T-3280-76
Sophia Marchak (Demanderesse)
c.
Le procureur général du Canada et L. W. Munro
(Défendeurs)
T-2578-78
Lamberto Avillanoza (Demandeur)
c.
Le procureur général du Canada et A. Evans
(Défendeurs)
Division de première instance, le juge suppléant
Smith—Winnipeg, le 13 mars et le 23 août 1979.
Assurance-chômage — Les avis d'inadmissibilité et d'ex-
clusion établis par la Commission d'assurance-chômage ont
été confirmés par les conseils arbitraux saisis des appels
respectifs — Le président du Conseil arbitral a refusé l'autori-
sation d'appel prévue à l'art. 95c)(ii) de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage — Contestation de la validité et de la
force exécutoire de cette disposition — Attendu que le prési-
dent, qui a refusé l'autorisation d'appel, a siégé au Conseil
arbitral dont la décision faisait justement l'objet de la
demande d'autorisation d'appel, il échet d'examiner si ce fait
constitue un préjugé — Attendu que, n'étant pas membres
d'une association de travailleurs, les demandeurs ne pouvaient
appeler que par autorisation, il échet d'examiner si les deman-
deurs ont été privés de leur droit à l'égalité devant la loi et à la
justice naturelle — Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C.
1970-71-72, c. 48, art. 95 — Déclaration canadienne des
droits, S.C. 1960, c. 44 (S.R.C. 1970, Appendice III), art. 1, 2.
Les appels formés par les demandeurs contre les avis d'inad-
missibilité et d'exclusion de la Commission d'assurance-chô-
mage ont été rejetés à l'unanimité par les conseils arbitraux
respectivement saisis. Le sous-alinéa 95c)(ii) de la Loi de 1971
sur l'assurance-chômage prévoit que l'appel contre une déci-
sion unanime est assujetti à l'autorisation du président du
Conseil arbitral. Cette autorisation a été refusée. Dans les deux
cas, l'appel porte sur la validité et la force exécutoire de cette
disposition, et le débat a porté sur deux faits principaux. En
premier lieu, attendu que le président qui a refusé l'autorisation
d'appel avait dans les deux cas siégé comme membre et prési-
dent du Conseil arbitral qui a rendu la décision contre laquelle
le demandeur a demandé l'autorisation d'appel, ce fait ne
constitue-t-il pas un préjugé de la part du président tel que sa
décision devrait être réformée? En second lieu, quel effet les
dispositions de la Déclaration canadienne des droits relatives à
l'égalité devant la loi et au droit à l'audition impartiale selon les
principes de justice naturelle ont-elles sur chacun des deman-
deurs, particulièrement à l'égard de l'appel devant le juge-arbi-
tre? Les demandeurs soutiennent que du fait qu'ils n'étaient pas
membres d'une association de travailleurs, ils ont souffert d'une
mesure discriminatoire et ont été privés du droit à l'égalité
devant la loi.
Arrêt: les appels sont rejetés. L'intention du législateur était
que le président n'accorde pas l'autorisation d'appel à moins
qu'à son avis, un principe important ne soit en jeu ou que
d'autres circonstances spéciales ne justifient l'autorisation.
Cette disposition avait pour but d'expédier les appels dont le
règlement pourrait être entravé. Rien n'indique que le président
de l'un ou l'autre Conseil n'a pas agi comme il convenait et
conformément aux articles 95 et 96. Il faut présumer que ni
l'un ni l'autre n'a conclu que l'affaire dont il a été saisi mettait
en jeu un principe important ou comportait d'autres circons-
tances spéciales justifiant l'autorisation d'un appel. Les règles
de justice naturelle en matière d'audition impartiale ne posent
pas que celui qui a eu droit à une audition impartiale (au cours
de laquelle son appel a été rejeté à l'unanimité) a droit d'office
à un autre appel. Les demandeurs se plaignent que l'article 95
équivaut à une mesure discriminatoire à leur égard puisque ni
l'un ni l'autre ne fait partie d'une association de travailleurs.
Cet article n'a cependant aucun effet discriminatoire contre qui
que ce soit, au regard de l'article 1 de la Déclaration cana-
dienne des droits. L'article 95 ne supprime, ni ne restreint, ni
n'enfreint le droit de l'un ou l'autre demandeur à l'égalité
devant la loi ni ne les prive du droit à une audition impartiale
selon les règles de justice naturelle.
Arrêts appliqués: Bliss c. Le procureur général du Canada
[1979] 1 R.C.S. 183; R. c. Burnshine [1975] 1 R.C.S. 693;
Curr c. La Reine [1972] R.C.S. 889; Prata c. Le Ministre
de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1976] 1 R.C.S.
376; Le Procureur général du Canada c. Lavell [1974]
R.C.S. 1349. Distinction faite avec l'arrêt: R. c. Drybones
[1970] R.C.S. 282.
APPEL.
AVOCATS:
Charles G. Birks pour les demandeurs.
B. J. Meronek pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Charles G. Birks, Winnipeg, pour les deman-
deurs.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: Dans ces deux
espèces les faits et conclusions sont les mêmes, les
noms et dates exceptés, de même que les avocats
des parties. Les avocats y ayant consenti, j'ai
ordonné qu'elles soient jointes.
Les faits de chaque espèce ne sont pas contestés
et peuvent être résumés brièvement comme suit:
On n'a pas fait droit à la demande de prestations
du demandeur, lequel a reçu de la Commission des
avis d'inadmissibilité et d'exclusion. Il en a appelé
au Conseil arbitral qui a connu de l'appel et l'a,
dans les deux espèces, rejeté à l'unanimité. Dans
l'affaire Marchak le président du Conseil était le
défendeur L. W. Munro et dans l'affaire Avilla-
noza c'était le défendeur A. Evans. Dans chaque
espèce le demandeur a requis du président, sur le
fondement de l'article 95 de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage, l'autorisation d'en appeler
au juge-arbitre et dans chaque espèce le président
lui a notifié par lettre qu'il n'autorisait pas l'appel.
