demande de l'intimée avec dépens en première comme en la présente instance.
* * *
3 Voir Cimon Limited c. Bench Made Furniture Corp. [1965] 1 R.C.É. 811, aux pages 830 et suiv.
° Cette portion de l'article 6 provient d'une loi, antérieure à la confédération, de l'ancienne Province du Canada, le chapitre 21 des Statuts du Canada, 1861. Voici son article 27:
27. Le dit secrétaire pourra refuser d'enregistrer tels des- sins qui ne lui paraîtront pas tomber sous les dispositions du présent acte, comme une chose non destinée à être appliquée à un objet fabriqué, mais à servir d'enveloppe, étiquette ou couvert dans lesquels un article pourrait être exposé en vente, ou si le dessin est contraire à la morale publique ou à l'ordre, sauf le droit d'appel au gouverneur en conseil.
LE JUGE RYAN y a souscrit.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés â l'audience par
LE JUGE LE DAIN: Je pense aussi que l'appel devrait être accordé pour les motifs qu'en a donnés mon collègue Pratte mais, vu les hésitations que j'ai eues à ainsi en décider, j'aimerais exposer brièvement mes vues sur le litige.
L'examinateur avait demandé certains rensei- gnements à la requérante au sujet de l'enregistre- ment d'un dessin industriel afin d'établir «si le dessin est purement utilitaire ou s'il comporte des caractéristiques ornementales qui en autoriseraient l'enregistrement». Et il a laissé entendre que si les renseignements n'étaient pas fournis la demande serait «classée». La requérante fait valoir somme toute que la Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, c. I-8, n'autorise pas le Ministre à refuser d'enregistrer un dessin parce qu'il serait purement utilitaire et donc qu'il sortirait de sa compétence légale en permettant à ce fonctionnaire de faire une telle enquête. La requérante s'appuie particu- lièrement, si je comprends bien le sens de son argumentation, sur les articles 4, 5 et 6 de cette loi pour déterminer ce que celle-ci envisage comme examen à faire et comme facteurs que doit consi- dérer le Ministre. L'article 4 demande que la requérante dépose près le Ministre «une esquisse et une description, en double, [du dessin] avec une déclaration portant que, à sa connaissance, per- sonne autre [qu'elle] ne faisait usage de ce dessin lorsqu' [elle] en a fait le choix». L'article 5 dispose que le Ministre «fait examiner le dessin dont le propriétaire demande l'enregistrement, pour cons- tater s'il ressemble à quelque autre dessin déjà enregistré». L'article 6 prévoit que si le Ministre «trouve que le dessin n'est identique à aucun autre dessin déjà enregistré ou qu'il n'y ressemble pas au point qu'il puisse y avoir confusion, il le fait enre- gistrer ...». Invoquant ses dispositions la requé- rante prétend que l'examen envisagé par la Loi et l'obligation du Ministre se limitent à décider si le dessin ressemble à quelque autre déjà enregistré. Mais l'article 6 poursuit en disant que le Ministre «peut refuser, sauf appel au gouverneur en conseil, d'enregistrer les dessins qui ne lui paraissent pas tomber sous le coup des dispositions de la présente Partie, ou tout dessin contraire à la morale ou à
l'ordre public». La question me paraît donc être de savoir si, par les mots «sous le coup des dispositions de la présente Partie» on peut vouloir parler des motifs invoqués par les tribunaux lorsqu'ils sta- tuent qu'un dessin ne peut être enregistré.
