A-406-77
La Reine (Appelante) (Demanderesse)
c.
Barbara Jean Prytula (antérieurement Barbara
Jean Erickson) (Intimée) (Défenderesse)
Cour d'appel, les juges Heald et Urie et le juge
suppléant MacKay—Toronto, le 9 janvier;
Ottawa, le 8 mars 1979.
Compétence — Dette prévue à la Loi canadienne sur les
prêts aux étudiants — Appel du jugement de la Division de
première instance qui a rejeté la demande de jugement par
défaut — Il s'agit de savoir si la Cour est compétente pour
connaître de l'action principale — Loi canadienne sur les prêts
aux étudiants, S.R.C. 1970, c. S-17, art. 7, 13j) — Règlement
canadien sur les prêts aux étudiants, DORS/68-345, art. 18,
21 — Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31
Vict., c. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice III, art. 91(15),
92(13), 101, 129.
Il s'agit d'un appel contre un jugement de la Division de
première instance qui a rejeté la demande de l'appelante visant
à un jugement par défaut contre l'intimée dans une action en
recouvrement d'un prêt garanti que l'intimée avait reçu à titre
d'étudiante. L'intimée (défenderesse) n'avait pas remboursé ce
prêt, en violation de l'accord signé conformément à la Loi
canadienne sur les prêts aux étudiants. Se fondant sur l'arrêt
McNamara, le juge de première instance a rejeté la demande
au motif que la Cour fédérale n'était pas compétente pour
connaître de l'action intentée par l'appelante.
Arrêt: l'appel est accueilli. Un contrat de prêt entre un
banquier et son client relève du domaine des «banques». Selon
les derniers mots de l'article 91, un contrat de prêt conclu par
une banque «ne sera pas réputé» régi par l'article 92(13), que le
Parlement ait ou non adopté une loi à cet effet, en vertu de
l'article 91(15). Aucune loi provinciale adoptée après l'adhésion
à la Confédération ne modifie la loi maintenue par l'article 129
dans la mesure où cette loi provinciale s'applique à une matière
figurant dans la liste de l'article 91. Dans la mesure où une loi
est applicable à une matière relevant des «banques», elle ne peut
être «révoquée ; abolie ou modifiée» que par le Parlement et non
par une assemblée législative provinciale; c'est donc une loi
«fédérale» et non une loi «provinciale» aux fins de l'article 101
de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, même si
elle fait partie de la législation générale sur les biens et les
droits civils, laquelle, aux termes de l'article 129, continuait
«d'exister dans les provinces».
Arrêts analysés: McNamara Construction (Western) Ltd.
c. La Reine [1977] 2 R.C.S. 654; Associated Metals &
Minerals Corp. c. L'«Evie W» [1978] 2 C.F. 710. Arrêt
suivi: Le procureur général du Canada c. Le procureur
général du Québec (dépôts bancaires) [1947] A.C. 33.
APPEL.
AVOCATS:
T. B. Smith, c.r. et David Sgayias pour l'ap-
pelante (demanderesse).
L'intimée (défenderesse) n'était pas représen-
tée.
John J. Robinette, c.r., amicus curiae.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante (demanderesse).
McCarthy & McCarthy, Toronto, amicus
curiae.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il s'agit d'un appel interjeté
contre un jugement rendu par la Division de pre-
miè{e instance [[1978] 1 C.F. 198] rejetant la
demande de l'appelante qui visait à faire prononcer
un jugement contre l'intimée pour défaut de pré-
senter une défense dans cette action relative à un
prêt garanti reçu par cette dernière à titre d'étu-
diante. La demande de jugement était fondée,
entre autres, sur les allégations suivantes énumé-
rées dans la déclaration:
a) Le 19 novembre 1969, la Banque Royale du
Canada à Flin Flon (Manitoba) a prêté à l'inti-
mée une somme de $540 en exécution d'un
accord écrit conforme aux dispositions de la Loi
canadienne sur les prêts aux étudiants, S.R.C.
