T-4277-78
Quemet Corp. (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 13 août; Ottawa, le 28 août 1979.,
Pratique — Parties — Jonction de parties — Impôt sur le
revenu — Dans le cadre d'un appel formé contre une nouvelle
cotisation d'impôt sur le revenu, la défenderesse demande à la
Cour de joindre une autre partie à l'appel et de se prononcer
sur une question par application de l'art. 174 de la Loi de
l'impôt sur le revenu — La demanderesse et la partie jointe
auraient eu recours, pendant plusieurs années, à une manoeu
vre par laquelle la demanderesse aurait acheté à la partie à
joindre et à d'autres des marchandises dont le prix était déduit
à titre de dépenses, ce prix étant inclus par la partie à joindre
dans son revenu mais neutralisé par des dépenses ayant le
même montant moins une commission, dépenses attestées par
des factures fictives — Bien que les nouvelles cotisations en
cause ne portent pas sur les mêmes années d'imposition pour
la demanderesse et pour la partie à joindre, le Ministre a
l'intention d'établir des nouvelles cotisations pour toutes les
années d'imposition — Il échet de formuler la question sur
laquelle la Cour doit se prononcer — Il échet d'examiner s'il
faut joindre la partie nommée à l'appel — Loi de l'impôt sur
le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 174.
La défenderesse se fonde sur l'article 174 de la Loi de
l'impôt sur le revenu pour demander que Magog Metal Co.
Inc. soit liée par l'issue de cet appel formé par la demanderesse,
et en particulier sur l'article 174(3) pour conclure à une
ordonnance sur la question commune énoncée dans la demande,
question qui aura un effet sur les cotisations d'impôt de la
demanderesse et de Magog pour 1972-76. La défenderesse
allègue que la demanderesse a déduit, à l'égard de ses années
d'imposition 1972 à 1975, des montants à titre d'achats à
Magog (parmi plusieurs fournisseurs), achats attestés par des
factures que la demanderesse a établies au nom de Magog.
Cette dernière a ajouté à son revenu déclaré, le montant de ces
ventes, mais a réclamé la déduction de dépenses correspondant
à ce montant, moins les commissions qu'elle a réalisées sur ces
ventes, et pour justifier ces dépenses, Magog aurait établi des
factures fictives. Magog prétend qu'aucun de ces montants ne
représentait des ventes à la demanderesse puisqu'elle les a
restitués, moins la commission, à des dirigeants ou employés de
la demanderesse. Elle s'oppose donc à la cotisation établie à son
égard. De son côté, la demanderesse prétend que les achats faits
auprès de Magog étaient authentiques et constituaient, de ce
fait, des dépenses déductibles. Le Ministre demande à la Cour
de statuer si ces dépenses étaient authentiques, donc déducti-
bles, la décision en la matière devant avoir des répercussions sur
les cotisations dont la Cour a été saisie et sur celles qu'il
envisage d'établir. Le recours à l'article 174 suspend le délai
des nouvelles cotisations jusqu'au règlement de la question, il
permettra également d'éviter une multiplicité d'actions.