Les présentes actions résultent de ce refus.
L'article 95 de la Loi de 1971 sur l'assurance-
chômage, S.C. 1970-71-72, c. 48 se lit comme suit:
95. Toute décision d'un conseil arbitral peut, de la manière
prescrite, être portée en appel devant un juge-arbitre,
a) dans tous les cas, sur l'instance de la Commission;
b) dans tous les cas, sous réserve de l'article 97, sur l'ins-
tance d'une association de travailleurs dont le prestataire est
membre ou d'une association d'employeurs dont un
employeur du prestataire est membre; ou
c) sur l'instance du prestataire ou d'un employeur du
prestataire,
(i) sans autorisation dans tous les cas où la décision du
conseil arbitral n'est pas unanime, et
(ii) avec l'autorisation du président du conseil arbitral,
dans tous les autres cas.
Le demandeur n'était, ni dans l'une ni dans
l'autre espèce, membre d'un syndicat ou associa
tion de travailleurs à l'époque en cause de sorte
que l'article 95b) ne peut lui être appliqué. Tout
appel sur le fondement de l'article doit donc être
formé par le demandeur (le prestataire) selon l'ar-
ticle 95c). Si les décisions des conseils arbitraux
n'avaient pas été unanimes, il n'y aurait eu aucun
problème vu que le prestataire aurait eu un droit
manifeste de former l'appel selon l'article 95c)i),
mais comme la décision est unanime dans chaque
cas, la disposition applicable est l'article 95c)(ii)
qui autorise l'appel, sur l'instance du prestataire,
qu'avec l'autorisation du président du Conseil arbi-
tral. Cet agrément a été refusé.
Il est évident que si l'article 95c)(ii) est valide et
obligatoirement applicable aux prestataires, leurs
appels ne sauraient réussir. L'appel dans chaque
espèce conteste la validité et l'effet exécutoire du
sous-alinéa.
En passant, je note une expression ambiguë à
l'alinéa b) des conclusions de chaque déclaration.
Chacun des deux alinéas dit que l'article 95 [TRA-
DUCTION] «prévoit que le président doit autoriser
l'appel.» L'article, bien entendu, au sous-alinéa
c)(ii), n'oblige pas le président à quoi que ce soit.
Il ne fait que permettre un appel «avec l'autorisa-
tion du président». Au regard de l'article le prési-
dent peut accorder ou refuser cette autorisation.
Prenant en compte 1a,déclaration dans son ensem
ble, on voit que son auteur ne voulait pas que la
proposition susmentionnée des conclusions reçoive
son sens le plus directement manifeste mais plutôt
voulait dire que l'obtention de l'«autorisation» du
président était une condition préalable au droit du
prestataire d'en appeler. Néanmoins, pris en eux-
mêmes, ils prêtent à confusion en ce qu'ils sem-
blent suggérer que l'auteur n'a pas compris le sens
du sous-alinéa c)(ii).
Dans les deux espèces la déclaration conclut à ce
que la Cour proclame les quatre points suivants:
1. Que l'article 95 de la Loi de 1971 sur l'assu-
rance-chômage susmentionné qui requiert que les
prestataires qui ne sont pas membres d'une asso
ciation de travailleurs obtiennent l'autorisation
d'en appeler au juge-arbitre, viole la Déclaration
canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44 [S.R.C.
1970, Appendice III] en ce qu'il:
a) est discriminatoire et prive ces prestataires
du droit à l'égalité devant la loi.
b) prive ces prestataires du droit à une audition
impartiale de leur cause selon les principes de
justice fondamentale.
2. Que ledit article 95, qui dispose que l'autorisa-
tion d'en appeler au juge-arbitre doit être obtenue
du président, lequel a lui-même participé à la
décision du Conseil arbitral dont le demandeur (le
prestataire) veut former appel, déroge à la Décla-
ration canadienne des droits ou aux principes de
justice naturelle en ce qu'il prive le prestataire du
droit à une audition impartiale pour la définition
de ses droits et obligations.
3. Que ledit article 95 doit être interprété et appli-
qué de façon à ce que ceux qui ne sont pas
membres d'une association de travailleurs n'aient
pas d'autorisation à obtenir pour former un appel
devant le juge-arbitre.
4. Que le demandeur a droit à ce que le juge-arbi-
tre soit saisi en appel de son affaire.
Je note ici que les conclusions vont en quelque
sorte trop loin. Ce n'est que lorsque la sentence du
Conseil arbitral a été unanime que l'article
requiert l'autorisation préalable du président pour
en appeler au juge-arbitre. Vu l'argumentation du
procureur des défendeurs, cette distinction a son
importance.
Dans les deux espèces, le demandeur réclame les
dépens de l'action.
La défense dans les deux espèces se contente
d'affirmer que le demandeur n'a pas droit aux
conclusions réclamées et demande que l'action soit
rejetée avec dépens.
Les faits n'étant pas contestés, l'audience a
porté uniquement sur les arguments de droit des
avocats.
Le débat a porté sur deux faits principaux.
1. Le fait que le président qui a refusé l'autorisa-
tion de former l'appel avait dans les deux espèces
siégé comme membre et président du Conseil arbi-
tral qui a rendu la décision dont le demandeur (le
prestataire) demande autorisation d'en appeler. Ce
fait ne constitue-t-il pas en droit un préjugé de la
part du président justifiant de réformer sa décision
de refuser l'autorisation d'en appeler? On n'a pas
prétendu que le président ait dans les faits réelle-
ment eu des préjugés au détriment du demandeur
(du prestataire).