1970, c. S-17 (ci-après appelée la Loi);
b) L'intimée n'a fait aucun remboursement
relatif à ce prêt;
c) La Banque a fait une réclamation pour perte,
conformément à l'article 7 de la Loi' et à Parti-
' Voici le libellé de l'article 7:
7. Sous réserve de la présente loi, le Ministre est astreint à
payer à une banque le montant de toute perte qu'elle a subie
en conséquence d'un prêt d'études,
a) si le prêt a été accordé en conformité d'une demande
faite à une banque, signée par l'emprunteur, énonçant
(i) que l'emprunteur n'a reçu aucun autre prêt en consi-
dération du certificat d'admissibilité mentionné à l'ali-
néa b), ou en considération de quelque autre certificat
d'admissibilité relatif à l'année académique spécifiée
dans le certificat d'admissibilité mentionné à l'alinéa b),
sauf tout semblable prêt dont le montant, ajouté à celui
du prêt demandé, n'a pas excédé mille dollars, et
(ii) que le montant du prêt demandé, ajouté à tous les
prêts d'études garantis antérieurement accordés à l'em-
(Suite à la page suivante)
de 18 du Règlement 2 (Règlement canadien sur
les prêts aux étudiants, DORS/68-345). Le
ministre des Finances a remboursé la somme;
(Suite de la page précédente)
prunteur, n'excède pas cinq mille dollars;
b) si le prêt a été consenti à un emprunteur qui a produit à
la banque faisant le prêt un document censé être, et
accepté à ce titre par un fonctionnaire autorisé de cette
banque agissant de bonne foi; un certificat d'admissibilité
qu'a délivré ou qu'a fait délivrer une autorité compétente
relativement à cet emprunteur pour l'année académique
spécifiée dans le certificat;
c) si le montant du prêt n'a pas excédé
(i) le montant indiqué dans le certificat d'admissibilité,
ou
(ii) mille dollars,
en choisissant le moindre de ces deux montants;
d) si aucun droit ni aucuns frais d'administration ni
aucune dépense d'une nature quelconque, exception faite
de l'intérêt simple au taux prescrit qui est payable par
l'emprunteur, n'étaient, selon les modalités du prêt, paya-
bles à l'égard du prêt, sauf ce que prévoient les règlements
au cas où l'emprunteur serait en défaut;
e) si le prêt était, d'après ses modalités, entièrement rem-
boursable dans une période d'au moins cinq ans et d'au
plus dix ans après que l'emprunteur a cessé d'être étudiant
à plein temps, sous réserve de modification de toute caté-
gorie de cas que prévoient les règlements et sans préjudice
du droit pour l'emprunteur de rembourser en tout temps la
totalité ou une partie quelconque du principal du prêt en
cours à cette date ainsi que l'intérêt alors couru; et
f) si le prêt a été consenti en conformité d'un accord, selon
la forme prescrite, entre l'emprunteur et la banque qui a
consenti le prêt, renfermant les dispositions relatives au
paiement, par l'emprunteur, du principal et de l'intérêt du
prêt comme le prévoient les articles 4 et 5 et les autres
dispositions qui peuvent être prescrites.
2 Vnici le libellé de l'article 18 du Règlement:
18. (1) Une réclamation présentée par une banque en
raison d'une perte subie l'égard d'un prêt d'études garanti
peut être présentée sous une forme agréée par le Ministre,
a) dans le cas d'une réclamation présentée en vertu de
l'article 8 de la Loi et de l'article 14 du présent règlement,
à toute époque après le décès de l'emprunteur; et
b) dans le cas de toute autre réclamation en raison de
perte, à toute époque après que le prêt d'études garanti a
été en défaut pendant six mois à moins que, de l'avis de la
banque, les circonstances ne soient exceptionnelles; une
demande peut alors être présentée avant l'expiration des
délais de six mois et pareille demande peut être payée à la
discrétion du Ministre.