Arrêt: la demande est accueillie. L'opposition de la demande-
resse au recours à l'article 174 au motif que son année d'impo-
sition en cause ne coïncide pas avec les années d'imposition en
cause de Magog Metal Co. Inc. n'est pas défendable, puisque
l'article 174(1) vise une question de droit, de fait ou de droit et
de fait dérivant d'une même transaction ou série de transac
tions et que la fausse facturation a eu lieu pendant une période
couvrant toutes les années d'imposition en cause des deux
compagnies. Par ailleurs, l'article 174(2)c) requiert que la
demande énonce les faits et les motifs sur lesquels le Ministre se
fonde ou a l'intention de se fonder pour établir les cotisations. Il
n'est pas nécessaire que le Ministre ait déjà établi les cotisa-
tions des deux compagnies pour toutes les années d'imposition
dont s'agit, il suffit qu'il en ait l'intention. La demanderesse
prétend qu'il y a deux questions distinctes: la facturation de
ventes fictives de Magog à la demanderesse, et la question de
savoir si les achats que Magog prétend avoir faits auprès
d'autres parties ont effectivement eu lieu et sont déductibles à
titre de dépenses, et que la preuve relative à ce deuxième point
ne saurait être admissible en l'espèce. Qu'il ressorte ou non des
faits que la demanderesse était impliquée dans les achats fictifs
reprochés à Magog, cette dernière était indubitablement impli-
quée dans les deux catégories d'opérations et le Ministre a un
motif légitime de faire la lumière sur les deux. Les deux séries
d'opérations sont nécessairement liées; il y a lieu d'autoriser
l'administration des preuves applicables à l'une et à l'autre, et
ce par application de l'article 174. La Cour ne peut pas
admettre que, parce que l'article pénètre dans un domaine
inexploré et pose quelques difficultés pratiques, on ne l'applique
pas alors que la bonne administration de la Loi et la commodité
de la Cour, qui cherche à éviter une multiplicité d'actions, en
font ressortir les avantages. Le fait que son application puisse
gêner l'un des contribuables, que ce soit celui qui est déjà partie
aux procédures ou l'autre, ne constitue pas le principal élément
à prendre en considération du moment que la Cour est pleine-
ment informée de leurs prétentions respectives. Les questions à
trancher sont les suivantes: (1) il échet d'examiner si les
paiements que la demanderesse prétend avoir faits à Magog
étaient authentiques ou s'ils étaient le produit de factures
fictives et de ce fait, n'ont jamais été reçus par cette dernière, et
(2) au cas où les ventes auraient été authentiques, il échet
d'examiner si Magog a créé au moyen de factures fictives des
dépenses visant à exempter son revenu.
Arrêts examinés: Le ministre du Revenu national c. Les
Meubles de Maskinongé Inc. [1978] C.T.C. 2285; Crevier
et Gasex Liée et York Lambton Corp. Ltée (non publié);
Crown Trust Co. c. La Reine [1977] 2 C.F. 673; Le
ministre du Revenu national c. Ouellette [1971] C.T.C.
121; Blauer c. Le ministre du Revenu national [1971]
C.T.C. 154.
DEMANDE.
AVOCATS:
Mario Ménard pour la demanderesse.
G. Du Pont et J. Bélair pour la défenderesse.
Yvon Daigle pour la partie jointe Magog
Metal Co. Inc.
PROCUREURS:
Verchère & Gauthier, Montréal, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La défenderesse se fonde sur
l'article 174 de la Loi de l'impôt sur le revenu,
S.C. 1970-71-72, c. 63, pour demander que Magog
Metal Co. Inc. («Magog») soit liée par l'issue de
cet appel, et en particulier sur l'article 174(3) pour
conclure à une ordonnance sur la question com
mune énoncée dans la demande, question qui aura
un effet sur les cotisations de Quemet Corp.
(«Quemet») et de Magog, à l'égard de leurs années
d'imposition 1972, 1973, 1974, 1975 et 1976. Cet
article de la Loi porte:
174. (1) Lorsque le Ministre est d'avis qu'une même tran
saction ou un même événement ou qu'une même série de
transactions ou d'événements a donné naissance à une question
de droit, de fait ou de droit et de fait qui se rapporte à des
cotisations relatives à deux ou plusieurs contribuables, il peut
demander à la Commission de révision de l'impôt ou à la Cour
fédérale—Division de première instance, de se prononcer sur la
question.
(2) Une demande présentée en vertu du paragraphe (1) doit
faire état
a) de la question au sujet de laquelle le Ministre demande
une décision,
b) des noms des contribuables que le Ministre désire voir liés
par la décision relative à cette question, et
c) des faits et motifs sur lesquels le Ministre s'appuie et sur
lesquels il s'est fondé ou a l'intention de se fonder pour
établir la cotisation d'impôt payable par chacun des contri-
buables nommés dans la demande,
et un exemplaire de la demande doit être signifié par le
Ministre à chacun des contribuables nommés dans cette
demande et à toutes autres personnes qui, de l'avis de la
Commission de révision de l'impôt ou de la Cour fédérale—
Division de première instance, selon le cas, sont susceptibles
d'être touchées par la décision rendue sur cette question.