Après beaucoup d'hésitation j'en suis venu à la conclusion que c'est l'interprétation qui doit préva- loir. La Loi ne définit pas ce qu'est un dessin industriel mais le droit prétorien, interprétant son texte, a imposé certaines exigences pour qu'un enregistrement soit valide. Dans Clatworthy & Son Limited c. Dale Display Fixtures Limited [1929] R.C.S. 429, par exemple, la Cour suprême du Canada a jugé que la disposition, maintenant devenue l'article 7(3) de la Loi, voulait dire que pour être enregistré un dessin devait être original. Dans Cimon Limited c. Bench Made Furniture Corporation [1965] 1 R.C.É. 811, la Cour de l'Échiquier a statué que l'article 11 de la Loi laissait entendre que pour être enregistré un dessin devait avoir une fonction ornementale pour un objet. Ces facteurs nécessaires pour qu'il y ait enregistrement valide ont été déduits du texte de la Loi et comme tels indiquent le genre de dessin que visent les dispositions de sa Partie I, laquelle crée le droit à l'enregistrement et la protection qu'il accorde. Je ne puis penser que le législateur ait voulu que le Ministre soit obligé d'enregistrer des dessins qui à son avis n'en sont pas au sens donné à ce terme par la jurisprudence lorsqu'elle parle de ce qui peut ou non être enregistré. Par exemple, la citation de l'affaire In re Clarke's Design [[1896] 2 Ch. 38, la page 42], apparaissant à la page 435 de l'arrêt Clatworthy parle des dessins [TRADUC- TION] «qui ont échappé à la vigilance du contrô- leur et ont été irrégulièrement enregistrés». Les mots «qui ne lui paraissent pas» de l'article 6 laissent entendre que ce qu'on veut ce n'est pas simplement l'application des exigences formelles, expresses de la Loi, mais plutôt qu'on se serve de son jugement pour décider de ce qui peut être enregistré à la lumière de ce que dit le droit prétorien. C'est un pouvoir de refus que le Minis- tre peut ou non exercer lorsqu'il le juge à propos. En tant que tel, il implique nécessairement à mon avis le pouvoir ou le droit de vérifier par un examen qu'un dessin peut ou non faire l'objet d'un enregistrement.
On a beaucoup insisté au cours du débat sur la disposition de l'article 6 qui parle d'un appel au gouverneur en conseil comme si c'était la seule opposition possible à l'enregistrement qui ait été envisagée. Quelque soit l'opinion que l'on a sur ce qu'exigent les mots «tomber sous le coup des dispo sitions de la présente Partie», un appel au gouver- neur en conseil sur un sujet de cette espèce, consti- tue un curieux recours à notre époque. Mais il semble que l'on ait présumé que ce serait le seul ouvert au requérant auquel on aurait refusé l'enre- gistrement. Ce n'est pas ainsi que j'interprète cette loi. Les mots «sauf appel au gouverneur en conseil» créent certainement un droit d'appel mais il ne s'agit pas d'un langage qui excluerait le recours que prévoit l'article 22, ni même, qui ferait de cet appel une condition nécessaire à son exercice. L'ar- ticle 22 ouvre un recours devant la Cour fédérale en cas d'«omission, sans cause suffisante, d'une inscription sur le registre des dessins industriels» ou pour, «quelque inscription faite sans cause suffi- sante sur ce registre». Puisque cette dernière expression manifestement confère compétence pour radier l'enregistrement d'un dessin qui ne doit pas l'être, je ne comprends pas pourquoi celle qui précède ne pourrait attribuer compétence d'ordon- ner l'enregistrement d'un dessin refusé pour ce dernier motif justement. Il semble que la Cour de l'Échiquier ait pris pour acquis dans Rose c. Com- missaire des brevets [1935] R.C.É. 188, que le recours prévu autrefois par l'article 45 de la Loi des marques de commerce et dessins de fabrique, S.R.C. 1927, c. 201, et maintenant par l'article 22, était celui qu'il fallait engager en cas de refus d'enregistrer, quoiqu'on ait jugé en l'espèce que le recours ne pouvait être introduit par requête.
Au cours du débat, sans trop insister, on a aussi souligné que l'article 14 exigeait qu'un dessin soit enregistré dans l'année de sa publication au Canada; ce serait le genre de motif autorisant de refuser d'enregistrer qu'envisageait l'article 6. Cet argument ne me convainc pas. On peut, me sem- ble-t-il, passer autant de temps à décider de refu- ser d'enregistrer parce qu'un dessin ressemble à un autre au point de pouvoir être confondu avec lui, et à engager le recours découlant de ce refus, qu'à décider la même chose parce qu'il s'agit d'un dessin qui n'est pas un dessin industriel au sens de cette loi.
En conclusion donc je suis d'avis qu'en deman- dant à l'examinateur de vérifier si le dessin était d'un ordre purement utilitaire ou s'il comportait des caractéristiques ornementales autorisant son enregistrement, le Ministre n'a pas outrepassé les pouvoirs que lui attribue la Loi et il n'y a pas lieu à mandamus pour le forcer à considérer la demande d'enregistrement sans égard à cette question.
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