(2) Le montant de la perte subie par une banque en
conséquence d'un prêt d'études garanti à l'égard de laquelle
une réclamation peut être présentée comprend
a) le montant impayé de principal du prêt;
b) le montant non perçu d'intérêt couru sur le prêt calculé
d) Par suite des faits précités et en vertu de
l'article 21 du Règlement 3 édicté en application
(i) jusqu'au dernier jour du mois dans lequel l'emprun-
teur est décédé si la réclamation est faite en conformité
de l'article 8 de la Loi et de l'article 14 du présent
règlement, ou
(ii) jusqu'à la date à laquelle le paiement de la réclama-
tion est approuvé dans le cas de toute autre réclamation;
c) tout montant non perçu de frais taxés afférents ou
accessoires aux procédures judiciaires instituées à l'égard
du prêt;
d) les honoraires, frais et déboursés judiciaires, taxables ou
non, effectivement contractés par la banque, avec litige ou
non, aux fins de percevoir ou d'essayer de percevoir les
frais en souffrance ou de protéger les intérêts du Ministre,
mais seulement jusqu'à concurrence du montant taxé ou
admis par le sous-ministre de la Justice; et
e) d'autres déboursés effectivement effectués par la banque
en recouvrant ou en tentant de faire le recouvrement d'une
dette en cours ou en protégeant les intérêts du Ministre,
mais seulement jusqu'à concurrence du montant alloué par
le Ministre.
(3) Le paiement d'une réclamation en raison de perte, si le
prêt et la réclamation ont été effectués en conformité de la
Loi et du présent règlement, doit être approuvé par le
Ministre dans les trente jours après qu'elle a été reçue et la
réclamation sera alors payée immédiatement.
(4) Dès que le Ministre paie à une banque une perte
découlant d'un prêt d'études garanti, la banque doit souscrire
un reçu sous une forme agréée par le Ministre et expédier par
la poste ledit reçu au Ministre accompagné des demandes,
accords et autres pièces relatives au prêt que pourra deman-
der le Ministre.
(5) Tout document donné comme constituant un reçu
présenté sous une forme agréée par le Ministre et ostensible-
ment signé pour le compte de la banque constitue une preuve
du paiement effectué par le Ministre à la banque en vertu de
la Loi à l'égard du prêt y mentionné et de la souscription du
document pour le compte de la banque.
3 Voici le libellé de l'article 21 du Règlement:
21. Lorsque, en vertu de la Loi et du présent règlement, le
Ministre a payé à une banque le montant de la perte que la
banque a subie en conséquence d'un prêt d'études garanti, Sa
Majesté est dès lors subrogée dans tous les droits de la
banque à l'égard du prêt d'études garanti et, sans restreindre
la généralité de ce qui précède, tous les droits et pouvoirs de
la banque à l'égard
a) du prêt d'études garanti,
b) de tout jugement obtenu par la banque à l'égard du
prêt, et
c) de toute garantie de remboursement du prêt détenue par
la banque en vertu du paragraphe (4) de l'article 10,
sont alors dévolus à Sa Majesté et Sa Majesté peut alors
exercer tous les droits, pouvoirs et privilèges que la banque
possédait ou pouvait exercer à l'égard du prêt, du jugement
ou de la garantie, y compris le droit d'entreprendre ou de
poursuivre toute mesure ou procédure, de souscrire tout
transport, toute libération, vente ou cession ou par n'importe
quel moyen de recouvrer, réaliser ou exécuter le prêt, le
jugement ou la garantie.
de l'article 13 de la Loi 4 , l'appelante est subro-
gée dans tous les droits de la Banque concernant
le prêt garanti précité.