(3) Lorsque la Commission de révision de l'impôt ou la Cour
fédérale—Division de première instance, est convaincue que la
décision rendue concernant la question exposée dans une
demande présentée en vertu du présent article influera sur des
cotisations intéressant deux ou plusieurs contribuables à qui
une copie de la demande a été signifiée et qui sont nommés
dans une décision de la Commission ou de la Cour, selon le cas,
elle peut, conformément au présent paragraphe,
a) si aucun des contribuables ainsi nommés n'en a appelé
d'une de ces cotisations, entreprendre de statuer sur la
question de la façon qu'elle juge appropriée, ou
b) si un ou plusieurs des contribuables ainsi nommés se sont
pourvus en appel, rendre une décision groupant dans cet ou
ces appels les parties appelantes comme elle le juge à propos.
(4) Lorsque la Commission de révision de l'impôt ou la Cour
fédérale—Division de première instance, statue sur une ques
tion exposée dans une demande dont elle a été saisie en vertu du
présent article, la décision rendue est, sous réserve de tout appel
interjeté en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, finale et
définitive aux fins de l'établissement de toute cotisation d'impôt
payable par les contribuables nommés dans la décision, en vertu
du paragraphe (3).
(5) La période comprise entre la date à laquelle une
demande faite en vertu du présent article est signifiée à un
contribuable conformément au paragraphe (2), et
a) dans le cas d'un contribuable nommé dans une ordon-
nance de la Commission de révision de l'impôt ou de la Cour
fédérale—Division de première instance, selon le cas, confor-
mément au paragraphe (3), la date à laquelle la question est
définitivement tranchée en vertu de l'alinéa (3)a) ou à
laquelle une ordonnance est rendue en vertu de l'alinéa (3)b),
ou
b) dans le cas de tout autre contribuable, la date à laquelle il
lui est signifié un avis portant qu'il n'a pas été nommé dans
une ordonnance de la Commission ou de la Cour, selon le cas,
en vertu du paragraphe (3),
est exclue du calcul
c) de la période de 4 ans visée au paragraphe 152(4),
d) du délai de signification d'un avis d'opposition à une
cotisation en vertu de l'article 165, ou
e) du délai d'appel en vertu de l'article 169 ou du paragra-
phe 172(2),
aux fins d'établir la cotisation d'impôt payable par le contribua-
ble, aux fins de la signification d'un avis d'opposition à cette
cotisation ou aux fins d'en appeler de celle-ci, selon le cas.
Magog, représentée par son avocat, ne s'est pas
opposée à la requête, à la condition qu'elle ne
serait pas tenue aux dépens et aurait toute latitude
de participer aux plaidoiries et à la communication
des pièces. Cette dernière demande est normale et
raisonnable; quant aux dépens afférents à la
requête en l'espèce, elle n'en aura pas puisqu'elle
ne la conteste pas. Les frais subséquents seront
décidés par le juge qui statuera sur la question que
soulève la défenderesse ou par le juge de première
instance, au cas où cette question ferait l'objet
d'un procès. Par la voix de son avocat, la demande-
resse Quemet a contesté cette requête au motif que
l'article 174 ne s'appliquait pas en l'espèce, qu'il
n'y avait aucune justification légale à joindre
Magog à l'appel, qu'une audition normale de cette
espèce sans que cette compagnie y soit jointe tran-
cherait le point litigieux, qu'en tout cas une déci-
sion sur la question posée ne résoudrait pas les
points litigieux communs aux deux parties, et
enfin, qu'en cas de jonction de parties, l'audition
des faits lui serait préjudiciable.
