T-1924-74
La ville de Hay River (Demanderesse)
c.
La Reine et le chef Daniel Sonfrere agissant au
nom de la bande indienne de Hay River
(Défendeurs)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Edmonton, les 23 et 24 avril; Ottawa, le 4 mai
1979.
Pratique — Parties — L'action de la demanderesse portait
sur la légalité de la création d'une réserve indienne située en
partie dans les limites de la ville — La demanderesse s'ap-
puyait sur le défaut de la Couronne de se conformer aux
conditions du traité no 8 sous plusieurs rapports — II échet
d'examiner si la demanderesse a locus standi pour intenter
l'action sur cette base — Loi sur les terres territoriales, S.R.C.
1970, c. T-6, art. 19d) — Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c.
I-6, art. 2.
En litige est la légalité de la création d'une réserve indienne
dans les Territoires du Nord-Ouest. Une partie du terrain visé
était située dans les limites de la ville de Hay River quand ce
terrain a été mis à part par décret du conseil, comme réserve en
exécution des obligations du gouvernement du Canada résul-
tant du traité n° 8. La demanderesse s'est appuyée uniquement
sur le prétendu défaut de la Couronne de se conformer aux
conditions du traité sous plusieurs rapports. Les défendeurs
contestent que la demanderesse ait locus standi pour intenter
l'action sur cette base. La demanderesse soutient que l'obliga-
tion de la Couronne de se conformer aux conditions du traité
n'est pas une simple obligation d'ordre privé à l'égard des
Indiens mais que l'alinéa 19d) de la Loi sur les terres territo-
riales la rend d'ordre public.
Arrêt: l'action est rejetée. Le pouvoir de mettre à part des
terres de la Couronne pour une réserve indienne dans les
Territoires du Nord-Ouest se fonde entièrement sur la préroga-
tive royale, qui n'est soumise à aucune limitation statutaire.
Son action se fondant uniquement sur le prétendu défaut de la
Couronne de se conformer aux conditions du traité n° 8, la
demanderesse n'a pas locus standi pour intenter l'action. Le
traité n° 8 ne confère aucun droit à des tiers comme la
demanderesse. Le seul grief pour lequel la demanderesse pour-
rait avoir locus standi réside dans le fait même que des terres
situées dans ses limites ont été choisies. La coexistence d'une
municipalité et d'une réserve indienne peut s'avérer contra-
riante, mais cette situation ne rend pas nécessairement les
terres en cause impropres à l'établissement d'une réserve
indienne. La disposition pertinente du traité exige que l'endroit
choisi convienne aux Indiens et à la Couronne. A supposer
qu'une municipalité à l'intérieur des limites de laquelle les
terres sont situées puisse contester, ce dont la Cour doute, que
l'endroit convienne à l'une ou l'autre des parties, il faudrait que
l'intérêt municipal dans les terres duquel procéderait l'obliga-
tion pour l'une ou l'autre de tenir compte des intérêts de la
municipalité soit un intérêt réel beaucoup plus important que
celui démontré dans la présente espèce.
ACTION.
AVOCATS:
H. I. Shandling et D. Jardine pour la
demanderesse.
I. G. Whitehall pour la défenderesse la Reine.
A. G. Macdonald, c.r. pour le défendeur le
chef Daniel Sonfrere agissant au nom de la
bande indienne de Hay River.
PROCUREURS:
Cooke Shandling, Edmonton, pour la deman-
deresse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse la Reine.
Macdonald, Spitz, Edmonton, pour le défen-
deur le chef Daniel. Sonfrere agissant au nom
de la bande indienne de Hay River.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY ` : En litige est la légalité de
la création de la réserve indienne n° 1 de Hay
River, d'une superficie de quelque 52 milles carrés,
sise en totalité dans les Territoires du Nord-Ouest
et bornée au nord par la rive sud du Grand Lac de
l'Esclave et à l'ouest par la rive droite de la rivière
Ha y. Une partie du terrain visé était située dans
les limites de la ville de Hay River quand, par le
décret du conseil 1974-387, en date du 26 février
1974, il a été mis à part comme réserve en exécu-
tion des obligations du gouvernement du Canada
résultant du traité n° 8. La réserve est située sur le
territoire que les Indiens ont cédé à Sa Majesté
par le traité n° 8 et tout le terrain compris dans la
réserve, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des limi-
tes de la demanderesse, était, quant il a été mis à
part, propriété de Sa Majesté du chef du Canada:
La demanderesse est une corporation municipale
dûment constituée en vertu des lois des Territoires
du Nord-Ouest.