2. Certaines dispositions de la Déclaration cana-
dienne des droits. Quel effet ces dispositions ont-
elles sur la position du demandeur, particulière-
ment à l'égard de la formation d'un appel au
juge-arbitre?
L'avocat des demandeurs a fait valoir au sujet
du 1 qu'en common law ce fait serait considéré
comme un préjugé en droit car il indiquerait une
grande probabilité de l'existence d'un préjugé réel.
Il a cité R. c. Alberta Securities Commission, Ex
Parte Albrecht 36 D.L.R. (2e) 199, l'appui de sa
position. Il a reconnu toutefois qu'il y a exception
à cette règle lorsque c'est la loi elle-même qui
autorise le président à décider d'autoriser ou non
l'appel. A cet égard, il a cité le juge Riley dans la
même espèce, au bas de la page 201. L'article
95c)(ii) donne une telle permission au président
dans les circonstances qui nous concernent dans
ces espèces. En fait l'article 96 montre bien, par les
directives qu'il lui donne, que la décision du prési-
dent n'est pas arbitraire. Le voici en partie:
96. (1) ... Le président du conseil arbitral doit accorder
cette autorisation s'il lui parait évident qu'un principe impor
tant est en jeu en l'espèce ou qu'il y a d'autres circonstances
spéciales justifiant cette autorisation.
(2) Lorsque le président d'un conseil arbitral accorde l'auto-
risation de porter en appel devant un juge-arbitre la décision du
conseil arbitral, il doit verser au dossier un exposé des motifs
sur lesquels se fonde cette autorisation.
A mon avis la maxime expressio unius est
exclusio alterius s'applique à ce qui est dit à
l'article 96. Il semble manifeste que l'intention du
législateur en adoptant cet article était que le
président n'accorde pas l'autorisation d'en appeler
à moins qu'à son avis ne soit en jeu un principe
important ou que d'autres circonstances spéciales
ne justifient l'autorisation. A cet égard voir le
jugement du juge Marceau, siégeant à titre de
juge-arbitre dans C.U.B. 4571, rendu le 29 juillet
1977, appelant, Pierre Bordeleau.
Quoique la Cour ne soit pas saisie des motifs du
président, dans ces deux espèces, de ne pas autori-
ser les appels au juge-arbitre, aucune preuve, ni
rien de ce qui a été dit au cours du débat, ne
permet de dire que le président ne se soit pas
conformé aux dispositions de l'article 96.
Ma conclusion est donc que les demandeurs
dans ces deux espèces ne peuvent avoir gain de
cause sur le fondement qu'il y aurait eu préjugé en
droit de la part du président contre l'un ou l'autre
dans sa décision de ne pas autoriser les appels. J'ai
lu toute la jurisprudence sur la question du préjugé
que m'ont citée les avocats. Elle m'a confirmé dans
mon opinion.
Décider de l'effet des dispositions de la Déclara-
tion canadienne des droits sur la position des
demandeurs dans les deux espèces est plus difficile.
Les arguments de l'avocat des demandeurs repo-
sent sur certaines dispositions des articles 1 et 2 de
la Déclaration canadienne des droits. Il serait utile
de les reproduire ici:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de
l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont
existé et continueront à exister pour tout individu au Canada
quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa
religion ou son sexe:
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de
la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de
ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la
protection de la loi;
On n'a pas cité les alinéas c),d),e) et f) de
l'article 1.
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du
Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob-
stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et
s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou
enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et
déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la
diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du
Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de
sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la
définition de ses droits et obligations;
On n'a pas non plus cité les alinéas a),b),c),d),f)
et g) de l'article 2.
L'avocat a d'abord mentionné deux passages du
jugement du juge Laskin, titre qu'il avait alors, de
la Cour suprême du Canada dans l'affaire Curr c.
La Reine [ 1972] R.C.S. 889. A la page 893 il dit:
Étant donné le cours qu'ont suivi les plaidoiries, je crois qu'il
serait prudent de mettre en relief, dans les présents motifs, deux
propositions plutôt évidentes; d'abord, la Déclaration cana-
dienne des droits n'a pas gelé la législation fédérale à la date de
son entrée en vigueur, le 10 août 1960; deuxièmement, il est
possible de conclure qu'une loi fédérale adoptée après la date
d'entrée en vigueur de la Déclaration canadienne des droits ou
qui existait avant cette date va à l'encontre des dispositions de
la Déclaration.
Ces deux propositions sont certainement vraies.
La première a été adoptée dans plusieurs décisions
postérieures à l'affaire Curr et la seconde est
énoncée expressément à l'article 5(2) de la Décla-
ration canadienne des droits.
A la page 896 le juge Laskin, citant l'article la)
et b), dit:
En ce qui concerne la portée des alinéas (a) et (b) de l'art. 1
et, en fait, celle de l'art. 1 au complet, je signale, d'abord, que
cet article exerce une influence sur la législation fédérale du
fait qu'il est mentionné indirectement à l'art. 2; deuxièmement,
je n'interprète pas cet article comme s'appliquant uniquement
lorsque existe l'une ou l'autre forme de discrimination interdite.
La discrimination interdite est plutôt une norme supplémen-
taire que la législation fédérale doit respecter. En d'autres
termes, une loi fédérale qui ne viole pas l'article 1 en ce qui
concerne l'un ou l'autre des genres interdits de discrimination,
peut néanmoins le violer si elle porte atteinte à l'un des droits
garantis par les alinéas (a) à (/) de l'art. 1. Elle constitue a
fortiori une violation s'il y a discrimination en raison de la race
d'une personne, de façon à priver celle-ci du droit à l'égalité
devant la loi. C'est ce qu'a décidé cette Cour dans l'arrêt
Regina c. Drybones; je n'ai rien d'autre à ajouter sur ce point.