Les faits sont énoncés en détail dans la requête
de la défenderesse et leur véracité doit être présu-
mée aux fins de la présente décision car celle-ci est
basée sur un état de choses qui n'existerait que si
les faits articulés étaient véridiques. Selon cette
requête, le 7 septembre 1977, le ministre du
Revenu national a établi contre la demanderesse
une nouvelle cotisation où il a refusé une déduction
de $17,471.83 de son revenu calculé pour l'année
d'imposition 1972. Après avis d'opposition et con
firmation du refus par une nouvelle cotisation en
date du 15 août 1978, la demanderesse a saisi
directement la Cour de l'appel en instance. Le 27
juillet 1978, la demanderesse a fait l'objet d'une
autre nouvelle cotisation rejetant une déduction de
$27,509.56 de son revenu calculé pour l'année
d'imposition 1973. Cette nouvelle cotisation,
dûment contestée, n'a été ni confirmée ni annulée
ni modifiée. Aucune autre cotisation refusant des
déductions analogues n'a été établie à l'encontre de
la demanderesse pour ses années d'imposition 1974
et 1975.
Quant à Magog, elle a fait l'objet de nouvelles
cotisations établies le 22 septembre 1978 et por-
tant rejet d'une déduction de $57,120.62 pour
l'année d'imposition 1974, de $62,763.63 pour
l'année d'imposition 1975 et de $10,281.83 pour
l'année d'imposition 1976. Elle s'y est opposée en
bonne et due forme et les nouvelles cotisations
n'ont été ni confirmées ni annulées ni modifiées.
Le Ministre allègue que pendant les années
d'imposition 1972 1976, les deux compagnies
faisaient le commerce de métaux non ferreux, que
Quemet achetait à plusieurs fournisseurs, dont
Magog. L'année d'imposition de Quemet se ter-
mine le 31 décembre, et celle de Magog, le 30
avril. En calculant son revenu pour ses années
d'imposition 1972 1975, Quemet a déduit à titre
d'achats à Magog, les montants suivants:
1972 $17,471.83
1973 $27,509.56
1974 $89,349.49
1975 $21,908.85
attestés par des factures que Quemet a établies au
nom de Magog. Cette dernière a ajouté à son
revenu déclaré le montant de ces ventes, mais a
réclamé la déduction de dépenses correspondant à
ce montant, moins les commissions qu'elle a réali-
sées sur ces ventes, et pour justifier ces dépenses,
elle aurait établi des factures au nom de différen-
tes personnes. Ces factures auraient été établies à
des noms fictifs, dont certains sont des employés
de Quemet. Le président de Magog l'aurait admis
devant le représentant du ministre du Revenu
national en lui fournissant la liste de ces factures,
aveu qu'il a confirmé par un affidavit en date du
17 mars 1977, où il déclare que l'argent versé par
Quemet en paiement de ces prétendus achats lui a
été retourné, moins une commission de $0.01 par
livre. Magog prétend qu'aucun de ces montants ne
représente des ventes à Quemet puisqu'elle les a
restitués à des dirigeants ou employés de cette
compagnie. Les factures de complaisance que
Magog a établies pour des achats qu'elle prétend
n'avoir jamais faits portent sur les sommes
suivantes:
1972 $ 2,698.80
1973 $ 14,065.94
1974 $ 57,120.62
1975 $ 62,763.63
1976 $ 10,281.83
TOTAL $146,930.82
Il convient de noter que les montants établis pour
les années 1974, 1975 et 1976 sont ceux dont le
Ministre a refusé la déduction par les nouvelles
cotisations relatives à ces années-là. Magog, dans
son avis d'opposition, fait valoir que ces montants
ne doivent pas être considérés comme un revenu
puisqu'en fait elle les a restitués à Quemet, sauf la
commission réalisée sur la transaction. Quemet, de
son côté, prétend que les achats faits auprès de
Magog étaient authentiques et qu'elle doit être
autorisée à les déduire, à titre de frais, de son
revenu calculé pour les années d'imposition 1972
et 1973, les seules qui aient fait l'objet d'une
cotisation jusqu'à présent.