Au procès, la demanderesse a renoncé aux
moyens invoqués aux paragraphes 6 et 7 de la
déclaration, soit la prétendue invalidité des disposi
tions du traité n° 8 relatives à la création de
réserves et la prétendue violation, par la création
d'un groupe privilégié d'habitants dans la munici-
palité, de la Déclaration canadienne des droits,
S.C. 1960, c. 44 (R.S.C. 1970, Appendice III). En
fin de compte, la demanderesse s'est appuyée uni-
quement sur le prétendu défaut de Sa Majesté de
se conformer aux conditions du traité n° 8 sous
plusieurs rapports. Les défendeurs contestent que
la demanderesse ait locus standi pour intenter
l'action sur cette base. La demanderesse soutient
que l'obligation de Sa Majesté de se conformer
aux conditions du traité n'est pas une simple obli
gation d'ordre privé à l'égard des Indiens mais que
l'alinéa 19d) de la Loi sur les terres territoriales'
la rend d'ordre public.
19. Le gouverneur en conseil peut
d) mettre à part et affecter les étendues de territoire ou les
terres qui peuvent être nécessaires afin de permettre au
gouvernement du Canada de remplir ses obligations d'après
les traités conclus avec les Indiens et d'accorder des conces
sions ou des baux gratuits pour ces objets, ainsi que pour tout
autre objet qu'il peut considérer comme devant contribuer au
bien-être des Indiens;
Seul le premier des trois objets stipulés à l'alinéa
19d) est en jeu.
Voici le texte intégral du décret du conseil, à
l'exclusion de l'annexe:
[TRADUCTION] ATTENDU QUE les terres décrites dans la
Partie I de l'annexe sont des terres territoriales au sens de la
Loi sur les terres territoriales;
ATTENDU QUE lesdites terres sont nécessaires pour permettre
au gouvernement du Canada de remplir ses obligations d'après
le traité n° 8 en ce qui concerne la bande indienne de Hay
River.
EN CONSÉQUENCE, sur avis conforme du ministre des Affai-
res indiennes et du Nord canadien, il plaît à SON EXCELLENCE
LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL EN CONSEIL,
(1) en vertu de l'article 19 de la Loi sur les terres territoria-
les, de révoquer les décrets du conseil C.P. 1973-2238 du 24
juillet 1973 et C.P. 1973-2213 du 24 juillet 1973, et de
mettre à part et affecter lesdites terres, y compris toutes les
mines et minéraux, aux fins susdites;
(2) en vertu de la Loi sur les Indiens, de mettre lesdites
terres de côté pour l'usage et au profit de la bande indienne
de Hay River en tant que réserve indienne n° 1 de Hay River,
sous réserve des droits et privilèges existants décrits dans la
Partie 2 de l'annexe, leur produit devant être inscrit au crédit
des deniers de revenu de la bande indienne de Hay River.
Ce n'est pas le pouvoir, conféré au gouverneur
en conseil par l'alinéa 19d) de la Loi sur les terres
territoriales, de «mettre à part et affecter les éten-
dues de territoire ou les terres qui peuvent être
nécessaires afin de permettre au gouvernement du
Canada de remplir ses obligations d'après les trai-
' S.R.C. 1970, c. T-6.
tés conclus avec les Indiens» qui lui permet de
mettre de côté des terres de la Couronne comme
réserve dans la région du Canada que vise la Loi,
c.-à-d. le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest.
Ce pouvoir est plutôt celui de créer une banque de
terres à cette fin. La Loi sur les Indiens 2 définit
«réserve» mais ne traite nulle part de la création
d'une réserve. Nonobstant l'emploi des termes «en
vertu de la Loi sur les Indiens» au paragraphe (2)
du décret du conseil, il appert que le pouvoir de
mettre à part des terres de la Couronne pour une
réserve indienne dans les Territoires du Nord-
Ouest se fonde entièrement sur la prérogative
royale, qui n'est soumise à aucune limitation statu-
taire. J'en conclus que, l'action se fondant unique-
ment sur le prétendu défaut de Sa Majesté de se
conformer aux conditions du traité n° 8, l'objection
voulant que la demanderesse n'ait pas locus standi
pour intenter l'action est fondée.