Le savant juge de première instance a rejeté la
demande de jugement pour défaut de présenter
une défense au motif que la Cour fédérale n'était
pas compétente à connaître de l'action intentée par
l'appelante. Le jugement de rejet est fondé sur la
décision rendue par la Cour suprême du Canada
dans l'affaire McNamara 5 . Après examen des
principes dans cet arrêt, le savant juge de première
instance s'est ainsi prononcé [aux pages 203 et
204] :
J'interprète l'arrêt McNamara comme disant que, pour que
la Cour fédérale soit compétente, il faut qu'il existe une loi
fédérale applicable que l'on puisse invoquer à l'appui de la
procédure engagée et que cette dernière le soit sur le «fonde-
ment» de cette loi. Il ne suffit pas que la Couronne soit partie à
un contrat en vertu duquel elle poursuit à titre de
demanderesse.
L'avocat de la demanderesse dans sa lettre du 13 avril 1977,
fait valoir que l'action de celle-ci se fonde sur la Loi canadienne
sur les prêts aux étudiants et le paragraphe 21(1) de son
règlement d'application. Je ne mets nullement en doute le fait
que cette loi-là est une loi fédérale; ce que je n'accepte pas, c'est
la prétention voulant que l'action soit engagée sur le «fonde-
ment» de cette loi au sens où le juge en chef emploie ce terme
dans l'affaire McNamara.
Il est vrai que le Ministre est subrogé dans les droits de la
banque en cas de prêt non remboursé dont il doit indemniser
celle-ci mais cette subrogation ne donne pas au Ministre des
droits différents de ceux dont jouissait la banque.
La déclaration montre clairement que la demanderesse fonde
son action sur l'inexécution de l'accord contracté par la banque
et l'étudiante, accord pour l'exécution duquel la demanderesse
est subrogée.
Il ne suffit pas que la responsabilité découle d'une loi et de
ses règlements d'application.
Certes, la Loi autorise la banque à prêter aux étudiants,
prévoit les modalités du prêt, dont le remboursement est garanti
par le Ministre qui, s'il dédommage la banque d'une perte
quelconque, est alors subrogé dans les droits de celle-ci; mais la
Loi, en elle-même, n'impose aucune responsabilité et il n'en
existe aucune si l'on excepte celle de l'emprunteur, laquelle
découle non de la Loi, mais de son obligation contractuelle de
4 Voir en particulier l'alinéa j) de l'article 13, ainsi rédigé:
13. Le gouverneur en conseil peut établir des règlements
j) concernant la subrogation de Sa Majesté dans les droits
d'une banque à l'égard d'un prêt d'études garanti;
5 McNamara Construction (Western) Limited c. La Reine
[1977] 2 R.C.S. 654.
rembourser le prêt. La responsabilité est fondée sur l'accord et
l'action sur la violation dudit accord, non sur une disposition de
la loi comme c'est le cas pour la Loi de l'impôt sur le revenu, la
législation en matière de douanes et d'accise et d'autres lois
fédérales semblables.
L'affaire McNamara comportait les mêmes éléments que la
présente espèce et pourtant la Cour suprême a statué à l'unani-
mité que la demande de la Couronne en inexécution contrac-
tuelle n'avait pas son fondement dans une loi.
A mon avis, le litige consiste ici à déterminer si,
compte tenu des faits précités, la Cour applique
une loi «fédérale» ou une loi «provinciale» 6 . On n'a
pas posé de question relative à l'existence, dans la
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.),
c. 10, de disposition conférant compétence à la
Cour au cas où le jugement à rendre sur la
demande constituerait «l'administration» d'une loi
«fédérale» aux fins de l'application de l'article 101
de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique,
1867 [S.R.C. 1970, Appendice II, N° 5].