La défenderesse fonde la nouvelle cotisation éta-
blie contre Quemet sur l'article 18(1)a) de la Loi,
qui interdit de déduire un débours ou une dépense,
sauf dans la mesure où il a été fait ou engagé par
le contribuable en vue de tirer un revenu des biens
ou de l'entreprise. Elle invoque aussi l'article
152(7) de la Loi, qui porte:
1s2....
(7) Le Ministre n'est pas lié par les déclarations ou rensei-
gnements fournis par un contribuable ou de sa part et, lors de
l'établissement d'une cotisation, il peut, nonobstant la déclara-
tion ou les renseignements ainsi fournis ou l'absence de déclara-
tion, fixer l'impôt à payer en vertu de la présente Partie.
et l'article 163(2), qui prévoit une pénalité de 25 p.
100 contre une personne qui, sciemment ou dans
des circonstances justifiant l'imputation d'une
faute lourde fait, participe ou consent à un énoncé
ou à une omission dans une déclaration d'impôt.
Le Ministre demande à la Cour de statuer sur la
question de savoir si les achats que Quemet a faits
chez Magog sont authentiques, donc déductibles,
ou s'ils ne le sont pas, donc non déductibles, auquel
cas leur montant ne serait pas inclus dans le
revenu de Magog, à l'exception des commissions.
La nouvelle cotisation de Quemet pour l'année
1972 est la seule qui soit soumise à la Cour en
l'espèce, car elle n'a pas encore formé appel contre
celle de l'année 1973. Toutefois, le Ministre indi-
que qu'il a l'intention d'établir de nouvelles cotisa-
tions pour les années d'imposition 1974 et 1975 de
Quemet, de refuser les déductions qu'elle réclame
à titre de dépenses pour ces années-là et de confir-
mer la nouvelle cotisation qu'il a établie pour
l'année 1973. En attendant que la Cour ait statué
sur l'appel interjeté par Quemet, le Ministre a
l'intention d'établir contre Magog les nouvelles
cotisations pour les années d'imposition 1972 et
1973, ce qu'il n'a pas encore fait, et de confirmer
celles qu'il a établies pour les années d'imposition
1974, 1975 et 1976. Il déclare que la décision
relative à la question posée en l'espèce se répercu-
tera sur toutes ces cotisations. Il demande donc à
la Cour de rendre une ordonnance pour joindre
Magog à l'appel interjeté par Quemet, pour régler
cette question de façon judicieuse pour toutes les
années en cause, pour ordonner que Quemet et
Magog seront liées par la suite que la Cour réser-
vera à l'appel de Quemet et par sa décision sur la
question commune pour toutes les années en cause,
et ce avec dépens. Si les faits articulés étaient
avérés, il y aurait eu entre les deux compagnies un
complot qui tomberait fort probablement sous le
coup de la loi pénale, bien que selon l'avocat de la
défenderesse, aucune poursuite criminelle n'ait été
intentée: ce complot aurait eu pour objet de frau-
der le ministre du Revenu national des sommes
légalement dues à titre d'impôt sur le revenu.
Toutefois, le Ministre ne peut pas imposer deux
fois les mêmes sommes, ce qu'il ne cherche d'ail-
leurs pas à faire. Si Quemet n'a jamais fait chez
Magog les achats qui figurent sur les factures
fictives, elle ne peut certainement en déduire les
montants, à titre de dépenses, de sa déclaration
d'impôt mais, en revanche, ces montants ne peu-
vent être considérés comme constituant des recet-
tes de Magog dans le calcul de son revenu. Dans
ses déclarations d'impôt, Magog les a pourtant
inscrits comme recettes mais, pour éviter l'impôt y
relatif, elle a établi un autre jeu de factures fictives
pour des achats de métaux qu'elle n'avait jamais
faits, à titre de dépenses faisant pendant aux paie-
ments qu'elle déclare avoir reçus de Quemet. Si les
faits articulés étaient avérés, Magog n'aurait pas à
payer l'impôt sur un revenu qu'elle n'avait jamais
reçu ni ne pourrait déduire des dépenses qu'elle
n'avait jamais faites. De toute évidence, la preuve
à établir s'appliquera aux cotisations des deux
compagnies, et elle pourra fort bien être raccourcie
si, en réglant la question posée, la Cour décide
laquelle des deux compagnies doit subir les consé-
quences fiscales de la fraude alléguée. Si Magog
avait formé devant la Cour de céans un appel
contre les nouvelles cotisations établies pour ses
années d'imposition 1974, 1975 et 1976, il est
certain que les deux actions seraient entendues sur
preuve commune. La défenderesse prétend que le
recours à l'article 174 évitera une multiplicité d'ac-
tions, que la décision de la Cour la guidera pour
établir les nouvelles cotisations des années qui n'en
ont pas encore fait l'objet, et que conformément à
l'article 174(5) supra, le délai de nouvelle cotisa-
tion sera suspendu jusqu'au règlement de la
question.