Six des autres juges de la Cour suprême ont
souscrit aux motifs du juge Laskin. Le juge Rit-
chie, avec lequel le juge en chef du Canada, le juge
Fauteux, était d'accord, en est arrivé à la même
conclusion quant à la façon de disposer de l'appel
(il a été rejeté à l'unanimité) mais pour d'autres
motifs.
Appliquant aux deux espèces dont je suis saisi
l'opinion qu'exprime le juge Laskin dans la cita
tion susmentionnée, je note d'abord que l'article 95
de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage ne fait
aucune discrimination envers qui que ce soit en
raison de la race, de l'origine nationale, de la
couleur, de la religion ou du sexe. Ce dont se
plaignent les demandeurs c'est de la discrimination
que fait l'article à leur égard en raison du fait que
ni l'un ni l'autre n'est membre d'une association de
travailleurs, ce qui n'est pas une forme de discrimi
nation mentionnée dans la disposition liminaire de
l'article 1 de la Déclaration canadienne des droits.
Les demandeurs ne se contentent pas toutefois
d'alléguer discrimination, ils poursuivent en disant
qu'en conséquence de cette discrimination chacun
d'eux a été privé de son droit à l'égalité devant la
loi, contrairement à l'article 1 b) de la Déclaration
canadienne des droits. L'article 95 de la Loi de
1971 sur l'assurance-chômage priverait chacun
des demandeurs de son droit à une audition impar-
tiale de sa cause, selon les principes de justice
fondamentale, pour la définition de ses droits et
obligations, contrairement à l'article 2e) de la
Déclaration canadienne des droits. Il reste donc
encore deux questions à répondre:
1. L'article 95 de la Loi de 1971 sur l'assurance-
chômage peut-il être interprété et appliqué aux
faits de ces deux espèces sans supprimer, restrein-
dre ni enfreindre le droit de chacun des deman-
deurs à l'égalité devant la loi selon l'article 1 b) de
la Déclaration canadienne des droits?
2. Ledit article 95 peut-il être interprété et appli-
qué aux faits de ces deux espèces sans priver
chacun d'eux du droit à une audience impartiale,
selon les principes de justice fondamentale, pour la
définition de leurs droits et obligations, contraire-
ment à l'article 2e) de la Déclaration canadienne
des droits?
L'avocat des demandeurs fait valoir que ces
deux questions devraient recevoir une réponse
négative.
Pour ce qui est de la question 1, il soutient que
d'après l'article 95, la Commission, une association
de travailleurs dont le prestataire (le demandeur)
serait membre, une association d'employeurs dont
l'employeur du prestataire (du demandeur) serait
membre, ont tous le droit d'en appeler au juge-
arbitre d'une sentence d'un conseil arbitral en
toute circonstance, que la sentence soit ou non
unanime, alors que le prestataire qui n'est pas
membre d'une telle association de travailleurs n'a
pas le droit d'en appeler au juge-arbitre si la
sentence a été unanime, à moins que le président
du Conseil ne l'autorise à former l'appel et, alors,
que cette autorisation de former l'appel ne peut
être accordée que s'il paraît au président qu'un
principe important est en jeu ou que d'autres
circonstances spéciales justifient d'autoriser l'ap-
pel. A son avis c'est là manifestement placer le
prestataire qui se trouve dans la situation des
demandeurs dans ces deux espèces en une position
d'inégalité et d'infériorité devant la loi par rapport
à celles des autres parties mentionnées. Les
employeurs qui ne sont pas membres d'une asso
ciation d'employeurs seraient bien entendu dans la
même position d'inégalité devant la loi.
Il fait valoir que c'est celui qui n'est membre
d'aucun syndicat qui a le plus besoin de la protec
tion qu'accorderait un appel. Aucun syndicat ne
lui vient en aide et ainsi aucun représentant syndi-
cal expérimenté ne peut parler en son nom devant
le Conseil arbitral. Il y aurait un représentant
syndical qui siégerait au Conseil. Il se peut bien
qu'en pratique cela soit vrai mais ce ne l'est pas
nécessairement, l'article 91 de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage se borne à disposer notam-
ment que:
91. (1) Seront institués des conseils arbitraux, composés
d'un président ainsi que d'un ou plusieurs membres choisis
parmi les employeurs ou leurs représentants et d'autant de
membres choisis parmi les assurés ou leurs représentants.
(3) La Commission dresse des listes des employeurs et de
leurs représentants, ainsi que des assurés et de leurs représen-
tants. Les membres des conseils arbitraux sont choisis de la
manière prescrite parmi les personnes inscrites sur ces listes.
Il est clair que d'après l'article 91 il peut y avoir
un membre du Conseil arbitral qui soit un assuré
ni membre ni représentant d'aucun syndicat. Ce
qui nous intéresse ici c'est le droit d'un simple
salarié d'en appeler au juge-arbitre de la sentence
d'un conseil arbitral et le seul cas où le droit du
salarié de former un tel appel est litigieux c'est
lorsque la sentence a été unanime. Je ne vois aucun
motif de présumer qu'un assuré qui n'est pas
membre d'un syndicat ni représentant syndical
serait plus disposé, comme membre du Conseil
arbitral, à ne pas souscrire à la décision des deux
autres membres du Conseil, dissipant par là tout
doute au sujet du droit du prestataire d'en appeler
au juge-arbitre, que ne le serait un membre d'un
syndicat ou un représentant syndical siégeant au
Conseil. Je n'arrive donc pas à comprendre com
ment les deux prestataires (les demandeurs)
seraient désavantagés par rapport au droit d'en
appeler par le fait qu'un membre de chacun des
conseils de la sentence desquels on veut en appeler
serait un représentant syndical plutôt qu'un simple
assuré.