6 Voir: Associated Metals & Minerais Corp. c. L'«Evie W»
[1978] 2 C.F. 710, aux pages 712 714:
Antérieurement aux décisions précitées de la Cour
suprême, il était généralement admis que le Parlement pou-
vait, en vertu de l'article 101, conférer à une cour, telle que
la Cour fédérale du Canada, compétence «relativement à des
matières relevant de la compétence législative fédérale». Mais
selon cette jurisprudence, l'article 101 doit être interprété
comme autorisant le Parlement à conférer à la Cour compé-
tence pour administrer «la législation fédérale applicable, que
ce soit une loi, un règlement ou la common law». (Mis en
italiques par mes soins.) (Voir si l'expression «lois du
Canada» dans l'article 101 s'applique seulement aux lois
«fédérales», par opposition aux lois «provinciales», ou si elle
englobe aussi la constitution du Canada. Se reporter à une
décision récente de cette cour dans La Reine (Canada) c. La
Reine (I.-P.-E.) [1978] 1 C.F. 533.) Suivant mon interpréta-
tion, les jugements précités soutiennent au moins le principe
que le Parlement ne peut, en vertu de l'article 101, conférer
compétence à la Cour pour administrer des lois «provincia-
les», même si les jugements ne sont pas formulés de façon
aussi expresse.
A mon avis, et en ce qui concerne les quatre provinces
d'origine, il faut chercher la clé de la distinction esquissée
entre loi «provinciale» et loi «fédérale» dans la partie de
l'article 129 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique,
1867, dont voici le libellé:
129. Sauf toute disposition contraire prescrite par le
présent acte,—toutes les lois en force en Canada, dans la
Nouvelle-Écosse ou le Nouveau-Brunswick, lors de
l'union,— . . continueront d'exister dans les provinces
d'Ontario, de Québec, de la Nouvelle-Écosse et du Nou-
veau-Brunswick respectivement, comme si l'union n'avait
pas eu lieu; mais ils pourront, néanmoins (sauf les cas
prévus par des actes du parlement de la Grande-Bretagne
...) (Exception abrogée par le Statut de Westminster,
(Suite à la page suivante)
En vérité, en ce qui concerne le présent litige, la
Loi canadienne sur les prêts aux étudiants a pour
objet, lorsqu'un prêt bancaire a été fait conformé-
ment à certaines conditions,
a) d'astreindre le Ministre à payer à la Banque
le montant de toute perte qu'elle a subie en
conséquence d'un prêt d'études, en vertu de
l'article 7 (supra);
b) de subroger Sa Majesté dans tous les droits
de la Banque à l'égard de ce prêt d'études (voir
article 21 du Règlement rendu en application de
l'article 13j) (supra)).
Donc, lorsqu'un prêt semblable a été fait et que le
Ministre a payé à la Banque le montant de la perte
qu'elle a subie, Sa Majesté est subrogée dans les
droits de la Banque contre l'emprunteur'.
(Suite de la page précédente)
1931, articles 2 et 7(2).) être révoqués, abolis ou modifiés
par le parlement du Canada, ou par la législature de la
province respective, conformément à l'autorité du parle-
ment ou de cette législature en vertu du présent acte. (En
ce qui concerne les autres provinces, les modalités suivant
lesquelles elles participent à la Confédération ou les lois
écrites adoptées en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, 1871, donnent les mêmes résultats ou des
résultats essentiellement semblables.)
Aux fins des limitations possibles de la compétence d'un
tribunal relevant de l'article 101, établies par la Cour
suprême du Canada dans ses jugements rendus en 1976 et
1977, je pense que toute loi maintenue par l'article 129 serait
une loi «fédérale» si elle peut «être révoquée, abolie ou
modifiée par le parlement du Canada», qu'elle ait pris son
origine dans:
a) la common law d'Angleterre,
b) une loi écrite du Royaume-Uni, ou
c) une loi coloniale antérieure à la Confédération,
et que l'expression loi «fédérale» englobe aussi les lois édictées
par le Parlement du Canada depuis 1867. (Voir si ce principe
s'applique aux statuts édictés par le Parlement du Canada en
vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1871, ou
aux lois d'Angleterre introduites dans un territoire avant que
celui-ci ne devienne une province.) Pareillement, une loi que
l'article 129 a maintenue serait une loi «provinciale» si elle
pouvait «être révoquée, abolie ou modifiée ... par la législa-
ture de la province respective», et l'expression loi «provin-
ciale» inclurait des lois édictées par une telle législature
depuis 1867.