La demanderesse s'oppose au recours à l'article
174 au motif que sa seule année d'imposition 1972
est en cause en l'espèce alors que Magog, a fait
l'objet d'une nouvelle cotisation pour les années
d'imposition 1974, 1975 et 1976. Donc, le litige ne
porte pas sur les mêmes années d'imposition. Cet
argument est indéfendable puisque l'article 174(1)
vise une question de droit, de fait ou de droit et de
fait dérivant d'une même transaction ou d'un
même événement ou d'«une série de transactions
ou d'événements», et il appert qu'en l'espèce, la
fausse facturation a duré cinq ans, de 1972 à 1976
inclusivement. Par ailleurs, l'article 174(2)c)
requiert que la demande énonce les faits et les
motifs sur lesquels le Ministre se fonde ou «a
l'intention de se fonder» pour établir des cotisa-
tions et, en l'espèce, la déclaration d'intention
figure bien dans la requête. De toute évidence, il
n'est pas nécessaire que le Ministre ait déjà établi
les cotisations des deux compagnies pour toutes les
années d'imposition dont s'agit; il suffit qu'il en ait
l'intention.
La demanderesse prétend aussi qu'il y a deux
questions distinctes, la seule à trancher en l'espèce
étant la facturation des ventes fictives de Magog à
Quemet. Il y a d'autre part la question de l'inclu-
sion de ces ventes à titre de recettes dans la
déclaration d'impôt de Magog: pour établir les
nouvelles cotisations contre cette dernière, le
Ministre doit examiner si les achats de métaux
qu'elle prétend avoir faits à des tiers, qu'il s'agisse
de personnes fictives ou d'employés de Quemet,
ont effectivement eu lieu et sont déductibles à titre
de dépenses; cependant, la preuve en la matière ne
saurait être admissible en l'espèce. Voilà un argu
ment sérieux mais, à mon avis, qu'il ressorte ou
non des faits que la demanderesse Quemet était
impliquée dans les achats fictifs reprochés à
Magog, cette dernière était indubitablement impli-
quée dans les deux catégories d'opérations et le
Ministre a un motif légitime de faire la lumière sur
les deux, qu'il s'agisse de l'affaire en instance ou
d'actions à intenter par Magog ou contre elle. Les
deux séries d'opérations sont nécessairement liées
et à mon avis, il y a lieu d'autoriser en l'espèce
l'administration des preuves applicables à l'une et
à l'autre, et ce par application de l'article 174 de la
Loi de l'impôt sur le revenu. Que Quemet soit
impliquée ou non dans les achats fictifs reprochés
en l'état à Magog, la jonction de cette dernière à
l'appel permettra d'en faire la preuve et il sera
alors possible de poser des questions pertinentes
sur les deux séries d'opérations.