Les juridictions canadiennes y compris la Cour
suprême, ont été saisies à plus d'une reprise de
l'expression «l'égalité devant la loi» de l'article 1 b)
de la Déclaration canadienne des droits de même
que des termes de l'article la), la clause sur l'ap-
plication régulière de la loi. Dans l'affaire Curr
(précitée), le juge Laskin, se référant à l'article
la), a dit aux pages 899 et 900:
A supposer que grâce à la disposition «ne s'en voir privé que par
l'application régulière de la loi», il est possible de contrôler le
fond de la législation fédérale—question qui n'a pas directe-
ment été soulevée dans l'affaire Regina c. Drybones—il fau-
drait avancer des raisons convaincantes pour que la Cour soit
fondée à exercer en l'espèce une compétence conférée par la loi
(par opposition à une compétence conférée par la constitution)
pour enlever tout effet à une disposition de fond dûment
adoptée par un Parlement compétent à cet égard en vertu de la
constitution et exerçant ses pouvoirs conformément au principe
du gouvernement responsable, lequel constitue le fondement de
l'exercice du pouvoir législatif en vertu de l'Acte de l'Amérique
du Nord britannique. Ces raisons doivent se rapporter à des
normes objectives et faciles à appliquer, qui doivent guider les
tribunaux, si on veut que l'application régulière dont il est
question à l'alinéa (a) de l'art. I, permette d'annuler une loi
fédérale par ailleurs valide.
A mon avis ces dires s'appliquent également
lorsqu'on considère l'article lb). Je ne les consi-
dère pas moins applicables en dépit du fait que
l'affaire Curr portait sur le délit criminel de refus
de donner un échantillon d'haleine pour aider à en
déterminer la teneur en alcool alors que le nôtre
provient d'un refus d'autoriser un appel en matière
civile.
Dans La Reine c. Burnshine [1975] 1 R.C.S.
693, l'article 150 de la Loi sur les prisons et les
maisons de correction, S.R.C. 1970, c. P-21, était
en cause. Cet article prévoyait un système de peine
déterminée et indéterminée pour les jeunes délin-
quants de la Colombie-Britannique uniquement.
La peine indéterminée pouvait avoir une durée
supérieure au maximum prévu pour l'infraction en
cause. On prétendait que cette loi était discrimina-
toire en ce qu'elle ne s'appliquait qu'aux jeunes
délinquants d'une province seulement. On préten-
dait aussi qu'il y avait inégalité devant la loi vu
que le temps global d'incarcération imposé au
jeune délinquant pouvait dépasser le maximum
imposable à toute autre catégorie de délinquant
pour la même infraction. Le juge Martland, don-
nant les motifs de l'arrêt de la Cour suprême,
étudia assez longuement la question de l'égalité
devant la loi. Il fit remarquer [à la page 705] que
la Déclaration canadienne des droits ne cherchait
pas à créer de nouveaux droits subjectifs. «Elle
porte déclaration et continuation de droits et liber-
tés existants, de par ses termes exprès» et «Ce sont
ces droits et ces libertés qui existaient alors qui ne
doivent être violés par aucune loi fédérale».
Se référant à l'affaire La Reine c. Drybones
[1970] R.C.S. 282; un appel qu'un indien avait
formé d'une déclaration de culpabilité pour ébriété
hors d'une réserve, contrairement à l'article 94b)
de la Loi sur les Indiens, dont il a dit que c'était la
seule affaire «à ce jour dans laquelle cette Cour a
déclaré un article d'une loi fédérale inopérant
parce qu'il enfreignait la Déclaration des droits»,
le juge Martland rappela la portée limitée de son
jugement en citant le passage suivant, de la page
298, des motifs du juge Ritchie, auteur de l'arrêt
en cette espèce:
Je crois utile d'affirmer clairement que ces motifs s'appli-
quent seulement à un cas où, en vertu des lois du Canada, est
réputé infraction punissable en droit, pour une personne, à
cause de sa race, un acte que ses concitoyens canadiens qui ne
sont pas de cette race peuvent poser sans encourir aucune
sanction. A mon avis, cela est bien loin d'être applicable à
toutes les dispositions de la Loi sur les Indiens.
Le juge Martland a dit alors, à la page 707:
Le but du législateur en édictant l'art. 150 n'était pas
d'imposer une peine plus sévère qu'à d'autres aux contrevenants
qui se trouvaient en Colombie-Britannique et qui faisaient
partie d'un groupe d'âge particulier. La peine indéterminée a
pour fin une tentative de redresser et d'avantager les personnes
incluses dans ce groupe d'âge plus jeune. L'article a été fait
applicable en Colombie-Britannique parce que cette province
était pourvue des institutions et du personnel requis à cette fin.
Il a conclu en disant aux pages 707 et 708:
A mon avis, pour qu'il ait gain de cause en la présente
affaire, il serait nécessaire, au moins, que l'intimé établisse à la
satisfaction de la Cour qu'en adoptant l'art. 150 le Parlement
ne cherchait pas l'accomplissement d'un objectif fédéral régu-
lier. Cela n'a pas été établi et on n'a pas tenté de le faire.
Dans Prata c. Le Ministre de la Main-d'oeuvre
et de l'Immigration [1976] 1 R.C.S. 376, une
ordonnance d'expulsion avait été rendue contre
l'appelant. Il forma appel à la Commission d'appel
de l'immigration sur le fondement de l'article 15
de la Loi sur la Commission d'appel de l'immi-
gration qui attribuait à la Commission, le pouvoir
discrétionnaire, en certains cas, d'ordonner de sur-
seoir ou de casser une ordonnance d'expulsion.