7 The Shorter Oxford English Dictionary définit la «subroga-
tion» comme, entre autres [TRADUCTION] «la procédure par
laquelle toute personne payant une dette contractée par une
autre personne jouit des droits du créancier qu'elle a
désintéressé».
La question consiste donc à déterminer si un
jugement rendu sur des droits ainsi conférés à Sa
Majesté contre l'emprunteuse constitue un acte
d'administration d'une loi «provinciale» ou d'une
loi «fédérale».
De prime abord, lorsqu'une personne, qu'il
s'agisse de Sa Majesté ou non, prête de l'argent à
une autre, le droit du prêteur au remboursement
est régi par les dispositions juridiques concernant
les relations contractuelles entre personnes ordinai-
res 8 ; la loi «provinciale» est applicable, et seule une
législature provinciale peut la modifier.
Cependant, le Parlement du Canada a compé-
tence exclusive pour adopter des lois relatives aux
«banques» et toute loi visant à modifier les droits
découlant de contrats conclus dans ce domaine
relève du pouvoir législatif du Parlement et non de
celui d'une législature provinciale 9 . Toute loi ainsi
adoptée est une loi «fédérale».
En outre, s'il y avait, au moment oü les articles
91 et 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britan-
nique, 1867 deviennent applicables au Manitoba,
une loi relative aux «banques» et régissant le droit
de la Banque à être remboursée par l'emprunteur,
ce serait une loi «fédérale». De même, si, depuis la
formation de la Confédération, le Parlement a
adopté une loi semblable, il s'agit naturellement
d'une loi fédérale.
Dans le présent litige, et en admettant la validité
de la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants,
toute loi subrogeant Sa Majesté aux droits de la
Banque dans ses réclamations contre l'emprun-
teuse est évidemment une loi «fédérale». Mais, et à
moins que cette loi ne crée, à l'encontre de l'em-
prunteur, une nouvelle responsabilité statutaire
envers Sa Majesté pour un montant à déterminer
par référence au contrat de prêt, et n'opère pas un
simple transfert à la Couronne des droits de la
Banque en vertu du contrat de prêt, on peut se
demander s'il s'agit d'une loi appliquée par la Cour
lorsque celle-ci statue sur une réclamation de Sa
8 Voir: La Reine c. Murray [1967] R.C.S. 262, et Sa
Majesté du chef de l'Alberta c. C.C.T. [1978] 1 R.C.S. 61, le
juge en chef Laskin, aux pages 72 et 73.
9 Voir: Le procureur général du Canada c. Le procureur
général du Québec (dépôts bancaires) [1947] A.C. 33.
Majesté contre un débiteur de la Banque. Compte
tenu de la conclusion exposée plus loin, la réponse
à cette question n'est pas nécessaire à la solution
du litige soulevé dans le présent appel.
Pour être plus précis, le droit des contrats, com-
plété au Manitoba par l'article 129, est-il «provin-
cial» ou «fédéral» lorsqu'il s'applique aux contrats
conclus par les «banques»?
Voici les passages pertinents des articles 91 et
92:
91. II sera loisible à la Reine, de l'avis et du consentement du
Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour
la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement
à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de
sujets par le présent acte exclusivement assignés aux législatu-
res des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois
restreindre la généralité des termes ci-haut employés dans le
présent article, il est par le présent déclaré que (nonobstant
toute disposition contraire énoncée dans le présent acte) l'auto-
rité législative exclusive du parlement du Canada s'étend à
toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-des-
sous énumérés, savoir:
15. Les banques, l'incorporation des banques et l'émission du
papier-monnaie.
Et aucune des matières énoncées dans les catégories de sujets
énumérés dans le présent article ne sera réputée tomber dans la
catégorie des matières d'une nature locale ou privée comprises
dans l'énumération des catégories de sujets exclusivement assi
gnés par le présent acte aux législatures des provinces.