Il n'est pas nécessaire, dans l'espèce, de cerner
complètement la nature juridique du traité n° 8. Il
est clair qu'il ne s'agit pas d'un acte conjoint des
exécutifs de deux ou plusieurs États souverains. Il
ne s'agit cependant pas non plus d'un simple con-
trat entre les parties qui y ont souscrit. Il impose
des obligations et confère des droits aux succes-
seurs des Indiens qui l'ont conclu, dans la mesure
où ces successeurs sont eux-mêmes des Indiens,
ainsi qu'à Sa Majesté du chef du Canada. Il ne
confère aucun droit à des tiers comme la
demanderesse.
Si la conclusion qui précède est erronée, la seule
allégation d'inobservation pour laquelle la deman-
deresse a un intérêt particulier ou spécial qui
dépasse l'intérêt général est celle voulant que les
terrains mis à part, dans la mesure où ils étaient
situés dans les limites de la municipalité, n'au-
raient pas dû être choisis. Les autres inobserva-
tions alléguées sont:
1. que les Indiens ayant cédé, par le traité, leur droit aux terres
nommément visées par celui-ci et [TRADUCTION] «à toutes
autres terres, où qu'elles soient situées dans les Territoires du
Nord-Ouest», Sa Majesté n'avait pas le droit de créer une
réserve sans préjudice au droit de la bande ou des membres de
2 S.R.C. 1970, c. I-6.
2. (1) Dans la présente loi
«réserve» signifie une parcelle de terrain dont le titre juridi-
que est attribué à Sa Majesté et qu'Elle a mise de côté à
l'usage et au profit d'une bande;
celle-ci de bénéficier d'un règlement complet éventuel des
réclamations territoriales des Indiens dans les Territoires du
Nord-Ouest;
2. le défaut d'offrir individuellement aux membres de la bande
160 acres chacun, option offerte par le traité aux Indiens qui
[TRADUCTION] «pourraient préférer vivre à l'écart des réserves
de bandes»;
3. le défaut de contacter individuellement chaque membre de
la bande lors de la consultation préalable au choix des terres de
la réserve, qui a été menée avec le Conseil de la bande à des
réunions ouvertes à tous les membres.
Aucune de ces allégations, même si elle pouvait
fonder une action, ne peut donner ouverture à une
action à la demanderesse. La demanderesse n'a pas
donné suite à l'allégation du paragraphe 5c), sui-
vant laquelle des terres ne peuvent être revendi-
quées par Sa Majesté une fois qu'elles ont été
attribuées aux Territoires du Nord-Ouest en vertu
de l'article 46 de la Loi sur les territoires du
Nord-Ouest 3 . Cette prétention était incompatible
avec les termes exprès du décret du conseil 1973-
294 par lequel l'attribution originale avait été
faite.
Le traité exige, entre autres choses, que le terri-
toire mis à part soit choisi
[TRADUCTION] ... à la suite de la consultation des Indiens
concernés au sujet du choix d'un endroit approprié et
disponible.
La demanderesse ne prétend pas que les terres
choisies; parce qu'elles étaient situées dans ses
limites, n'étaient pas disponibles, mais seulement
qu'elles ne convenaient pas:
1. parce qu'elles se trouvaient dans une municipalité établie;
2. parce qu'elles étaient déjà occupées par [TRADUCTION] «de
nombreux Indiens qui n'étaient pas membres de la bande»;
3. parce qu'elles ne sont pas [TRADUCTION] «contiguës mais
contiennent d'importantes étendues de terrain privé»;
4. parce que la bande a l'intention non pas de s'y installer mais
plutôt de les louer pour en tirer un revenu;
5. parce qu'on a l'intention de les utiliser pour l'aménagement
de ports et l'exécution de travaux publics [TRADUCTION] «qui
ne devraient pas faire partie de la réserve».