Malheureusement pour lui l'article 21 de la Loi
dispose que la Commission ne peut exercer ses
pouvoirs discrétionnaires si un certificat, signé par
le Ministre et le solliciteur général où ils déclarent
qu'à leur avis, fondé sur les rapports de sécurité ou
de police criminelle qu'ils ont reçus et étudiés, il
serait, pour la Commission, contraire à l'intérêt
national de prendre cette mesure. Un tel certificat
fut produit. La Commission statua que l'article 21
lui retirait toute compétence pour connaître de son
appel fondé sur l'article 15.
Le litige alla jusqu'en Cour suprême du Canada
où l'un des arguments de l'appelant était que la
Déclaration canadienne des droits interdisait d'ap-
pliquer l'article 21 de façon à lui interdire d'obte-
nir que la Commission exerce les pouvoirs discré-
tionnaires que lui attribuait l'article 15.
L'application de l'article 21 aurait privé l'appelant.
de son droit à «l'égalité devant la loi» que proclame
l'article l b) de la Déclaration canadienne des
droits.
Le juge Martland, auteur de l'arrêt unanime de
la Cour, dit, à la page 382:
Le but recherché par l'art. 21 est évident et il vise un objectif
fédéral régulier. Cette Cour a décidé que l'al. b) de l'art. 1 de la
Déclaration canadienne des droits n'exige pas que toutes les
lois fédérales doivent s'appliquer de la même manière à tous les
individus. Une loi qui vise une catégorie particulière de person-
nes est valide si elle est adoptée en cherchant l'accomplissement
d'un objectif fédéral régulier (R. v. Burnshine) ((1974), 44
D.L.R. (3d) 584).
L'appel fut rejeté.
La décision de la Cour suprême la plus récente
que je connaisse où l'on a mentionné que «des fins
fédérales valides» pouvaient faire qu'une loi fédé-
rale n'enfreigne pas la Déclaration canadienne des
droits, est Bliss c. Le procureur général du
Canada [1979] 1 R.C.S. 183. En cette espèce
étaient en cause les articles 30(1) et 46 de la Loi
de 1971 sur l'assurance-chômage. L'article 30 de
cette loi dispose qu'une femme enceinte a droit aux
bénéfices de l'assurance pour un maximum de 15
semaines à compter de 8 semaines avant celle
présumée de l'accouchement si elle a exercé un
emploi assurable pendant au moins 10 semaines au
cours des 20 semaines immédiatement avant la 30e
semaine précédant la date présumée de son accou-
chement. Il n'y a pas d'autres conditions à remplir.
Les conditions de base pour avoir droit aux presta-
tions dans le cas de toute autre personne sont 8
semaines d'emploi assurable au cours de la période
de référence du requérant, un arrêt de la rémuné-
ration et un certain nombre d'autres conditions
dont deux importaient en l'espèce, soit: ne pas être
incapable de prouver avoir été:
a) capable de travailler et disponible à cette fin et
incapable d'obtenir un emploi convenable, ou
b) incapable de travailler par suite de maladie,
blessure ou mise en quarantaine prévues par les
règlements.
L'article 46 dispose que, sous réserve de l'article
30, une femme enceinte n'a pas droit aux bénéfices
au cours de ladite période.
Dans l'affaire Bliss la prestataire ne pouvait
avoir droit aux prestations pour grossesse parce
qu'elle n'avait pas exercé un emploi assurable pen
dant 10 semaines au cours de la période prévue par
l'article 46 lui interdisait de se prévaloir des condi
tions générales de base. L'article 46 mis à part, elle
aurait rempli les conditions.
L'affaire alla jusqu'en Cour suprême où le juge
Ritchie rédigea l'arrêt unanime de la Cour. L'ar-
gument de l'appelante était que l'article 46 la
privait de «l'égalité devant la loi» vu la période que
spécifiait l'article 30 l'égard des femmes encein-
tes qui ne remplissaient pas les conditions prévues
par son premier paragraphe, et parce qu'il leur
refusait les prestations auxquelles avaient droit les
autres prestataires, de sexe masculin ou féminin,
qui avaient à leur actif 8 semaines d'emploi assu-
rable et étaient capables de travailler et disponi-
bles à cette fin.
A la page 191, le juge Ritchie dit notamment:
Comme je l'ai déjà dit, l'art. 46 limite le droit aux prestations
pour un groupe particulier d'individus et il fait partie d'une
législation fédérale valide.
Poursuivant, il fait une distinction importante
entre les lois similaires à celle en cause dans La
Reine c. Drybones et celle en l'espèce dont il est
saisi, disant [aux pages 191 et 192]:
Le premier cas impose un désavantage à un groupe racial par
rapport aux autres citoyens, quand le second ne fait que définir
les conditions à remplir pour bénéficier de prestations. En
outre, l'application des restrictions imposées par l'art. 46 n'en-
traîne pas, à mon avis, la négation du principe d'égalité de
traitement dans l'administration et l'application de la loi devant
les tribunaux ordinaires du pays, comme c'était le cas dans
l'affaire Drybones.
A la lumière des jugements susmentionnés, je
considère maintenant si en l'espèce le législateur
canadien poursuivait une fin fédérale valide.
L'avocat des demandeurs a fait valoir qu'il n'y a
aucun fondement permettant de dire que l'article
95c)(ii) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chô-
mage a un objet légal valide mais il n'a avancé que
fort peu de choses à l'appui de sa prétention.
L'avocat des défendeurs a cru voir une analogie
entre l'espèce en cause et l'affaire Bliss précitée,
renvoyant à la page 186 de l'arrêt de la Cour
suprême, où le juge Ritchie dit:
A mon avis, pour assurer l'application efficace du pouvoir
conféré par le par. 91(2A) de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, le Parlement devait fixer les conditions requises
pour recevoir les prestations prévues par la Loi. La fixation de
telles conditions fait partie intégrante de la législation valide-
ment adoptée par le Parlement fédéral dans l'exercice de la
compétence constitutionnelle conférée par le par. 91(2A). Le
fait que cette législation traite différemment les prestataires qui
remplissent ces conditions et les personnes qui ne les remplis-
sent pas, ne peut, à mon avis, suffire pour la rendre invalide.