92. Dans chaque province la législature pourra exclusive-
ment faire des lois relâtives aux matières tombant dans les
catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir:
13. La propriété et les droits civils dans la province;
Évidemment, un contrat de prêt entre un ban-
quier et son client relave du domaine des
«banques» '°. Si ce raisonnement est exact, les der-
niers mots de l'article 91, disposant qu'«aucune des
matières énoncées ... ne sera réputée», exige qu'un
contrat de prêt conclu par une banque ne soit pas
réputé régi par l'article 92(13), que le Parlement
ait ou non adopté des lois à cet effet, en vertu de
l'article 91(15). Dans ce cas, pour appliquer à la
lettre les derniers mots de l'article 91, aucune loi
provinciale d'application générale, adoptée après
l'adhésion de la province considérée à la Confédé-
10 Voir: Le procureur général de l'Alberta c. Le procureur
général du Canada [1974] A.C. 503 (jugement relatif à l'Al-
berta Bill of Rights), le vicomte Simon aux pages 516 et suiv.
ration, ne modifie la loi maintenue par l'article
129, dans la mesure où cette loi provinciale s'appli-
que à une matière figurant dans la liste de l'article
91 ". Seul le Parlement peut «révoquer, abolir ou
modifier» une loi applicable à une matière relevant
des «banques», non une législature provinciale
(article 129 de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, 1867 12 ); c'est donc une loi «fédérale»
et non une loi «provinciale», aux fins de l'article
101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique,
1867, même si ladite loi fait partie de la législation
générale sur les biens et les droits civils, que
l'article 129 déclare continuer d'exister dans les
provinces.
Pour les motifs précités, nous accueillons l'appel,
annulons le jugement rendu par la Division de
première instance et renvoyons la matière à cette
Division sur le fondement de sa compétence à
connaître du présent litige.
* * *
LE JUGE URIE: J'y souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: J'y souscris.
ANNEXE «A»
Ontario Fisheries Case [1898] A.C. 700, lord Herschell, aux
pages 714 à 716
[TRADUCTION] Les articles litigieux de l'Ontario Act de
1892 intitulé «Loi sur la protection des pêcheries provinciales»
comprennent presque exclusivement des dispositions relatives
aux méthodes de pêche applicables dans les eaux provinciales.
La réglementation de ces méthodes relève certainement de la
compétence du Parlement fédéral. On se demande si elle peut
11 Voir: Ontario Fisheries Case [1898] A.C. 700, lord Hers-
chell, aux pages 714 à 716 (voir ANNEXE «A»); Burrard Power
Corp. Limited c. Rex [1910] A.C. 87, lord Mersey à la page
95; Reference re Saskatchewan Minimum Wage Act [1948]
R.C.S. 248; et Commission du Salaire minimum c. Bell Tele
phone Co. of Canada [1966] R.C.S. 767. Voir aussi Faber c.
La Reine [1976] 2 R.C.S. 9, le juge Pigeon (dissident) à la
page 18: «... l'abstention du Parlement fédéral de légiférer
jusqu'à la limite de ses pouvoirs n'étend pas le domaine de la
compétence provinciale: Henry Birks & Sons Ltd. c. La cité de
Montréal ([1955] R.C.S. 799), (à la p. 811).»
12 N'eût été cette disposition, une législature provinciale
pourrait, en abolissant le droit du contrat (et en le remplaçant
par quelque autre système de relations réglementaires) abroger
ou modifier complètement la loi régissant l'un des principaux
services des «banques».
également faire l'objet de la législation provinciale dans la
mesure où celle-ci ne serait pas en conflit avec la législation
fédérale.
Aux termes de l'art. 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique, il est loisible au Parlement du Canada de faire des
lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada,
relativement à toutes les. matières ne tombant pas dans les
catégories de sujets par le présent acte exclusivement assignés
aux législatures des provinces; «mais, pour plus de garantie,
sans toutefois restreindre la généralité des termes ci-haut
employés dans le présent article,» il est par le présent déclaré
que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans le
présent acte) «l'autorité législative exclusive du parlement du
Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégo-
ries de sujets ci-dessous énumérés.» La matière de la douzième
catégorie énumérée est relative aux «pêcheries des côtes de la
mer et de l'intérieur.»