L'avocat de Quemet argue également des diffi-
cultés de procédure dans les cas où l'article 174 a
été invoqué devant la Commission de révision de
l'impôt en vue de joindre un autre contribuable à
un appel dont elle a été saisie, ainsi que de certai-
nes difficultés de procédure en matière de preuve,
de fardeau de la preuve et de citation de certains
témoins, dont les intérêts peuvent être contraires à
ceux de la partie qui les cite, etc. Je ne peux pas
admettre que parce que l'article pénètre dans un
domaine inexploré et pose quelques difficultés pra-
tiques, on ne l'applique pas alors que la bonne
administration de la Loi et la commodité de la
Cour, qui cherche à éviter une multiplicité d'ac-
tions, en font ressortir les avantages. Le fait que
son application puisse gêner l'un des contribuables,
que ce soit celui qui est déjà partie aux procédures
ou l'autre, ne constitue pas le principal élément à
prendre en considération, du moment que les deux
contribuables tout comme le Ministre peuvent par-
ticiper pleinement aux débats en présentant leur
argumentation, en répliquant à l'argumentation
adverse et en prenant part aux interrogatoires
préalables, afin que la Cour soit pleinement infor-
mée de leurs prétentions respectives avant de tran-
cher la question. J'ai examiné la jurisprudence
établie par les deux décisions de la Commission de
révision de l'impôt qui ont été portées à mon
attention, à savoir: M.R.N. c. Les Meubles de
Maskinongé Inc.' et Emile Crevier et Gasex
Limitée et York Lambton Corporation Limitée,
décision en date du 24 mai 1978 et non encore
publiée, ainsi que le seul arrêt de la Cour de céans
en la matière, savoir Crown Trust Company, en sa
qualité de fiduciaire de Suburban Realty Trust c.
La Reine 2 . Dans cette dernière affaire, en accor-
dant les dépens à l'un et l'autre des deux contri-
buables en cause sur une base procureur-client, le
juge Addy a vigoureusement critiqué la pratique
du Ministre qui consistait à établir des cotisations
contradictoires. Les faits de cette cause étaient
beaucoup plus simples qu'en l'espèce, le point liti-
gieux étant la répartition du prix de vente d'un
bien entre le terrain et les bâtiments, aux fins
d'allocation du coût en capital. Le vendeur récla-
mait pour le terrain une évaluation plus élevée que
ne le faisait l'acheteur, joint à l'appel par applica
tion de l'article 174. Les évaluateurs, tout en main-
tenant devant la Cour le chiffre initial, ont donné
au terrain, dans la cotisation de la partie jointe une
valeur plus élevée, celle que la demanderesse récla-
mait justement par son action. Bien que je con-
vienne pleinement avec mon savant collègue que le
fait d'établir, à l'égard de la même opération, des
cotisations contradictoires d'un contribuable à
l'autre est hautement indésirable, il est des cas où
le Ministre n'a guère le choix. A titre d'exemples
de ces cas qui ne sont pas rares, citons: M.R.N. c.
Ouellette 3 et Blauer c. M.R.N. 4 , confirmé par la
Cour suprêmes. En prétendant que la demande-
1 [1978] C.T.C. 2285.
2 [1977] 2 C.F. 673.
[1971] C.T.C. 121.
4 [1971] C.T.C. 154.
5 [1975] C.T.C. 111 et 112 respectivement.
resse Quemet n'a jamais fait chez Magog les
achats dont elle fait état, le Ministre a été forcé en
l'espèce de pousser le raisonnement plus loin à
l'égard de la cotisation de cette dernière compa-
gnie, pour conclure que si elle avait bien tiré un
revenu de ventes effectives à Quemet, elle n'a pas,
quant à elle, fait d'achats authentiques auprès de
tiers pour compenser par des dépenses le produit
de ces ventes. S'il ne l'avait pas fait, les deux
contribuables en cause n'auraient pas à payer l'im-
pôt sur des bénéfices résultant d'un complot qui
consisterait à établir des factures fictives.
Si le Ministre l'avait voulu, il aurait pu confir-
mer les avis de nouvelle cotisation déjà signifiés à
Magog et en établir d'autres pour l'une et l'autre
compagnies, à l'égard des années où ces cotisations
n'ont pas encore été établies. Une telle mesure
aurait multiplié les litiges. Je conclus donc que
l'article 174 de la Loi s'applique parfaitement en
l'espèce.