Il a alors soutenu que l'objet fédéral était de
contrôler le nombre d'appels formés devant le
juge-arbitre. Lorsqu'il y a beaucoup de chômage,
comme cela a été le cas au Canada depuis plu-
sieurs années, la Commission doit assumer ses
lourdes responsabilités. Cet argument signifie,
comme je le comprends, qu'en temps de chômage
élevé il y a danger que les juges-arbitres soient
débordés et aient à connaître d'un trop grand
nombre d'appels et que ce danger justifie de res-
treindre les cas où il peut y avoir appel au
juge-arbitre.
J'ai conservé pour la fin de cette discussion sur
«l'égalité devant la loi» la question du sens qu'au-
rait ces termes lorsque employés à l'article lb) de
la Déclaration canadienne des droits, pensant
qu'après étude de la façon dont les tribunaux en
ont traité, une telle discussion pourrait plus facile-
ment indiquer la bonne conclusion à tirer au sujet
de l'application de cet article lb) à l'espèce en
cause.
Dans Le Procureur général du Canada c. Lavell
[1974] R.C.S. 1349, en Cour suprême, le juge
Ritchie, avec qui le juge Fauteux, le juge en chef
du Canada, et les juges Martland et Judson étaient
d'accord, a exprimé des vues fort catégoriques sur
le sens des termes «l'égalité devant la loi». Il s'agis-
sait en cette espèce d'une indienne qui avait marié
un non-Indien, avec comme résultat que le regis-
traire avait radié son nom du registre des Indiens
conformément à l'article 12(1)b) de la Loi sur les
Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6.
Le juge Ritchie commença par dire qu'à son avis
les termes en question, que l'on retrouve à l'article
lb) n'ont pas le sens que les tribunaux américains
leur ont donné en interprétant le 14° amendement
de la Constitution américaine. Il adopta les vues
du professeur Dicey selon lesquelles «l'égalité
devant la loi» est un des trois sens qu'il faut donner
au grand principe de la Constitution anglaise: «le
règne du Droit».
Aux pages 1366 et 1367, il dit notamment:
... «l'égalité devant la loi», reconnue par Dicey comme une
partie du «règne du droit», comporte le sens d'assujettissement
égal de toutes les classes au droit commun du pays appliqué
par les tribunaux ordinaires, et à mon avis, l'expression «égalité
devant la loi» qui figure à l'art. 1, al. b) de la Déclaration des
droits doit être traitée comme signifiant égalité dans l'adminis-
tration ou l'application de la loi par les fonctionnaires chargés
de son application et par les tribunaux ordinaires du pays. Cette
interprétation est, à mon avis, étayée par les dispositions des
alinéas a) à g) de l'art. 2 de la Déclaration qui indiquent
clairement, selon moi, que c'est l'égalité dans l'administration
et l'application de la loi qui était la préoccupation du Parlement
lorsqu'il a garanti que se continuerait l'existence de «l'égalité
devant la loi». (Soulignement ajouté.)
Je note ici que le juge Ritchie, en donnant l'avis
ci-dessus, ne parlait pas au nom de la majorité de
la Cour. Quatre juges furent dissidents et le juge
Pigeon, quoiqu'il ait été d'accord avec le juge
Ritchie quant au résultat, n'exprima aucune opi
nion à ce sujet.
Dans l'affaire Bliss (précitée), en Cour fédérale
d'appel, rapportée sub nom. Le procureur général
du Canada c. Bliss [1978] 1 C.F. 208; le juge
Pratte, auteur de l'arrêt de la Cour, donna un sens
plus large à l'expression «l'égalité devant la loi»
que celui qu'avait adopté le juge Ritchie dans
l'affaire Lavell. A la page 214 il dit:
... on peut concevoir «le droit ... à l'égalité devant la loi»
comme le droit d'une personne d'être traitée par la loi de la
même façon que d'autres personnes dans la même situation.
Cependant, cette définition serait incomplète, puisque l'on ne
peut jamais dire que deux personnes sont exactement dans la
même situation. Il est toujours possible d'établir des distinc
tions. Là où la loi crée des distinctions entre les personnes de
façon à les traiter différemment, ces distinctions peuvent être
pertinentes ou non pertinentes. Une distinction est pertinente
s'il existe un lien logique entre son fondement et les conséquen-
ces qui en découlent; une distinction est non pertinente si ce lien
logique est inexistant. A la lumière de ces remarques, le droit à
l'égalité devant la loi pourrait être défini comme le droit de
l'individu d'être traité par la loi comme d'autres que l'on
jugerait être dans la même situation, si l'on ne s'en tenait qu'à
des faits pertinents. Selon cette définition, que l'avocat de
l'intimée ne renierait pas, je crois, une personne serait privée de
son droit à l'égalité devant la loi si elle subissait un traitement
plus sévère que d'autres à cause d'une distinction non perti-
nente que l'on établirait entre elle et ces autres personnes. Si,
toutefois, la différence de traitement était fondée sur une
distinction pertinente (ou encore que l'on pourrait concevoir
comme susceptible d'être pertinente), on ne violerait pas alors
le droit à l'égalité devant la loi.
Appliquant cette définition plus large, le juge
Pratte en vint à la conclusion que la décision du
Parlement d'exiger une période de référence plus
longue pour les prestations de grossesse que celle
requise dans les autres cas (10 semaines au lieu de
8), ne pouvait pas être considérée comme fondée
sur des considérations non pertinentes. Consécuti-
vement la loi qui donnait suite à sa décision aurait
été «adoptée en cherchant l'accomplissement d'un
objectif fédéral régulier».