Bien qu'aucune preuve n'ait été produite à l'ap-
pui des points 4 et 5, il est clair que ceux-ci
traduisent les véritables motifs de la présente
action. La demanderesse désire, et cela se com-
prend, le contrôle total et le plein bénéfice de tout
développement futur dans ses limites et en particu-
lier sur la rive de la rivière. Ce développement
3 S.R.C. 1970, c. N-22.
semblait sans doute imminent et substantiel au
moment où l'action a été intentée, compte tenu du
projet de construction d'un pipe-line pour le gaz
naturel et de travaux accessoires le long de la
vallée du fleuve Mackenzie et de la situation de la
ville comme terminus routier, ferroviaire et fluvial.
Ceci dit, rien ne me permet de conclure, en l'ab-
sence de preuves, que des terres propres aux usages
indiqués aux paragraphes 4 et 5 sont des terres
qui, au sens du traité, ne conviennent pas.
Quant aux Indiens qui ne sont pas membres de
la bande, il a été établi qu'au 31 décembre 1977,
14 Indiens visés par le traité et 15 Indiens non
visés, qui ne faisaient pas partie de la bande de
Hay River, résidaient dans les limites de la réserve
avec 123 membres de la bande. Les [TRADUC-
TION] «importantes étendues de terrain privé»
situées à l'intérieur du périmètre de la réserve,
mais qui en étaient exclues, totalisent un peu
moins de 250 acres, dont la plus grande partie est
constituée de parcelles accordées par lettres paten-
tes à la compagnie de la Baie d'Hudson et aux
Églises catholique romaine et anglicane. Aucun
des Indiens qui ne sont pas membres de la bande
ou des propriétaires ne se plaint et la demande-
resse n'a pas le droit d'intenter cette action pour
eux simplement parce qu'elle est la municipalité où
ils résident ou dans laquelle leur terrain est situé.
Le seul grief pour lequel la demanderesse pour-
rait avoir locus standi réside dans le fait même que
des terres situées dans ses limites ont été choisies.
Cela relève de l'idée que les dispositions, d'une
part, de l'Ordonnance municipale 4 et d'autre part,
de la Loi sur les Indiens, qui traitent des pouvoirs
législatifs conférés aux conseils de bande et au
conseil municipal, de l'obligation de fournir des
services, de celle de payer des taxes foncières et de
l'exemption de celles-ci, sont incompatibles. Je
reconnais que la coexistence d'une municipalité et
d'une réserve indienne sur le même territoire peut
s'avérer contrariante pour toutes les parties, mais
il n'en découle pas nécessairement que cette situa
tion rende les terres en cause impropres à l'établis-
sement d'une réserve.
La ville de Hay River a une population d'envi-
ron 3,500 habitants. Sa superficie, comme l'indi-
que la pièce P-8, n'est que légèrement inférieure à
4 O.R.T.N.-O. 1974, c. M-15.
celle de la réserve. Une partie de chacune, entre le
quart et le tiers, est située dans les limites de
l'autre. La réserve comprend toute la partie de la
ville située à l'est de la rivière, à l'exception de
quelques terrains privés, de même qu'une île de 15
acres sur la rivière. Sauf lorsqu'elle est gelée, la
rivière ne se traverse que par embarcation privée
ou sur un pont situé à sept milles en amont. Les
services municipaux fournis à la partie de la ville
située dans la réserve se limitaient au minimum
avant la création de celle-ci et ils ont depuis été
réduits à rien. Les équipements municipaux dans
le secteur développé de la ville, auxquels les rési-
dents de la réserve ont accès, sont fortement sub-
ventionnés par les gouvernements supérieurs. Il est
heureux que, quelle que puisse être la situation en
théorie, la «coïncidence» de la municipalité et de la
réserve n'impose pas, en pratique, dans l'espèce, un
fardeau appréciable aux contribuables munici-
paux.
La disposition pertinente du traité exige que
l'endroit choisi convienne aux Indiens et à Sa
Majesté. A supposer qu'une municipalité à l'inté-
rieur des limites de laquelle les terres sont situées
puisse contester, ce dont je doute, que l'endroit
convienne à l'une ou l'autre des parties, il faudrait
que l'intérêt municipal dans les terres duquel pro-
céderait l'obligation pour l'une ou l'autre de tenir
compte des intérêts de la municipalité soit un
intérêt réel beaucoup plus important que celui
démontré dans la présente espèce.
L'action est rejetée avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.