Par application de l'article 174(3)b), la Cour
rendra donc une ordonnance qui joindra Magog à
l'appel formé par Quemet devant la Cour. Les
questions à trancher seront les suivantes:
1. Il échet d'examiner si pour les années finan-
cières 1972 1976, les paiements que Quemet
prétend avoir faits à Magog pour l'achat de
ferrailles étaient authentiques ou étaient en tout
ou en partie le produit de factures fictives et de
ce fait, n'ont jamais été reçus par cette dernière
ou, quand bien même Magog les aurait effecti-
vement reçus, n'ont jamais été retenus comme
produit de ventes authentiques.
2. Au cas où la Cour conclurait que Magog a
effectivement reçu ces sommes à la suite de
ventes authentiques à Quemet, il échet d'exami-
ner si Magog a créé au moyen de factures
fictives des dépenses qu'elle n'a pas faites en vue
d'exempter ce revenu en tout ou en partie.
ORDONNANCE
1. Magog Metal Co. Inc. est jointe à l'appel inter-
jeté par la demanderesse Quemet Corp. en qualité
de partie jointe, par application de l'article
174(3)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
2. L'intitulé de la cause est modifié comme suit:
QUEMET CORP.,
Demanderesse
et
SA MAJESTÉ LA REINE
Défenderesse
et
MAGOG METAL CO. INC.
Partie jointe
3. Il y a lieu de régler deux questions comme suit:
a) Il échet d'examiner si pour les années finan-
cières 1972 1976, les paiements que Quemet
Corp. prétend avoir faits à Magog Metal Co.
Inc. pour l'achat de ferrailles étaient authenti-
ques ou étaient en tout ou en partie le produit de
factures fictives et de ce fait, n'ont jamais été
reçus par cette dernière ou, quand bien même
Magog Metal Co. Inc. les aurait effectivement
reçus, n'ont jamais été retenus comme produit
de ventes authentiques.
b) Au cas où la Cour conclurait que Magog
Metal Co. Inc. a effectivement reçu ces sommes
à la suite de ventes authentiques à Quemet
Corp., il échet d'examiner si Magog Metal Co.
Inc. a créé au moyen de factures fictives des
dépenses qu'elle n'a pas faites en vue d'exempter
ce revenu en tout ou en partie.
4. Sous réserve d'appel, Quemet Corp., Magog
Metal Co. Inc. et la défenderesse seront liées par
la décision de la Division de première instance de
la Cour de céans sur les questions communes pour
toutes les années en litige.
5. Dans les 15 jours, la défenderesse déposera et
signifiera à la partie jointe copie de tous les
mémoires et actes de procédure de la présente
action (sauf la requête fondée sur l'article 174 qui
a déjà été signifiée) ainsi que de la présente ordon-
nance, et dans les 15 jours de la signification de la
présente ordonnance, la partie jointe signifiera à la
demanderesse et à la défenderesse la défense
qu'elle opposera à la requête de la défenderesse et
dans les 15 jours qui suivent cette signification, la
défenderesse et la demanderesse auront toute lati
tude de déposer et de signifier à la partie jointe,
une réponse ou réplique à son mémoire de défense
ou encore, une réfutation de ce mémoire de
défense.
6. La demanderesse, la défenderesse et la partie
jointe peuvent demander communication des
pièces entre elles comme le font un demandeur et
un défendeur.
7. Le procès aura lieu conformément à l'ordon-
nance du juge de première instance.
8. Dans les 15 jours qui suivront la signification à
la partie jointe de la copie des mémoires et actes
de procédure de la présente action, la partie jointe
aura toute latitude de déposer et de signifier un
mémoire de défense contre la déclaration de là
demanderesse, et dans les 15 jours qui suivent.
cette dernière signification, la demanderesse aura
toute latitude de signifier à la partie jointe une
réponse ou réplique à cette défense ou encore, une
réfutation.
9. Toutes les parties seront avisées des interroga-
toires préalables et pourront y assister et y
participer.
10. La demanderesse doit payer à la défenderesse
les dépens afférents à la présente requête. Le juge
de première instance se prononcera sur tous les
autres dépens de la cause.
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