Lorsque l'affaire Bliss vint devant la Cour
suprême, le juge Ritchie, comme nous l'avons vu
dans le paragraphe précité, à la page 191, appliqua
la définition qu'il avait donnée dans l'affaire
Lavell et statua que l'exécution des restrictions
prévues par l'article 46 de la Loi de 1971 sur
l'assurance-chômage n'entraînait pas la négation
du principe d'égalité de traitement dans l'adminis-
tration et l'application de la loi devant les tribu-
naux ordinaires du pays. Il référa alors à la défini-
tion du juge Pratte et, l'appliquant en fait, déclara,
à la page 193:
Quoi que l'on puisse penser de la sagesse de cette disposition,
on ne peut douter à mon avis que la période mentionnée à l'art.
46 est pertinente pour déterminer les conditions auxquelles les
femmes enceintes ont droit aux prestations dans le cadre de la
législation sur l'assurance-chômage adoptée dans la poursuite
d'un objectif fédéral valide, soit s'acquitter de la responsabilité
imposée au Parlement par le par: 91(2A) de l'Acte de l'Améri-
que du Nord britannique.
Ayant à l'esprit les définitions judiciaires précé-
dentes des termes «l'égalité devant la loi», ainsi que
les discussions sur leur application et sur l'«objectif
fédéral valide», je reconsidère pour la dernière fois
leur application aux deux espèces dont je suis saisi.
A mon avis, le législateur peut raisonnablement
avoir cru qu'il y aurait un trop grand nombre
d'appels si chaque salarié ou employeur individuel-
lement avait un droit d'en appeler au juge-arbitre
non restreint par aucune obligation d'obtenir l'au-
torisation de former l'appel du président du Con-
seil arbitral dans les espèces où la sentence du
Conseil est unanime, que ce ne serait le cas s'il y
avait une disposition en ce sens. Il peut fort bien
avoir pensé que le droit de former appel sans
autorisation en de telles espèces conduirait à un
grand nombre d'appels qu'on ne pouvait espérer
voir couronner de succès, avec pour résultat que
leur règlement expéditif serait ou pourrait en être
entravé. Que la réclamation de prestations en vertu
de la Loi, tant en première instance qu'en appel,
soit réglée le plus rapidement possible importe à la
réalisation de l'objet de cette loi.
En se fondant là-dessus, on peut conclure que
l'article 95, adopté conformément à la responsabi-
lité fédérale constitutionnelle sur l'assurance-chô-
mage attribuée par l'article 91(2A) de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867, était pour
une fin fédérale valide. En arrivant à cette conclu
sion j'adopte la définition de «l'égalité devant la
loi» qu'énonça le juge Ritchie dans l'affaire Lavell
et dans l'arrêt unanime de la Cour suprême dans
l'affaire Bliss (précitée).
Ma conclusion finale est que l'article 95 de la
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, notamment
son sous-alinéa c)(ii), s'applique aux faits des deux
espèces et ne supprime, ne restreint, ni n'enfreint
le droit à l'égalité devant la loi proclamé par
l'article 1b) de la Déclaration canadienne des
droits.
La question de savoir si l'article 95 peut être
interprété et appliqué aux faits des deux espèces
sans priver chacun d'eux du droit à une audition
impartiale de sa cause, selon les principes de jus
tice fondamentale, pour la définition de ses droits
et obligations, contrairement à l'article 2e) de la
Déclaration canadienne des droits, peut, à mon
avis, recevoir une réponse beaucoup plus brève que
celle de l'égalité devant la loi.
Ces deux demandeurs ont chacun eu droit à un
appel devant le Conseil arbitral. On n'a pas pré-
tendu que ces auditions n'avaient pas été impartia-
les. Ce que l'on fait valoir c'est que le refus du
président du Conseil d'autoriser l'appel a privé
chacun des deux demandeurs de son droit à une
audition impartiale en appel devant le juge-arbitre.
Vu ma constatation que l'article 95 a été adopté
pour une fin fédérale valide et conformément à la
compétence constitutionnelle fédérale énumérée à
l'article 91(2A) de l'A.A.N.B. d'adopter des lois
relatives à l'assurance-chômage et que cette cons-
tatation inclut la restriction sur les appels contenue
au sous-alinéa c)(ii) de l'article 95, je ne puis que
fort difficilement reconnaître fondée cette préten-
tion. Il n'y a rien dont je n'aie été saisi qui suggère
que le président de l'un ou l'autre Conseil n'ait pas
agi comme il le devait ni respecté les dispositions
des articles 95 et 96. Je présume donc qu'aucun
des présidents n'a été d'avis que l'espèce dont il
avait à connaître ne mettait en jeu quelque prin-
cipe important ou quelque autre circonstance spé-
ciale justifiant l'autorisation de l'appel. Dans les
circonstances je ne puis que difficilement concevoir
que les règles de la justice naturelle relatives à une
audience impartiale requièrent que celui qui a eu
droit à une audience impartiale à un premier appel
(et que son appel a alors été rejeté à l'unanimité)
ait un droit inhérent à former un appel subséquent.
En pratique, mon expérience même limitée des
espèces de ce genre, ainsi que mes lectures de
plusieurs décisions de juge-arbitre, et plus spéciale-
ment la composition tripartite des conseils d'arbi-
trage, m'amènent à croire que relativement fort
peu d'appels justifiés au Conseil arbitral résultent
en une sentence unanime défavorable au presta-
taire et que la plupart de ceux-là donnent ouver-
ture à appel en vertu de la règle du principe
important ou des autres circonstances spéciales de
l'article 96.
A mon avis cette prétention doit aussi être
rejetée.
Le résultat final est donc que les deux appels
sont rejetés.
Il n'y aura pas allocation des dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.