La première partie de l'art. 91, interprétée à la lumière de
l'expression «pour plus de garantie», constitue évidemment une
déclaration législative d'après laquelle aucune loi dont l'objet
appartient précisément à l'une des catégories énumérées à l'art.
91, ne relève de la compétence de la législature provinciale,
laquelle est spécifiée dans l'art. 92. Quelle que soit l'interpréta-
tion adoptée, la Constitution dit expressément que le Parlement
fédéral a compétence «exclusive» pour toute matière tombant
dans l'une des catégories énumérées à l'art. 91. Par conséquent,
de l'avis de Leurs Seigneuries, la législature provinciale n'a pas
compétence pour adopter des lois relatives à ces matières. On a
soutenu que, si toute législation fédérale traitant de ces matiè-
res a préséance sur la législation provinciale relative au même
domaine, celle-ci reste néanmoins valide jusqu'à l'adoption
expresse d'un texte législatif par le Parlement fédéral, et cer-
tains des juges de la Cour suprême ont appuyé cet avis. Leurs
Seigneuries ont estimé que cette thèse ne tient pas suffisam-
ment compte des dispositions de l'art. 91, et en particulier du
mot «exclusivement». Cette interprétation permettra l'adoption,
par les législatures provinciales, de lois sur la banqueroute ou
les droits d'auteur jusqu'à l'adoption de lois y relatives par le
Parlement fédéral. Leurs Seigneuries estiment qu'elle est en
contradiction avec la lettre et avec l'intention évidente de l'Acte
de l'Amérique du Nord britannique.
Il est vrai que dans Le procureur général du Canada c. Le
procureur général de l'Ontario (1894) A.C. 189 ce conseil a
décidé qu'une loi adoptée par une législature provinciale et
portant délégation aux créanciers des biens du débiteur failli est
valide parce qu'elle traite «de la propriété et des droits civils,»
même si, de par sa nature, elle constitue une loi auxiliaire à la
loi sur la banqueroute. Mais cette décision a été rendue au
motif que la loi en question ne tombe pas dans la catégorie
«banqueroute et faillite», au sens de l'art. 91.
Pour ces motifs, Leurs Seigneuries se voient obligées de
décider que l'adoption de lois réglementant les pêcheries relève
de la compétence exclusive du Parlement fédéral, et non des
législatures provinciales.
Mais, tout en estimant que seul le Parlement fédéral est
compétent pour instituer des restrictions au droit de pêcher du
public, Leurs Seigneuries n'en déduisent pas que toute législa-
tion adoptée par les législatures provinciales est nulle pour
défaut de compétence, du simple fait qu'elle peut se rapporter
aux pêcheries. Par exemple, des dispositions traitant de la
cession ou de toute autre aliénation d'une pêcherie privée, ainsi
que des droits de succéder qui s'y rapportent, tombent perti-
nemment dans la catégorie de la «propriété et des droits civils»
au sens de l'art. 92, et non dans la catégorie des «pêcheries» au
sens de l'art. 91. Ainsi, les modalités suivant lesquelles les
pêcheries qui sont la propriété des provinces, peuvent être
concédées, louées ou autrement aliénées, ainsi que les droits
conférés sur ces pêcheries conformément à tout règlement
général relatif aux pêcheries adopté par le Parlement fédéral,
relèvent à bon droit de la compétence des législatures provincia-
les, en vertu de la catégorie 5 de l'art. 92 relative à «L'adminis-
tration et la vente des terres publiques» ou de la catégorie
relative à «la propriété et ... [aux] droits civils». Une législation
semblable traite directement de la propriété, de l'aliénation des
biens et des droits y afférents, et, de l'avis de Leurs Seigneuries,
ne relève pas du domaine des «pêcheries» au sens de l'art. 92.
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